Démétrius (Delrieu)/Texte entier
ARTAXERCE, Tragédie en cinq actes.
AVERTISSEMENT.
On sait qu’après la mort d’Alexandre, ses généraux héritèrent de son vaste empire. La Syrie échut en partage à Séleucus. Il régna paisiblement et transmit sa couronne à ses descendans, qui, comme lui reconnus souverains, consacrèrent la dynastie des Séleucides.
Antiochus-le-Grand, ayant ajouté à ses états de nouvelles provinces, donne des inquiétudes à Rome, qui lui défend de poursuivre ses conquêtes. Antiochus, enorgueilli de ses succès, et indigné d’une telle défense, aima mieux suivre les conseils d’Annibal, qui, réfugié près de lui après la ruine de Carthage, lui inspira sa haine pour les Romains, et le détermina à mépriser les ordres et à braver la menace de ce peuple jaloux et conquérant. Rome aussitôt déclare la guerre au roi de Syrie, et envoie contre lui une armée formidable commandée par les deux Scipions.
Antiochus, défait à la fameuse journée de Magnésie, est forcé de souscrire un traité honteux par lequel lui et ses successeurs se voient à jamais assujettis à envoyer à Rome vingt otages, et surtout l’héritier présomptif du trône de Syrie. Je ne parle point des autres articles du traité ; ils sont étrangers au sujet de ma tragédie.
Séleucus Philopator, ayant succédé à son père Antiochus-le-Grand, fut, par suite dudit traité, contraint d’envoyer en otage à Rome Démétrius son fils aîné, et en Judée Héliodore son général, chargé d’en rapporter, en pillant le temple de Jérusalem, une somme suffisante pour payer aux Romains le tribut annuel : ce tribut était de quinze mille talens. Héliodore échoua dans son entreprise, revint à Antioche, et, pour se soustraire au courroux du roi, prend le parti de l’empoisonner. Il exécute son projet de concert avec la reine, dont il était le favori, et avec laquelle il se flattait de monter sur le trône ; en profitant de l’absence de Démétrius et de la minorité d’Antiochus. L’histoire tait le nom de cette reine : je la nomme Laodice.
Cependant Démétrius, héritier légitime du trône de Syrie, apprend à Rome que son sceptre est dans les mains de sa marâtre, assassin secret de Séleucus. Indigné d’un si lâche forfait, brûlant de venger la mort de son père, Démétrius réclame ses droits et l’appui du sénat ; le consul Valérius, vendu à Laodice, et ennemi déclaré de Démétrius, loin de lui rendre la liberté, le fait retenir et surveiller soigneusement. Démétrius, justement irrité, adresse plusieurs fois de nouvelles réclamations au sénat, qui, pour toute réponse, le fait chaque jour garder de plus près.
Heureusement un Grec qui se trouvait alors à Rome, et qui avait su gagner l’amitié et la confiance de Démétrius, l’aida par son adresse à se tirer d’embarras, et lui ouvrit par ses conseils les chemins de l’Asie et du trône.
Ce Grec était le célébre historien Polybe, qui, aussi aimable philosophe qu’habile politique, imagine, pour sauver son auguste ami, un stratagème qui lui réussit. Il engage Démétrius à user de feinte, à cacher son courroux, à affecter la joie, à montrer une entière soumission aux volontés du sénat, à renoncer publiquement à toute prétention au diadème, à solliciter même comme une faveur le titre de citoyen romain. Démétrius suit l’avis de Polybe ; soudain, se voyant moins surveillé, il saisit la première occasion favorable, et, s’échappant, seul de Rome, il s’embarque inconnu, déguisé, sur un navire tyrien, rentre dans ses états, se fait reconnaître de ses sujets, est proclamé roi, rend la paix à l’Asie, mérite par sa clémence le beau titre de soter ou sauveur, et s’affermit ainsi, presque sans obstacle, sur le trône de son père.
Voilà ce que l’histoire m’a fourni. Les personnages de Démétrius, d’Antiochus, d’Héliodore, sont historiques ; ceux de Laodice, de Nicanor, de Stratonice, sont d’invention.
On me pardonnera sans doute d’avoir supposé Démétrius frère d’Antiochus, qui dans l’histoire n’est que son cousin, et d’avoir substitué au stratagème de Polybe un moyen d’évasion plus digne d’un héros tragique.
Mages. Gardes. Soldats. Peuple. |
Personnages muets. |
Démétrius, premier rôle, costume sarmate.
Antiochus, jeune premier, costume syrien.
Nicanor, père noble, cheveux et barbe grise, costume syrien.
Stratonice, jeune première, costume pareil à celui d’Azéma, moins riche.
Héliodore, second rôle, barbe noire, costume syrien très-riche.
Arsace, troisième rôle, costume syrien et guerrier.
La décoration et les costumes sont les mêmes que dans Rodogune.
Les acteurs sont placés en tête de chaque scène, comme ils doivent l’être au théâtre. Le premier inscrit tient la droite.
DÉMÉTRIUS,
ACTE PREMIER.
Scène PREMIÈRE.
Suis-je libre en ces lieux ? Suis-je captive encor ?
Vais-je dans ce palais retrouver Nicanor ?
Il souffre loin de moi l’exil et la misère.
Pourquoi nous séparer ? Seigneur ! il est mon père.
Il vous sera rendu.
Jusqu’au nom du mortel qui me conduit ici ?
Je suis Antiochus.
Je doute si je veille, et je vous crois à peine.
L’impitoyable auteur des maux que j’ai soufferts
Vous a donné le jour, et vous brisez mes fers !
De votre aîné proscrit la marâtre cruelle
Au milieu de sa cour par vos soins me rappelle !
Pourrai-je y contempler sans horreur, sans effroi
Son trôle encore fumant du pur sang de mon roi ?
Madame !
J’ai vu dans ce palais cette reine coupable,
Également fatale à votre frère, à vous,
Dépouiller de ses droits le fils de son époux ;
J’ai vu, pour désoler ce malheureux rivage,
Des barbares, suivis du meurtre, du ravage,
Accourir à sa voix, et, de sang tout couverts,
Dévaster nos cités et peupler nos déserts !
Étonné d’un discours qui m’afflige et m’offense,
D’une mère accusée embrassant la défense,
J’ose, fier d’écarter vos soupçons odieux,
Hautement démentir un bruit injurieux.
Rappelez-vous ces temps et de trouble et de haines,
Où, faible, de l’état abandonnant les rênes,
De ses lâches flatteurs mon père environné,
Par un traître inconnu périt empoisonné.
Il respirait encor, mais son front vénérable
Présentait du trépas l’image déplorable.
Ses yeux étaient mourans et se tournaient vers moi.
Muet, je déplorais le destin de mon roi.
Le ciel, s’il avait lu dans mon âme attendrie,
Aux dépens de mes jours eût prolongé sa vie !…
Près de lui resté seul, je reçus en ces lieux
De mon père expirant les éternels adieux.
La reine en son palais, éperdue, éplorée,
De ses gardes en deuil m’attendait entourée.
Je parais : sur son front une morne pâleur
D’une épouse innocente attestait la douleur.
Je me jette à ses pieds devant Héliodore.
Elle me tend la main. Je crois la voir encore
Au trône, avec bonté, près d’elle me placer ;
Me parer du bandeau, dans ses bras me presser ;
En frémissant pour moi dissiper mes alarmes ;
Me baigner de ses pleurs en essuyant mes larmes !…
Connaissez donc la reine avant de la juger.
« Votre père n’est plus ; vivez pour le venger,
» Me dit-elle. Vivez pour punir un impie,
» Qui d’un roi que j’aimais vient de trancher la vie.
» Déguisant sa fureur, et dans l’ombre caché,
» Ce traître à notre perte est sans cesse attaché.
» Prévenons-le ! »
Quel est ce traître ?
Votre père.
Nicanor ?
Pour régner, il immola son frère.
Et vous avez pu croire à cet excès d’horreur ?
Vous !… fils de Séleucus, abjurez votre erreur.
Quand de ce noir complot il dut être victime,
Mon père est par vous-même accusé d’un tel crime !
Nicanor immoler et son frère et son roi !
Vingt ans, dans les combats, il lui prouva sa foi.
Affreuse calomnie ! exécrable mystère !
Quel est donc l’assassin ?
Laodice !
Ma mère ?
Démétrius par elle à Rome est dans les fers ;
Par elle Nicanor gémit dans nos déserts ;
D’un père, d’un époux, sa fureur me sépare.
Nicanor est ici ; la douleur vous égare.
Mon père ?… et mon époux, mon roi, Démétrius ?
En ôtage dans Rome, il n’en sortira plus.
Il n’en sortira plus ? Cependant auprès d’elle,
Après quinze ans d’exil, la reine me rappelle ?
Ne puis-je, quand son fils a pressé mon retour,
Apprendre quel motif me ramène à sa cour ?
Avant d’être en ces lieux, où j’ai dû vous conduire,
De son projet fatal je n’ai pu vous instruire.
Elle veut qu’en ce jour, oubliant votre époux,
Vous acceptiez le nœud qui doit m’unir à vous.
Seigneur ! vous céderez aux lois de votre mère ?
Moi ? Je respecterai l’épouse de mon frère.
J’ai dû, secrètement jusqu’à vous parvenu,
Terminer votre exil et rester inconnu.
La reine l’ordonnait. Mais, en brisant vos chaînes,
Étranger à l’amour, je n’ai vu que vos peines.
J’espérais que les dieux, touchés de vos malheurs,
Emprunteraient ma main pour essuyer vos pleurs :
Et que par ma prière une reine attendrie
Vous rendrait un époux, un père, une patrie.
Oui : quel que soit l’attrait que j’éprouve à vous voir,
Vous aimer est un crime, et vous plaindre un devoir.
De l’orgueil des Romains victime infortunée,
Mon frère à votre sort unit sa destinée ;
Au temple de nos Dieux il vous jura sa foi ;
Il reçut vos sermens : ils sont sacrés pour moi.
Que de votre équité cette preuve m’est chère !
Le ciel à vos vertus devait une autre mère !…
Connaissez-moi, seigneur ! dès l’enfance, à l’autel,
Unie à votre aîné par un nœud solennel,
Près de lui je dus vivre ; et, de lui séparée,
Je lui garde à jamais la foi que j’ai jurée.
À mes premiers sermens Nicanor applaudit ;
Le roi me les dicta, le ciel les entendit.
Démétrius, soumis à cet usage antique,
Consacré par nos mœurs et par la politique,
Jeune encor comme moi, serra ce doux lien.
Douze ans marquaient alors et son âge et le mien.
Au temple à mon époux j’étais unie à peine,
Quand l’ordre du sénat, ou plutôt de la reine,
Le poursuit, nous sépare aux yeux des immortels,
Et le bannit à Rome en quittant leurs autels !
