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Démocrite (Regnard)/Acte IV

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ACTE QUATRIÈME.



Scène I.

THALER, CRISÉIS.
thaler.

En jase qui voudra, j’ai fait en homme sage
De quitter bravement les bois et le village.
On a, morgué, raison, et c’est bien mon avis,
Un homme ne fait point fortune en son pays ;
Il n’y sera qu’un sot tout le temps de sa vie :
Il a biau se sentir du talent, du génie,
Être bien fait, avoir le discours bien pendu ;
Bon ! C’est, comme dit l’autre, autant de bien perdu.

criséis.

Vous avez le goût bon, je vous en félicite.

thaler.

Ici, du premier coup, on connoît le mérite.
D’aussi loin qu’on me voit, on m’ôte son chapeau.

criséis.

Vous vous trouvez donc bien de ce séjour nouveau ?

thaler.

Si je m’y trouve bien ! Je ris, je me goberge.
Que je sommes échus dans une bonne auberge !

Notre bijou s’en va nous être rapporté.
Notre hôte est bon vivant, disons la vérité.

criséis.

Vous ne devriez pas tenir un tel langage :
Ces termes-là, mon père, étoient bons au village.
Si l’on vous entendoit parler ainsi du roi,
On pourroit se moquer et de vous et de moi.

thaler.

Dame ! Je sis fâché que mon discours vous choque ;
Chacun parle à sa guise, et qui voudra s’en moque :
J’ai pourtant, m’est avis, plus d’esprit que vous tous.

criséis.

Excusez si je prends cet air libre avec vous.

thaler.

Tu prétends donc apprendre à parler à ton père ?

criséis.

Je ne dis pas cela pour vous mettre en colère.

thaler.

Morgué, cela m’y met. Écoute, vois-tu bien,
Dame ! On n’est pas un sot, quoiqu’on ne sache rien.
Parce que te voilà de bout en bout dorée,
Ne va pas envers moi faire la mijaurée.

criséis.

Je sais trop…

thaler.

Je sais trop…Je prétends qu’on me respecte, moi.

criséis.

Je ne manquerai point à ce que je vous dois.

thaler.

C’est bien fait ;
quand je parle, il faut que l’on m’écoute.

criséis.

D’accord.

thaler.

D’accord.Qu’on m’estime.

criséis.

D’accord. Qu’on m’estiOui.

thaler.

D’accord. Qu’on m’esti Oui.Me révère.

criséis.

D’accord. Qu’on m’esti Oui. Me révèreSans doute.

thaler.

Or donc, pour rattraper le fil de mon discours,
Que c’est un bel emploi que de hanter les cours !
Tous ces grands monsieurs-là
sont des gens bien honnêtes.

criséis.

Démocrite n’est pas si charmé que vous l’êtes.
Il voudroit bien déjà se voir loin de ces lieux.

thaler.

Pourquoi donc, s’il vous plaît ?

criséis.

Pourquoi donc, s’il vousTout y blesse ses yeux ;
Son cœur n’est pas content ;
quelque soin l’embarrasse.
Il dit qu’en ce pays ce n’est rien que grimace :
Que les hommes y sont cachés et dangereux,
Et les femmes encor bien plus à craindre qu’eux ;
Que ce n’est que par art qu’elles paraissent belles,
Que leur cœur…

thaler.

Que leur cœur…Ne va pas te gâter avec elles,
Ni pour quelque monsieur te prendre ici d’amour.
Elles peuvent tout faire, elles sont de la cour,
Ces madames-là. Mais j’aperçois Démocrite.


Scène II.

DÉMOCRITE, CRISÉIS, THALER.
démocrite.

Ah ! Te voilà, Thaler ! Ta mine hétéroclite
Me réjouit l’esprit. Serviteur, Criséis.
Dans ce riche attirail, sous ces pompeux habits,
Dirois-tu que c’est là ta fille ?

thaler.

Dirois-tu que c’est là ta fille ? En ces matières,
Tous les plus clairvoyants, ma foi, n’y voyont guères.

démocrite.

Cela lui sied fort bien ; et cet air dédaigneux
Qu’elle a pris la cour, lui sied encore mieux.

thaler.

Je m’en suis aperçu déjà.

criséis, à Démocrite.

Je m’en suis aperçu déjà.Je suis bien aise
Que mon air, quel qu’il soit,
vous contente et vous plaise.

démocrite, à Criséis.

À de plus hauts desseins vous aspirez ici,
Et me plaire n’est pas votre plus grand souci.

thaler.

Morguenne, elle auroit tort.
J’entends, je veux, j’ordonne
Qu’elle vous y respecte autant que ma personne :
Je suis maître… une fois.

criséis, à Thaler.

