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De l’alimentation publique - la vigne/01

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De l’alimentation publique - la vigne
Revue des Deux Mondes2e période, tome 27 (p. 962-983).
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De
l’alimentation publique

LA VIGNE

I.

LA TREILLE ET LE RAISIN DE TABLE.



L’ère nouvelle qui semble s’ouvrir pour les relations commerciales de la France n’a été nulle part plus favorablement accueillie que dans les parties de notre territoire où fleurit la vigne. La production du vin est en effet un des principaux élémens de notre industrie agricole. Des conditions exceptionnelles de climat, d’exposition et de culture assurent aux vignobles de France une suprématie universellement reconnue. Cette prépondérance qui appartient à la Chine pour le thé, à certaines régions intertropicales pour le cacao et le café[1], nous l’avons conquise et nous la conservons pour le vin. En présence d’un régime plus libéral appliqué à la viticulture française et depuis si longtemps réclamé par elle[2], chacun comprendra combien il importe de signaler à la sollicitude des agriculteurs ainsi qu’à l’attention du public en général les moyens de tirer le meilleur parti de la situation nouvelle. Ces moyens, c’est à la science de les rendre populaires, en ne se bornant pas à décrire les meilleurs procédés de culture, mais en indiquant les principes et les données expérimentales sur lesquels ils s’appuient.


I. — LA VIGNE CHEZ LES ANCIENS. — COMPOSITION DU RAISIN.

Suivant d’anciennes traditions, que des recherches récentes ont confirmées, la vigne est originaire d’Asie ; elle croît spontanément dans la Géorgie et la Mingrélie, entre les chaînes du Caucase, du Taurus et du mont Ararat. La vigne est répandue, il est vrai, à l’état sauvage dans les haies et les bois du centre et du midi de l’Europe, mais elle ne s’y est ainsi propagée qu’à la suite des tentatives d’acclimatation qui ont doté d’une nouvelle source de richesse nos contrées viticoles[3]. Si l’on voulait ici ne négliger aucune des faces du sujet, il faudrait nommer comme les pères de la viticulture Osiris en Égypte, Bacchus dans l’Inde, Saturne dans la Crète, Noé dans l’Illyrie. Bornons-nous à constater que les Grecs et les Romains connaissaient deux sortes de vins alcooliques, acerbes-astringens ou sucrés, analogues à ceux que nous buvons nous-mêmes ; mais tout porte à croire qu’ils ont commencé par faire usage surtout des boissons presque exclusivement sucrées qu’ils obtenaient du raisin, imitant peut-être de cette façon le breuvage moins savoureux qu’ils vantaient pourtant sous le nom d’hydromel. C’est même seulement ainsi que l’on peut comprendre les antiques procédés, inapplicables à notre boisson vineuse, destinés à la conservation de différens vins de l’Asie, de ces vins qui, au dire de Galien, suspendus au coin des cheminées dans de grandes bouteilles, subissaient une véritable concentration appelée fumarium ; on les réduisait ainsi en une sorte d’extrait compacte offrant la dureté du sel. C’étaient sans doute des vins de cette nature, ou plutôt des moûts sucrés épaissis comme du miel, qui, suivant Pline, devaient être délayés dans l’eau, puis éclaircis par une filtration au travers de sacs en tissus : saccatio vinorum. D’après le conseil de Martial, on filtrait de même le doux cécube : turbida sollicito trmismittere cœcuba sacco. On conservait encore de semblables vins exposés au midi, au sommet des habitations, dans des locaux particuliers appelés horreum vinorum.

Aux extraits sirupeux et sucrés des jus de raisin ont succédé de véritables vins plus ou moins alcooliques, tantôt acerbes, tantôt doux, suivant sans doute la variété du cépage et les progrès de la fermentation spontanée. On trouve dans Pline l’indication de deux vins d’Albe, l’un doux, dulce, l’autre acerbe, austerum. Deux variétés correspondantes se rencontraient dans le vin fameux de Falerne. C’étaient bien certainement des vins graduellement améliorés par une lente fermentation que les anciens considéraient comme les meilleurs : on ne devait boire le falerne, suivant Athénée et Galien, qu’au bout de dix ans, et il ne conservait pas plus de dix années au-delà de ce terme ses excellentes qualités. Les vins usuels pouvaient être bus dès la septième année, tandis que l’on attendait vingt ans avant de boire le vin d’Albe, et que l’on gardait vingt-cinq ans le vin de Sorrente. Cicéron, dans un repas chez Damasippe, fit l’éloge d’un vin de Falerne de quarante ans en disant qu’il portait bien son âge, bene œtatem fert. Un vin datant d’un siècle a été célébré par Horace sous la qualification de vin de cent feuilles. Au temps des Romains, on conservait le vin très vieux de Falerne dans de grands vases (amphorœ) en argile cuite, vitrifiée à l’intérieur, dont l’ouverture était close avec un tampon de plâtre recouvert d’un enduit résineux. Un passage de Virgile prouve que les Romains ont aussi fait usage des vins mousseux :

: ……Ille impiger hausit
: Spumantem pateram……..