Il partit… Je l’aimais, hélas ! avec tendresse.
Des transports amoureux ce n’était point l’ivresse ;
C’était le devoir seul ; et, même dans ce jour,
Je pleure mon époux, et j’ignore l’amour.
Loin de lui si long-temps aux fers abandonnée,
À l’opprobre, à la mort j’ai langui condamnée.
Alors j’étais du moins heureuse en mes douleurs ;
Je goûtais le plaisir de lui donner des pleurs.
Depuis quinze ans, l’exil m’a ravi l’espérance
De voir Démétrius, guidé par la vengeance,
Abusant Laodice et trompant les Romains,
Par miracle échappé de leurs barbares mains,
Pour remonter au trône où son peuple l’appelle,
Reparaître, attaquer une reine cruelle ;
Et, purgeant ses états de ce monstre odieux,
Venger, en l’immolant, moi, son père et les dieux.
Madame ! commandez à votre injuste haine.
Daignez, en ma présence, épargner votre reine.
Quels noms injurieux osez-vous lui donner ?
Quand sa bonté pour vous aime à vous pardonner,
Quand par elle aujourd’hui votre bonheur commence,
Oubliez ses rigueurs, songez à sa clémence.
À sa clémence, prince ? Ardent à se venger,
Son cœur à la vertu fut toujours étranger.
Au trône encor sanglant seule elle osa prétendre.
Pour y placer son fils, daigne-t-elle en descendre ?
Sa main, en vous offrant le sceptre d’un époux,
Vous a-t-elle attesté sa tendresse pour vous ?
De la soif de régner qui toujours la dévore,
Ah ! prince, craignez tout ; craignez Héliodore.
Favori de la reine et seul près d’elle admis,
Il immola le père ; il veut perdre les fils.
Oui, de son attentat j’ai la preuve certaine.
Héliodore, ici, par l’ordre de la reine,
A versé le poison dans le sein paternel…
En la justifiant vous seriez criminel.
Je dirai plus : la main qui vous priva d’un père,
A sans doute dans Rome immolé votre frère.
Démétrius ?… Sortez du trouble où je vous voi !
Les dieux veillent encore sur les jours de mon roi.
Il respire ! ah ! calmez vos injustes alarmes.
Bannissez vos soupçons, et retenez vos larmes,
Stratonice… en ces lieux la reine va venir.
D’un frère qui m’est cher je veux l’entretenir.
S’il est vrai qu’il respire, ô justice éternelle !
Entends, entends les vœux du peuple qui l’appelle !
Exauce ma prière ! écoute enfin ma voix !
Du glaive des Romains sauve le fils des rois,
Ô ciel ! et, pour punir sa marâtre jalouse,
Rands à Démétrius son trône et son épouse !
Scène II.
Portez à Nicanor mes ordres absolus ;
Allez, et qu’à mes lois il ne résiste plus !
Vous, veillez sur le camp ; et vous, sur la princesse !
Antiochus, restez ! vous, gardes, qu’on nous laisse !
Scène III.
La fière Stratonice a-t-elle appris de vous
Que mon fils aujourd’hui doit être son époux ?
À son nouvel hymen l’avez-vous préparée ?
Sur le sort qui l’attend l’avez-vous éclairée ?
Oui, reine !
Lorsque ma main tarit la source de ses pleurs ;
Lorsque, pour satisfaire aux vœux de mon empire,
Au trône où je m’assieds je permets qu’elle aspire ;
Je ne présume point que son cœur indompté
Puisse opposer encor sa haine à ma bonté.
Stratonice est d’un sang adoré dans l’Asie.
Je sais que pour son fils le roi l’avait choisie.
J’approuve ses projets ; je respecte son choix.
Qu’elle règne avec vous ; j’y consens, je le dois.
L’intérêt de l’état veut que je vous unisse…
Mais je veux que, content d’épouser Stratonice,
De mes vastes desseins unique et cher objet,
Enorgueilli du rang de mon premier sujet,
Vous donniez à mon peuple, en servant ma puissance,
L’exemple du courage et de l’obéissance…
Mon fils, j’ai provoqué le décret du sénat
Qui vous lègue après moi, les rênes de l’état.
Je hais Démétrius !… son fatal droit d’aînesse
A pour vous trop long-temps alarmé ma tendresse.
Mon cœur est satisfait, mes vœux sont accomplis ;
J’ai le prix de mes soins : vous régnerez, mon fils.
Cette Rome, autrefois temple de la justice,
Dont les remparts étaient un Émile, un Fabrice,
Rome, à qui tant de rois ne pouvaient résister,
Appartient maintenant à qui l’ose acheter.
Elle est à moi !… mon or, enchaînant son otage,
De mon trône à vous seul assure l’héritage !…
Apprenez qu’en secret le fier Valérius
Doit aux mains des licteurs livrer Démétrius.
Mais, tandis qu’à mes vœux Rome paraît souscrire,
Au sein de mes états je sais que l’on conspire.
Je sais que près de nous un ennemi caché,
Inconnu, sourdement à ma perte attaché,
Sous un masque trompeur déguisant sa furie,
Vers la rébellion fait pencher la Syrie.
L’Euphrate sur ses bords entend des factieux
Élever contre moi des cris séditieux.
J’ai prévu nos dangers, sans en être alarmée.
Je préside au conseil ; vous, commandez l’armée.
Mon camp est sous nos murs, marchez : nos ennemis
Vont tomber à mes pieds, désarmés et soumis.
Enchaînez la discorde, et, dans un fils que j’aime,
Montrez à l’univers l’espoir du diadème.
Mais avant d’y prétendre, il le faut mériter ;
Il faut peser le sceptre avant de le porter !…
Avant que d’aspirer au trône d’une mère,
Je veux qu’Antiochus ait fermé ma paupière.
À mes justes désirs si vous n’applaudissez,
J’ai dit ma volonté : je règne, obéissez !
Les dieux vous ont donné l’empire de l’Asie.
Fils sans ambition, sujet sans jalousie,
Je suis loin d’envier le rang où je vous voi.
Vous plaire est mon bonheur, vous servir est ma loi.
Mais vous me proclamez héritier de l’empire,
Vous m’offrez Stratonice, et mon frère respire !
Pour elle la pitié parle seule à mon cœur.
Puis-je aimer une épouse où je vois une sœur ?
Puis-je, en serrant les nœuds d’un hymen si funeste,
Priver Démétrius du seul bien qui lui reste ?…
Non, reine ! je dis plus, je suis fier d’avouer
Un intérêt sacré dont je dois me louer.
Vous m’avez daigné rendre une sœur qui m’est chère ;
À ses désirs, aux miens, rendez aussi son père !
Qui ? Nicanor ? mon fils, que me proposez-vous ?
La grâce d’un ingrat ?
Ah ! quand votre bonté pardonne à sa famille,
Quand vous daignez offrir la couronne à sa fille,
Prenez, prenez pitié des maux qu’il a soufferts.
Qu’enfin sa liberté…
Qui ? moi ! briser ses fers ?
Ah ! Madame !… à mon zèle au moins rendez justice.
Quand par votre ordre ici j’ai conduit Stratonice,
Pour elle j’ai connu la pitié, non l’amour.
Sans peine, sans regret, j’ai vu jusqu’à ce jour
Le sceptre paternel dans la main de ma mère.
Puissé-je enfin vous voir le transmettre à mon frère !
Ses droits…
Il est esclave à Rome !
En Syrie il est roi !
Eh ! sait-on seulement s’il voit le jour encore ?…
Mais quel motif vers moi conduit Héliodore ?
Scène IV.
Reine, enfin du sénat les desseins sont connus.
Rome immole les rois et ne les combat plus.
Je dois en ce moment taire son nouveau crime.
Je n’ose à votre fils annoncer la victime.
Son nom ?
Démétrius.
Mon frère ?
Ont du sang d’un otage osé souiller leurs mains.
Les Romains ? je respecte un odieux mystère.
Si Rome a vu couler le pur sang de mon frère,
Un jour le lâche auteur de cette trahison
Ne doit pas oublier qu’il m’en fera raison.
Mon fils !
Adieu, ma mère !
Scène V.
Il m’accuse !… sur vous il garde le silence,
Reine !… mais je l’ai vu devant vous se troubler.
Tremblez que ses soupçons…
Poursuivez : le proscrit a-t-il perdu la vie ?
Est-ce un faux bruit semé pour abuser l’Asie ?
Achevez : dois-je encor craindre Démétrius ?
Non : vos vœux sont remplis ; votre ennemi n’est plus.
Armé pour l’immoler aux murs du Capitole,
Votre envoyé secret a tenu sa parole.
Autorisé par vous à choisir pour appui,
Un soldat étranger qui fût digne de lui,
Lysias a fait choix de ce prince sarmate
Jadis par votre époux banni loin de l’Euphrate.
Libre par vous, heureux de vous prêter son bras,
Pharasmin jusqu’à Rome a suivi Lysias.
Ils reviennent ensemble ?
Lysias a péri victime de son zèle.
Dans un si long voyage il a trouvé la mort.
Privé d’un compagnon dont il pleure le sort,
Pharasmin, satisfait de vous avoir servie,
De l’otage de Rome a vu trancher la vie.
Il vient vous présenter le gage de sa foi.
Ah ! je reconnaîtrai ce qu’il a fait pour moi !
Docile à vos conseils, j’ai dû briser sa chaîne.
Sensible à mes bienfaits, il a servi ma haine :
Il fut par mon époux injustement banni :
Qu’il reprenne son rang ; son exil est fini.
Qu’il vienne recevoir le prix de son courage…
Enfin je ne crains plus Rome ni son otage !
Combien je m’applaudis d’avoir saisi soudain
Le sceptre que ta mort replaçait dans ma main !
Parjure Séleucus !… l’orgueil de voir unie
À tes vastes états ma fertile Arménie,
T’avait fait d’une reine envier le pouvoir.
Je voulus le combattre ; il désira me voir.
Je parus à ses yeux ; et la même journée
Vit terminer la guerre et fixer l’hyménée !…
Le roi, captif heureux, enchaîné dans ma cour,
Oubliant son empire, écoutait son amour.
Antiochus naquit : élevé loin d’un frère,
Seul il fut l’espérance et l’orgueil de sa mère.
J’exigeai pour mon fils le serment solennel
De ceindre un jour son front du bandeau paternel.
Le roi promit : son cœur démentant sa promesse,
Au fils d’une autre épouse il garda sa tendresse.
Le traître, m’abusant par des prétextes vains,
Songeait à rappeler l’otage des Romains !
Si je n’eusse prévu sa volonté secrète,
De reine que je suis, je devenais sujette !
