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David Copperfield (Traduction Lorain)/Chapitre 54

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Traduction par Paul Lorain.
Hachette et Cie (Tome 2p. 347-363).

Ce n’est pas le moment de dépeindre l’état de mon âme sous l’influence de cet horrible événement. J’en vins à croire que l’avenir était fermé pour moi, que j’avais perdu à jamais toute activité et toute énergie, qu’il n’y avait plus pour moi qu’un refuge : le tombeau. Je n’arrivai que par degrés à ce marasme languissant, qui m’aurait peut-être dominé dès les premiers moments, si mon affliction n’avait été troublée d’abord, et augmentée plus tard par des événements que je vais raconter dans la suite de cette histoire. Quoiqu’il en soit, ce qu’il y a de certain, c’est qu’il se passa un certain temps avant que je comprisse toute l’étendue de mon malheur ; je croyais presque que j’avais déjà traversé mes plus douloureuses angoisses, et je trouvais une consolation à méditer sur tout ce qu’il y avait de beau et de pur dans cette histoire touchante qui venait de finir pour toujours.

À présent même, je ne me rappelle pas distinctement l’époque où on me parla de faire un voyage, ni comment nous fûmes amenés à penser que je ne trouverais que dans le changement de lieu et de distractions, la consolation et le repos dont j’avais besoin. Agnès exerçait tant d’influence sur tout ce que nous pensions, sur tout ce que nous disions, sur tout ce que nous faisions, pendant ces jours de deuil, que je crois pouvoir lui attribuer ce projet. Mais cette influence s’exerçait si paisiblement, que je n’en sais pas davantage.

Je commençais à croire que, lorsque j’associais jadis la pensée d’Agnès au vieux vitrail de l’église, c’était par un instinct prophétique de ce qu’elle serait pour moi, à l’heure du grand chagrin qui devait fondre un jour sur ma vie. En effet, à partir du moment que je n’oublierai jamais, ou elle m’apparut debout, la main levée vers le ciel, elle fut, pendant ces heures si douloureuses, comme une sainte dans ma demeure solitaire ; lorsque l’ange de la mort descendit près de Dora, ce fut sur le sein d’Agnès qu’elle s’endormit, le sourire sur les lèvres ; je ne le sus qu’après, lorsque je fus en état d’entendre ces tristes détails. Quand je revins à moi, je la vis à mes cotés, versant des larmes de compassion, et ses paroles pleines d’espérance et de paix, son doux visage qui semblait descendre d’une région plus pure et plus voisine du ciel pour se pencher sur moi, vinrent calmer mon cœur indocile, et adoucir mon désespoir.

Il faut poursuivre mon récit.

Je devais voyager. C’était, à ce qu’il paraît, une résolution arrêtée entre nous dès les premiers moments. La terre ayant reçu tout ce qui pouvait périr de celle qui m’avait quitté, il ne me restait plus qu’à attendre ce que M. Micawber appelait le dernier acte de la pulvérisation de Heeps, et le départ des émigrants.

Sur la demande de Traddles, qui fut pour moi, pendant mon affliction, le plus tendre et le plus dévoué des amis, nous retournâmes à Canterbury, ma tante, Agnès et moi. Nous nous rendîmes tout droit chez M. Micawber qui nous attendait. Depuis l’explosion de notre dernière réunion, Traddles n’avait cessé de partager ses soins entre la demeure de M. Micawber et celle de M. Wickfield. Quand la pauvre mistress Micawber me vit entrer, dans mes vêtements de deuil, elle fut extrêmement émue. Il y avait encore dans ce cœur-là beaucoup de bon, malgré les tracas et les souffrances prolongées qu’elle avait subis depuis tant d’années.

« Eh bien ! monsieur et mistress Micawber, dit ma tante, dès que nous fûmes assis, avez-vous songé à la proposition d’émigrer que je vous ai faite ?

— Ma chère madame, reprit M. Micawber, je ne saurais mieux exprimer la conclusion à laquelle nous sommes arrivés. Mistress Micawber, votre humble serviteur, et je puis ajouter nos enfants, qu’en empruntant le langage d’un poète illustre, et en vous disant avec lui :


Notre barque aborde au rivage,
Et de loin je vois sur les flots
Le navire et ses matelots,
Préparer tout pour le voyage.


— À la bonne heure ! dit ma tante. J’augure bien pour vous de cette décision qui fait honneur à votre bon sens.