Ils ne dédaignaient pas les vins légers qui ne se pouvaient garder plus d’une année, comme la plupart des vins actuels de la Toscane. Les vignobles de l’ancienne Italie offraient d’ailleurs un assez grand nombre de crus variés produisant des vins en renom : sur des collines, autour du Mondragone, au pied duquel coulait l’Iris (aujourd’hui le Garigliano), on récoltait les raisins d’où l’on savait obtenir le falerne et le massique. Les vignobles situés aux environs de Gaëte fournissaient les vins de Fondi et d’Amiela. Cependant à la suite des progrès du luxe s’introduisirent dans Rome les vins généreux et parfumés de Lesbos, de Chio, de Cos, d’Éphèse et de Clazomène. Déjà aussi l’on distinguait les deux qualités différentes que l’on peut obtenir soit par le simple écrasage des grappes et l’écoulement spontané du jus, soit par la trituration plus énergique du foulage et l’action de la presse. La première qualité représentait le jus pur du fruit, la deuxième, ou vin de pressurage, contenait en proportions notables les principes acerbes-astringens et colorés extraits par le contact plus prolongé du liquide avec les pépins, les pellicules, etc. Ces dénominations correspondaient aux mots grecs πρώτος et δευτεραϊος, antérieurement employés pour caractériser les vins qui provenaient également des jus de premier et de second jet obtenus d’un même fruit.

Si l’art de faire le vin, emprunté aux Grecs, était en progrès chez les Romains, ils avaient cependant adopté l’antique coutume d’ajouter au jus de la vendange diverses substances aromatiques, en vue sans doute d’assurer la conservation et de rehausser le goût de leurs vins, moins variés, moins suaves et plus facilement altérables que les produits mieux préparés de nos célèbres vignobles. On trouve en effet dans un curieux recueil du IVe siècle, les Géoponiques, une foule de recettes, populaires chez les Grecs, indiquant, pour cet usage, l’emploi de résines et de plantes que caractérisent des essences odorantes douées d’une forte saveur. Pline rapporte qu’en Italie l’habitude était générale de mélanger aux produits des vendanges de la résine et de la poix, afin de communiquer aux vins faibles une saveur piquante. Les connaissances relatives aux variétés de vignes étaient alors bien peu avancées, car on ne cite qu’un seul ouvrage d’ampélographie, composé par le sénateur Pétrus Crescentius. Encore cet ouvrage ne contenait-il que la description incomplète de quelques espèces de vignes.

Depuis cette époque jusqu’à nos jours, les variétés de vignes se sont tellement multipliées par la voie facile des semis, que l’embarras est devenu grand de choisir entre elles et de s’arrêter aux cépages les mieux appropriés à chacune de nos régions viticoles. La difficulté s’est accrue bien davantage et a dû paraître tout à fait inextricable lorsqu’on s’est aperçu qu’un grand nombre des cépages rangés à juste titre parmi les meilleurs représentaient parfois une même variété connue des nombreux viticulteurs sous vingt dénominations différentes. Comment une pareille confusion a-t-elle pu s’établir dans la nomenclature des vignes ? Il est facile de le comprendre, si l’on songe que chacune des variétés en renom dans une région viticole, multipliée par voie de bouture ou de provignage en d’autres localités où se rencontraient des conditions différentes de sol, de climat, etc., a pu souvent produire des fruits de composition différente et des vins plus éloignés encore du type primitif. C’est ainsi par exemple que la tribu des carmenets ou carbenets, comprenant quatre ou cinq sous-variétés, fournit, suivant des circonstances locales difficiles à déterminer exactement, les excellens vins de longue conservation, mais distincts entre eux, de Château-Laffitte, Château-Margaux, Saint-Emilion, Médoc, Graves. Les mêmes plants introduits en Toscane ont donné des vins très différens, de qualité bien inférieure. C’est ainsi encore que la tribu des pineaux constitue la base principale des vins des grands crus de la Bourgogne, de la Champagne et de la Hongrie, qui offrent pour la plupart entre eux de grandes dissemblances.