J’aurais vu, dans ces lieux, mon fils infortuné,
Arraché de mes bras, proscrit, assassiné !
Pour conserver le fils, je dus perdre le père.
Pardonnez mon forfait, dieux vengeurs, j’étais mère !…
Je sais que sous mes lois, inquiet, abattu,
En secret déplorant ton antique vertu,
Peuple ingrat ! tu maudis, en déguisant ta rage,
Ma main qui te façonne au joug de l’esclavage.
Tu m’oses demander encor Démétrius.
Tu l’attends : vain espoir ! ton idole n’est plus !
Déjà de son trépas la cour est informée.
Que la voix des hérauts en instruise l’armée…
Je puis enfin briser les fers de Nicanor !
Vous ?… À Démétrius il est fidèle encor.
Par ses vœux il l’appelle.
L’éclaire, et met un terme à l’erreur qui le flatte.
Nicanor dans son cœur nourrit un fol espoir.
Pour le désabuser, ici je veux le voir.
Il vous hait.
Je le sais.
Qui ? vous, briser sa chaîne ?
Oui, moi ! Par mes bienfaits je veux dompter sa haine.
Je le veux ! Dès long-temps votre sévérité
Contre moi, contre vous, arme un peuple irrité.
Démétrius est mort aux rivages du Tibre.
Sans crainte je permets que Nicanor soit libre.
Mais le trépas l’attend s’il m’ose résister !…
Sur la foi du Sarmate au moins je puis compter ?
Oui, reine ! Ce guerrier, appui du diadème,
Rapporte votre lettre, où le consul lui-même
Atteste que le bras armé pour vous venger…
Il suffit : sans témoins je veux l’interroger.
Que devant Pharasmin Stratonice conduite,
Du sort de son époux à l’instant soit instruite.
Si l’ingrate à mes yeux oppose ses mépris ;
Si, dédaignant le trône et la vie et mon fils,
Aux mânes d’un proscrit elle reste fidelle,
La tombe s’ouvrira pour son père et pour elle !
ACTE II.
Scène PREMIÈRE.
Malgré l’ordre fatal qui vous avait banni,
Mes vœux sont couronnés : votre exil est fini.
Vous devez cette grâce aux soins d’Héliodore.
De quel brillant accueil la reine vous honore !
Sa bonté vous permet de paraître en ces lieux
Où sa main éleva ce monument pieux.
D’un époux qu’elle pleure il renferme la cendre…
Elle veut, sans témoins, vous parler, vous entendre.
Des bienfaits de la reine et de votre avenir
Héliodore ici va vous entretenir.
Pharasmin ! demeurez.
Scène II.
Ce monument impie insulte à ta victime.
Laodice ! tu plains ce prince infortuné !
Tu le pleures ! C’est toi qui l’as empoisonné !…
Où suis-je ?… Ciel vengeur ! aux yeux d’Héliodore,
Après m’avoir sauvé, tu me caches encore ?
À travers mille morts, jusque dans mes états,
Toi seul, des bords du Tibre, as dirigé mes pas ;
Pour m’affranchir enfin du joug de l’esclavage,
Toi seul a trompé Rome ; achève ton ouvrage !
À la reine abusée offre en moi Pharasmin,
Et mets, pour la frapper ta foudre dans ma main !…
Proscrit depuis quinze ans, je revois ma patrie !
Je sens naître la joie en mon âme attendrie.
Mais, hélas ! je regarde ; et mon œil étonné
À peine reconnaît ces lieux où je suis né.
Après tant de malheurs, je n’osais plus prétendre
À voir ces murs sacrés que du grand Alexandre
L’ami, le compagnon a bâtis de ses mains,
Et que respecte encor l’audace des Romains.
Dieux ! jusqu’à l’artifice il faut que je descende !
La vengeance le veut, et l’amour le commande.
Que dis-je ? Près de toi quand je suis parvenu,
Stratonice, tu meurs, si je suis reconnu !…
Mes pleurs, au seul aspect de l’image d’un père,
Ont failli de mon nom révéler le mystère.
De tes mânes plaintifs, ô mon père ! ô mon roi !
J’entends les cris vengeurs s’élever jusqu’à moi.
Ta couronne est au front de ton épouse impie ;
Ton sceptre est dans la main qui t’arracha la vie ;
De ses indignes fers ton fils est dégagé ;
Démétrius respire, et tu seras vengé !…
Cependant je verrais, à l’autel enchaînée,
Ma femme à mon rival unir sa destinée !
Séleucus !…
Réprimons ma fureur ; ne nous découvrons pas !
Scène III.
Enfin, grâce au pouvoir dont sa faveur m’honore,
Laodice vous rend aux vœux d’Héliodore.
Sa confiance en vous est le fruit de mes soins.
Que ne vous dois-je pas ? Quoi, seigneur ! sans témoins,
Près d’elle, en ce palais, votre reine m’appelle ?
Oui, prince ; elle a rendu justice à votre zèle.
Son époux trop long-temps méconnut votre foi.
La reine a réparé l’injustice du roi.
Elle sait que par vous le rebelle Tygrane,
Le fils de Nicanor, périt dans Ecbatane.
En vous récompensant elle fait son devoir.
Propice à ses desseins, utile à son pouvoir,
Votre arrivée ici change sa destinée.
Pharasmin ! la Discorde, à ses pieds enchaînée,
Frémit, et dans le sang ne peut plus se baigner.
Tranquille, triomphante et sûre de régner,
Laodice à son fils, sans crainte, sans partage,
De Démétrius mort peut léguer l’héritage.
D’un époux qu’elle aimait approuvant l’heureux choix,
La reine adopte enfin la nièce de nos rois.
Au temple, par son ordre, un pompeux sacrifice
Commencera bientôt l’hymen de Stratonice.
L’hymen de Stratonice !… Au fond de nos déserts,
Depuis quinze ans bannie, elle vit dans les fers ?
Elle est libre.
Son père approuve-t-il cet heureux hyménée ?
Nicanor ? il aura le prix de ses refus.
L’ingrat reste fidèle à son roi qui n’est plus !…
Cependant, insensible aux bontés de la reine,
Contre elle Stratonice écoute encor sa haine.
Jusqu’ici de son cœur le temps n’a pu bannir
De son Démétrius le fatal souvenir.
Elle a de le revoir conservé l’espérance…
À Rome il fut loin d’elle enchaîné dès l’enfance.
Quinze ans elle a pleuré l’exil de son époux.
Elle ignore sa mort.
Qui l’en instruira ?
Vous !
Moi ?
Éclairez Stratonice, et gardez de lui dire
Que la victime, à Rome immolée en secret,
Par l’ordre de la reine a subi son arrêt.
J’obéirai, seigneur !
La reine vous réserve ici la récompense.
Mais avant tout, seigneur, il faut lui présenter
La lettre où le consul a pris soin d’attester
Qu’il vous a vu remplir votre important message.
Prince ! de votre foi cet écrit est le gage.
Je le sais.
Il suffit.
Consent-elle à paraître ?
On l’amène en ces lieux.
Je la vois !
Par un récit fidèle ôtez-lui l’espérance.
Faites qu’en oubliant un proscrit qui n’est plus,
Elle accepte aujourd’hui la main d’Antiochus.
Ciel !
Scène IV.
Oses-tu braver l’aspect de Stratonice ?
Le tourment de te voir est mon plus grand supplice.
Que vas-tu m’annoncer ? achève, hâte-toi ;
Parle ! Démétrius est-il perdu pour moi ?
Madame, Pharasmin peut seul vous satisfaire.
Pharasmin ?… Vil bourreau de mon malheureux frère !
Viens-tu de mon époux m’annoncer le trépas ?
Réponds, cruel !… Réponds ! et ne m’abuse pas !
À la reine je viens, pour lui prouver mon zèle,
Du crime des Romains confirmer la nouvelle.
Du crime des Romains ? Ta bouche devant moi
Ose les accuser du meurtre de mon roi ?
Tu fus son assassin ; et voilà ton complice !
D’une aveugle fureur j’excuse l’injustice.
J’ai dit la vérité. Croyez que Pharasmin
Dans le sang d’un proscrit n’a point trempé sa main.
Rome seule a tout fait. Votre douleur extrême
Attaque Héliodore et la reine et moi-même.
Épargnez-moi, madame, un soupçon offensant ;
Et ne m’accusez pas quand je suis innocent.
Innocent ! Toi ?
C’est de vous que dépend son supplice ou sa grâce !
Scène V.
Madame !
Laisse-moi !
Demeurez, et daignez m’écouter !
Va ! je sais quel motif en ce palais t’amène.
Tu viens exécuter les ordres de la reine.
Frappe donc !
Stratonice !
Ah ! tu me fais horreur !
Ne me repoussez pas ! Sortez de votre erreur,
Stratonice !
Fuis, infâme assassin ! Mon âme épouvantée
S’indigne à ton aspect et frémit à ta voix !
Ah ! daignez commander au trouble où je vous vois.
Les momens me sont chers ; dissipez vos alarmes.
Vous pleurez votre époux ? Il vient sécher vos larmes !
Mon époux ! que dis-tu ? ce prince infortuné
Dans les prisons de Rome est mort assassiné !
Il ne l’est pas.
Qu’entends-je ?
Seul, fugitif, cédant à son amour extrême,
Il a pour vous sauver, inconnu sur ces bords,
Bravé mille dangers, affronté mille morts.
Par miracle échappé des rivages du Tibre,
Après quinze ans de fers, Stratonice, il est libre !
Tu ne m’abuses pas ? il est libre ? grands Dieux !
Parle : où puis-je le voir ?
Il est devant tes yeux !
Démétrius !!!
Nous sommes entourés des bourreaux de mon père !
Oses-tu seul ici braver un tel danger ?
J’ai voulu te revoir avant de te venger.
Moi craindre ? sous le nom d’un Sarmate, d’un traître,
Tes yeux m’ont méconnu ; qui peut me reconnaître ?…
Parle-moi de ton père !
À des fers éternels il gémit condamné.
Il est perdu pour moi !
Je saurai te le rendre !
Malheureux ! tu te perds si tu l’oses défendre !…
Ah ! moi-même je crains qu’un seul mot indiscret…
Si tu veux mon salut, respecte mon secret !
Tremble de soulever le voile qui me couvre !
Au plus léger soupçon vois ma tombe qui s’ouvre !
Songe que ton époux n’existe que pour toi.
Songe qu’en ce palais tu ne dois voir en moi
Qu’un lâche meurtrier, que l’objet de ta haine,
Que le vil instrument des fureurs de la reine.
Vers nous elle s’avance !
Scène VI.
Un dieu, pour affermir le sceptre de ma main,
Jusque dans mon palais a daigné vous conduire !