— C’est vous, madame, qui nous faites beaucoup d’honneur. répondit-il ; puis, consultant son carnet : Quant à l’assistance pécuniaire qui doit nous mettre à même de lancer notre frêle canot sur l’océan des entreprises, j’ai pesé de nouveau ce point capital, et je vous propose l’arrangement suivant, que j’ai libellé, je n’ai pas besoin de le dire, sur papier timbré, d’après les prescriptions des divers actes du Parlement relatifs à cette sorte de garanties : j’offre le remboursement aux échéances ci-dessous indiquées, dix-huit mois, deux ans, et deux ans et demi. J’avais d’abord proposé un an, dix-huit mois, et deux ans ; mais je craindrais que le temps ne fût un peu court pour amasser quelque chose. Nous pourrions, à la première échéance, ne pas avoir été favorisés dans nos récoltes, » et M. Micawber regardait par toute la chambre comme s’il y voyait quelques centaines d’ares d’une terre bien cultivée, « ou bien il se pourrait que nous n’eussions pas encore serré nos grains. On ne trouve pas toujours des bras comme on veut, je le crains, dans cette partie de nos colonies où nous devrons désormais lutter contre la fécondité luxuriante d’un sol vierge encore.

— Arrangez cela comme il vous plaira, monsieur, dit ma tante.

— Madame, répliqua-t-il, mistress Micawber et moi, nous sentons vivement l’extrême bonté de nos amis et de nos parents. Ce que je désire, c’est d’être parfaitement en règle, et parfaitement exact. Nous allons tourner un nouveau feuillet du livre de la vie, nous allons essayer d’un ressort inconnu et prendre en main un levier puissant : je tiens, pour moi, comme pour mon fils, à ce que ces arrangements soient conclus, comme cela se doit, d’homme à homme. »

Je ne sais si M. Micawber attachait à cette dernière phrase un sens particulier. Je ne sais si jamais ceux qui l’emploient sont bien sûrs que cela veuille dire quelque chose, mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il aimait beaucoup cette locution, car il répéta, avec une toux expressive : « Comme cela se doit, d’homme à homme. »

« Je propose, dit M. Micawber, des lettres de change ; elles sont en usage dans tout le monde commerçant (c’est aux juifs, je crois, que nous devons en attribuer l’origine, et ils n’ont su que trop y conserver encore une bonne part, depuis ce jour) ; je les propose parce que ce sont des effets négociables. Mais si on préférait toute autre garantie, je serais heureux de me conformer aux vœux énoncés à ce sujet : Comme cela se doit d’homme à homme. »

Ma tante déclara que, quand on était décidé des deux côtés à consentir à tout, il lui semblait qu’il ne pouvait s’élever aucune difficulté. M. Micawber fut de son avis.

« Quant à nos préparatifs intérieurs, madame, reprit M. Micawber avec un sentiment d’orgueil, permettez-moi de vous dire comment nous cherchons à nous rendre propres au sort qui nous sera désormais dévolu. Ma fille aînée se rend tous les matins à cinq heures, dans un établissement voisin, pour y acquérir le talent, si l’on peut ainsi parler, de traire les vaches. Mes plus jeunes enfants étudient, d’aussi près que les circonstances le leur permettent, les mœurs des porcs et des volailles qu’on élève dans les quartiers moins élégants de cette cité : deux fois déjà, on les a rapportés à la maison, pour ainsi dire, écrasés par des charrettes. J’ai moi-même, la semaine passée, donné toute mon attention à l’art de la boulangerie, et mon fils Wilkins s’est consacré à conduire des bestiaux, lorsque les grossiers conducteurs payés pour cet emploi lui ont permis de leur rendre gratis quelques services en ce genre. Je regrette, pour l’honneur de notre espèce, d’être obligé d’ajouter que de telles occasions ne se présentent que rarement ; en général, on lui ordonne, avec des jurements effroyables, de s’éloigner au plus vite.

— Tout cela est à merveille, dit ma tante du ton le plus encourageant. Mistress Micawber n’est pas non plus restée oisive, j’en suis persuadée ?

— Chère madame, répondit mistress Micawber, de son air affairé, je dois avouer que je n’ai pas jusqu’ici pris une grande part à des occupations qui aient un rapport direct avec la culture ou l’élevage des bestiaux, bien que je me propose d’y donner toute mon attention lorsque nous serons là-bas. Le temps que j’ai pu dérober à mes devoirs domestiques, je l’ai consacré à une correspondance étendue avec ma famille. Car j’avoue, mon cher monsieur Copperfield, ajouta mistress Micawber, qui s’adressait souvent à moi, probablement parce que jadis elle avait l’habitude de prononcer mon nom au début de ses discours, j’avoue que, selon moi, le temps est venu d’ensevelir le passé dans un éternel oubli ; ma famille doit aujourd’hui donner la main à M. Micawber, M. Micawber doit donner la main à ma famille : il est temps que le lion repose à côté de l’agneau, et que ma famille se réconcilie avec M. Micawber. »

Je déclarai que c’était aussi mon avis.

« C’est du moins sous cet aspect, mon cher monsieur Copperfield, que j’envisage les choses. Quand je demeurais chez nous avec papa et maman, papa avait l’habitude de me demander, toutes les fois qu’on discutait une question dans notre petit cercle : «  Que pense mon Emma de cette affaire ? » Pout-être papa me montrait-il plus de déférence que je n’en méritais, mais cependant, il m’est permis naturellement d’avoir mon opinion sur la froideur glaciale qui a toujours régné dans les relations de M. Micawber avec ma famille ; je puis me tromper, mais enfin j’ai mon opinion.