Le but principal de la culture de la vigne entreprise sur une grande échelle est de produire le fruit dont certaines variétés distinctes forment la base de la fabrication des différens vins ; c’est accessoirement que dans nos vignobles on récolte des raisins de table : ceux-ci donnent lieu à des cultures spéciales moins étendues. Lorsqu’on se propose, en cultivant dans des conditions favorables des cépages choisis, d’obtenir certaines variétés de raisins de table, il est facile d’apprécier directement les qualités qui plairont au plus grand nombre de consommateurs. Que le goût du fruit (saveur et odeur) soit agréable, que la maturité soit régulière et complète au même moment dans toutes les parties de chaque grappe, qu’à cet effet les grains se trouvent naturellement ou soient artificiellement espacés au point convenable, que la pellicule du fruit soit fine, la pulpe sucrée, juteuse et souple, et le but pourra être regardé comme atteint. Il ne saurait en être de même à l’égard des raisins destinés à la fabrication du vin : la dose de sucre spécial (glucose) que le fruit renferme peut bien donner l’indice certain de la proportion d’alcool ou de la qualité vineuse capable de garantir la force et d’assurer la conservation du vin ; mais cette notion, suffisante tout au plus s’il s’agissait de préparer par la distillation de l’alcool ou de l’esprit-de-vin à haut titre, ne saurait faire présager la qualité du vin, ni même celle de l’eau-de-vie de table, que l’on voudrait obtenir à l’aide des moyens usuels de vinification et de distillation. Ce ne serait qu’après l’extraction du jus et l’accomplissement de toutes les phases d’une fermentation convenablement excitée d’abord, modérée ensuite et longtemps prolongée, que l’on pourrait acquérir des données certaines à cet égard. Il importe de connaître la structure du fruit de la vigne, la nature des différens tissus organiques qui le composent ; il faut apprécier le rôle variable suivant les circonstances que peut remplir dans la fermentation chacune des substances que renferme le raisin parvenu au terme de sa maturité. Si la science de l’analyse immédiate n’est pas encore assez avancée pour déceler dans le jus du raisin les principes, en très minimes doses, qui par leurs transformations ultérieures développeront très lentement le bouquet spécial de chacun des vins de nos grands crus, la physiologie végétale et la chimie du moins sont en mesure de mettre en évidence les causes qui favorisent la sécrétion de ces principes immédiats, celles qui développent ou entravent la marche d’une fermentation régulière, etc.

Quiconque a examiné attentivement les différentes parties d’un grain de raisin aura pu voir qu’il est superficiellement recouvert d’une légère couche d’efflorescence blanchâtre, sorte de cire floconneuse qui le protège contre l’action directe de l’humidité atmosphérique. En s’aidant de la loupe ou mieux du microscope, on distingue par l’analyse dans la mince pellicule épidermique plusieurs substances grasses, cireuses, minérales et azotées injectant la membrane de cellulose douée d’une forte agrégation[4]. Cette structure et cette composition spéciale rentrent dans une des lois générales qui président au développement des végétaux, et qui donnent à l’épiderme recouvrant toutes leurs parties la propriété de résister à la plupart des agens météoriques. Immédiatement sous l’épiderme du grain de raisin, on trouve un tissu adhérent qui renferme la matière colorante[5] ; ce tissu contient aussi des essences odorantes, du tanin, des substances azotées, des sels à base alcaline et magnésienne. Sous le tissu spécial que nous venons de décrire se trouve enfin toute la masse interne du fruit, formée d’un tissu cellulaire, sorte de pulpe contenant le suc presque incolore[6]. Cette pulpe est traversée par des vaisseaux déliés qui se rattachent aux pépins et leur portent, de même qu’aux différentes parties du raisin, des liquides séveux[7].

