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Dans la rue (Bruant)/Fossoyeur

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Aristide Bruant (Volume IIp. 85-88).


FOSSOYEUR


— Fossoyeur ! l’dernier des métiers !
Qu’j’entends qu’yen a d’aucuns qui disent
I n’ya guèr’ que les héritiers
D’ceux qu’j’enterr’qui n’se formalisent
Pas de c’que j’fais… Eh ben ! j’m’en fous !
Mon métier m’donne d’la jouissance
Assez pour que j’soy’ pas jaloux
D’ceux qu’a la braise et la puissance.


Car j’enterr’ pas qu’les macchabé’s
Qui sentent l’chlore et la charogne,
J’enterr’ les loulous, les bébés ;
C’est ça qu’c’en est d’la chouett’ besogne !
Qu’a crèv’nt sous les baisers d’un roi
Ou qu’a meur’nt sur un lit d’hospice,
Quand a sont blanch’, a sont à moi,
Vos Léontine et vos Alice !

Comm’ des marié’s, couvertes d’fleurs,
Tous les matins on m’en apporte,
Avec leurs parfums, leurs odeurs…
Moi j’trouv’ que ça sent bon, la morte.
J’les prends dans mes bras, à mon tour,
Et pis j’les berce… Et pis j’les couche,
En r’niflant la goulé’ d’amour
Qui s’échappe encor’ de leur bouche….