Décrets du 29 mars 1880 relatifs aux congrégations

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Bulletin officiel du Ministère de l'intérieur, p. 44-47



Rapport au président de la République française[modifier]

Paris, le 29 mars 1880.


Monsieur le Président,

C'est un principe de notre droit public qu'aucune congrégation religieuse, soit d'hommes, soit de femmes, ne peut s'établir en France sans une autorisation préalable. Ce principe se trouve notamment formulé dans l'article 11, de la loi organique du Concordat du 18 germinal an X : « Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques, sont supprimés », ainsi que dans l'article A du décret-loi du 3 messidor an XII : « Aucune agrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association. »

Nonobstant des dispositions si claires, un grand nombre de congrégations, soit d'hommes, soit de femmes, se sont formées en France, surtout sous le deuxième empire et depuis les événements de 1870. Un recensement opéré en 1877 constatait l'existence de cinq cents congrégations non autorisées comprenant près de vingt-deux mille religieux des deux sexes.

Les pouvoirs publics ont tantôt toléré et tantôt cherché à faire cesser cet état de choses, suivant l'exigence des cas et les réclamations de l'opinion. Qui ne se rappelle, par exemple, la célèbre interpellation adressée par M. Thiers au ministère de M. Guizot, en 1845, et qui se termina par l'adoption, à la presque unanimité de la Chambre des députés, d'un ordre du jour invitant le gouvernement à faire appliquer les lois existantes aux congrégations non autorisées ?

Un fait analogue vient de se reproduire. A la suite de la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur, et des déclarations que le cabinet actuel a été amené à faire devant le Sénat, la Chambre des députés a voté, le 16 mars courant, à une immense majorité, l'ordre du jour suivant :

« La Chambre, confiante dans le gouvernement et comptant sur sa fermeté pour appliquer les lois relatives aux congrégations non autorisées, passe à l'ordre du jour. »

Le devoir du pouvoir exécutif est donc de ramener les diverses congrégations non autorisées, éparses sur le territoire de la République, à se conformer aux règles tutélaires tracées par la législation en vigueur et à fournir les justifications sans lesquelles une plus longue tolérance ne saurait être maintenue. Ces justifications fournies, les pouvoirs publics auront à apprécier quelles sont celles de ces congrégations qui pourront être autorisées.

Toutefois, parmi les congrégations non autorisées, il en est une, de beaucoup la plus importante, dont il est impossible de méconnaître la situation particulière. Nous voulons parler de la société de Jésus, qui a été interdite à diverses époques et contre laquelle le sentiment national s'est toujours prononcé. Il n'est pas un gouvernement qui oserait en proposer la reconnaissance aux Assemblées législatives.

Demander aujourd'hui à cette société de remplir les formalités préliminaires à son autorisation, alors qu'on sait d'avance que cette autorisation lui serait refusée, ne paraîtrait ni convenable, ni digne. Il est assurément préférable de lui accorder, dès maintenant, un délai raisonnable, passé lequel elle devra cesser d'exister à l'état de congrégation. Il ne s'agit pas ici de poursuivre ses membres isolés et de porter atteinte à des droits individuels, ainsi qu'on essaie vainement de le faire croire, mais uniquement d'empêcher une société non autorisée de se manifester par des actes contraires aux lois.

Nous sommés donc amenés, Monsieur le Président, à vous proposer deux décrets séparés pour faire cesser les abus signalés par le vote de la Chambre. Un premier décret fixant le délai à l'expiration duquel les établissements de l'ordre des Jésuites en France devront être fermés, et un second décret réglant les formalités à remplir par toutes les autres congrégations non autorisées. Nous vous prions de vouloir bien les revêtir de votre signature.

Agréez, Monsieur le Président, l'hommage de notre respectueux dévouement.

Le ministre de l'intérieur et des cultes, Charles LEPÈRE.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, Jules CAZOT.


Premier Décret[modifier]

Le Président de la République française,

Sur le rapport du ministre de l'intérieur et des cultes et du garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu l'article 1er de la loi des 13-19 février 1790, portant : « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe ; en conséquence, les ordres et congrégations réguliers, dans lesquels on fait de pareils vœux, sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir » ;

Vu l'article 1er, titre Ier de la loi du 18 août 1792 ;

Vu l'article 11 du Concordat ;

Vu l'article 11 de la loi du 18 germinal an X, portant: « Les archevêques et évêques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés » ;

Vu le décret-loi du 3 messidor an XII, qui prononce la dissolution immédiate de la congrégation ou association, connue sous les noms de Pères de la Foi, d'Adorateurs de Jésus ou Paccanaristes, et porte que « seront pareillement dissoutes toutes autres agrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées » ;

Vu les articles 291 et 292 du Code pénal et la loi dû 10 avril 1834;