Du succès de vos soins hâtez-vous de m’instruire…
Madame !… Vous pleurez ? laissez couler vos pleurs ;
Loin de les condamner, j’approuve vos douleurs.
Penses-tu m’abuser par de vaines paroles ?
Je plains Démétrius.
Ah ! c’est toi qui l’immoles !
Ce traître, par ton ordre, a seul trempé ses mains…
Madame !…
À sa haine pour lui Rome le sacrifie.
Rome ?… Vous l’entendez ? ce mot me justifie.
Enfin, dans vos soupçons, vous allez m’épargner,
Madame ! et sur mon peuple heureuse de régner,
Unie avec un prince, héritier de ma gloire,
D’un proscrit qui n’est plus vous perdrez la mémoire ?
Ce proscrit a reçu mes sermens et ma foi ;
Immolé par ta rage, il vit toujours pour moi !
Si, jaloux de me rendre à tes lois plus docile,
Pharasmin n’a tenté qu’un effort inutile ;
N’accuse point son zèle ; accuses-en l’horreur
Qu’un exécrable hymen jette encor dans mon cœur.
Devais-tu te flatter de fléchir Stratonice,
Barbare ! en empruntant la voix de ton complice ?
Mon complice ?
Du sang de mon époux a dû rougir sa main ;
Je sais que, pour servir ta haine, ta colère,
Dans les murs d’Ecbatane il égorgea mon frère ;
Je sais que par ton ordre il revient empressé
De recevoir le prix du sang qu’il a versé.
Jouis de ses forfaits, récompense sa rage ;
Mais ne me parle plus d’un hymen qui m’outrage.
Garde un sceptre à jamais par toi déshonoré.
Je subirai le sort d’un époux adoré.
Au temple avec ton fils en vain ta voix m’appelle ;
À mes premiers sermens je resterai fidelle.
Le seul vœu que je fais est de pouvoir encor
Essuyer dans les fers les pleurs de Nicanor.
Ne me sépare plus de mon malheureux père ;
Souffre que près de lui je vive prisonnière.
Choisis pour notre exil les plus affreux climats :
Je bénirai mon sort ; je ne t’y verrai pas.
Scène VII.
Tes vœux seront remplis, perfide Stratonice !
Ma bouche aurait soudain ordonné ton supplice,
Si ma juste fureur ne respectait en toi
Le vœu de mes sujets et la nièce du roi !
Au rang de ses aïeux quand votre choix l’appelle,
Se montrer insensible à vos bontés pour elle ;
Refuser à la fois le trône et votre fils,
Reine !
De ses refus sa mort sera le prix…
Le brave Pharasmin, aux murs du Capitole,
Heureux de me venger, a tenu sa parole ?
Oui, reine !
Infaillible garant de la mort du proscrit ?
Lisez.
« Dans sa prison, au gré de votre envie,
» Le fils de votre époux a terminé sa vie.
» Démétrius est mort de la main d’un licteur.
Reine ! de ce forfait Rome seule est l’auteur.
Rome seule ? Il suffit, seigneur. Ce mot m’explique
D’un peuple de tyrans la vieille politique.
Je te reconnais, Rome ! En immolant un roi,
Tu n’as vu que toi-même, et n’as rien fait pour moi.
Après avoir quinze ans élevé ton otage,
Toi-même avec plaisir tu détruis ton ouvrage.
Tu craignais de le voir, libre, victorieux,
Régner et s’affranchir d’un tribut odieux.
Tu braves ma puissance, et tu te crois certaine
De briser à ton gré le sceptre d’une reine ;
Mais, avant qu’à ton joug mon peuple soit soumis,
Je mourrai sur mon trône en défendant mon fils !
Reine ! vous redoutez l’ambition de Rome ?
Oui : je ne compte plus sur l’appui du seul homme
Qui vainquit les Romains, qui peut les vaincre encor :
Il est aux fers.
Son nom ?
Nicanor.
Nicanor ?
Lui-même ! ignorez-vous le crime de ce traître ?
Banni depuis vingt ans, je ne le puis connaître,
Reine ! en songeant à lui, vous avez consulté
L’intérêt de l’état et votre sûreté.
De mon roi seulement je sais qu’il est le frère ;
Que le peuple le plaint, le chérit, le révère ;
Qu’il est infortuné… Terminez ses malheurs.
Fléchissez son audace en essuyant ses pleurs.
Il fut de nos guerriers l’amour et le modèle.
Envers lui soyez juste : il vous sera fidèle.
Daignez nous accorder un moment d’entretien ;
Son zèle à vous servir égalera le mien !
Son zèle ? Il fut toujours l’ennemi de sa reine.
Le temps qui détruit tout n’a pu fléchir sa haine.
Ce que vous promettez passe votre pouvoir.
Souffrez que je lui parle ; il fera son devoir.
Son devoir ?
Il défendra le trône ; il sauvera l’empire.
Touchée, ainsi que vous, des maux qu’il a soufferts,
J’avais jusqu’à ce jour craint de briser ses fers.
Avec Démétrius il fut d’intelligence.
La mort d’un ennemi suffit à ma vengeance.
Parlez à Nicanor… Ma juste inimitié,
Grâce à vous, dans mon cœur, fait place à la pitié.
Mais de cet entretien, accordé pour vous plaire,
Va dépendre le sort de la fille et du père.
J’en donne ici ma foi. En ce jour solennel,
Nicanor conduira Stratonice à l’autel !
Scène VIII.
À cet hymen fatal gardez-vous de souscrire :
Craignez Antiochus ; contre vous il conspire !
Mon fils ! il mit toujours sa gloire à m’obéir.
Non ! je connais son cœur ; il ne peut me trahir.
Vous l’accusez d’un crime ? il en est incapable.
J’ai peine, ainsi que vous, à le croire coupable.
Mais tantôt de son frère il déplorait le sort,
Il osait à vous-même attribuer sa mort.
Il est vrai ! quoi ? ce fils, dont j’admirais le zèle,
Séduit par Stratonice, est-il enfin rebelle ?
Prétend-il arracher le sceptre de ma main ?
La nature pour lui me parlerait en vain,
Si sa témérité provoquait ma vengeance.
Je le veux éprouver !… Seul, qu’il vienne !
Il s’avance.
Assemblez le conseil. Demeurez près de nous !
Avant la fin du jour, j’aurai besoin de vous !
Scène IX.
Et vous, prince ! approchez : contre moi l’on conspire.
Las de voir dans mes mains les rênes de l’empire,
Au nom d’un factieux mon peuple s’est armé.
Je cherchais le coupable, et l’on vous a nommé !
Qui ? moi, madame ?
On dit qu’Antiochus ose trahir sa mère.
Moi, vous trahir ?
Aux bruits injurieux que l’on répand sur moi.
La couronne, mon fils, dut vous être ravie ;
J’ai su vous la garder et sauver votre vie :
Voilà ce que j’ai fait. Pouvais-je soupçonner
Qu’un rebelle, un ingrat voulût me détrôner,
Le jour où ma tendresse, à ses désirs propice,
Daignant briser pour lui les fers de Stratonice,
Annonce que je veux, écoutant mon devoir,
En faveur de mon fils abdiquer son pouvoir ?
J’ai peine à revenir de ma surprise extrême.
Qui, vous, reine ! abdiquer pour moi le rang suprême ?
De votre autorité je ne suis point jaloux :
Je dois borner ma gloire à combattre pour vous.
Vous ne me dites point qu’une foule égarée,
À la rébellion sourdement préparée,
S’avance vers ces murs, et, marchant contre moi,
Jusque dans mon palais vient proclamer un roi.
Votre frère n’est plus : c’est vous seul que j’accuse.
Oui, vous seul !… Pensez-vous qu’un faux zèle m’abuse ?
Traître ! de mes bontés perdant le souvenir,
Vous briguez mon pouvoir ; je devrais vous punir.
Pour vous sauver un crime, acceptez ma couronne.
Sujet, vous l’usurpiez ; reine, je vous la donne.
Instruit que contre vous le peuple osait s’armer,
Madame, j’accourais pour vous en informer.
J’ai rempli mon devoir. Aurais-je dû m’attendre
À vous voir m’accuser, quand je viens vous défendre ?
Vous détournez les yeux… ah ! ne repoussez pas
Un fidèle sujet qui vous offre son bras !
Oui : je sais que le peuple, aveugle en son délire,
Quand mon frère n’est plus, veut lui rendre l’empire.
Et de cette entreprise on me nomme l’auteur !
Reine ! avez-vous pu croire à ce bruit imposteur ?
Moi, renverser du trône une mère que j’aime !
Moi, de son front auguste ôter le diadème !
Périsse le mortel aux forfaits aguerri,
Qui, prompt à déchirer le sein qui l’a nourri,
Du remords dans son âme étouffant le murmure,
À la soif de régner immole la nature !
Lorsque la voix d’un peuple irrité contre vous
Semble des dieux vengeurs annoncer le courroux,
Je puis les implorer et m’offrir pour victime.
Votre fils, étranger à la révolte, au crime,
Calomnié par vous, fait le vœu solennel
D’être à jamais soumis au pouvoir maternel.
Écartez de votre âme un doute qui m’offense.
Bannissez vos soupçons, gardez votre puissance.
Je demeure sujet ! le vain titre de roi,
Offert par la contrainte, est indigne de moi !
Scène X.
Sa vertu me confond ; son dévoûment m’étonne.
Renoncer à ses droits ! refuser ma couronne !
Ce refus est garant de sa fidélité.
Un rebelle n’a point tant de sécurité.
Mon fils est innocent !… Quel est donc le coupable ?
Il s’enveloppe en vain d’un voile impénétrable !
Allons ! que le conseil, éclairant mon courroux,
Me marque la victime, et dirige mes coups !
ACTE III.
Scène PREMIÈRE.
Impitoyable reine, épouse criminelle !
Du fond de mes cachots ton ordre ici m’appelle ?
Tu m’as ravi mon fils et ma fille et mon roi !
Tu m’as privé d’un frère ! il ne reste que moi.
Viens : achève…
Seigneur, je brise votre chaîne.
Toi ? traître !
Connaissez sa bonté : vous êtes libre.
Moi ?
Vous-même !
En ce palais vais-je revoir mon roi ?
Réponds !… Démétrius vient-il des bords du Tibre ?
Devrais-je à son retour le bonheur d’être libre ?
De Stratonice enfin va-t-il être l’époux ?
Vivra-t-il pour ma fille ?
La reine à Nicanor aujourd’hui va la rendre.
Ma fille ?… Un tel bienfait a droit de me surprendre.
Et mon prince ?… va-t-il recouvrer son pouvoir ?
Va-t-il régner ? voilà ce que je veux savoir !
Seigneur ! cette espérance, hélas ! vous est ravie.
