Dépôts rituels de haches en pierre polie découverts dans la région de Carnac

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Dépôts rituels de haches en pierre polie
découverts dans la région de Carnac

PAR
M. Z. LE ROUZIC


Les dépôts ou cachettes de haches en bronze, haches à douilles surtout, sont innombrables dans le centre et dans le nord du département du Morbihan, et dans les départements limitrophes. Mais aucun de ces dépôts ou cachettes n’a été signalé jusqu’à ce jour, dans la région immédiate de Carnac-Locmariaquer.

Quelques haches à douille en bronze, ont été seulement mises à jour, isolément, au Moustoir, commune de Carnac, et à Loperet commune d’Erdeven.

La commune de Belz, seule a donné un dépôt de 60 haches en 1888, mais les autres communes Quiberon, Saint-Pierre, Plouharnel, la Trinité, Plœmel, Crach, Saint-Philibert, Locmariaquer, Arzon, ni les îles du golfe du Morbihan, n’ont donné, je le répète, de grand dépôt jusqu’à ce jour. Par contre, la découverte de dépôts de haches en pierre polie sont très nombreux.

Je citerai, d’après Cayot Deslande, la découverte de 24 haches en roche verte, faite sans autres indications dans la commune d’Arzon en 1808[1].

Parlant de cette découverte, M. l’Abbé Mahé dit que ces haches étaient disposées en cercle autour d’un centre commun[2].

La découverte de 11 haches polies dont plusieurs en pyroxénite (jadéite, chloromélanite et fibrolite) faite par M.{{liéDessert, près et au nord-ouest du village de Kerham, commune de Plœmeur en 1861, aujourd’hui au musée J. Miln, du no  1096 au no  1109 de l’inventaire.

La découverte de 17 superbes haches en pyroxénite (jadéite, chloromélanite et fibrolite) faite par une cultivatrice du village de Bernom, commune d’Arzon en 1893. Ces dernières étaient placées en cercle debout, le tranchant en l’air, appuyées les unes sur les autres, le talon planté dans une couche de terre fine, dans un trou circulaire creusé dans la terre meuble et recouvertes d’une grosse dalle en granit. Elles sont aujourd’hui au Musée national de Saint-Germain-en-Laye[3].

La découverte de 3 haches, et d’un fragment de hache marteau en diorite, faite par M. Le Guennec, de Kerfraval, commune de Carnac en 1868, en défrichant un champ près et au nord du moulin à vent, aujourd’hui détruit, de Kerfraval. Ces haches sont au musée J. Miln.

La découverte de 3 haches en silex poli, faite en 1924, par les petits fils de M. Le Guennec, de Kerfraval, au même endroit, dans un champ voisin, ou il n’y a aucune trace de monument. Ces haches sont au musée J. Miln, no  1428, 1429 et 1430 de l’inventaire.

La découverte de 5 haches, dont 4 en diorite et 1 en silex poli, faite au mois d’avril 1926, par ces mêmes enfants Le Guennec, sous une pierre plate, en défrichant une parcelle de terre près de la plage de Beaumer, commune de Carnac. Elles se trouvent au musée J. Miln, sous les nos 1444, 1445, 1446, 1447, 1448 de l’inventaire.

La découverte de 9 haches, dont 3 en fibrolite grenue et 6 en diorite polie, faite en 1922 par Mme veuve Le Port, de la maison neuve de Kerblaye, commune de Plœmel, dans un coin de son champ au sud-ouest de sa demeure, non loin d’une table d’un dolmen ruiné. Ces haches ont été malheureusement dispersées, 4 seulement sont au musée J. Miln.

La découverte de 4 belles haches dont une en silex, une en fibrolite, une en chloromélanite faite en 1925, par M. Le Tallec, aujourd’hui maire de la commune de Larmor-Baden, dans un terrain sous lande au bord du golfe du « Morbihan. 2 de ces haches sont au musée J. Miln no  1437 et 1438 de l’inventaire, les deux autres sont dispersées.

La découverte de 3 haches en diorite polie, faite en 1925 par un journalier agricole dans un champ, près de Coë-Kerzut, commune de Crach. Ces haches sont au musée J. Miln sous les nos 1441, 1442 et 1443 de l’inventaire.

La découverte de 3 haches, 2 en diorite et 1 en silex polie, faite en 1925 à Mané Kernivilit, commune de Saint-Philibert, en face de la Trinité-sur-Mer. Elles sont au musée J. Miln, sous les nos 1432, 1433 et 1434 de l’inventaire.

La découverte d’une hache en pyroxénite, faite en 1925 par un jeune cultivateur dans un terrain vague, près et à l’est du village des Sept-Saints, commune d’Erdeven.

Cette superbe hache est plate, a ses côtés équarris et son tranchant est évasé. Elle affecte la forme des haches plates en cuivre, elle mesure 0m29 de longueur, 0m083 de large au tranchant et 0m025 de large au talon. Elle était placée debout, dans la couche d’argile du sous-sol, malheureusement le jeune homme n’a pu me dire avec certitude, si le tranchant ou le talon se trouvait en haut. Elle est au musée J. Miln sous le no  1436 de l’inventaire.