Le jus se trouve donc renfermé dans les cellules à minces parois de toute la masse pulpeuse ; c’est ce jus sucré qui s’écoule dès qu’une légère pression déchire le faible tissu. Le jus se mélange alors en proportions variables avec les sucs plus particulièrement doués de l’arôme et de la couleur[8]. Quant à la rafle ou grappe (σταφυλή) dépouillée des fruits, elle se compose principalement des pédoncules ramifiés entre eux qui supportent les grains de raisin. Bien qu’elle ne contienne sensiblement ni sucre ni principes aromatiques, elle peut compléter utilement le goût et certaines qualités des vins soumis au cuvage, en leur communiquant une légère amertume due au tanin qu’elle renferme. Au reste, les proportions des principes sucrés, acidulés et aromatiques deviennent directement appréciables au goût vers l’époque de la maturité du fruit : c’est même sur ces diverses proportions que repose presque exclusivement la qualité des raisins de table ; les autres principes, beaucoup moins sapides ou moins aisément discernables à l’odorat, contribuent à développer les propriétés nutritives du raisin.

C’est plus particulièrement aux quantités de matière sucrée (glucose) contenue dans leur suc que les raisins destinés à la fabrication de l’alcool ou esprit-de-vin doivent leur valeur réelle, car la quantité d’alcool qu’ils fournissent est proportionnée à la dose du sucre qu’ils renferment. Il en est autrement des variétés plus nombreuses destinées à la fabrication du vin et des eaux-de-vie fines, variétés choisies que l’on propage par voie de grande culture dans certaines régions viticoles. Ce n’est certainement pas à l’aide de la simple dégustation que l’on pourrait fixer le choix à cet égard, car la valeur du produit de ces grandes industries rurales dépend non-seulement des principes sucrés, sapides et aromatiques contenus dans la pulpe juteuse, mais encore de ceux que renferment des tissus plus résistans sous l’enveloppe, dans les pépins et parfois jusque dans la rafle. Or l’influence exercée par ces principes en quelque sorte latens ne peut se faire pleinement sentir qu’après un laps de temps considérable qu’exige l’accomplissement graduel des fermentations, actives d’abord, puis lentement prolongées jusqu’au terme où le développement complet de l’alcool et des produits doués de saveur et d’arômes complexes forme le bouquet particulier à chaque sorte de vin et aux excellentes eaux-de-vie de Cognac préparées dans les Charentes. Ce n’est qu’au bout de plusieurs années que des résultats définitifs peuvent être acquis, et permettent d’apprécier la valeur de la variété de vigne qui les a fournis. La difficulté de cette appréciation semble bien plus grande encore lorsqu’on sait à quel point la qualité des raisins de table, de ceux aussi qui sont destinés à la fabrication du vin et des eaux-de-vie fines, peut varier suivant la nature des terrains, les climats, les saisons et les soins donnés aux vignes.


II. — CLASSIFICATION DES RAISINS DE TABLE.

Un des premiers besoins de la viticulture, c’est une direction scientifique donnée à ses efforts ; il lui importe essentiellement par exemple de voir les produits qu’elle peut obtenir soumis à une classification méthodique. Arrêter une bonne nomenclature des cépages, telle est la tâche que la science s’est appliquée depuis longtemps à remplir. Il y a là une question d’un haut intérêt pour les propriétaires et les cultivateurs de toutes les contrées où la végétation de la vigne est profitable, de celles même où la culture forcée dans les serres serait seule permise. Depuis les temps anciens, on a compris la haute utilité de ces données pratiques, et un grand nombre d’auteurs se sont efforcés de les réunir. Malheureusement des moyens suffisans ont fait défaut à tous, tandis qu’un concours fortuit et tout récent de circonstances favorables nous promet dans un avenir prochain une solution définitive.