Du fils de Séleucus Rome a tranché la vie.
Rome, dis-tu ?… Cruel ! ne m’abuses-tu pas ?
C’est toi seul qui répands le bruit de son trépas.
Laodice, appuyant ta criminelle audace,
Dit que son roi n’est plus, pour régner en sa place !
La reine, ainsi que vous, douterait de son sort,
Si Pharasmin, seigneur, n’eût attesté sa mort.
Pharasmin ?
Il a seul ordonné l’homicide breuvage ;
Le fils des rois périt de la main d’un licteur !
De cet assassinat Laodice est l’auteur.
Nicanor, pouvez-vous écouter votre haine,
Quand votre liberté…
Rends-moi, rends-moi ma chaîne !
Accusez les Romains du meurtre de mon roi.
Je n’en puis accuser que Laodice et toi.
Pharasmin, par ton ordre, a frappé la victime.
Pharasmin ? Respectez ce héros magnanime :
Il n’a point mérité le reproche offensant…
Parlerais-tu pour lui, s’il était innocent ?
Je défends d’un guerrier le zèle et le courage.
Barbare ! tu défends l’instrument de ta rage.
Du pur sang de son maître il a rougi sa main.
Nicanor ! est-ce à vous d’accuser Pharasmin ?
Connaissez envers lui votre injustice extrême :
Il a brisé vos fers ; il vous plaint ; il vous aime.
Il demande à vous voir. Avant de l’outrager,
Sur tout ce qui vous touche osez l’interroger.
Qui, moi, d’Héliodore entendre le complice !
De son horrible aspect, moi, souffrir le supplice !
Moi lui parler !
Reconnaissez la reine à ses bontés pour vous.
Verser sur vos vieux jours l’éclat dont elle brille,
Vous rendre votre rang, couronner votre fille,
Voilà ce qu’elle veut ; et vous la haïssez ?
À ses nobles desseins, seigneur, applaudissez.
Et lorsqu’Antiochus s’unit à Stratonice…
Que le fils de la reine à ma fille s’unisse !
Avant que par tes soins de tels nœuds soient formés,
À la clarté du jour mes yeux seront fermés :
On n’achèvera point ce fatal hyménée !
Dût la reine m’offrir la coupe empoisonnée
Que sa main criminelle offrit à son époux,
Dussé-je à l’instant même expirer sous ses coups ;
Va la trouver ! dis-lui, barbare Héliodore,
Dis-lui que je rejette un hymen que j’abhorre ;
Dis-lui que si ma fille, en ce jour, malgré moi,
Au temple osait trahir ses sermens et son roi,
L’ingrate me verrait, étouffant la nature,
Ardent à me prévenir ma honte et son parjure,
Dans son cœur, dans le mien, enfoncer le couteau,
Et, satisfait, descendre avec elle au tombeau !
Ô mon roi ! tu n’es plus ! que m’importe la vie ?
Sur son trône, usurpé, moi, voir la tyrannie
S’asseoir impunément, et recueillir en paix
Le prix de ton trépas, le fruit de ses forfaits !
Moi vivre ! et voir ta veuve, à ton frère enchaînée,
Sur ta cendre allumant le flambeau d’hyménée,
Serrer d’horribles nœuds que je ne puis souffrir !
Quand la vertu succombe, il est beau de mourir.
Demeurez !… En ces lieux attendez Stratonice.
À l’héritier du trône avant qu’elle s’unisse,
Elle veut vous parler ; songez en l’écoutant,
Qu’avec elle à l’autel la reine vous attend.
Scène II.
Tous mes vœux sont remplis. Le destin moins sévère,
Après tant de malheures, me rend…
Fuis, téméraire !
Mon père se dérobe à mes embrassemens ?
Je ne te connais plus ; tu trahis tes sermens !
Laisse-moi, fille ingrate, épouse criminelle !
Au temple de l’hymen Antiochus t’appelle :
Les autels sont parés. En violant ta foi,
Cours, perfide, insulter aux mânes de ton roi !
Aux mânes de mon roi ?… Mon père ! à Stratonice
De vos affreux soupçons épargnez l’injustice.
Moi, violer ma foi ! Moi, trahir mon époux !
Jugez mieux votre sang ; il est digne de vous.
Bannissez la douleur où votre âme est en proie.
Écoutez votre fille, et partagez sa joie.
Moi ?
Ce proscrit que l’Asie a si long-temps pleuré,
L’otage des Romains, l’héritier de l’empire,
Mon époux, votre fils, enfin mon roi, respire !
Il respire ?
Sauvé par un miracle, il est dans ce palais.
Démétrius ?
Sans crainte il s’abandonne au destin qui le guide.
Mon père, à notre amour les dieux l’ont conservé.
Du fer des assassins à Rome ils l’ont sauvé ;
Aux regards de la reine, aux yeux d’Héliodore,
Pour protéger sa vie ils le cachent encore.
Il paraît !…
À la fois tressaillir de joie et de terreur.
Scène III.
Nicanor vous attend.
Exécutez votre ordre ; éloignez la princesse.
Je dois à Nicanor parler en liberté.
Je veux que, dès ce jour, oubliant sa fierté,
Soumis, rendant justice à la reine, à vous-même,
Il soit, grâce à mes soins, l’appui du diadème.
Pour défendre le trône il va, n’en doutez pas,
Reprendre son épée et marcher aux combats.
Allez !
Domptez son cœur ; fléchissez son courage.
Vous, suivez-moi, madame.
Dieux vengeurs !
Scène IV.
Nicanor !
En croirai-je ma fille ? est-ce vous que je voi ?
Oui !… Reconnais les dieux dont la main tutélaire
M’arrache à mes bourreaux et me rend à mon père !
Ah !… je n’en doute plus, mon prince est dans mes bras !
Réprime ces transports et ne me trahis pas !
La reine est au conseil ; mais sa garde cruelle
Veille près de ces lieux et sur nous et sur elle.
Ô mon roi ! vous vivez ?… Du traître Pharasmin
La reine contre vous avait armé la main !
Ton fils de ce barbare a trompé la furie.
Mon fils sauva vos jours ?
Écoute. Las de vivre esclave des Romains,
Informé qu’en secret de sacriléges mains
Avaient frappé mon roi pour couronner mon frère,
Résolu de venger le trépas de mon père,
Fier de punir l’auteur d’un sil lâche attentat,
Je réclame mes droits et l’appui du sénat.
Il flatte mon espoir, il diffère, il m’abuse.
« Mon épée obtiendra ce que Rome refuse ! »
M’écriai-je. Indigné des maux que j’ai soufferts
Je demande vengeance ; on me donne des fers !…
Au fond du souterrain où l’on me fit descendre,
J’implorais le trépas que j’étais las d’attendre ;
On ouvre ma prison. J’entends marcher : je voi
Deux inconnus paraître et s’avancer vers moi.
Mon œil, à la lueur du flambeau qui les guide,
Voit briller le poignard dans leur main homicide.
Le plus jeune, à ma vue, a reculé d’horreur.
Terrible, impatient d’assouvir sa fureur,
L’autre vers moi s’élance, et déjà sur ma tête
Tient le fer suspendu ; son complice l’arrête,
Et, prompt à me défendre, ardent à me venger,
Repousse le poignard levé pour m’égorger.
Soudain l’un contre l’autre ils retournent leurs armes.
Seul, passant tour à tour de l’espoir aux alarmes,
Entre mon assassin et mon libérateur,
Enchaîné, du combat je reste spectateur !…
Je vois enfin, je vois le guerrier magnanime
Renverser l’assassin aux pieds de la victime.
Il expire : (c’était l’infâme Lysias !)
Mon vengeur aussitôt vers moi tournant ses pas,
Blessé, rappelle encor ses forces, son courage,
Et, couvert de son sang, de mes fers me dégage.
Il m’apprend que son bras jadis avait puni
Le cruel Pharasmin par mon père banni ;
Et qu’ayant pris son nom, après vingt ans d’absence,
Du traître Lysias trompant la confiance,
Complice généreux d’un horrible dessein,
Il a, pour me sauver, suivi mon assassin ;
Il m’apprend que, charmé du choix de la victime,
Mais voulant l’immoler sans se charger du crime,
Le perfide consul, à l’insu du sénat,
A seul favorisé mon lâche assassinat.
J’écoutais : tout à coup sa voix s’est affaiblie ;
« Près de sauver tes jours ton frère perd la vie, »
Me dit-il. À ces mots, juge de mon effroi !
Je reconnais ton fils, il expire pour moi !
Mes frémissantes mains détachent son armure.
Le sang à gros bouillons jaillit de sa blessure.
Il meurt !… Un dieu m’inspire en ces affreux momens !
De mon libérateur je prends les vêtemens ;
Et seul, enveloppé de la nuit la plus sombre,
Éteignant le flambeau qui m’a guidé dans l’ombre,
Je sors… La garde accourt ; et, servant mon dessein,
Par l’ordre du consul, vient sauver l’assassin.
Sous l’habit du Sarmate, et tenant son épée,
J’emporte dans le sang ma dépouille trempée.
La garde, qui croit voir l’auteur de mon trépas,
Jusqu’aux portes de Rome accompagne mes pas !…
Je suis libre ; et pour moi mon vengeur perd la vie !
Il a fait son devoir, et je lui porte envie.
Il a rempli mes vœux : du fond de mon cachot,
C’est moi qui l’instruisis de cet affreux complot.
C’est moi qui lui montrai les murs du Capitole.
Il a sauvé vos jours, et pour vous il s’immole !
Malheur à tout soldat qui, traître à son pays,
En retrouvant son prince, ose pleurer son fils !
Oui, Tygrane ! à mes yeux ton sort est plein de charmes.
Tes mânes frémiraient, indignés de mes larmes !…
Il voulait vous venger, remplissons ses desseins.
Dans ce palais affreux, c’est pour vous que je crains.
Aux yeux de vos sujets il est temps de paraître.
Sortons ! je sens pour vous mon courage renaître.
Demeure, ou tu trahis l’espoir qui m’est rendu !
L’instant de la vengeance est encor suspendu.
Je puis, sans m’avilir, descendre à l’artifice.
Seul, tranquille, en ces lieux j’abuse Laodice :
À Rome Pharasmin me devait égorger ;
Mort, il me prête ici son nom pour me venger !
Je suis, à tes regards, l’appui de ton empire ;
Je parais te servir, et c’est moi qui conspire,
Reine ; c’est moi qui seul ai pris soin d’exciter
Le peuple en ma faveur prêt à se révolter !
Moi seul, autour de toi j’ai grossi la tempête
Qui gronde et va bientôt éclater sur ta tête !
Lorsqu’un dieu protecteur veille ici sur vos jours,
Souffrez que j’aille au camp, vous prêtant mon secours,
Et de nos ennemis trompant la vigilance,
Des soldats abattus ranimer la vaillance.
