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Dans la bruyère/Un Caprice

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 25-28).

UN CAPRICE


À Louis Beaumont


Nous allions dans les bois par une nuit d’étoiles ;
Car c’était son caprice : elle avait voulu voir,
Loin de la vieille ville et du morne comptoir,
Le soir mystérieux tramer ses sombres toiles.

Puis, avant de partir, elle avait lu des vers
Qui, berçant les espoirs et les mélancolies,
Parlaient très doucement d’amours ensevelies
Dans l’immuable paix des arbres toujours verts.


Elle songeait peut-être, en son âme troublée,
Que le soir est plus beau sous des rameaux flottants,
Et qu’il est bon d’errer, quand on aime à vingt ans,
Dans les chants de la Grève ou le deuil de l’Allée.

Et moi, j’étais heureux de ce rêve charmant :
Car je croyais encore à ces visions blanches
De femmes qui s’en vont dans le frisson des branches,
Et dont l’immense amour dure éternellement.


Tremblant d’effaroucher une âme qui s’élance
Vers les bleus paradis où le rêve est éclos,
Je lui disais tout bas, avec de longs sanglots :
— Ô Femme, parle-moi dans ce divin silence ! —

Le ciel m’enveloppait de sa pâle clarté,
À travers l’épaisseur des millions de lieues :

Mais je ne voyais plus que ses prunelles bleues,
Profondes comme un lac par un matin d’été.

Les grands arbres, noyés sous la brume sereine,
Autour de nous flottaient vaguement dans la nuit :
Mais dans un tel lointain s’apaisait chaque bruit,
Que je n’entendais plus que sa tranquille haleine.

Oh ! que de soirs les bois m’ont surpris à penser !
Mais par la calme nuit j’étais tremblant de fièvres ;
Et je ne songeais plus qu’à ses deux roses lèvres,
Et mes lèvres s’ouvraient en cherchant son baiser.


Elle me dit alors, de sa voix dédaigneuse :
« Voilà donc les forêts sous l’or des firmaments,
Où les poètes font errer les fiers amants
Dont la nuit douce endort l’âme mystérieuse !


« Je m’ennuie en ces lieux. J’ai peur : mon front pâlit !
Comment peut-on s’aimer sous ces voûtes moroses ?
Rentrons. Dans le jardin nous cueillerons des roses :
Tu les effeuilleras pour parfumer mon lit. »

Je l’écoutais parler, pris d’une angoisse amère.
En mon cœur s’écroulait le Rève épouvanté ;
Et, comprenant soudain sa trompeuse Beauté,
Je cherchais dans sa voix un lambeau de chimère.

Tout ce que j’avais mis d’infini dans ses yeux,
Tout ce que j’avais mis d’idéal dans son âme,
S’enfuyait brusquement à cette voix de femme
Parlant d’un ton léger du mystère des cieux.

Et je sentis combien l’illusion est brève…
— Elle avait, en sa fleur, un bel air nonchalant,
Et, sous les blonds cheveux qui doraient son col blanc,
Un cerveau trop étroit pour porter un grand rève.