— Certainement. C’est tout naturel, madame, dit ma tante.

— Précisément, continua mistress Micawber. Certainement, je puis me tromper, c’est même très-probable, mais mon impression individuelle, c’est que le gouffre qui sépare M. Micawber et ma famille, est venu de ce que ma famille a craint que M. Micawber n’eût besoin d’assistance pécuniaire. Je ne puis m’empêeher de croire qu’il y a des membres de ma famille, ajouta-t-elle avec un air da grande pénétration, qui ont craint de voir M. Micawber leur demander de s’engager personnellement pour lui, en lui prêtant leur nom. Je ne parle pas ici de donner leurs noms pour le baptême de nos enfants ; mais ce qu’ils redoutaient, c’était qu’on ne s’en servît pour des lettres de change, qui auraient ensuite couru le risque d’être négociées à la Banque. »

Le regard sagace avec lequel mistress Micawber nous annonçait cette découverte, comme si personne n’y avait jamais songé, sembla étonner ma tante qui répondit un peu brusquement :

«  Eh bien ! madame, à tout prendre, je ne serais pas étonnée que vous eussiez raison.

— M. Micawber est maintenant sur le point de se débarrasser des entraves pécuniaires qui ont si longtemps entravé sa marche ; il va prendre un nouvel essor dans un pays où il trouvera une ample carrière pour déployer ses facultés ; point extrêmement important à mes yeux ; les facultés de M. Micawber ont besoin d’espace. Il me semble donc que ma famille devrait profiter de cette occasion pour se mettre en avant. Je voudrais que M. Micawber et ma famille se réunissent dans une fête donnée… aux frais de ma famille ; un membre important de ma famille y porterait un toast à la santé et à la prospérité de M. Micawber, et M. Micawber y trouverait l’occasion de leur développer ses vues.

— Ma chère, dit M. Micawber, avec quelque vivacité, je crois devoir déclarer tpit de suite que, si j’avais à développer mes vues devant une telle assemblée, elle en serait probablement choquée : mon avis étant qu’en masse votre famille se compose de faquins impertinents, et, en détail, de coquins fieffés.

— Micawber, dit mistress Micawber, eu secouant la tête, non ! Vous ne les avez jamais compris, et ils ne vous ont jamais compris, voilà tout. »

M. Micawber toussa légèrement.

« Ils ne vous ont jamais compris, Micawber, dit sa femme. Peut-être en sont-ils incapables. Si cela est, il faut les plaindre, et j’ai compassion de leur infortune.

— Je suis extrêmement fâché, ma chère Emma, dit M. Micawber, d’un ton radouci, de m’être laissé aller à des expressions qu’on peut trouver un peu vives. Tout ce que je veux dire, c’est que je peux quitter cette contrée sans que votre famille se mette en avant pour me favoriser… d’un adieu, en me poussant de l’épaule pour précipiter mon départ ; enfin, j’aime autant m’éloigner d’Angleterre, de mon propre mouvement, que de m’y faire encourager par ces gens-là. Cependant, ma chère, s’ils daignaient répondre à votre communication, ce qui d’après notre expérience à tous deux, me semble on ne peut plus improbable, je serais bien loin d’être un obstacle à vos désirs. »

La chose étant ainsi décidée à l’amiable, M. Micawber offrit le bras à mistress Micawber, et jetant un coup d’œil sur le tas de livres et de papiers placés sur la table, devant Traddles, il déclara qu’ils allaient se retirer pour nous laisser libres ; ce qu’ils firent de l’air le plus cérémonieux.

« Mon cher Copperfield, dit Traddles en s’enfonçant dans son fauteuil, lorsqu’ils furent partis, et en me regardant avec un attendrissement qui rendait ses yeux plus rouges encore qu’à l’ordinaire, et donnait à ses cheveux les attitudes les plus bizarres, je ne vous demande pas pardon de venir vous parler d’affaires : je sais tout l’intérêt que vous prenez à celles-ci, et cela pourra d’ailleurs apporter quelque diversion à votre douleur. Mon cher ami, j’espère que vous n’êtes pas trop fatigué !

— Je suis tout prêt, lui dis-je après un moment de silence. C’est à ma tante qu’il faut penser d’abord. Vous savez tout le mal qu’elle s’est donné ?

— Sûrement, sûrement, répondit Traddles : qui pourrait l’oublier ?

— Mais ce n’est pas tout, repris-je. Depuis quinze jours, elle a eu de nouveaux chagrins ; elle n’a fait que courir dans Londres tous les jours. Plusieurs fois elle est sortie le matin de bonne heure, pour ne revenir que le soir. Hier encore, Traddles, avec ce voyage en perspective, il était près de minuit quand elle est rentrée. Vous savez combien elle pense aux autres. Elle ne veut pas me dire le sujet de ses peines. »

Ma tante, le front pâle et sillonné de rides profondes, resta immobile à m’écouter. Quelques larmes coulèrent lentement sur ses joues, elle mit sa main dans la mienne.