J’ai chargé de ce soin l’intrépide Anténor.
L’ami de votre père ici respire encor ?
Oui : ce noble guerrier, compagnon de Tygrane,
Banni par Laodice, habitait Ectabane.
Accablé de misère, il pleurait mon trépas ;
Guidé par la vengeance, il a suivi mes pas.
Instruit de mes projets, à mes ordres docile,
Il entre seul au camp ; seul j’entre dans la ville !…
Je vois le peuple en deuil ; oubliant mon danger,
Sur ta fille, sur toi, je l’ose interroger.
J’apprends que par la reine à son fils destinée,
Ta fille doit choisir la mort ou l’hyménée ;
J’apprends que dans les fers tu dois finir tes jours ;
Et je viens, inconnu, vous offrir mes secours.
Mon père ! si tu veux que mon sort s’accomplisse,
D’Héliodore en moi ne vois que le complice.
Nomme-moi Pharasmin. Un seul mot indiscret
Assure mon trépas s’il trahit mon secret.
La reine que j’abuse en affectant le zèle
En son roi qui la perd voit un sujet fidèle :
Elle craint ses soldats prêts à se révolter.
Bientôt ils me verront ! mais, avant d’éclater,
Avant d’aller au camp ceindre le diadème,
Je veux de ce palais arracher ce que j’aime !…
Ton fils sauva mes jours ; l’honneur me fait la loi
De les sacrifier pour ta fille, pour toi,
Et d’accomplir le vœu de la reconnaissance,
Avant de réclamer les droits de la naissance !
Mon cher fils !
Ô mon maître !
Songe que je ne suis ni ton roi, ni ton fils !
Oh ! cache ton respect, commande à ta tendresse !
Scène V.
Prince, eh bien ! tenez-vous enfin votre promesse ?
Le brave Nicanor devient-il mon appui ?
Aussi-bien que sur vous, puis-je compter sur lui ?
Oui, reine ; à vos bontés Nicanor rend justice.
Il bénit hautement l’hymen de Stratonice.
Au bonheur de sa fille immolant son courroux,
Lui-même il veut ici l’offrir à son époux.
Vous, offrir Stratonice à mon fils ? quel langage,
Seigneur ! un changement si prompt…
Par son zèle pour vous, trompé jusqu’aujourd’hui,
De la mort de mon roi je n’accusais que lui.
J’abjure mon erreur. Je dirai plus, madame ;
Son récit a banni le soupçon de mon âme.
Éclaire, satisfait, je voue au nom romain
La haine que mon cœur gardait à Pharasmin.
Je puis donc me livrer à l’espoir qui me flatte !
Stratonice envers moi va cesser d’être ingrate !
Je ne présume pas qu’elle résiste encor
Aux lois de Laodice, aux vœux de Nicanor.
Je la rends à son père ; allez, sujet fidèle :
Allez justifier ce que j’ai fait pour elle.
Conduisez à l’autel ses pas mal assurés.
J’obéis.
C’est la mort qui t’attend !
Demeurez !
Scène VI.
Ainsi votre bonté pardonne à Stratonice ?
Avant la fin du jour elle marche au supplice !
J’allais de son hymen allumer le flambeau ;
Sous ses pas elle-même a creusé son tombeau.
C’est peu qu’à mes projets l’ingrate soit contraire,
Elle ose contre nous armer un téméraire…
Reine ! ce téméraire…
Mais je sais qu’en secret jusqu’à moi parvenu,
Caché sous un faux nom, il brave les supplices.
Au camp j’ai fait saisir le chef de ses complices.
Ce chef…
Est immolé !
Quel est-il ?
Anténor.
Anténor ?
Il déguise sa haine et sa fureur extrême.
Il ne peut m’abuser : il conspire lui-même !
Il conspire ! et sa fille est rendue à ses vœux !
Pourquoi les réunir ?
Leur sort est décidé ; c’en est fait ; plus de grâce !
Je leur garde en secret le prix de leur audace !…
Je puis en ce moment compter sur votre bras.
Prince ! d’un vain espoir je ne me flatte pas.
Après m’avoir donné tant de preuves de zèle,
Pour moi vous volerez où l’honneur vous appelle.
L’honneur ! Qu’ordonnez-vous, reine ? Hors de ces lieux
Faut-il aller chercher un trépas glorieux ?
Faut-il punir enfin Nicanor, Stratonice ?
Reposez-vous sur moi du soin de leur supplice !
Des mains d’Héliodore, ici, n’en doutez pas,
Tous deux vont cette nuit recevoir le trépas !…
Vous, allez, de mon trône embrassant la défense,
Punir des factieux dont l’aveugle insolence
A juré de venger et sur vous et sur moi
Le trépas d’un proscrit qu’ils osaient nommer roi.
Pour rétablir le calme au camp et dans la ville,
Ma garde va marcher à vos ordres docile.
Allez ! que trop long-temps rebelle à mon pouvoir,
Le peuple, à votre aspect, rentre dans le devoir !
Scène VII.
Guerriers ! avec la reine un dieu d’intelligence
Confie à Pharasmin le fer de la vengeance.
Armé, guidé par lui, je vais dans les combats
Justifier le choix qu’il a fait de mon bras.
ACTE IV.
Scène PREMIÈRE.
Nicanor ! que ton cœur renaisse à l’espérance !
Sois satisfait ; voici l’instant de la vengeance !
De tes maux et des miens le terme est arrivé.
Mon triomphe s’apprête, et l’empire est sauvé.
Résolus de punir une reine coupable,
Les dieux arment mon bras du glaive redoutable.
C’est ta fille, c’est toi qu’ici je viens chercher.
De ce palais sanglant je vais vous arracher !
Anténor ne vit plus ; je crains un nouveau crime.
Laodice au conseil cherche une autre victime.
Va ! je la préviendrai.
Que dites-vous ? grands dieux !
Armé contre la reine, un peuple furieux
S’avançait. Je parais, et la foule pressée,
À mon aspect recule et s’enfuit dispersée.
J’entre au camp. De leur roi croyant voir l’assassin,
Les soldats indignés menacent Pharasmin.
À leur noble courroux me dérobant à peine,
Je feins de leur porter un ordre de la reine.
Autour de moi s’élève un murmure confus.
Je distingue ces mots : « Rends-nous Démétrius ! »
J’allais me découvrir ; mais ici Stratonice
Restait abandonnée aux mains de Laodice !
Je pars ; et, pour calmer la fureur des soldats,
J’accuse hautement Rome de mon trépas.
Aux cris tumultueux succède un long silence.
Par ce calme trompeur j’assure ma vengeance.
La reine satisfaite a désiré me voir ;
Elle a vanté mon zèle à remplir mon devoir.
Elle voit dans la paix le fruit de mon courage.
Profitons du moment précurseur de l’orage !
Au camp, dans ce palais, partout je n’entends plus
Que ces mots répétés : « Rends-nous Démétrius ! »
Ô mon père ! il est temps que cette erreur finisse.
Viens : je vais me nommer en sauvant Stratonice !
Vous nommer en ces lieux teints du sang de mon roi ?
Le vôtre y va couler ! cédez à mon effroi !
Du fidèle Anténor craignez le sort funeste !
La garde nous observe. Ah ! l’espoir qui me reste
C’est de vous voir ici de la reine ignoré,
Poursuivre son trépas sous un nom abhorré.
Cachez surtout, cachez la victime à sa rage.
Moi, de ma liberté faisant un noble usage,
Dans le camp je pénètre ; et soudain ces guerriers,
Qui jadis sur mes pas ont cueilli des lauriers,
Instruits qu’au milieu d’eux Démétrius respire,
Empressés de revoir l’héritier de l’empire,
Guidés par mon courage, accourent à ma voix,
Du glaive des bourreaux sauvent le fils des rois,
Et, l’arrachant des mains d’une reine cruelle,
Le portent en triomphe au trône qui l’appelle !
Au temple cependant mon frère est attendu.
Partout de mon trépas le bruit est répandu.
De mon peuple indigné redoutant la vengeance,
Pour le calmer, la reine, abdiquant sa puissance,
Satisfaite de voir ses forfaits impunis,
Pense les expier en couronnant son fils.
Je verrais mon sujet et sa coupable mère
Se disputer le prix du pur sang de mon père !
Tranquille, je verrais mon rival à l’autel
Jurer à ce que j’aime un amour immortel !
Non !… Je cours, écoutant le transport qui m’anime,
À ses lâches bourreaux arracher la victime !
Ah ! demeurez !
Ta fille, cette nuit, va subir son arrêt ?
Ma fille ?
Puis-je pour la sauver délibérer encore ?
Viens ! Tandis qu’en ces murs Laodice, à mes yeux,
Sur le trône d’un père insultant à nos dieux,
Par un nouveau forfait croit fuir sa destinée,
Je vais, en me montrant à l’Asie étonnée,
Le diadème au front et le glaive à la main,
Rendre aux guerriers un chef, au peuple un souverain.
Seigneur, où courez-vous ?
Viens, mon père !
Voulez-vous la sauver ? gardez votre secret.
Réprimez les transports d’un amour indiscret.
Ma fille, en ce palais, captive, solitaire,
N’a pu même obtenir un regard de son père.
Dans son appartement vous ne pouvez entrer :
Antiochus a seul le droit d’y pénétrer.
Mon frère !… Il va sentir ce que peut ma vengeance !
Ah ! vous allez vous perdre ! écoutez la prudence.
Je le vois ! devant lui calmez votre fureur.
Il vous croit Pharasmin : laissez-lui son erreur.
Je cours au camp. Adieu !
Scène II.
Indigne rival !
Ciel !
Calmez-vous, Stratonice !
Vos destins sont changés ; vos vœux sont satisfaits.
Nicanor près de vous va retrouver la paix.
La reine pour vous deux a reconnu mon zèle,
L’approuve, et vous permet de respirer loin d’elle.
De vos malheurs passés perdez le souvenir.
Acceptez le bienfait que je viens d’obtenir.
Bénissez avec moi cette heureuse journée.
On ne nous verra point, à l’autel d’hyménée,
Serrer un nœud fatal et pour vous et pour moi.
Vivez toujours fidèle à mon frère, à mon roi !
À pleurer votre époux si vous trouvez des charmes,
Ma sœur ! je mêlerai ma douleur à vos larmes !
Qu’entends-je ?
J’aime encor, je l’avoue, à douter…
Connaissez-en l’auteur. Vil instrument du crime,
Pharasmin a dans Rome immolé la victime.
Pharasmin ? Quel soupçon !
Ce Sarmate ose-t-il se montrer devant moi ?
Ah ! seigneur !
