David Livingstone, missionnaire, voyageur et philanthrope, 1813-1873, par Rodolphe Reuss (Himly)

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David Livingstone, missionnaire, voyageur et philanthrope, 1813-1873, par Rodolphe Reuss (Himly)
Revue pédagogiquenouvelle série, tome VI (p. 550-552).

David Livingstone, missionnaire, voyageur et philanthrope, 1813-1873, par Rodolphe Reuss, Paris, Fischbacher, 1885, VIII-118 p., in-8o. — Parmi les voyageurs illustres du XIXe siècle, il n’en est aucun dont le nom brille d’un éclat à la fois aussi intense et aussi pur que celui de Livingstone. C’est que chez lui la grandeur matérielle de l’œuvre accomplie est singulièrement rehaussée par la grandeur morale de l’ouvrier ; qu’il ne fut pas seulement, comme ses rivaux de gloire, un explorateur de premier ordre qui par l’importance hors ligne de ses découvertes a puissamment contribué aux progrès de la géographie ; qu’il a consacré sa vie entière, une vie toute de dévouement et de sacrifice, au service de la plus noble des causes, l’avancement du règne de Dieu sur la terre. D’autres investigateurs intrépides et sagaces ont, avant et après lui, pénétré dans l’Afrique intérieure et dévoilé ses mystères ; nul ne lui dispute l’honneur d’avoir été par excellence l’apôtre, le précepteur, le champion des malheureuses populations du continent noir, auxquelles il a prêché l’évangile et la civilisation par l’exemple plus encore que par la parole, et en faveur desquelles il a soutenu, avec une ardeur que rien n’a pu lasser, sa sainte lutte contre la plaie hideuse de la traite des nègres. Missionnaire, voyageur et philanthrope, tel est le triple titre de gloire que revendique pour Livingstone l’inscription qui se lit sur sa pierre tombale à Westminster, et la postérité ratifiera ce triple éloge décerné par la voix unanime de ses contemporains.

Retracer dans un mince volume la vie, laborieuse entre toutes, de ce fervent missionnaire, de ce voyageur audacieux, de cet héroïque philanthrope, était une tâche difficile ; M. Reuss s’en est acquitté avec un rare talent dans le livre que nous nous plaisons à signaler à toute l’attention de nos lecteurs. Lui-même il l’appelle modestement une esquisse, et il aurait raison si on jugeait les ouvrages d’après le nombre de leurs pages ; en réalité, c’est un travail achevé, d’une vérité frappante et d’un intérêt saisissant. Les divers aspects de l’activité, si multiple et pourtant si une, de Livingstone s’y trouvent mis en pleine lumière ; mais surtout la physionomie éminemment sympathique du grand homme de bien s’y détache avec un relief remarquable sur le fond mouvant de son aventureuse carrière, humblement commencée dans une chaumière écossaise, pour finir, avec une auréole qui est presque celle du martyre, sur les rives d’un lac perdu dans les profondeurs de l’Afrique.

Ce sont naturellement les trois séjours de Livingstone en Afrique qui tiennent la plus grande place dans le livre de M. Reuss. Il en a résume les péripéties les plus importantes et les grands résultats géographiques d’après les relations officielles publiées par le voyageur lui-même ou par ses amis ; mais il a de plus tiré un excellent parti des extraits de sa correspondance et de son journal intime, mis au jour par M. William Garden Blaikie. Grâce à cette heureuse combinaison, la narration gagne grandement en animation et en intérêt, la charmante naïveté des impressions personnelles du docteur tempérant ce qu’ont d’aride ses itinéraires compliqués. Au point de vue géographique on pourrait à la rigueur, dans le récit de ces pérégrinations, relever quelques inexactitudes de détail, regretter quelques omissions ; en général cependant, ce récit est exact et aussi complet que le permettait l’étroitesse du cadre choisi. Les révélations successives de Livingstone sur le plateau de l’Afrique australe sont nettement exposées ; on suit le voyageur, sinon pas à pas, du moins dans les zigzags principaux de ses courses entrecroisées, soit que, du lac Ngami et du haut Zambèze, ses premières découvertes, il gagne tour à tour l’océan Atlantique à Loanda et l’océan Indien à Quilimané ; soit qu’il s’épuise en efforts infructueux pour faire du Zambèze la grande voie d’accès de l’intérieur, et explore entre temps le lac Nyassa au nord de son cours inférieur ; soit qu’enfin, dans cette troisième expédition dont il ne devait pas revenir, il croise en tous sens, pendant sept longues années, les pays inconnus à l’ouest du Nyassa et du Tanganijka, et y découvre une multitude de lacs et de fleuves lacustres, qu’il s’obstine à rattacher au Nil, alors qu’ils appartiennent au haut bassin du Congo. Mais, tout en faisant ainsi la part suffisamment large à l’historique des voyages et à l’analyse des découvertes de son héros, M. Reuss ne perd jamais de vue le vrai but qu’il s’était proposé, celui de faire comprendre, apprécier et aimer la noble personnalité et le grand caractère, l’âme candide et la foi sublime de ce fidèle serviteur de Dieu. Profondément ému lui-même, il fait passer son émotion dans l’âme du lecteur et le laisse plein d’admiration en face d’une vertu qui ne s’est pas démentie un seul jour, à travers les labeurs et les fatigues indicibles, les misères et les dangers sans nombre d’un apostolat de trente ans.

Rien ne serait plus facile que d’appuyer de nombreuses citations ce que nous venons de dire, et de Livingstone lui-même et de son biographe. Nous nous contenterons de transcrire quelques lignes qu’à un des moments les plus critiques de sa vie, un an avant sa réunion providentielle avec Stanley, le missionnaire écrivait sur les feuillets de son carnet de chèques, seul papier dont il disposât dans la misérable hutte du Manyéma où la maladie le tint confiné pendant trois mois. « Je n’ai rien reçu depuis plusieurs années, sauf quelques lettres, vieilles de trois ans, que j’ai trouvées à Oujiji. J’éprouve un désir douloureux d’en finir et j’espère que le Tout-Puissant me permettra de retourner dans mon pays. Mais je me remets aux mains de Celui qui dispose des événements. Si je meurs, je veux tomber en faisant mon devoir, comme un de ses courageux serviteurs. J’ai toujours eu l’assurance que mes amis voudraient me voir faire une œuvre complète et c’est un vœu que je partage en dépit de toutes les difficultés. Mon désir serait de donner à la jeunesse de mon pays l’exemple d’une persévérance virile. »

Il n’a pas été donné à Livingstone de revoir sa patrie et sa famille ; mais ses deux autres vœux ont été amplement exaucés. Il est tombé en faisant son devoir, plus que son devoir, et il a laissé à la jeunesse non seulement de son pays, mais de tous les pays, un exemple éclatant de persévérance héroïque. Cet exemple est bon à méditer, de ce côté de la Manche non moins que chez nos voisins. Remercions donc M. Reuss de l’avoir proposé à la jeunesse française sous une forme capable de l’enflammer d’une émulation généreuse, et terminons par le souhait qu’il se trouve dans ses rangs beaucoup d’imitateurs de Livingstone, capables, sinon de l’égaler, du moins de marcher sur ses traces.


Auguste Himly.