« Ce n’est rien, Trot, ce n’est rien. C’est fini. Vous le saurez un jour. Maintenant, Agnès, ma chère, occupons-nous de nos affaires.

— Je dois rendre à M. Micawber la justice de dire, reprit Traddles, que bien qu’il n’ait pas su travailler utilement pour son propre compte, il est infatigable quand il s’agit des affaires d’autrui. Je n’ai jamais rien vu de pareil. S’il a toujours eu cette activité dévorante, il doit avoir à mon compte au moins deux cents ans, à l’heure qu’il est. C’est quelque chose d’extraordinaire que l’état dans lequel il se met, que la passion avec laquelle il se plonge, jour et nuit, dans l’examen des papiers et des livres de compte : je ne parle pas de l’immense quantité de lettres qu’il m’a écrites quoique nous soyons porte à porte : souvent même il m’en passe à travers la table, quand il serait infiniment plus court de nous expliquer de vive voix.

— Des lettres ! s’écria ma tante. Mais je suis sûre qu’il ne rêve que par lettres !

— Et M. Dick, dit Traddles, lui aussi il a fait merveille ! Aussitôt qu’il a été délivré du soin de veiller sur Uriah Heep, ce qu’il a fait avec un zèle inouï, il s’est dévoué aux intérêts de M. Wickfield, et il nous a véritablement rendu les plus grands services, en nous aidant dans nos recherches, en faisant mille petites commissions pour nous, en nous copiant tout ce dont nous avions besoin.

— Dick est un homme très-remarquable, s’écria ma tante, je l’ai toujours dit. Trot, vous le savez !

— Je suis heureux de dire, miss Wickfield, poursuivit Traddles, avec une délicatesse et un sérieux vraiment touchants, que pendant votre absence l’état de M. Wickfield s’est grandement amélioré. Délivré du poids qui l’accablait depuis si longtemps, et des craintes terribles qui l’éprouvaient, ce n’est plus le même homme. Il retrouve même souvent la faculté de concentrer sa mémoire et son attention sur des questions d’affaires, et il nous a aidés à éclaircir plusieurs points épineux sur lesquels nous n’aurions peut-être jamais pu nous former un avis sans son aide. Mais je me hâte d’en venir aux résultats, qui ne seront pas longs à vous faire connaître ; je n’en finirais jamais si je me mettais à vous conter en détail tout ce qui me donne bon espoir pour l’avenir. »

Il était aisé de voir que cet excellent Traddles disait cela pour nous faire prendre courage, et pour permettre à Agnès d’entendre prononcer le nom de son père sans inquiétude ; mais nous n’en fûmes pas moins charmés tous.

« Voyons ! dit Traddles, en classant les papiers qui étaient sur la table. Nous avons examiné l’état de nos fonds, et, après avoir mis en ordre des comptes dont les uns étaient fort embrouillés sans mauvaise intention, et dont les autres étaient embrouillés et falsifiés à dessein, il nous paraît évident que M. Wickfleld pourrait aujourd’hui se retirer des affaires, sans rester le moins du monde en déficit.

— Que Dieu soit béni ! dit Agnès, avec une fervente reconnaissance.

— Mais, dit Traddles, il lui resterait si peu de chose pour vivre (car même à supposer qu’il vendît la maison, il ne posséderait plus que quelques centaines de livres sterling), que je crois devoir vous engager à réfléchir, miss Wickfield, s’il ne ferait pas mieux de continuer à gérer les propriétés dont il a été si longtemps chargé. Ses amis pourraient, vous sentez, l’aider de leurs conseils, maintenant qu’il serait affranchi de tout embarras. Vous-même, miss Wickfield, Copperfield et moi.

— J’y ai pensé, Trotwood, dit Agnès en me regardant, et je crois que cela ne peut pas, que cela ne doit pas être ; même sur les instances d’un ami auquel nous devons tant, et auquel nous sommes si reconnaissants.

— J’aurais tort de faire des instances, reprit Traddles. J’ai cru seulement devoir vous en donner l’idée. N’en parlons plus.

— Je suis heureuse de vous entendre, répondit Agnès avec fermeté, car cela me donne l’espoir, et presque la certitude que nous pensons de même, cher monsieur Traddles, et vous aussi, cher Trotwood. Une fois mon père délivré d’un tel fardeau, que pourrais-je souhaiter ? Rien autre chose que de le voir soulagé d’un travail si pénible, et de pouvoir lui consacrer ma vie, pour lui rendre un peu de l’amour et des soins dont il m’a comblée. Depuis des années, c’est ce que je désire le plus au monde. Rien ne pourrait me rendre plus heureuse que la pensée d’être chargée de notre avenir, si ce n’est le sentiment que mon père ne sera plus accablé par une trop pesante responsabilité.

— Avez-vous songé à ce que vous pourriez faire, Agnès ?