Je suis maître… une fois.Je vois avec plaisir
Vos ordres s’accorder à mon juste désir.
J’obéis de grand cœur : j’aurai toute ma vie
Un très profond respect pour la philosophie.
Pour d’autres sentiments, je puis m’en dispenser,
Sans blesser mon devoir, ni sans vous offenser.



Scène III.

DÉMOCRITE, THALER.
thaler.

Quelle mouche la pique ? À qui diable en a-t-elle ?
Alle a, comme cela, des vapeurs de cervelle.
Je ne sais ; mais depuis qu’elle est en ce pays,
Elle fait peu de cas de ce que je lui dis.

démocrite.

Un soin plus important à présent la tourmente.
Aurait-on jamais cru que cette jeune plante,
Que j’avois pris plaisir d’élever de mes mains,
Eût trompé mon espoir, et trahi mes desseins ?
Agélas s’est épris, en la voyant paroître,
Du feu le plus ardent…

thaler.

Du feu le plus ardent…Morgué, le tour est traître !

démocrite.

La pompe de la cour, et son éclat flatteur,
A de ses faux brillants séduit son jeune cœur.
De son malheur nous sommes les complices,
Nous l’avons amenée au bord des précipices :
Car, sans t’en dire plus, tu t’imagines bien
Le but de cet amour.

thaler.

Le but de cet amour.Oui, cela ne vaut rien.

démocrite.

Il faut abandonner la cour tout au plus vite.

thaler.

Abandonner la cour ?

démocrite.

Abandonner la cour ? Oui.

thaler.

Abandonner la cour ? Oui.C’est un si bon gîte !
Je m’y trouve si bien !

démocrite.

Je m’y trouve si bien ! Il n’importe, il le faut.
Tu dois tirer d’ici Criséis au plus tôt ;
C’est à toi que le roi fait la plus grande offense.

thaler.

Je le vois bien ; pour faire ici sa manigance,
Morgué, le prince a tort de s’adresser à moi :
II s’imagine donc que parce qu’il est roi…
Suffit, je ne dis mot.

démocrite.

Suffit, je ne dis mot.Il y va de ta gloire.

thaler.

C’est, morgué,
pour cela qu’ils m’avont tant fait boire :
Mais ils n’en croqueront, ma foi, que d’une dent.
Je vais faire beau bruit. Serviteur cependant.


Scène IV.

DÉMOCRITE, seul.

Dieux ! Que fais-je ?
Où m’emporte une indigne tendresse ?
Suis-je donc Démocrite ? Et quelle est ma foiblesse !
Pendant que je suis seul, laissons agir mon cœur,
Et tirons le rideau qui cache mon ardeur.
Depuis assez longtemps, mon rire satirique
Sur les autres répand une bile cynique :
Je veux sans nuls témoins rire à présent de moi ;
Il ne faut point ailleurs aller chercher de quoi.
J’aime ! C’est bien à toi, philosophe rigide,
De sentir l’aiguillon d’une flamme perfide !
Et quel est cet objet qui t’apprend l’art d’aimer ?
Un enfant de quinze ans ! Tu prétends la charmer,
Adonis suranné ?… Mais un pouvoir suprême
Me commande, m’entraîne en dépit de moi-même.
Ah ! C’est où je t’attends, le plus lâche des cœurs !
Il te faut des chemins tout parsemés de fleurs.
Tu ne saurois saisir ces haines rigoureuses[1]
Que sentent pour l’amour les âmes généreuses
Tu ne peux gourmander un penchant trop fatal,

Homme pusillanime, imbécile, brutal !
Ce n’est pas encor tout ; vois où va ta folie.
Toi qui veux te targuer de la philosophie,
Tu conduis Criséis… en quels lieux ? À la cour.
Ah ! Qu’ensemble on voit peu
la prudence et l’amour !
Mais on vient. Finissons un discours si fantasque ;
Pour sauver notre honneur, remettons notre masque.



Scène V.

CLÉANTHIS, DÉMOCRITE.
cléanthis, à part.

On voit assez, à l’air dont il est habillé,
Que c’est l’original dont on nous a parlé.

(Haut à Démocrite.)

Vous qui dans les forêts avez passé la vie,
Uniquement touché de la philosophie,
Quel noir démon vous pousse à causer notre ennui ?
Et que venez-vous faire à la cour aujourd’hui ?

démocrite.

Je n’en sais vraiment rien : ce que je puis vous dire,
C’est qu’ici, malgré moi, le roi m’a fait conduire,
M’a voulu transplanter, et me faire, en un jour,
D’un philosophe actif, un oisif de la cour.

cléanthis.

