Dans la rue (Bruant)/Foies blancs

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Aristide Bruant (Volume IIp. 69-72).


FOIES BLANCS


Mon dab est mort ru’ d’la Roquette.
Su’ la place, en face l’p’loton,
On yavait rogné sa liquette,
Coupé les ch’veux, rasé l’menton.
Ma dabuche aussi chassait d’race :
A s’est fait gerber à vingt ans
Pour avoir saigné eun’ pétasse.
Moi, j’marche pas… j’ai les foi’s blancs.

J’suis pourtant pas un imbécile !…
Pour mijoter un coup d’fric-frac
Ya pas deux comm’ mon gniasse au mille…
Mais quand i’ faut marcher, j’ai l’trac !
Nom de Dieu !… c’est-y pas un’ honte !…
Pendant que j’me bats les deux flancs,
Les aut’ i’s font les coups que j’monte.
Moi, j’marche pas… j’ai les foi’s blancs.


C’est pas qu’j’ay’ peur ed’ la grand’sorgue,
J’m’en fous comme d’Colin-Tampon ;
— La fin du monde après mon orgue —
Mais j’peux pas foute un coup d’tampon,
Et quand faut suriner un pante
Ej’ reste là… les bras ballants…
I’s ont beau m’dir’ : Va donc… eh ! tante !
Ej’ marche pas… j’ai les foi’s blancs.

Aussi, vrai, j’me fous d’la turbine
À Deibler et d’tout son fourbi,
Sûr qu’il aura pas la bobine,
La tronch’, la sorbonne à Bibi…
Ma tête !… alle est pas pour sa gouge,
Pour sa vieill’ gouine aux bras tremblants :
A roul’ra pas dans l’panier rouge
Ma tête… alle aura des ch’veux blancs.