— Souvent, cher Trotwood. Je ne suis pas inquiète. Je suis certaine de réussir. Tout le monde me connaît ici, et l’on me veut du bien, j’en suis sûre. Ne craignez pas pour moi. Nos besoins ne sont pas grands. Si je peux mettre en location notre chère vieille maison, et tenir une école, je serai heureuse de me sentir utile. »

En entendant cette voix ardente, émue, mais paisible, j’avais si présent le souvenir de la vieille et chère maison, autrefois ma demeure solitaire, que je ne pus répondre un seul mot : j’avais le cœur trop plein. Traddles fit semblant de chercher une note parmi ses papiers.

« À présent, miss Trotwood, dit Traddles, nous avons à nous occuper de votre fortune.

— Eh bien ! monsieur, répondit ma tante en soupirant ; tout ce que je peux vous en dire, c’est que si elle n’existe plus, je saurai en prendre mon parti ; et que si elle existe encore, je serai bien aise de la retrouver.

— C’était je crois, originairement, huit mille livres sterling, dans les consolidés ? dit Traddles.

— Précisément ! répondit ma tante.

— Je ne puis en retrouver que cinq, dit Traddles d’un air perplexe.

— Est-ce cinq mille livres ou cinq livres ? dit ma tante avec le plus grand sang-froid.

— Cinq mille livres, repartit Traddles.

— C’était tout ce qu’il y avait, répondit ma tante. J’en avais vendu moi-même trois mille, dont mille pour votre installation, mon cher Trot ; j’ai gardé le reste. Quand j’ai perdu ce que je possédais, j’ai cru plus sage de ne pas vous parler de cette dernière somme, et de la tenir en réserve pour parer aux événements. Je voulais voir comment vous supporteriez cette épreuve, Trot ; vous l’avez noblement supportée, avec persévérance, avec dignité, avec résignation. Dick a fait de même. Ne me parlez pas, car je me sens les nerfs un peu ébranlés. »

Personne n’aurait pu le deviner à la voir si droite sur sa chaise, les bras croisés ; elle était au contraire merveilleusement maîtresse d’elle-même.

« Alors je suis heureux de pouvoir vous dire, s’écrie Traddles d’an air radieux, que nous avons retrouvé tout votre argent.

— Surtout que personne ne m’en félicite, je vous prie, dit ma tante. Et comment cela, monsieur ?

— Vous croyiez que M. Wiekfield avait mal à propos disposé de cette somme ? dit Traddles.

— Certainement, dit ma tante. Aussi je n’ai pas eu de peine à garder le silence. Agnès, ne me dites pas un mot !

— Et le fait est, dit Traddles, que vos fonds avaient été vendus en vertu des pouvoirs que vous lui aviez confiés ; je n’ai pas besoin de vous dire par qui, ni sur quelle signature. Ce misérable osa plus tard affirmer et même prouver, par des chiffres à M. Wickfield, qu’il avait employé la somme (d’après des instructions générales, disait-il) pour pallier d’autres déficits et d’autres embarras d’affaires. M. Wickfield n’a pris d’autre participation à cette fraude, que d’avoir la malheureuse faiblesse de vous payer plusieurs fois les intérêts d’un capital qu’il savait ne plus exister.

— Et à la fin, il s’en attribua tout le blâme, ajouta ma tante ; il m’écrivit alors une lettre insensée où il s’accusait de vol, et des crimes les plus odieux. Sur quoi je lui fis une visite un matin, je demandai une bougie, je brûlai sa lettre, et je lui dis de me payer un jour, si cela lui était possible, mais en attendant, s’il ne le pouvait pas, de veiller sur ses propres affaires pour l’amour de sa fille… Si on me parle, je sors de la chambre ! »

Nous restâmes silencieux ; Agnès se cachait la tête dans ses mains.

« Eh bien, mon cher ami, dit ma tante après un moment, vous lui avez donc arraché cet argent ?

— Ma foi ! dit Traddles, M. Micawber l’avait si bien traqué et s’était muni de tant de preuves irrésistibles que l’autre n’a pas pu nous échapper. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que je crois en vérité que c’est encore plus par haine pour Copperfield que pour satisfaire son extrême avarice, qu’il avait dérobé cet argent. Il me l’a dit tout franchement. Il n’avait qu’un regret, c’était de n’avoir pas dissipé cette somme, pour vexer Copperfield et pour lui faire tort.

— Voyez-vous ! dit ma tante en fronçant les sourcils d’un air pensif, et en jetant un regard sur Agnès. Et qu’est-il devenu ?

— Je n’en sais rien. Il est parti, dit Traddles, avec sa mère, qui ne faisait que crier, supplier, confesser tout. Ils sont partis pour Londres, par la diligence du soir, et je ne sais rien de plus sur son compte, si ce n’est qu’il a montré pour moi en partant la malveillance la plus audacieuse. Il ne m’en voulait pas moins qu’à M. Micawber ; j’ai pris cette déclaration pour un compliment, et je me suis fait un plaisir de le lui dire.