Considérant qu'antérieurement aux lois et décret susvisés, la société de Jésus a été supprimée en France, sous l'ancienne monarchie par divers arrêts et édits, notamment l'arrêt du Parlement dé Paris du 6 août 17.62, l'édit du mois de novembre 1764, l'arrêt du Parlement de Paris du 9 mai 1767, l'édit de mai 1777 ;qQu'un arrêt de la Cour de Paris du 18 août 1826, rendu « toutes les chambres assemblées » déclare que l'état actuel de la législation s'oppose formellement au rétablissement de la société dite de Jésus, sous quelque dénomination qu'elle se présente » et qu'il appartient à la haute police du royaume de dissoudre tous établissements, toutes agrégations ou associations qui sont ou seraient formés au mépris des arrêts, édits, loi et. décret sus-énoncés ;

Que le 21 juin. 1828, la Chambre des députés a renvoyé au gouvernement des pétitions signalant l'existence illégale des jésuites ;

Que le 3 mai 1845, la Chambre des députés a voté un ordre du jour, tendant à ce qu'il leur fût fait application des lois existantes, et que le gouvernement se mît en devoir de réaliser leur dispersion ;

Que le 16 mars 1880, à la suite de débats dans l'une et l'autre Chambre, qui avaient plus particulièrement, visé l'ordre des jésuites, la Chambre des députés a réclamé l'application des lois aux congrégations non autorisées;

Qu'ainsi, sous les divers régimes qui se sont succédé, tant avant qu'après la Révolution de 1789, les pouvoirs publics ont constamment affirmé leur droit et leur volonté de ne pas supporter l'existence de la société de Jésus, toutes les fois que cette société, abusant de la tolérance qui lui avait été accordée, a tenté de se reformer et d'étendre son action,

Décrète :


Article 1[modifier]

Un délai de trois mois, à dater du présent décret, est accordé à l'agrégation ou association non autorisée, dite des Jésus, pour se dissoudre, en exécution des lois ci-dessus visées, et évacuer les établissements qu'elle occupe sur la surface, du territoire de la République.

Ce délai sera prolongé jusqu'au 31 août, 1880 pour les établissements dans lesquels l'enseignement littéraire ou scientifique est, donné, par les soins de l'association, à la jeunesse.

Article 2[modifier]

Le ministre de l'intérieur et des cultes et le garde des sceaux, ministre de la justice, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret qui sera inséra au Bulletin des lois et au Journal officiel.


Fait à Paris, le 29 mars 1880.


Par le Président de la République JULES GRÉVY.

Le ministre de l'intérieur et des cultes, Charles LEPÈRE.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, Jules CAZOT.


Second Décret[modifier]

Le Président de la République française,

Sur le rapport du ministre de l'intérieur et des cultes, et du garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l'article 1er de la loi des 13-19 février 1790, portant: « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus de voeux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe : en conséquence, les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils voeux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir; »

Vu l'article 1er, titre Ier, de la loi du 18 août 1792 ;

Vu l'article 11 du Concordat ;

Vu l'article 11 de la loi du 11 germinal an X, portant : « Les archevêques et évoques pourront, avec l'autorisation du gouvernement, établir dans leurs diocèses des chapitres cathédraux et des séminaires. Tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés » ;

Vu le décret-loi du 3 messidor an XII, décidant que « seront dissoutes toutes congrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées » ; que « les lois qui s'opposent à l'admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des vœux perpétuels, continueront d'être exécutées selon leur forme et teneur » ; qu' « aucune agrégation ou association d'hommes ou de femmes ne pourra se former à l'avenir sous prétexte de religion, à moins qu'elle n'ait été formellement autorisée par un décret impérial, sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association ; » que, néanmoins, les agrégations y dénommées continueront d'exister en conformité des arrêtés qui les ont autorisées, « à la charge par lesdites agrégations de présenter, sous le délai de six mois, leurs statuts et règlements, pour être vus et vérifiés en Conseil d’État, sur le rapport du conseiller d’État chargé de toutes les affaires concernant les cultes » ;

Vu la loi du 24 mai 1825, portant qu' « aucune congrégation religieuse de femmes ne sera autorisée qu'après que les statuts, dûment approuvés par l'évêque diocésain, auront été vérifiés et enregistrés au Conseil d’État, en la forme requise pour les bulles d'institution canonique » ; que « ces statuts ne pourront être approuvés et enregistrés s'ils ne contiennent la clause que la congrégation est soumise, dans les choses spirituelles, à la juridiction de l'ordinaire » ; qu' « après la vérification et l'enregistrement, l'autorisation sera accordée par une loi à celles de ces congrégations qui n'existaient pas au 1er janvier 1825 » ; qu'à l'égard de celles de ces congrégations qui existaient antérieurement au 1er janvier 1825, l'autorisation sera accordée par une ordonnance du roi ; qu'enfin « il ne sera formé aucun établissement d'une congrégation religieuse de femmes déjà autorisée, s'il n'a été préalablement informé sur la convenance et les inconvénients de l'établissement et si Tonne produit, à l'appui de la demande, le consentement de l'évêque diocésain et l'avis du conseil municipal de la commune où l'établissement devra être formé, et que l'autorisation spéciale de former l'établissement sera accordée par ordonnance du roi, laquelle sera insérée dans la quinzaine au Bulletin des lois » ;