D’Héliodore en lui redoutez le complice.
En vain il chercherait à se justifier.
Je sais tout : de mon roi voilà le meurtrier !
Prince !… Ô fatale erreur !
Stratonice ! est-ce à vous d’excuser un barbare ?
Je devrais…
Arrêtez !
Contre moi vous l’osez protéger ?
Je le dois.
Achevez !
Je ne puis !
N’a-t-il pas répandu le sang de votre époux ?
Répondez !
S’il vivait, prince ! que feriez-vous ?
Dieux ! Serait-il sauvé ?… Réponds, réponds, te dis-je ?
Ton silence cruel et m’irrite et m’afflige.
Du meurtre de mon roi Rome est-elle l’auteur ?
Es-tu son assassin, ou son libérateur ?
Dissipe mes soupçons ; exauce ma prière ;
Achève, Pharasmin ! Qu’as-tu fait de mon frère ?
C’est un secret qu’ici je ne puis révéler.
Malheureux ! quel motif te défend de parler ?
Si ta bouche se tait, ta main est donc coupable ?
Éclaircis ce mystère !
Il est impénétrable.
Parle donc ; je le veux !
Respectez un secret que je ne puis trahir.
Un seul mot !… Pharasmin d’assassiner mon frère
A-t-il reçu l’ordre ?
Oui.
De qui ?
De votre mère !
La reine d’un Sarmate avait armé le bras ?
Il est vrai.
Jusqu’à Rome ?
Il est vrai.
Du meurtrier du roi tu n’es point le complice ?…
Mais que vois-je ? ce nom te fait frémir d’horreur.
Si tu n’es point coupable, ose m’ouvrir ton cœur…
Pharasmin ! Vous, madame ! au nom de ma tendresse,
Vous savez à quel point mon frère m’intéresse.
Ah ! je le vois ; tous deux connaissez son sort.
Parlez, apprenez-moi son salut ou sa mort !
Épargnez Pharasmin. Ce mot doit vous suffire.
Ah ! je n’en doute plus : Démétrius respire !
À l’amour de son frère un dieu l’a conservé !
Du fer des assassins c’est toi qui l’as sauvé !
Armé pour le punir, j’aurais brisé sa chaîne ?
Qui ? moi ! j’aurais sauvé l’ennemi de la reine ?
Depuis quinze ans, seigneur, songez qu’il est proscrit.
Je songe qu’il est roi : ce titre me suffit.
Il veut arracher le sceptre d’une mère.
Il est votre rival !
Ce frère que quinze ans Rome osa me ravir,
Vient reprendre ses droits, et je cours le servir.
Le servir ? un seul mot rend sa perte certaine.
Réprimez ces transports, ou redoutez la reine !
Scène III.
Madame, c’en est fait ; j’approuve vos refus.
De l’hymen de mon fils je ne vous parle plus.
De vos ressentimens vous gardez l’habitude ;
Vous lassez mes bontés par votre ingratitude.
Vos fureurs, vos mépris sont trop long-temps soufferts ;
Je vous offrais mon trône, et je vous rends vos fers.
Sortez !
Je sais quels sont les fers que ta main me prépare.
Je sais aussi, je sais que ta fureur encor
À ton époux, au mien, veut joindre Nicanor.
Ah ! tant d’assassinats sont trop peu pour ta rage.
Poursuis : sur Stratonice, achève ton ouvrage.
Écoutant la nature, et fidèle à ma foi,
Je suivrai dans la tombe et mon père et mon roi.
Scène IV.
Tu seras satisfaite !
Vous aviez accordé sa grâce à ma prière :
Tantôt vous partagiez ma pitié pour ma sœur.
Qui peut soudain contre elle armer votre fureur ?
Son père !
Nicanor ?
Nicanor hautement ose trahir sa reine…
Je le sais… Sans mon ordre il a quitté ces lieux.
On l’a vu, dans le camp, guider les factieux.
Je lui devais la mort… Ah ! quand je lui fais grâce,
Contre moi de l’armée il excite l’audace.
Le perfide, abusant de ma fatale erreur,
Sous un zèle affecté déguisait sa fureur.
J’ai prévu ses desseins, et ma vengeance est prête.
Par mon ordre secret à l’instant on l’arrête !
Vous frémissez ?
Je songe à sa témérité.
Vous m’aviez répondu de sa fidélité :
Il devait avec vous défendre ma couronne.
Son zèle m’abusait, sa trahison m’étonne.
Il en aura le prix ! son trépas est juré.
Du complot cependant l’auteur reste ignoré.
Il est dans ce palais !
Quel est-il ?
Qui, prompt à vous prêter sa main de sang avide,
Vous cache le tombeau sous vos pas entr’ouvert.
Il paraît vous défendre, et c’est lui qui vous perd !
Quel mystère ! achevez ! son nom ?
Héliodore !
C’est peu de le haïr ; vous l’accusez encore !
Oui, reine ! je le dois. Par son ambition,
Il excite l’Asie à la rébellion.
Vous l’avez ordonné ; sans détour je m’explique.
Oui, c’est lui que poursuit la vengeance publique.
Par sa fausse vertu trop long-temps abusé,
J’ignorais les horreurs dont il est accusé.
On dit qu’il a dans Rome assassiné mon frère ;
Qu’il a dans ce palais empoisonné mon père ;
On dit même que, fier d’oublier vos bienfaits,
D’un voile révéré couvrant tous ses forfaits,
Voulant, par son audace, échapper au supplice,
Pour se justifier, il vous fait sa complice !
Avec lui dans sa chute il veut vous entraîner !
Moi !
S’il est seul coupable, osez l’abandonner.
À l’intérêt du trône, aux droits de la justice,
D’un ministre abhorré faites le sacrifice !
Le salut de l’empire à ce prix est certain,
Madame !… Mais gardez le sceptre en votre main.
N’enchaînez plus l’Asie au char d’Héliodore.
Ôtez-lui le pouvoir, et soyez reine encore.
L’Orient, satisfait d’obéir à vos lois,
Unira votre nom aux noms des plus grands rois.
Imitez leur exemple. Antiochus n’aspire
Qu’à voir l’Asie aimer et bénir votre empire.
Régnez par la justice ; à jamais votre fils.
De vos heureux sujets sera le plus soumis.
D’un sujet tel que vous le zèle doit me plaire.
Votre soumission me rassure… et m’éclaire !
J’ai lu dans votre cœur ; c’est tout ce que je veux.
Je serai reine encor ; je souscris à vos vœux.
Les dieux m’ont élevée au trône de l’Asie :
Pour m’en faire descendre, il faut m’ôter la vie !…
Je garde Héliodore :… oui,… quand vous serez roi,
Vous sentirez le prix de ce qu’il fit pour moi.
Nicanor à mes yeux tarde bien à paraître !
Allez, et hâtez-vous de me livrer ce traître !
C’est à vous qu’appartient l’honneur de me venger.
Je remplirai vos vœux : quel que soit le danger,
Pour défendre vos droits, comptez sur moi, ma mère !
Dieux ! sauvez Pharasmin ! il a sauvé mon frère !
Scène V.
Votre fils va combattre ; aurais-je la douleur
De vous voir en ces murs enchaîner ma valeur ?
Permettez que du prince imitant le courage…
De votre dévoûment ce nouveau témoignage,
Dans le camp par vous seul le calme rétabli,
Votre devoir à Rome heureusement rempli,
Votre zèle éprouvé, vos soins, votre prudence,
Tout m’invite à placer en vous ma confiance.
Héliodore enfin, garant de votre foi,
M’a répondu de vous ; seigneur, écoutez-moi :
C’est peu que Stratonice ici m’ait offensée ;
Un plus grand intérêt occupe ma pensée…
Lorsque Démétrius, à Rome emprisonné,
Par l’ordre du consul est mort assassiné,
On dit qu’un imposteur, qui sourdement conspire,
Ose prendre le nom d’héritier de l’empire.
On dit que, sans obstacle en ces lieux parvenu,
Au camp, par Nicanor, hautement reconnu,
Ce traître, ce rebelle insolemment se nomme
Le sauveur de l’Asie, et l’otage de Rome ;
On dit qu’il va paraître, et qu’un peuple inconstant
Dans la ville des rois et l’appelle et l’attend.
J’ignore si ce bruit ou m’abuse ou m’éclaire,
S’il me faut dédaigner ou craindre un téméraire.
Mais s’il vit, s’il est libre, il vient me détrôner.
Est-ce Rome, seigneur, que je dois soupçonner ?
Justement indigné d’un faux bruit qui m’accuse,
J’ai peine à concevoir l’erreur qui vous abuse.
Vous parlez de soupçons, quand jusqu’ici mon bras…
Si je vous soupçonnais, vous n’existeriez pas !…
Ah ! reine !… contre vous Rome toujours cruelle
Fait revivre un proscrit assassiné par elle !
Sa haine arme en secret un faux Démétrius !
Vers lui guidez mes pas ; on ne le craindra plus !
Au mépris du traité que j’ai daigné souscrire,
Rome veut à son joug asservir mon empire ?…
Prévenons-la !… mon fils va marcher aux combats ;
Secondez sa vaillance et dirigez ses pas.
Seul, contre un imposteur, Pharasmin peut défendre
Un trône à mon époux légué par Alexandre.
Allez, et que le glaive, en vos terribles mains,
Soit l’espoir de l’Asie et l’effroi de Romains !
Je défendrai l’état ; la gloire me l’ordonne.
Le péril est pressant, mais n’a rien qui m’étonne.
Oui, reine ! mon espoir ne sera pas trompé :
Dans un sang ennemi ce fer sera trempé !
Scène VI.
Mes souhaits sont remplis ; ma vengeance est certaine !
Nicanor ! vainement tu menaces ta reine.
De ton audace enfin tu recevras le prix.
Pharasmin va pour moi combattre avec mon fils !
Scène VII.
Obligé de remplir un funeste message
À l’instant Proculus descend sur ce rivage.
Un Romain ? Quel motif vers moi peut le conduire ?
Il a de son secret refusé de m’instruire.
Mais, si je veux l’en croire, à vous seule adressé,
De la main du consul cet écrit fut tracé.
« Un grand péril menace votre empire,
» Reine, tremblez ! Démétrius respire. »
Démétrius respire ! Ah ! qu’ai-je lu ? grands dieux !…
C’est toi qui m’as trahie, ô Sarmate odieux !
Saisissez Pharasmin ! Je veux qu’à l’instant même
Il soit interrogé par le conseil suprême !
Allez, et si par lui mon espoir fut trompé,
Du glaive des bourreaux qu’il expire frappé.
ACTE V.
Scène PREMIÈRE.
On m’observe ! on me suit ! on se tait à ma vue !