— Croyez-vous qu’il ait quelque argent, Traddles ? lui demandai-je.

— Oh oui, j’en suis bien convaincu, répondit-il en secouant la tête d’un air sérieux. Je suis sûr que, d’une façon ou d’une autre, il doit avoir empoché un joli petit magot. Mais je crois, Copperfield, que si vous aviez l’occasion de l’observer plus tard dans le cours de sa destinée, vous verriez que l’argent ne l’empêchera pas de mal tourner. C’est un hypocrite fini ; quoi qu’il fasse, soyez sûr qu’il ne marchera jamais que par des voies tortueuses. C’est le seul plaisir qui le dédommage de la contrainte extérieure qu’il s’impose. Comme il rampe sans cesse à plat ventre pour arriver à quelque petit but particulier, il se fera toujours un monstre de chaque obstacle qu’il rencontrera sur son chemin ; par conséquent il poursuivra de sa haine et de ses soupçons chacun de ceux qui le gêneront dans ses vues, fut-ce le plus innocemment du monde. Alors ses voies deviendront de plus en plus tortueuses, au moindre ombrage qu’il pourra prendre. Il n’y a qu’à voir sa conduite ici pour s’en convaincre.

— C’est un monstre de bassesse comme on n’en voit pas, dit ma tante.

— Je n’en sais trop rien, répliqua Traddles d’un air pensif. Il n’est pas difficile de devenir un monstre de bassesse, quand on veut s’en donner la peine.

— Et M. Micawber ? dit ma tante.

— Ah ! réellement, dit Traddles d’un air réjoui, je ne peux pas m’empêcher de donner encore les plus grands éloges à M. Micawber. Sans sa patience et sa longue persévérance, nous n’aurions fait rien qui vaille. Et il ne faut pas oublier que M. Micawber a bien agi, par pur dévouement quand on songe à tout ce qu’il aurait pu obtenir d’Uriah Heep, en se faisant payer son silence !

— Vous avez bien raison, lui dis-je.

— Et maintenant que faut-il lui donner ? demanda ma tante.

— Oh ! avant d’en venir là dit Traddles d’un air un peu déconcerté, j’ai cru devoir, par discrétion, omettre deux points dans l’arrangement fort peu légal (car il ne faut pas se dissimuler qu’il est fort peu légal d’un bout à l’autre) de cette difficile question. Les billets souscrits par M. Micawber au profit d’Uriah, pour les avances qu’il lui faisait…

— Eh bien ! il faut les lui rembourser, dit ma tante.

— Oui, mais je ne sais pas quand on voudra s’en servir contre lui, ni où ils sont, reprit Traddles en écarquillant les yeux ; et je crains fort que d’ici à son départ, M. Micawber ne soit constamment arrêté ou saisi pour dettes.

— Alors il faudra le mettre constamment en liberté, et faire lever chaque saisie, dit ma tante. À quoi cela monte-t-il en tout ?

— Mais, M. Micawber a porté avec beaucoup d’exactitude ces transactions (il appelle ça des transactions) sur son grand-livre, reprit Traddles en souriant, et cela monte à cent trois livres sterling et cinq shillings.

— Voyons, que lui donnerons-nous, cette somme-là comprise ? dit ma tante. Agnès, ma chère, nous reparlerons plus tard ensemble de votre part proportionnelle dans ce petit sacrifice. Eh bien ! combien dirons-nous ? Cinq cents livres ? »

Nous prîmes la parole en même temps, sur cette offre, Traddles et moi. Nous insistâmes tous deux pour qu’on ne remît à M. Micawber qu’une petite somme à la fois, et que, sans le lui promettre d’avance, on soldât à mesure ce qu’il devait à Uriah Heep. Nous fûmes d’avis qu’on payât le passage et les frais d’installation de la famille, qu’on leur donnât en outre cent livres sterling, et qu’on eût l’air de prendre au sérieux l’arrangement proposé par M. Micawber pour payer ces avances : il lui serait salutaire de se sentir sous le coup de cette responsabilité. À cela j’ajoutai que je donnerais sur son caractère quelques détails à M. Peggotty, sur qui je savais qu’on pouvait compter. On pourrait aussi confier à M. Peggotty le soin de lui avancer plus tard cent livres sterling en sus de ce qu’il aurait déjà reçu au départ. Je me proposais encore d’intéresser M. Micawber à M. Peggotty, en lui confiant, de l’histoire de ce dernier, ce qu’il me semblerait utile on convenable de ne lui point cacher, afin de les amener à s’entr’aider mutuellement, dans leur intérêt commun. Nous entrâmes tous chaudement dans ces plans ; et je puis dire par avance qu’en effet la plus parfaite bonne volonté et la meilleure harmonie ne tardèrent pas à régner entre les deux parties intéressées.

Voyant que Traddles regardait ma tante d’un air soucieux, je lui rappelai qu’il avait fait allusion à deux questions dont il devait nous parler.