Vu le décret-loi du 31 janvier 1852, portant que « les congrégations et communautés religieuses de femmes pourront être autorisées par un décret du Président de la République : « 1° Lorsqu'elles déclareront adopter, quelle que soit l'époque de leur fondation, des statuts déjà vérifiés et enregistrés au Conseil d'Etat et approuvés pour d'autres communautés religieuses ; 2° Lorsqu'il sera attesté par l'évêque diocésain que les congrégations qui présenteront des statuts nouveaux au Conseil d’État existaient antérieurement au 1er janvier 1825 ; 3° Lorsqu'il y aura nécessité de réunir plusieurs communautés qui ne pourraient plus subsister séparément ; 4° Lorsqu'une association religieuse de femmes, après avoir été d'abord reconnue comme communauté régie par une supérieure locale justifiera qu'elle était réellement dirigée, à l'époque de son autorisation, par une supérieure générale, et qu'elle avait formé, à cette époque, des établissements sous sa dépendance ; Et qu'en aucun cas, l'autorisation ne sera accordée aux congrégations religieuses de femmes qu'après que le consentement de l'évêque diocésain aura été représenté » ;

Vu les articles 291 et 292 du Code pénal et la loi du 10 avril 1834 ;

Décrète :

Toute congrégation ou communauté non autorisée est tenue, dans le délai de trois mois à dater du jour de la promulgation du présent décret, de faire les diligences ci-dessous spécifiées, à l'effet d'obtenir la vérification et l'approbation de ses statuts et règlements et la reconnaissance légale pour chacun de ses établissements actuellement existants de fait.

Article 1[modifier]

La demande d'autorisation devra, dans le délai cidessus imparti, être déposée au secrétariat général de la préfecture de chacun des départements où l'association possède un ou plusieurs établissements.

Article 2[modifier]

Il en sera donné récépissé.

Elle sera transmise au ministre de l'intérieur et des cultes, qui instruira l'affaire.

Article 3[modifier]

A l'égard des congrégations d'hommes, il sera statué par une loi :

A l'égard des congrégations de femmes, suivant les cas et les distinctions établies par la loi du 24 mai 1825 et par le décret du 31 janvier 1852, il sera statué par une loi ou par un décret rendu en Conseil d’État.

Article 4[modifier]

Pour les congrégations qui, aux termes de l'article 2 de la loi du 24 mai 1825 et du décret du 31 janvier 1852; peuvent être autorisées par décret rendu en Conseil d’État, les formalités à suivre pour l'instruction de la demande seront celles prescrites par l'article 3 de la loi précitée de 1825, auquel il n'est rien innové.

Article 5[modifier]

Pour toutes les autres congrégations, les justifications à produire à l'appui de la demande d'autorisation seront celles énoncées ci-dessous.

Article 6[modifier]

La demande d'autorisation devra contenir la désignation du supérieur ou des supérieurs, la détermination du lieu de leur' résidence et la justification que cette résidence est et restera fixée eh France. Elle devra indiquer si l'association s'étend à l'étranger ou si elle est renfermée dans le territoire de la République.

Article 7[modifier]

A la demande d'autorisation devront être annexées : 1° la liste nominative de tous les membres de l'association; cette liste devra spécifier, pour chaque membre, quel est le lieu de son origine et s'il est Français ou étranger ; 2° l'état de l'actif et du passif, ainsi que des revenus et charges de l'association et de chacun dé ses établissements ; 3° un exemplaire des statuts et règlements.

Article 8[modifier]

L'exemplaire des statuts dont la production est requise devra porter l'approbation des évêques des diocèses dans lesquels l'association a des établissements, et. contenir la clause que la congrégation ou communauté est soumise, dans les choses spirituelles, à la juridiction de l'ordinaire.

Article 9[modifier]

Toute congrégation ou communauté qui, dans le délai ci-dessus imparti, n'aura pas fait la demande d'autorisation avec les justifications prescrites à l'appui, encourra l'application des lois en vigueur.

Article 10[modifier]

Le ministre de l'intérieur et des cultes, et le garde des sceaux, ministre de la justice, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret ; qui sera inséré au Journal officiel et au Bulletin des lois.


Fait à Paris, le 29 mars 1880.


Par le Président de la République JULES GRÉVY.

Le ministre de l'intérieur et des cultes, Charles LEPÈRE.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, Jules CAZOT.