Sans remonter aux écrits du temps des Nabathéens[9], des Arabes, des Grecs et des Romains, qui ont traité la plupart des questions relatives au choix des variétés et à la culture de la vigne, ni même à notre illustre compatriote Olivier de Serres, qui a posé les bases de tant d’utiles pratiques agricoles, nous pouvons citer les essais de l’abbé Rozier, éminent viticulteur du XVIIIe siècle, et les encouragemens offerts par M. de Champagny en vue de former une collection de vignes qui réunît les types des meilleures variétés reconnues par l’expérience dans les régions où prospère la viticulture[10]. Il était réservé à notre époque d’arriver, dans cette voie expérimentale, à des résultats vraiment pratiques. La Société centrale d’agriculture avait dès longtemps compris les avantages d’une exacte synonymie des bonnes variétés de vignes françaises et étrangères. En 1840, elle applaudissait des premières, par l’organe d’Oscar Leclerc Thouin, aux efforts heureux de M. le comte Odart, qui entretient une belle collection de vignes sur son domaine de La Dorée, auprès de Tours. En 1859, M. le duc Decazes fut nommé par cette société président d’une commission spéciale ; il vient de reprendre avec de nouveaux moyens de succès le projet qu’il avait autrefois mis à exécution en établissant dans le vaste jardin du Luxembourg une grande collection des cépages français et étrangers, qui compte, suivant MM. le duc Decazes, Hardy et Bouchardat, près de deux mille variétés distinctes. Il ne s’agit plus que de rectifier définitivement la nomenclature de ces variétés nombreuses, de la rendre complète et facile à consulter à l’aide d’une double classification par région viticole et suivant un ordre alphabétique, enfin de comparer les qualités de tous les produits réunis au Luxembourg en cultivant des plants de la collection tout entière sous les conditions différentes que déterminent les climats variés de la France, à Paris, Tours, Montpellier, en Algérie[11]. Cette comparaison, pleine d’intérêt et d’utiles enseignemens, permettra de reconnaître et de propager avec une certitude jusqu’alors inespérée les meilleurs cépages, ceux qui seront le mieux appropriés au sol, au climat et aux expositions dans chaque partie de notre territoire où la culture de la vigne peut s’étendre. Ainsi pourront être satisfaits les besoins nouveaux créés par les relations internationales plus étendues qui donnent aujourd’hui une si grande importance aux produits en raisins, vins et eaux-de-vie des grands crus de la France. Par une heureuse coïncidence[12], nous sommes en mesure de donner un premier aperçu des rectifications proposées dans les nomenclatures admises, en supprimant les synonymes inutiles, d’indiquer ainsi les choix à faire parmi les meilleurs cépages, enfin de signaler les noms des variétés de vignes propagées à tort, et dont il convient de rejeter définitivement la culture. Diverses objections se sont produites, il est vrai, contre l’utilité de ces nomenclatures de cépages : on prétend par exemple que les variétés de vignes transplantées dans des localités différentes dégénèrent ou se transforment ; mais nos plus savans viticulteurs, en reconnaissant que les fruits d’un même plant varient avec les conditions de terrain, de culture, d’exposition et de climat, font remarquer qu’il n’y a point là dégénérescence ni transformation, car le même plant, ramené aux conditions primitives, peut donner encore de semblables produits, et toujours des différences du même ordre se maintiendront entre les variétés plus ou moins hâtives ; toujours aussi, par un judicieux choix des cépages, on obtiendra dans chaque région des vins de qualité supérieure. Les préjugés contraires à cette utile méthode ne reposent que sur des observations mal faites[13].

Les raisins de table peuvent être classés en cinq tribus distinctes : les chasselas, les muscats, les spirans, les ulliade, les malvoisies.

C’est avec raison que la première place parmi ces tribus est accordée aux chasselas. Par leur douce saveur, leurs qualités salubres, ces excellens raisins ont mérité la préférence que très généralement on leur accorde, et justifient les efforts des viticulteurs pour les propager dans nos campagnes, soit en espaliers ou contre-espaliers dans des vignobles spéciaux, soit même dans les serres des contrées où le climat n’en permettrait pas la culture en plein air. Le plus renommé parmi les raisins de cette tribu est le chasselas doré, que l’on cultive avec un si grand succès aux environs de Fontainebleau et de Thomery, et qui se récolte ordinairement en septembre[14]. Les diverses boutures de cette variété ont reçu différens noms selon les circonstances locales et la culture, qui ont pu modifier les formes, la couleur, le goût, parfois même changer l’époque de la maturité. Une sous-variété du chasselas doré a reçu le nom de chasselas rouge ; on la récolte à la même époque, en septembre. Ses grains arrondis, que caractérise une inégale coloration rose, ont une saveur sucrée très agréable. On connaît sous la dénomination de chasselas rose[15] une autre variété distincte teintée d’un beau rose ; c’est un des meilleurs chasselas. Cette variété excellente, venue d’Italie, est très productive ; les fruits en sont faciles à conserver par les moyens simples qui s’appliquent à tous les raisins de table.

Dans la tribu des chasselas, on remarque encore plusieurs variétés spéciales : le chasselas coulard[16], ainsi nommé de ce que, vers le moment de la floraison, il est sujet à couler, c’est-à-dire que le pollen de ses fleurs se dissipe, et les phénomènes de la fructification ne peuvent s’accomplir ; plus hâtif d’ailleurs que les autres variétés, il mûrit ordinairement au milieu du mois d’août. Le goût du coulard est agréable et légèrement musqué. On cultive aussi comme plante utile et comme un ornement des jardins le chasselas cioutat ; ses grappes moins volumineuses et ses grains plus petits distinguent ce cépage des variétés précédentes[17]. Parmi toutes ses congénères, on estime particulièrement une variété de chasselas violet que caractérise la teinte violette de ses fruits. Lorsque la fleur est passée, les pédicelles qui portent les grains se colorent eux-mêmes presque aussitôt d’une teinte violacée, et le raisin, qui approche de sa maturité, ordinairement hâtive, se décore d’une vive nuance rose, parfois marbrée de stries verdâtres. Le fruit se recommande d’ailleurs par une saveur douce et relevée, comme aussi par sa facile conservation[18].

