David Livingstone
DAVID LIVINGSTONE
Où sont-elles, ces brillantes années du dix-huitième siècle, si glorieuses au point de vue de l’exploration terrestre, où nos grands capitaines, jaloux de voir le pavillon britannique flotter sur tous les océans du monde, savaient aussi porter dans les régions nouvelles, le drapeau national ? Où sont les Bougainville et les Laperouse , qui rivalisaient d’audace avec les Auson, les Wallis et les Cook ? Qui opposerons-nous aujourd’hui aux navigateurs de la Norwége, des États-Unis, et même de l’Allemagne, que l’on voit s’élancer à l’assaut des glaciers polaires ? Qui placerons-nous surtout à côté des grands exploratours anglais du vaste continent africain ?
Ne sont-ce pas là des questions qui doivent naturellement se présenter à notre esprit, au moment où vient de mourir un des plus illustres voyageurs modernes ? Nous n’avons pas la prétention de les résoudre, mais nous croyons qu’il n’est pas inutile de mettre en relief, en les signalant, notre trop réelle infériorité géographique, Puisse l’exemple de la carrière du grand explorateur africain contribuer à réréveiller veiller en France le goût superbe de l’aventure scientifique !
David Livingstone est le type le plus caractéristique du caractère britannique, amoureux du péril, ayant la soif de l’obstacle à vaincre, la ténacité à toute épreuve, la volonté inébranlable, la persévérance que rien ne relâche, la fierté nationale, l’amour de la patrie, élevé à la hauteur d’une religion. Cette grande foi n’est pas étrangère aux miracles de l’exploration britannique ; relisez les récits de Spceke et de Livingstone, vous ne trouvez pas de pages où, dans les moments difficiles, ces âmes bien trempées ne se ravivent en quelque sorte au foyer de la patrie. Au-dessus de tout il y a, chez ces natures mâles et fortes, le bel orgueil du drapeau, qui, placé dans de telles mains, ne recule jamais, et avance toujours ! Sentiments rares et élevés, qui peuvent faire sourire les sceptiques, mais d’où naissent cependant les grandes choses !
Livingstone est né vers 1816, à East-Kilbride, dans le comté de Lancastre. Son père tenait une petite école dans le voisinage d’ÎIamilton ; jamais homme ne fut plus estimé, et plus estimable, jamais père de famille ne se montra plus capable d’élever un enfant et d’en faire un homme. De mœurs rigides, ticsreligieux, Neill Livingstone réussit à transmettre à son fils le respect des traditions de la famille, dont la devise était : « Sois honnête ! » La famille des Livingstone, quoique pauvre, était, en effet une des meilleures et des plus anciennes desllighlanrîs.
Quelques-uns de ses ancêtres avaient été fervents catholiques, et l’un de ses aïeux mourut à Culloden en défendant la cause des Stuart. C’est au milieu du dix-huitième siècle que la famille Livingstone devint protestante.
Le jeune David Livingstone fut de lionne heure accoutumé au travail ; il avait à peine dix ans qu’il fut placé comme ouvrier dans une grande manufacture de coton de3 environs de Giascow. Ses rares luisirs, il les employait à l’étude, et plus tard nous le voyons suivre à Giascow les cours de langues anciennes, de médecine et de théologie. Il se sentait la vocation du voyage : son seul but était de devenir missionnaire dans les pays étrangers.
A l’âge de seize ans, notre studieux ouvrier est déjà devenu un étudiant distingué ; son goût pour la littérature classique le lait remarquer par ses maîtres, qu’il remplit d’étonnement en leur prouvant qu’en dehors du temps des cours, il a pu apprendre par cœur les œuvres entières de Virgile et d’Horace. David Livingstone ne tarde pas à recevoir du collège de médecins de Giascow le grade de licencié ; travailleur infatigable, il s’adonne avec passion à la lecture des ouvrages de théologie et de sciences naturelles. Il se fait bientôt recevoir de la Société des missions de Londres, et songe d’abord à aller prêcher l’évangile en Chine. Mais la guerre qui vient d’éclater avec le Céleste Empire dirige ses regards vers d’antres régions. C’est du côté de l’Afrique méridionale qu’il va tenter la fortune, c’est vers le continent où il trouvera plus tard la gloire et la mort, qu’il se sent attiré comme vers le pôle mystérieux de sa destinée.
