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Dans la bruyère/La Mort de Pierrot

La bibliothèque libre.
Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 129-133).

LA MORT DE PIERROT


À Henri Droniou


Pierrot, le blanc Pierrot, tombé dans la débine,
Compte les astres d’or du riche firmament :
« Et dire, songe-t-il, qu’il faudrait seulement
Deux gros sous pour payer des fleurs à Colombine ! »

Il ne s’aperçoit pas que sous la nuit d’hiver
Les échos sont remplis du bruit des avalanches,
Et que, d’un froid manteau tissé de plumes blanches,
Le monde frissonnant s’est lentement couvert.


Non, Pierrot ne sent pas les morsures glacées
Que l’âpre vent du Nord met à son front blafard :
Il regarde l’étang où dort le nénufar,
Et roule en son cerveau de sinistres pensées.

Puis il régarde encor le vaste écrin des cieux
Où cent mille joyaux font comme une fournaise :
Les yeux écarquillés, il les compte à son aise,
Mais le pauvre Pierrot ne compte que des yeux.

Il chante doucement un air mélancolique,
Hélas ! pour attendrir les astres inhumains :
Nulle obole d’en haut ne tombe dans ses mains ;
L’avare firmament n’entend pas sa supplique.

Pierrot, désespéré par son affreux destin,
Baigne de pleurs amers sa face enfarinée.
Ô miracle ! voilà qu’une longue traînée
D’étoiles d’or s’écroule à l’horizon lointain !


Et, sans remercier l’azur, Pierrot s’élance…
Incendiant la neige et les mornes granits,
L’immense poudroiement des soleils infinis
Tombe au gouffre de l’ombre à travers le silence.

Et Pierrot tend les mains à la poussière d’or…
Sur les déserts de glace, au fond de la ravine,
Se disperse toujours la semence divine,
Sans éveiller l’écho de la terre qui dort.

Levant les yeux au ciel et se heurtant aux pierres,
Tel qu’un fantôme blanc sous le neigeux linceul,
Pierrot court ; dans la nuit il passe, blême et seul :
Et les astres de flamme empourprent ses paupières.

Il franchit les torrents, il gravit les sommets…
Allumant dans sa chute un rose crépuscule,
Sous les cieux plus profonds le poudroiement recule,
Chaque astre tombe, luit, et s’éteint à jamais.


Dans l’enchevêtrement mystérieux des plantes
Pierrot se glisse en vain, — et, trompant son désir,
Au triomphal instant qu’il va pour les saisir,
Tombent plus loin encor les étoiles filantes.

Au milieu d’un grand bois dorment de tristes eaux
Que d’un rideau mouvant recouvrent des fleurs päles ;
La nuit y fait flotter ses mourantes opales,
Et pose un reflet-vague aux pointes des roseaux.

Mais voilà qu’une étoile en la glauque nymphée
S’abîme : un cercle d’or court sur la profondeur ;
Et l’on voit scintiller la lointaine splendeur,
Sous l’épaisseur des eaux lentement étouffée.

Pierrot la suit, les yeux levés, les bras ouverts.
I] lui faut ce trésor pour la femme qu’il aime !
Il roule dans l’herbage ; il appelle : et l’eau blème
Sur le rêveur trahi ferme ses glaïeuls verts.


Le silence et la mort l’enveloppent de voiles ;
Pierrot repose en paix sur un lit de gazon…
Et le ciel ironique empourpre l’horizon
Du sillage éclatant de nouvelles étoiles.