Savez-vous bien qu’ici votre face équivoque,
Et rare en son espèce, étrangement nous choque ?

démocrite.

Je le crois ; sur ce point j’ai peu de vanité,

Et mon dessein n’est point de plaire, en vérité.

cléanthis.

Vous auriez tort : il n’est, je veux bien vous le dire,
Prince, ni galopin, que vous ne fassiez rire.

démocrite.

Pourquoi non ?
C’est un droit qu’on acquiert en naissant ;
Et rire l’un de l’autre est fort divertissant.

cléanthis.

Ismène ici m’envoie, et vous dit par ma bouche,
Que votre aspect ici l’alarme et l’effarouche.
Le roi lui doit sa foi ; cependant, à ses yeux,
On sait qu’à Criséis il adresse ses vœux :
Par de lâches conseils dont vous êtes prodigue,
C’est vous, à ce qu’on dit, qui menez cette intrigue.

démocrite.

Moi !

cléanthis.

Moi ! Vous… C’est une honte, à l’âge où vous voilà,
De vouloir commencer ce vilain métier-là !

démocrite.

Le reproche est plaisant et nouveau, je vous jure :
Je ne m’attendois pas à pareille aventure.

cléanthis.

Riez !

démocrite.

Riez ! Si vous saviez l’intérêt que j’y prends,
Vous m’accuseriez peu de ces soins obligeants.
Vous me connoissez mal. C’est une chose étrange,
Comme dans ce pays on prend toujours le change !

cléanthis.

Quoi ! Le prince tantôt ne vous a pas commis
Le soin officieux d’attendrir Criséis ?
Et vous, n’avez-vous pas pris soin de la réduire ?

démocrite.

Cela peut être vrai ; mais bien loin de vous nuire,
Ce jour verroit Ismène entre les bras du roi,
S’il vouloit de son choix se rapporter à moi :
C’est un fait très constant.

cléanthis.

C’est un fait très constant.Je veux bien vous en croire.
Mais pour ne point donner d’atteinte à votre gloire,
Partez.

démocrite.

Partez.Soit : j’ai pourtant de quoi rire à mon goût,
En ces lieux plus qu’ailleurs, et des femmes surtout.

cléanthis.

Et de qui ririez-vous ?

démocrite.

Et de qui ririez-vous ? Mais de vous la première,
De votre air. Vos habits, vos mœurs, votre manière,
Tout en vous, haut et bas, est artificieux.
Pour paroître plus grande, et pour tromper les yeux ;
On voit sur votre tête une longue coiffure,
Et sur de hauts patins vos pieds à la torture ;
En sorte qu’en ôtant ces secours superflus,
Il ne resteroit pas un tiers de femme au plus.

cléanthis.

Il nous en reste assez pour, telles que nous sommes,

Faire, quand nous voulons, bien enrager les hommes.
Mais partez, s’il vous plaît, demain avant le jour :
Vous ferez sagement ; car aussi bien la cour,
Dont vous faites toujours quelque plainte nouvelle,
Est bien lasse de vous.

démocrite.

Et moi bien plus las d’elle ;
Et je vais de ce pas préparer avec soin
Que l’aurore en naissant m’en trouve déjà loin.



Scène VI.

CLÉANTHIS, seule.

L’affaire est en bon train pour la princesse Ismène :
Mais pour mon compte à moi, je suis assez en peine.
Je voudrois arrêter le disciple en ces lieux :
Il a touché mon cœur en s’offrant à mes yeux ;
Son tour d’esprit me charme ; il fait tout avec grâce :
Il n’est rien que pour lui de bon cœur je ne fasse.
Le ciel me le devoit, pour me récompenser
De mon premier mari. Je le vois s’avancer.


Scène VII.

CLÉANTHIS, STRABON.
strabon, à part.

Ouf ! Je suis bien guedé ! Par ma foi, la science
Ne s’acquiert point du tout à force d’abstinence.

C’est mon système à moi : l’esprit croit dans le vin ;
Je m’en sens déjà plus trois fois que ce matin.
Je me venge à longs traits de la philosophie.

(à Cléanthis.)

Hé ! Vous voilà, princesse, infante de ma vie !
Vous voyez un seigneur fort satisfait de soi,
Un convive échappé de la table du roi :
Il tient bon ordinaire, et je l’en félicite.

cléanthis.

Au disciple fameux du savant Démocrite,
Plus qu’à nul autre humain, cet honneur étoit dû.

strabon.

C’est un petit repas que le roi m’a rendu :
Nous nous traitons parfois.

cléanthis.