« Votre tante m’excusera et vous aussi, Copperfield, si j’aborde un sujet aussi pénible, dit Traddles en hésitant, mais je crois nécessaire de le rappeler à votre souvenir. Le jour où M. Micawber nous a fait cette mémorable dénonciation, Uriah Heep a proféré des menaces contre le mari de votre tante. »

Ma tante inclina la tête, sans changer de position, avec le même calme apparent.

« Peut-être, continua Traddles, n’était-ce qu’une impertinence en l’air.

— Non, répondit ma tante.

— Il y avait donc… je vous demande bien pardon… une personne portant ce titre… ? dit Traddles, et elle était sous sa coupe ?

— Oui, mon ami, » dit ma tante.

Traddles expliqua, et d’une mine allongée, qu’il n’avait pas pu aborder ce sujet, et que dans l’arrangement qu’il avait fait, il n’en était pas question, non plus que des lettres de créance contre M. Micawber ; que nous n’avions plus aucun pouvoir sur Uriah Heep, et que s’il était à même de nous faire du tort, ou de nous jouer un mauvais tour, aux uns ou aux autres, il n’y manquerait certainement pas.

Ma tante gardait le silence : quelques larmes coulaient sur ses joues.

« Vous avez raison, dit-elle. Vous avez bien fait d’en parler.

— Pouvons-nous faire quelque chose, Copperfield ou moi ? demanda doucement Traddles.

— Rien, dit ma tante. Je vous remercie mille fois. Trot, mon cher, ce n’est qu’une vaine menace. Faites rentrer M. et mistress Micawber. Et surtout ne me dites rien ni les uns ni les autres ! » En même temps, elle arrangea les plis de sa robe, et se rassit, toujours droite comme à l’ordinaire, les yeux fixés sur la porte.

« Eh bien, M. et mistress Micawber, dit ma tante en les voyant entrer, nous avons discuté la question de votre émigration, je vous demande bien pardon de vous avoir laissés si longtemps seuls ; voici ce que nous vous proposons. »

Puis elle expliqua ce qui avait été convenu, à l’extrême satisfaction de la famille, petits et grands, là présents. M. Micawber en particulier fut tellement enchanté de trouver une si belle occasion de pratiquer ses habitudes de transactions commerciales, en souscrivant des billets, qu’on ne put l’empêcher de courir immédiatement chez le marchand de papier timbré. Mais sa joie reçut tout à coup un rude choc ; cinq minutes après, il revint escorté d’un agent du shérif, nous informer en sanglotant que tout était perdu. Comme nous étions préparés à cet événement, et que nous avions prévu la vengeance d’Uriah Heep, nous payâmes aussitôt la somme, et, cinq minutes après, M. Micawber avait repris sa place devant la table, et remplissait les blancs de ses feuilles de papier timbré avec une expression de ravissement, que nulle autre occupation ne pouvait lui donner, si ce n’est celle de faire du punch. Rien que de le voir retoucher ses billets avec un ravissement artistique, et les placer à distance pour mieux en voir l’effet, les regarder du coin de l’œil, et inscrire sur son carnet les dates et les totaux, enfin contempler son œuvre terminée, avec la profonde conviction que c’était de l’or en barre, il ne pouvait y avoir de spectacle plus amusant.

« Et maintenant, monsieur, si vous me permettez de vous le dire, ce que vous avec de mieux à faire, dit ma tante après l’avoir observé un moment en silence, c’est de renoncer pour toujours à cette occupation.

— Madame, répondit M. Micawber, j’ai l’intention d’inscrire ce vœu sur la page vierge de notre nouvel avenir. Mistress Micawber peut vous le dire. J’ai la confiance, ajouta-t-il d’un ton solennel, que mon fils Wilkins n’oubliera jamais qu’il vaudrait mieux pour lui plonger son poing dans les flammes que de manier les serpents qui ont répandu leur venin dans les veines glacées de son malheureux père ! » Profondément ému, et transformé en une image du désespoir, M. Micawber contemplait ces serpents invisibles avec un regard rempli d’une sombre haine (quoi qu’à vrai dire, on y retrouvât encore quelques traces de son ancien goût pour ces serpents figurés), puis il plia les feuilles et les mit dans sa poche.

La soirée avait été bien remplie. Nous étions épuisés de chagrin et de fatigue ; sans compter que ma tante et moi nous devions retourner à Londres le lendemain. Il fut convenu que les Micawber nous y suivraient, après avoir vendu leur mobilier; que les affaires de M. Wickfield seraient réglées le plus promptement possible, sous la direction de Traddles, et qu’Agnès viendrait ensuite à Londres. Nous passâmes la nuit dans la vieille maison qui, délivrée maintenant de la présence des Heep, semblait purgée d’une pestilence, et je couchai dans mon ancienne chambre, comme un pauvre naufragé qui est revenu au gîte.