On doit à M. Dupont, président honoraire de la société d’horticulture de l’Orne, une variété nouvelle de chasselas qui porte son nom et n’a pas encore de synonyme ; elle est remarquable par le volume et la forme arrondie de ses grains, de couleur légèrement rosée, comme par sa maturité hâtive, qui a lieu vers le 15 août, enfin par le goût sucré, agréable et relevé de son fruit. Deux variétés de chasselas se distinguent encore par la propriété, tout exceptionnelle parmi cette tribu des excellens raisins de table, de produire, du moins dans le canton de Vaud, un vin de qualité supérieure : on les désigne sous les noms de chasselas fendant blanc[19] et chasselas fendant roux[20]. Le premier prend à l’époque de sa maturité une teinte jaune dorée, le deuxième acquiert alors une nuance rose légère ; ces deux fruits succulens ont une saveur relevée très douce, et se conservent aisément.

Une tribu nombreuse des raisins de table, celle des muscats, est caractérisée entre toutes par son parfum, son goût délicat et une saveur sucrée très agréable. Toutefois ces qualités appétissantes, trop prononcées peut-être, qui, dès la première impression, lui feraient presque toujours accorder la préférence, amènent trop promptement la satiété pour qu’il s’en fasse une grande consommation, et qu’entre cet aromatique raisin et nos succulens chasselas le choix puisse longtemps demeurer indécis. Six variétés principales dans la tribu des muscats sont plus particulièrement dignes d’intérêt par la belle apparence, le doux parfum et la saveur sucrée agréable des fruits. Toutes exigent sous notre climat la culture en espalier, l’exposition au sud, des soins analogues à ceux que l’on donne aux chasselas, et particulièrement l’excision d’une partie des grains sur toutes les grappes, toujours trop serrées pour permettre l’égale et complète maturation. L’effeuillage aux approches de la maturité, qui donne accès aux rayons du soleil, et l’ébourgeonnage pratiqué en temps opportun, afin d’éviter une fâcheuse diffusion de la sève, sont au nombre des opérations indispensables pour le succès de la culture des muscats[21]

Les viticulteurs ont formé une tribu des spirans, dont la principale variété, nommée spirangris[22], est originaire du midi de la France, probablement de la commune appelée Aspiran, dans le département de l’Hérault. Ses grappes, de grosseur moyenne, portent des grains ronds ou ovoïdes qui mûrissent en septembre. La couleur des fruits est alors violette ; ils sont recouverts d’un léger duvet qui leur donne une jolie apparence. Ce raisin est sucré, rafraîchissant, doué d’une saveur délicieuse. Une sous-variété de cette vigne est désignée sous le nom de spiran noir, sa couleur violette-brune est plus intense que celle du spiran gris.

Une quatrième tribu, sous la dénomination d’ulliade, rappelle un de nos vignobles méridionaux[23]. C’est un cépage très productif qui exige, sous le climat de Paris, une exposition chaude. Les grappes sont volumineuses, les grains sont assez gros et de forme ovoïde, la maturité a lieu durant les mois de septembre et d’octobre. Les raisins sont alors colorés en violet-noir, doués d’une saveur très fine, fraîche et fort agréable. Un cépage à feuilles profondément lobées, connu sous la dénomination de poulsard[24], relève de cette tribu. Il est originaire du Jura, et on le cultive dans ce département, soit pour obtenir un raisin de table, soit pour préparer des jus qui entrent dans la composition des cuvées des vins rouges ordinaires, des vins mousseux, et des vins de liqueur dits vins de paille. Les grappes, volumineuses, ramifiées à la base, allongées, portent des grains assez gros, arrondis, peu serrés, d’un violet sombre, et recouverts d’un duvet violacé vers l’époque de la maturité, — en septembre sous notre climat. Ce raisin est abondant en un jus sucré, doué d’un léger arôme musqué. La forte végétation de cette vigne dans les terrains qui lui conviennent exige qu’on lui laisse d’assez longs sarmens. Elle est très productive dans ces conditions, surtout dans les contrées du Jura où elle se plaît ; presque partout ailleurs, la culture du poulsard a donné des résultats désavantageux. Une variété, dite poulsard blanc, est un peu plus hâtive ; elle offre d’ailleurs des caractères semblables dans ses feuilles et ses fruits.