Nous nous traitons parVous ne sauriez mieux faire :
Rien ne fait des amis comme la bonne chère,
Quoiqu’on embrasse ici des gens de tous métiers,
Bien moins pour l’amour d’eux
que de leurs cuisiniers.

strabon.

Cet honneur, quoique grand, ne me toucheroit guère,
Si je n’étois bien sûr du bonheur de vous plaire.
Vous aimer est un bien pour moi plus précieux
Qu’être admis à la table et des rois et des dieux ;
Et l’on ne leur sert point, même en des jours de fêtes,
De morceau si friand à mon goût que vous l’êtes.

cléanthis.

N’êtes-vous point de ceux dont l’usage est connu,
Qui ne sont amoureux que quand ils ont bien bu ;

À qui beaucoup de vin fait sortir la tendresse ;
Qui vont en cet état aux pieds de leur maîtresse
Exhaler les transports de leurs brûlants désirs,
Et pousser des hoquets en guise de soupirs ?
De nos jeunes seigneurs c’est assez la manière.

strabon.

Ma tendresse n’est point d’un pareil caractère.
Bacchus n’est point chez moi l’interprète d’amour.
J’ai près du sexe, enfin, l’air de la vieille cour.
Mon cœur s’est laissé prendre
en vous voyant paroître,
Et de ses mouvements n’a plus été le maître.
L’esprit, la belle humeur, la grâce, la beauté,
Tout en vous s’est uni contre ma liberté.

cléanthis.

Ce n’est point un retour de pure complaisance
Qui me fait hasarder la même confiance ;
Mais je vous avouerai qu’à vos premiers regards
Mon foible cœur s’est vu percé de toutes parts.
Je ne sais quel attrait, et quel charme invisible
En un instant a pu me rende si sensible ;
Et je n’ai point senti de transports aussi doux
Pour tout autre mortel que j’en ressens pour vous.

strabon.

En vous réciproquant, vous êtes, je vous jure,
De ces heureux transports payés avec usure.
L’on n’a jamais senti de feux si violents
Que ceux qu’auprès de vous et pour vous je ressens.
Mais ne puis-je savoir, en voyant tant de charmes,
Quel est l’aimable objet à qui je rends les armes ?

cléanthis.

Bon ! Que vous serviroit de savoir qui je suis ?
Ce nous seroit peut-être une source d’ennuis,
Après vous avoir fait l’aveu de ma foiblesse.

strabon.

Ah ! Que cette pudeur augmente ma tendresse !

cléanthis.

Je devrois bien plutôt songer à me cacher.

strabon.

Rien de vous découvrir ne doit vous empêcher.

cléanthis.

L’homme est d’un naturel si volage et si traître…
Qui le sait mieux que moi ?

strabon.

Qui le sait mieux que moi ? Vous en avez peut-être
Été souvent trahie ? Ici, comme en tous lieux,
La femme, à mon avis, ne vaut pas beaucoup mieux.
J’en ai, pour mes péchés, quelquefois fait l’épreuve.
Êtes-vous fille ?

cléanthis.

Êtes-vous fille ? Non.

strabon.

Êtes-vous fille ? Non.Femme ?

cléanthis.

Êtes-vous fille ? Non. Femme ? Point du tout.

strabon.

Êtes-vous fille ? Non. Femme ? Point du tout.Veuve ?

cléanthis.

Je ne sais.

strabon.

Je ne sais.Oh, parbleu ! Vous vous moquez de nous.
De quelle espèce donc, s’il vous plaît, êtes-vous ?

cléanthis.

Je fus fille autrefois, et pour telle employée.

strabon.

Je le crois.

cléanthis.

Je le crois.À quinze ans je me suis mariée :
Mais, depuis le long temps que sans époux je vis,
Je ne saurois passer pour femme, à mon avis ;
Ni pour veuve non plus, puisqu’en effet j’ignore
Si le mari que j’eus est mort, ou vit encore.

strabon.

Ce discours, quoique abstroit, me paroît assez bon.
Je ne suis, comme vous, homme, veuf, ni garçon :
Et mon sort, de tout point, est si conforme au vôtre,
Qu’il semble que le ciel
nous ait faits l’un pour l’autre[2].

cléanthis, à part.

Homme, veuf, ni garçon !

strabon, à part.

Homme, veuf, ni garçon ! Fille, femme, ni veuve !

cléanthis, à part.

Le cas est tout nouveau.

strabon, à part.

Le cas est tout nouveau.L’aventure est très neuve.

(à Cléanthis.)

Depuis quand, s’il vous plaît,
vivez-vous sans époux ?

cléanthis.