Le lendemain nous retournâmes chez ma tante, pour ne pas aller chez moi, et nous étions assis tous deux à côté l’un de l’autre, comme par le passé, avant d’aller nous coucher, quand elle me dit :

« Trot, avez-vous vraiment envie de savoir ce qui me préoccupait dernièrement ?

— Oui, certainement, ma tante, aujourd’hui, moins que jamais, je ne voudrais vous voir un chagrin ou une inquiétude dont je n’eusse ma part.

— Vous avez déjà eu assez de chagrins vous-même, mon enfant, dit ma tante avec affection, sans que j’y ajoute encore mes petites misères. Je n’ai pas eu d’autre motif, mon cher Trot, de vous cacher quelque chose.

— Je le sais bien. Mais dites-le-moi maintenant.

— Voulez-vous sortir en voiture avec moi demain matin ? me demanda ma tante.

— Certainement.

— À neuf heures, reprit-elle, je vous dirai tout, mon ami. »

Le lendemain matin, nous montâmes en voiture pour nous rendre à Londres. Nous fîmes un long trajet à travers les rues, avant d’arriver devant un des grands hôpitaux de la capitale. Près du bâtiment, je vis un corbillard très-simple. Le cocher reconnut ma tante, elle lui fit signe de la main de se mettre en marche, il obéit, nous le suivîmes.

« Vous comprenez maintenant, Trot, dit ma tante. Il est mort.

— Est-il mort à l’hôpital ?

—Oui. »

Elle était assise, immobile, à côté de moi, mais je voyais de nouveau de grosses larmes couler sur ses joues.

« Il y était déjà venu une fois, reprit ma tante. Il était malade depuis longtemps, c’était une santé détruite. Quand il a su son état, pendant sa dernière maladie, il m’a fait demander. Il était repentant ; très-repentant.

— Et je suis sûr que vous y êtes allée ! ma tante.

— Oui. Et j’ai passé depuis bien des heures près de lui.

— Il est mort la veille de notre voyage à Canterbury ? »

Ma tante me fit signe que oui. « Personne ne peut plus lui faire de tort à présent, dit-elle. Vous voyez que c’était une vaine menace. »

Nous arrivâmes au cimetière d’Hornsey. « J’aime mieux qu’il repose ici que dans la ville, dit ma tante. Il était né ici. »

Nous descendîmes de voiture, et nous suivîmes à pied le cercueil jusqu’au coin de terre dont j’ai gardé le souvenir, et où on lut le service des morts. Tu es poussière et…

« II y a trente-six ans, mon ami, que je l’avais épousé, me dit ma tante, lorsque nous remontâmes en voiture. Que Dieu nous pardonne à tous ! »

Nous nous rassîmes en silence, et elle resta longtemps sans parler, tenant toujours ma main serrée dans les siennes. Enfin elle fondit tout à coup en larmes, et me dit :

« C’était un très-bel homme quand je l’épousai, Trot. Mais grand Dieu, comme il avait changé ! »

Cela ne dura pas longtemps. Ses pleurs la soulagèrent, elle se calma bientôt, et reprit sa sérénité. « C’est que j’ai les nerfs un peu ébranlés, me disait-elle, sans cela je ne me serais pas ainsi laissée aller à mon émotion. Que Dieu nous pardonne à tous ! »

Nous retournâmes chez elle à Highgate, et là nous trouvâmes un petit billet qui était arrivé par le courrier du matin, de la part de M. Micawber.

Canterbury, vendredi.

« Chère madame, et vous aussi, mon cher Copperfield, le beau pays de promesse qui commençait à poindre à l’horizon est de nouveau enveloppé d’un brouillard impénétrable, et disparaît pour toujours des yeux d’un malheureux naufragé, dont l’arrêt est porté !

« Un autre mandat d’arrêt vient en effet d’être lancé par Heep contre Micawber (dans la haute cour du Banc du roi à Westminster), et le défendeur est la proie du shérif revêtu de l’autorité légale dans ce bailliage.


Voici le jour, voici l’heure cruelle.
Le front de bataille chancelle ;
D’un air superbe Édouard, victorieux,
M’apporte l’esclavage et des fers odieux.


« Une fois retombé dans les fers, mon existence sera de courte durée (les angoisses de l’âme ne sauraient se supporter quand une fois elles ont atteint un certain point ; je sens que i ai dépassé ces limites). Que Dieu vous bénisse ! Qu’il vous bénisse ! Un jour peut-être, quelque voyageur, visitant par des motifs de curiosité, et aussi, je l’espère, de sympathie, le lieu où l’on renferme les débiteurs dans cette ville, réfléchira longtemps, en lisant gravées sur le mur, avec l’aide d’un clou rouillé,

« Ces obscures initiales :
« W. M.


« P. S. Je rouvre cette lettre pour vous dire que notre commun ami, M. Thomas Traddles qui ne nous a pas encore quittés, et qui paraît jouir de la meilleure santé, vient de payer mes dettes et d’acquitter tous les frais, au nom de cette noble et honorable miss Trotwood ; ma famille et moi nous sommes au comble du bonheur. »