Une autre découverte de haches en pierre polie est également à signaler ici, celle que nous avons faite en 1922 au pied du menhir sur tertre tumulaire du Manio, 5 haches, 4 en diorite et 1 en fibrolite grenue polie. 4 d’entre elles étaient placées à 0m20 de la surface, accolées au pied d’un menhir, sur lequel sont gravés 5 signes ondulés représentant des serpents dressés sur leur queue[4].

Les découvertes isolées de haches en pierre polie sont innombrables dans notre région parsemée de monuments mégalithiques.

Trois autres découvertes importantes, de dépôts de haches polies ont été faites dans la même région. Mais celles-ci, ensevelies dans des dolmens fermés, formés de dalles couchées et de maçonnerie sèche, recouverts de grosses dalles, le tout caché dans le centre d’énormes tumuli.

1o Dans le dolmen de Tumiac, commune, d’Arzon, en 1853, 32 superbes haches dont 16 en pyroxénite, et 16 en fibrolite polies étaient enfouies avec 3 colliers en grains de callaïs, exposés au musée de la Société Polymathique à Vannes, sous les nos 826 à 857 du catalogue[5].

2o Dans le dolmen de Saint-Michel, commune de Carnac en 1862, 37 haches dont 11 superbes en pyroxénite et 26 en fibrolite polie, étaient placées debout, le tranchant en l’air, dans une couche de cendre et d’ossements incinérés, ainsi qu’un collier formé de grains de callaïs, exposés au musée de la Société Polymathique à Vannes, sous les nos 779 à 815 du catalogue[6].

3o Dans le dolmen de Mané-en-Hroëck, commune de Locmariaquer, en 1863, 105 haches dont 11 en pyroxénite, ces dernières toutes cassées ; 101 de ces haches étaient cachées sous le dallage de la chambre. Une superbe hache en chloromélanite, était placée dans le centre de la crypte, le talon posé sur un disque en serpentine, 2 pendeloques en callaïs étaient placées près du tranchant. Exposées au musée de la Société Polymathique à Vannes, sous les nos 650 à 768 du catalogue[7].

Ces trois derniers dépôts, découverts avec des ossements, étaient placés dans des tombes et sont indéniablement des dépôts funéraires. Nous pouvons donc affirmer que ce sont des dépôts intentionnels, par conséquent rituels.

Quelle était exactement leur signification ? Nous ne le saurons, sans doute jamais. Il est à remarquer que la plupart de ces belles haches ne pouvaient servir, ni comme arme, ni comme outil, et ne devaient être que des haches votives.

Beaucoup de ces haches trouvées isolément proviennent sans doute de monuments détruits, mais les autres ont été manifestement déposées dans le sol avec intention et sont à mon avis, des dépôts rituels, sorte d’offrandes faites à la Déesse mère, nourricière, la Terre et pouvaient représenter les rayons solaires, fécondant la terre.

Les rayons des roues solaires que j’ai découverts sur les supports du dolmen à galerie du Petit-Mont, dans la commune d’Arzon en 1905, ressemblent beaucoup à des haches placées, les talons au centre, les tranchants formant le cercle, exactement comme les 8 haches polies dont une à bouton, découvertes en cercle à la Chapelle-Basse-Mer, dans la Loire-Inférieure en 1863[8].

Est-ce que les dépôts de haches à douilles, en cuivre, en bronze, en étain et même en plomb, n’auraient-elles pas eu la même signification rituelle ?

C’est à mon avis plus que probable, et il est possible que dans le haut du Morbihan et dans les régions limitrophes, riches en métal ou envahis par des gens à métaux, les habitants faisaient des offrandes de haches en métal à la même Déesse nourricière La Terre, au même moment où les habitants de la région sacrée de Carnac-Locmariaquer lui offraient des haches en pierre polie.

Ne trouvons-nous pas encore aujourd’hui, sous d’autres formes, ces mêmes traditions dans les offrandes faites en nature à nos bons vieux saints ?

Que ne fait-on pas encore chez nous et ailleurs pour attirer la bénédiction du ciel sur la terre et même sur la mer, pour obtenir de bonnes récoltes ou de bonnes pêches ?

Le doute n’est pas possible, c’est la continuation des sortilèges de nos très vieux pères chasseurs, des grottes de la Dordogne et des Pyrénées, envoûtant le gibier, qui leur servait de nourriture. Ce sont les sortilèges de nos vieux pères agriculteurs, constructeurs des menhirs et dolmens, pour féconder la Terre et se la rendre propice.

Phénomènes conçus de la peur de manquer de nourriture, la peur de mourir de faim. Cela a commencé avec le premier homme et durera, j’en suis sûr, jusqu’à la fin du dernier.


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  1. Cayot Deslande. — Le Morbihan, page 224.
  2. Abbé Mahé — Essais des antiquités de Bretagne, page 41.
  3. Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1893, page 3.
  4. Carnac. Fouilles faites dans la région Campoque, 1922, p. 64.
  5. Bulletin de la Société du Morbihan, 1862, p. 1.
  6. Bulletin de la Sociale du Morbihan, 1862. p. 7.
  7. Bulletin de la Société Polymatltique, 1863, p. 18.
  8. Bulletin de la Société archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure, 1922.