Une autre variété de la tribu des ulliade est originaire d’Allemagne : cultivée dans un grand nombre de vignobles en France, sur le Rhin, en Hongrie, elle est généralement connue sous le nom de frankenthal. On doit chez nous la traiter avec les mêmes soins que le chasselas doré. Ses grappes, assez volumineuses, allongées, portent de gros grains arrondis, serrés, de couleur rose un peu rembrunie, fermes, pleins d’un jus abondant et doux. C’est un raisin susceptible de se conserver longtemps. Il nous est venu d’Italie une variété analogue au frankenthal, mais qui lui est de beaucoup supérieure, en raison de la maturation plus hâtive de ses fruits. Désignée sous le nom de fintindo, elle est productive, donne des grappes volumineuses, rameuses, allongées, portant des grains de forme un peu ellipsoïdale, de couleur violet-noir, abondans en un jus sucré d’un doux et agréable arôme.

L’Espagne nous a fourni deux excellentes variétés de raisins de table, dont nos viticulteurs ont formé la tribu des malvoisies : elles doivent être cultivées chez nous en espalier avec les soins que l’on donne au chasselas. L’une de ces variétés, nommée malvoisie à gros grains, développe de volumineuses grappes, portant de gros grains de forme ovoïde, espacés, blancs-jaunâtres, qui mûrissent vers la fin de septembre ou dans les premiers jours d’octobre. La saveur en est fine, sucrée, très agréable. L’autre variété, connue sous le nom de malvazia de stiges, se distingue de la précédente par un plus ample feuillage ; ses larges feuilles, cotonneuses en dessous, offrent à leur face supérieure une couleur verte brillante. Elle produit des grappes de forme semblable, arrivant à maturité vers la même époque, mais dont les grains, également ovoïdes, sont mieux dorés, et se recommandent par un plus agréable parfum.

On ne peut ranger dans aucune de ces cinq tribus deux variétés connues sous les noms de corinthes, plus spécialement cultivées en Grèce, et destinées surtout à fournir par la dessiccation ces raisins de dessert consommés en quantité considérable dans la Grande-Bretagne et les stations nombreuses où les Anglais ont établi leur résidence. Ces deux variétés offrent les mêmes caractères, sauf la nuance rose de l’une et jaune ambré de l’autre ; leurs grappes, de médiocre grosseur, portent des grains qui restent très petits, même en arrivant au terme de leur maturité. Ces grains sont alors extrêmement doux et sucrés, la plupart dépourvus de pépins (car ils ont avorté à la fructification). Ce sont surtout les diverses préparations d’entremets et de dessert en France, en Allemagne et plus encore en Angleterre, qui motivent les importations considérables des raisins de Corinthe dans ces contrées européennes[25]. On cultive en outre dans le midi de la France, spécialement pour la préparation des raisins secs, les variétés connues sous les noms de panse et bourmen ou majorquin.

Tels sont les derniers résultats obtenus dans la classification des cépages[26]. Cette classification paraît satisfaisante ; il y aurait cependant à l’étendre, à étudier par exemple les variétés étrangères qu’il pourrait être utile d’introduire en France au point de vue de-la production, soit des fruits de table, soit des vins de choix. D’intéressantes expériences seraient à faire sur les ceps tirés de la Perse, de l’Arménie et des rives de l’Euphrate, pays de l’antique population des Nabathéens. Nous ajouterons, avec un agronome très compétent, M. le comte Odart, qu’à ce double point de vue nous n’aurions jusqu’à ce jour rien à tirer du Nouveau-Monde, où l’on recueille le scupernong à grosses grappes dépourvu de parfum, le raisin Isabelle à odeur de cassis, l’York’s madeira d’une saveur étrange, et le katawba offrant des caractères analogues, etc. Tout nous porte à espérer que les expériences comparatives sur la valeur des divers cépages au point de vue de la viticulture française ou coloniale pourront être suivies avec un succès croissant par la Société d’agriculture dans les principaux centres qu’elle a choisis.


