Députés contre Parlement/IV

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Les Militants au Parti.


Les explosions révolutionnaires, depuis un an, déflagrent avec une fréquence, avec une force toujours plus grande. À peine un foyer s’est-il apaisé qu’un autre surgit. Mais nulle part, sauf en Russie, l’action du prolétariat n’est décisive. Émeutes, troubles locaux, grèves avortées, signes avant-coureurs. C’est la faillite qui mettra le feu.

Or, ces heures d’attente vont être longues. La guerre n’aura été qu’un prologue à des troubles qui dureront le temps d’une génération. D’ici là, si on veut que le sang ne ruisselle pas, si on veut que l’opération se passe bien proprement, il faut une préparation méthodique, une éducation intensive du prolétariat qui, par la faute de la grande presse, n’est pas au courant de choses qu’une classe dirigeante doit connaître.

L’action du militant syndicaliste doit tendre à transformer la masse molle des poids lourds des fédérations en une musculature agile, alerte, nerveuse. Il ne s’agit pas de maigrir. Il s’agit de changer la graisse en fibres et en tendons.

L’action socialiste doit désormais avoir pour but essentiel de préparer dans le détail l’installation de la classe ouvrière au pouvoir.

Dans les associations d’anciens combattants, dans les groupements intellectuels, dans les coopératives, partout doit se répercuter cet appel angoissé à un éveil de la raison, à un affinement du sens critique, prélude d’une action urgente.

Et pour relancer jusque dans leur domaine les hommes d’État du capitalisme, il faut choisir comme tribune celle même dont on dit qu’elle est nationale. Il ne faut négliger rien, même pas l’action parlementaire. Il faut avoir des hommes partout, même dans « le cloaque ».

Oh ! il faut se méfier de cette forme d’action-là ! Ceux qui écrivent ceci ont résolu d’en accepter les risques. Ce n’est pas sans tremblement. Ils n’ignorent rien de ce qu’il y a de hasardeux dans leur entreprise. Ils savent aussi de quels soupçons on entoure ceux qui aspirent à « devenir députés ». Ils ne peuvent pas en vouloir aux camarades qui les suspecteront a priori. Trop souvent le prolétariat fut trahi par ces phraseurs d’hémicycle. Le socialisme a été depuis vingt ans le fournisseur en hommes d’État réactionnaires de la République bourgeoise.

Que cependant on veuille bien ne pas négliger la garantie que possède aujourd’hui le prolétariat dans l’imminence de la Révolution. Trahir le peuple, en 1914, c’était sauver sa tête. En 1920, c’est la jouer. Ceux seuls qui ne croient pas à la révolution peuvent contester cela.

Il n’en reste pas moins que les tentations qui guettent le militant au seuil du Palais-Bourbon sont subtiles. Amitiés de couloirs, conseils de camarades vieillis sous le harnais… et, disons le mot, tradition d’un groupe socialiste au Parlement qui, depuis cinq ans surtout, ignore ce que c’est qu’une attaque à fond, qu’un sabotage révolutionnaire.

Le militant aux narines assez endurantes pour s’aventurer à la Chambre devra donc s’appuyer sur les masses, se tenir avec elles en contact étroit. Jusqu’ici le Groupe Parlementaire, animé d’une espèce de fâcheux esprit de corps, évoluait à l’arrière-garde du Parti et des masses, sans liaison. Il ne devrait pas y avoir de groupe socialiste au Parlement. La C. A. P., les fédérations, les organisations syndicales sont là pour donner leurs ordres aux élus, pour leur commander telle ou telle intervention de tribune.

Enfin, la maxime d’un militant, qui va être en 1920 de Chambre, doit se formuler : beaucoup de propagande, un peu de tribune, pas de couloirs.

Ainsi, nous croyons que la besogne sera utile, profitable au prolétariat, et les reproches passionnés que les antiparlementaires adressent à tels sortants sont eux-mêmes la preuve de ce qu’un député aurait pu faire s’il l’avait voulu.

Oui, si au Parlement français, au Parlement anglais, il y avait eu, pendant la guerre, des hommes qui, comme Liebknecht, aient fait tout leur devoir, le massacre n’aurait pas duré quinze cents jours. C’est cet argument-là qui nous a décidés.

Quelle fut d’ailleurs la tactique de nos amis de Russie ? N’entrèrent-ils pas au Parlement pour en casser les vitres ?

Les néo-communistes allemands refusent-ils la lutte parlementaire ?

Maintenant nous sommes prêts à entrer, nous aussi, dans cette sombre arène. Derrière nous luit le calme de la vie d’écrivain. Que d’autres foncent dans la lutte politique avec un cœur d’allégresse. Notre cœur à nous est résolu, mais sans joie, et si nous ayons quelque mal à réprimer un égoïsme, c’est celui de revenir aux silencieuses victoires du labeur intellectuel, aux sages assemblées des livres…