En 1840, il quitte le pays natal, le foyer paternel et s’embarque pour le Cap, où nous le voyons résider pendant plusieurs années, qu’il consacre à l’étude des idiomes africains. En 1843, il se retire dans la gracieuse vallée de Mabotsa, devenue le centre de l’influence religieuse qu’il exerce autour de lui. Il se prend d’amitié pour le révérend Moffat, dont il ne tarde pas à épouser la fille. Jamais un tel homme ne pouvait rencontrer une si digne compagne, pleine d’amour, de dévouement, comme d’intrépidité et de courage. Dès cette époque, le missionnaire vit avec sa femme au milieu des Béclwanas ; il étudie leurs mœurs, s’y accommode bientôt, et prend part à plusieurs expéditions guerrières que ces populations belliqueuses entreprennent contre des nations voisines.
C’est seulement en 1849 que Livingstone résolut de s’avancer vers le nord de l’Afrique ; dans son premier voyage, exécuté en compagnie de deux hommes intrépides, MM. Murray et Osvrell, il suivit le Zouga et atteignit le lac Ngami, après avoir parcouru un espace de 300 milles. En 1851, Livingstone s’enfonce dans les régions inexplorées du Mekalolo, il traverse Sebitoane, le capitale de ce vaste pays, il pénètre peu à peu dans les terres, et ne tarde pas à s’extasier en présence des beautés que lui offrent les nouvelles contrées qu’il foule aux pieds ! Des campagnes luxuriantes, arrosées de fleuves et de cours d’eau, un sol coupé défilons métalliques, des vallées riches et fécondes, de lacs innombrables, une population paisible, industrieuse, apparaissent aux yeux stupéfaits de l’explorateur, premier Européen qui ait contemplé ces merveilles nouvelles. Désormais Livingstone va marcher de découvertes en découvertes. En 1852, après des dangers effroyables, des fatigues inouïes, des efforts sans cesse renouvelés, l’explorateur atteint la côte occidentale de l’Afrique, et arrive à Saint-Paul-de-Loanda, station portugaise. Arrivé là, malgré son courage et son ardeur, il est contraint de s’arrêter ; épuisé par les fatigues, il tombe gravement malade et pendant des mois entiers il lutte sans cesse contre une mort imminente.
La vie triomphe cependant, et peu à peu la santé renaît. Après de semblables tentatives, de si cruelles épreuves, Livingstone, sans songer un instant au repos, reprend de suite les grands projets ; il a l’ambition de traverser le continent dans toute sa largeur au sud ; il se met en marche, il part, il affronte tous les dangers, et finit enfin par réussir en arrivant en mai 1856, jusqu’à Quilimane, située sur la côte orientale !
Après cette magnifique pérégrination, Livingstone revient à Londres, chargé de découvertes et de documents nouveaux ; il est acclamé partout, et il reçoit deux médailles d’or des Sociétés de géographie de Londres et de Paris. Cette première période de sa vie d’explorateur est bientôt résumée dans un magnifique ouvrage qui obtint un succès universel, et qui fut traduit dans la plupart des langues européennes [1].
Livingstone, après avois mis la dernière main à ce véritable monument géographique, reprend le cours de ses voyages, et pendant plusieurs années successives il entreprend de nouvelles et magnifiques explorations dont celle du Zambèse restera comme une des plus remarquables ; des surprises inattendues attendent encore le voyageur, au milieu des nombreux affluents du grand fleuve, qui baigne une des plus riclies et des plus curieuses contrées du globe[2]. Cette terre, si fertile, fut funeste au docteur Livingstone ; c’est là que, le 27 août 1862, il vit mourir entre ses bras ; sa femme infortunée, sa compagne si audacieuse et si forte, qui avait voulu partager la vie si terrible mais en même temps si belle de son mari.
Après un nouveau retour en Angleterre, Livingstone en 1864 fait de grands préparatifs pour une nouvelle expédition, où il a l’ambition de résoudre encore quelques-uns des grands problèmes géographiques du continent africain. Il quitte cette fois le sol natal pour n’y plus revenir !
On se rappelle trop bien les émotions que suscita, dans l’Europe entière, la fausse nouvelle de la mort de Livingstone en 1867, on a trop parlé, dans ces derniers temps, des récits authentiques que M. Stanley a publiés sur l’illustre explorateur, pour que nous insistions sur ces derniers épisodes d’une existence si étonnante et si glorieusement remplie.
La mort du grand explorateur est une perte immense pour la science. On ne rencontre pas en effet tous les jours de ces hommes d’élite qui, doués de toutes les vertus, ont en même temps tous les courages, qui possèdent une étonnante érudition, une science profonde, indispensable pour visiter avec fruit des pays nouveaux, et qui, ayant reçu en partaga ces dons si rares, sont en outre animés de ce dévouement sublime qui les pousse vers les privations, les fatigues, les luttes, les périls et la mort, dans le seul but d’être utiles à la science et à l’humanité !