Depuis près de vingt ans je goûte un sort si doux.
J’avois pris un mari fourbe, plein d’injustices,
Qui d’aucune vertu ne rachetoit ses vices,
Ivrogne, débauché, scélérat, outrageux.
Pour sa mort je faisois tous les jours mille vœux.
Enfin, le ciel plus doux, touché de ma misère,
Lui fit naître en l’esprit un dessein salutaire ;
Il partit, me laissant, par bonheur, sans enfants.

strabon.

C’est tout comme chez nous. Depuis le même temps,
Inspiré par le ciel, je quittai ma patrie,
Pour fuir loin de ma femme, ou plutôt ma furie.
Jamais un tel démon ne sortit des enfers.
C’étoit un vrai lutin, un esprit de travers,
Un vieux singe en malice, insolente, revêche,
Coquette, sans esprit, menteuse, pie-grièche.
À la noyer cent fois je m’étois attendu ;
Mais je n’en ai rien fait, de peur d’être pendu.

cléanthis.

Cette femme vous est vraiment bien obligée !

strabon.

Bon ! Tout autre que moi ne l’eût point ménagée,
Elle auroit fait le saut.

cléanthis.

Elle auroit fait le saut.Et de grâce, en quels lieux
Aviez-vous épousé ce chef-d’œuvre des cieux ?

strabon.

Dans Argos.

cléanthis, à part.

Dans Argos.Dans Argos !

strabon.

Dans Argos. Dans Argos ! Où la fortune a-t-elle
Mis en vos mains l’époux d’un si rare modèle ?

cléanthis.

Dans Argos.

strabon, à part.

Dans Argos.Dans Argos !
Dans Argos. Dans Argos ! Et s’il vous plaît, quel nom
Portoit ce cher époux ?

cléanthis.

Portoit ce cher époux ? Il se nommoit Strabon.

strabon.

Strabon !

Strabon ! xxx(à part.)

Strabon ! Haï !

cléanthis.

Strabon ! Haï ! Pourroit-on aussi, sans vous déplaire,
Savoir quel nom portoit cette épouse si chère ?

strabon.

Cléanthis.

cléanthis.

Cléanthis.Cléanthis ! C’est lui.

strabon.

Cléanthis. Cléanthis ! C’est lui.C’est elle, ô dieux !

cléanthis.

Ses traits n’en disent rien ;
mais je le sens bien mieux,

Au soudain changement qui se fait dans mon âme.

strabon.

Madame, par hasard, n’êtes-vous point ma femme ?

cléanthis.

Monsieur, par aventure, êtes-vous mon époux ?

strabon.

Il faut que cela soit ; car je sens que pour vous
Dans mon cœur tout à coup ma flamme est amortie,
Et fait en ce moment place à l’antipathie.

cléanthis.

Ah ! Te voilà donc, traître ! Après un si long temps,
Qui t’amène en ces lieux ?
Qu’est-ce que tu prétends ?

strabon.

M’en aller au plus tôt. Que ma surprise est forte !
Dis-moi, ma chère enfant,
pourquoi n’es-tu pas morte ?

cléanthis.

Pourquoi n’es-tu pas morte ! Indigne, scélérat,
Déserteur de ménage, et maudit renégat,
Pour t’arracher les yeux…

strabon.

Pour t’arracher les yeux…Ah ! Doucement, madame.

(à part.)

Ô pouvoir de l’hymen, quel retour en mon âme !

cléanthis, à part.

Je ressentois pour lui les transports les plus doux,
Hélas ! Qu’allois-je faire ? Il étoit mon époux.

(Haut.)

Va, fuis. Que le démon, qui te prit en ton gîte
Pour t’amener ici, t’y remporte au plus vite.

Évite ma fureur ; retourne dans tes bois.

strabon.

Il ne vous faudra pas me le dire deux fois.
J’aime mieux être ermite, et brouter des racines,
Revoyager vingt ans, nu-pieds, sur des épines,
Que de vivre avec vous. Adieu.

cléanthis.

Que de vivre avec vous. Adieu.Que je le hais ![3]

strabon.

Qu’elle est laide à présent !
Et qu’elle a l’air mauvais !


FIN DU QUATRIÈME ACTE.

  1. Rigoureuses est conforme à l'édition originale et à celle de 1728. Dans les autres éditions, on lit, vigoureuses.
  2. Après ce vers, il en manque deux de rime masculine.
  3. Dans l’édition originale et dans celle de 1728, on lit, Grands dieux ! que je te hais ! ce qui fait un vers de quatorze syllabes. Il faut nécessairement supprimer grands dieux, ou le mot adieu, qui est plus haut.