Dans ce palais, errante, inquiète, éperdue,
Je te cherche ; ah ! comment m’informer de ton sort ?
Le plus léger soupçon est l’arrêt de ta mort.
Renfermons dans mon cœur l’intérêt qui me touche.
Tu péris, si ton nom s’échappe de ma bouche !
Quand nous marchons tous deux entourés d’ennemis,
Pour moi je ne crains rien, pour toi seul je frémis ;
Cher époux ! de ta mort l’épouvantable image
M’assiége, me poursuit et glace mon courage !
Dieux ! pour me le ravir me l’avez-vous rendu ?
Au fond de ce palais quel bruit ai-je entendu ?
Quels cris ! ils ont jeté la terreur dans mon âme.
Cher prince !
Scène II.
Si vous délibérez, il y va de vos jours.
Suivez-moi : de mon bras acceptez le secours.
Que devient Pharasmin ? qu’est devenu mon père ?
Ah ! ne songez qu’àn vous ; fuyez loin de ma mère !
Fuyez, n’attendez pas qu’elle vienne en ces lieux
À d’infâmes bourreaux vous livrer à mes yeux.
Pour vous, pour Pharasmin le tribunal s’assemble.
Si vous osez rester, vous périssez ensemble.
Ma sœur, vers votre père osez suivre mes pas !
Venez.
Et Pharasmin ? ne l’abandonnez pas.
Que pourrai-je pour lui ? Par l’ordre de la reine
Chargé d’indignes fers, au conseil on l’entraîne.
Sauvez, sauvez ses jours ! je suis à vos genoux !
Qui ? moi ! j’hésiterais entre un Sarmate et vous ?
N’hésitez pas !…
Qu’entends-je ? achevez ! quel mystère !
Ils vont assassiner votre roi, votre frère !
Démétrius ?
Sauvez-le ! Son danger m’arrache son secret.
Ô mon frère ?… Ô mon roi ! quel parti dois-je prendre ?
Est-ce ma mère ou vous que mon bras doit défendre ?
Est-ce vous ou la reine ?… Ô nature ! ô devoir !…
Démétrius périr ?… Ses juges vont me voir !
Suivez-moi ! du conseil je préviendrai le crime,
Ma sœur, ou je serai sa première victime !
Scène III.
Le conseil vous attend.
Moi ?
Vous ! Suivez mes pas.
Vous, seigneur, demeurez !
Barbare ! dût la reine ordonner mon supplice,
Contre elle, contre toi, je défends Stratonice !
Avant que de mes bras tu puisses l’arracher,
Sur mon corps expirant il te faudra marcher !
Ah ! pour elle et pour toi redoute ma vengeance,
Perfide !
Scène IV.
Pharasmin est-il en ma puissance ?
Oui, reine ! vers le camp il dirigeait ses pas.
Il se défend en vain ; je désarme son bras,
Je le saisis : de fers je le charge moi-même.
Par votre ordre conduit au tribunal suprême,
De gardes entouré, près de subir son sort,
Il attend son arrêt : qu’ordonnez-vous ?
L’ingrat, le téméraire a trahi ma vengeance !
Avec Démétrius il est d’intelligence !
Ce mystère odieux est enfin dévoilé.
Le coupable est connu ; le crime est révélé ;
Je sais tout !… (Ah ! j’admire un tel excès d’audace !)
Je sais de Proculus quel péril nous menace !…
Apprenez qu’en secret ennemi de l’état,
Abusant à la fois sa reine et le sénat,
Dans les prisons de Rome (ô perfidie ! ô crime !)
Pharasmin, pour me perdre, a sauvé la victime !
Celui dont il osait attester le trépas,
Démétrius, est libre ; il est dans mes états !
Reine ! qu’ai-je entendu ? Démétrius respire ?
Et pour lui sur ces bords un inconnu conspire ?
Quel est cet inconnu ? Je vais vous étonner ;
Mais quand tout est à craindre on doit tout soupçonner.
Si l’ingrat Pharasmin trahit votre vengeance,
Avec Démétrius s’il est d’intelligence,
Celui dont il osait attester le trépas,
Jusque dans ce palais a pu suivre ses pas.
Que dis-je ? Ah ! je frémis de son audace extrême.
Si vous aviez reçu Démétrius lui-même ?
Si, pour venger son père, en vous perçant le sein,
Le traître eût emprunté le nom de Pharasmin ?
Démétrius ?… Proscrit, aux lieux qui l’ont vu naître,
Sans crainte à mes regards eût-il osé paraître ?
Non : il a vu le camp soulevé contre moi :
Il se serait nommé s’il était fils de roi.
Loin d’apaiser un trouble utile à son audace,
Il en eût profité pour régner en ma place…
Pharasmin n’est qu’un traître : il doit subir son sort.
Il va périr !
Reine, que Proculus ici le reconnaisse.
À ses yeux, devant vous, ordonnez qu’il paraisse.
Moi ! que je m’abandonne à des soins superflus ?
On le reconnaîtra quand il ne sera plus !…
Allez !…
Scène V.
Je verrai dans ton sang ma vengeance assouvie,
Perfide !… Il va périr, et je ne sais enfin
Si je dois soupçonner ou Rome ou Pharasmin.
Si j’en crois Proculus, seul, inconnu, mais libre,
Démétrius ! vers moi tu fuis des bords du Tibre.
Si j’en crois Pharasmin, tu reçus d’un licteur…
Ah ! Rome de ta mort serait-elle l’auteur ?
D’un prince tel que toi quand Rome se délivre,
Pour me perdre à mon tour te fait-elle revivre ?
Contre moi Pharasmin sert-il Valérius ?
Ai-je à craindre à la fois Rome et Démétrius ?
Tout ici m’est suspect, et mon inquiétude
Des soupçons opposés accroît l’incertitude !
Scène VI.
Mes ordres sont remplis ? le Sarmate n’est plus ?
Ne songez plus à lui ! craignez Démétrius !…
Le peuple vous assiége !… Une foule rebelle
Combat avec fureur votre garde fidelle.
Reine, vers ce palais j’ai vu de tous côtés
Accourir des soldats contre vous révoltés.
Nicanor les commande : il s’avance à leur tête !
Nicanor ?
Il a sauvé sa fille ; et, le fer à la main,
Il court au tribunal arracher Pharasmin !…
Tremblez que jusqu’à vous se frayant un passage…
Moi, trembler ? le péril redouble mon courage !
Mon fils combat pour moi ; le front ceint de lauriers,
Il va près de sa reine amener ses guerriers !
Vous comptez sur son bras ? de son frère complice,
L’ingrat vers Nicanor a conduit Stratonice.
Mon fils ? qu’osez-vous dire ?
Pour sauver le Sarmate, il vole au tribunal !
Mon fils ! ta perfidie aura sa juste peine !
Tremble, odieux sujet ! je suis encor ta reine !
Allez ! et qu’à l’instant il paraisse à mes yeux !
Scène VII.
Qui porte jusqu’à moi ses pas audacieux ?
Ton vainqueur !
Tu vas trouver la mort !
Je te laisse la vie !
De ta témérité viens recevoir le prix,
Perfide !… À moi, soldats !
Cesse enfin de compter sur leur obéissance.
Tu n’as plus de sujets, tu n’as plus de puissance !
Le ciel, le juste ciel, de tes crimes lassé,
T’annonce par ma voix que ton règne est passé !
Gardes ! délivrez-moi de l’aspect d’un rebelle !
Soldats ! connaissez mieux votre reine cruelle !
Apprenez que sa main, ô crime ! ô trahison !
Au sein de son époux a versé le poison !
Apprenez que toujours fatale à ma famille,
Voulant sacrifier moi, mon fils et ma fille,
Elle a, pour accomplir ses infâmes desseins,
À Rome et dans sa cour payé des assassins !
Syriens ! adorez l’éternelle puissance
Qui punit les forfaits et venge l’innocence !
Ce prince par nos vœux si long-temps appelé,
Ce proscrit que j’ai cru loin de nous immolé,
Ce fils des demi-dieux du Tygre et de l’Euphrate,
Démétrius enfin, sous le nom d’un Sarmate,
Comme un vil meurtrier allait être jugé.
En ce péril pressant le ciel l’a protégé ;
Et, faisant par ma voix éclater sa justice,
Apaise Séleucus et poursuit Laodice.
Démétrius au camp est par moi proclamé.
Devant le tribunal Proculus l’a nommé !
Guerriers ! n’en doutez plus. Il vient ! il va paraître !
Il triomphe !… L’Asie a reconnu son maître !
Pour lui frayer au trône un facile chemin,
Le Dieu qui lui prêtait le nom de Pharasmin,
A préservé sa vie et guidé son courage.
Il va régner en paix sur cet heureux rivage :
Partout on le bénit ; partout on n’entend plus
Que ce cri solennel : « Vive Démétrius ! »…
Va ! fuis ! De ton époux n’insulte plus la cendre :
De son trône sanglant son fils te fait descendre !
Son fils ?… Démétrius !
Il s’avance entouré des mages ; des soldats.
Scène VIII.
Voilà ton roi ! voilà le vengeur de l’empire !
Le crime enfin succombe, et l’univers respire !
Le ciel, qui contre toi combat en sa faveur,
Rompt les fers de l’Asie et lui rend son sauveur !
Son sauveur ?… Dieux !
Tremblez ! ils m’ont livré l’infâme Héliodore !
Pour sauver mon empire ils ont guidé mes pas.
Pour venger votre époux, quand ils arment mon bras,
Je devrais, empressé de servir leur justice,
D’une reine coupable ordonner le supplice.
De vos assassinats je vous devrais le prix…
Démétrius en vous respecte votre fils.
Le crime à votre front attacha ma couronne ;
L’équité me la rend. Vivez ! je vous pardonne.
Moi ? Vivre, quand mon sceptre est tombé dans tes mains ?…
Tremble ! redoute encor le glaive des Romains !
Ils demandent ta tête ; elle sera frappée !
Puissent-ils, poursuivant leur victime échappée,
Jusque dans ce palais prompts à la ressaisir,
Dans ton sang odieux se baigner à loisir !
Puisse Valérius, livrant sur ce rivage
Aux flammes tes cités, ton peuple à l’esclavage,
Sur ta race abhorrée assouvir ses fureurs !
Règne ! sois satisfait. Tu triomphes ; je meurs !
Scène IX.
Ah ! ma mère ! elle expire !
Ô justice éternelle !
Je tarirai les pleurs que vous versez sur elle.
Vivez pour partager la puissance avec moi.
Mes sujets douteront qui de nous deux est roi !…
Peuple ! mages ! guerriers ! comptez sur ma clémence.
Vos malheurs sont finis : mon empire commence.
Loin de vous la discorde est bannie à jamais.
J’apporte à mon pays une éternelle paix !