III. — LA CULTURE DE LA TREILLE.

Les principaux cépages étant ainsi classés, la science en ayant défini les qualités diverses, la tâche du propriétaire commence.

On a vu par quelles transformations successives, à l’aide des semis d’une seule espèce de la vigne sauvage, on a pu multiplier les variétés à tel point qu’il a fallu en limiter le nombre, afin de restreindre la culture aux cépages qui donnent dans chaque tribu distincte les meilleurs produits, sauf à rechercher encore par les mêmes voies de nouvelles variétés aussi heureusement douées, bien que différentes par la saveur ou l’arôme spécial de leurs fruits, et tout en supprimant les variétés moins bonnes qui peuvent se développer en même temps. Cette méthode de sélection ne doit être que transitoire, car à mesure qu’une variété recommandable à plusieurs titres est obtenue, il faut la fixer, l’améliorer à l’aide d’une culture intelligente dans un sol et sous un climat convenables, la propager enfin dans les localités où se trouvent réunies ces conditions favorables. Il reste à exposer succinctement les moyens de réaliser toutes ces conditions.

Quant au climat, les vignes destinées à produire des raisins de table[27] s’accommodent mieux en général des variations de la température que les vignobles consacrés à la production des vins de bonne qualité et susceptibles d’une assez longue conservation. Pour ceux-ci, il ne faut pas seulement, d’après les observations de Humboldt, que les automnes et les étés soient habituellement assez chauds ; il faut encore qu’après les phénomènes de la fructification, ou lorsque les grains du raisin se sont formés, la moyenne de la température de l’air ne s’abaisse pas au-dessous de 19 degrés. C’est la condition ordinaire dans les vignobles de Bordeaux, tandis qu’aux environs de Paris la température moyenne de l’été, de l’automne et du mois le plus chaud, ne dépasse guère 16 degrés[28]. Si autour de Paris on ne peut obtenir que des petits vins, tels que ceux de Suresnes, d’Issy et d’Argenteuil, on y peut au contraire récolter sur les espaliers au midi, ou même dirigés un peu plus soit vers l’est, soit vers l’ouest, d’excellens raisins de table, notamment des chasselas. C’est que les vignes en espalier reçoivent la chaleur des rayons solaires que reflètent les murs, et de plus, durant la nuit, la chaleur qui s’est accumulée dans la muraille pendant le jour.

Les opérations relatives à la culture des vignes en espalier reposent sur les mêmes principes que celles qui sont relatives à la vigne cultivée en plein air ; certains détails importans diffèrent. Indiquons ici les principes qui doivent guider le cultivateur.

Les labours et les binages sont à deux ou trois reprises très utiles aux vignes en espalier et contre-espalier, soit pour enlever les herbes et plantes étrangères dont les racines puiseraient leur nourriture au préjudice de la vigne, soit afin d’aérer le sol et de faciliter la pénétration de l’air indispensable à la respiration des racines et radicelles de toutes les plantes. On a émis relativement aux engrais applicables à la vigne des opinions contraires ; on a été jusqu’à dire que la terre, pour cette culture, ne doit pas être fumée. Cela peut être vrai, mais seulement à l’égard des sols où les élémens de la nutrition végétale sont accumulés depuis des siècles en proportions excédant les besoins annuels pour une longue période de temps. C’est là toutefois une exception, et l’on peut dire que toute plante cultivée, sous peine d’épuiser le sol ou d’en amoindrir la fertilité, doit recevoir sous forme d’engrais tout ce que l’atmosphère ne peut lui fournir pour remplacer ce que la végétation, la taille des sarmens et la récolte des fruits chaque année enlèvent à la terre. Les feuilles tombées et qui pourrissent spontanément sur le sol restituent, il est vrai, en partie ces élémens de la nutrition végétale ; mais très généralement on doit répandre et enfouir par le labour d’automne une quantité d’engrais équivalant à 100 quintaux de fumier de ferme par hectare chaque année[29].

Sur la taille de la vigne, bien des divergences d’opinions, se sont également manifestées. Il serait plus facile de se mettre d’accord en établissant les principes sur lesquels est fondée la méthode générale, et en tenant compte de la vigueur des ceps et de la fécondité du terrain. Le but principal de la taille consiste à restreindre l’étendue des rameaux, feuilles et fruits que la sève doit nourrir, afin que la nutrition se trouve relativement plus abondante et les fruits plus gros et plus succulens. On sait d’ailleurs que c’est sur la pousse annuelle de chaque bourgeon, (ou œil) que se développeront les feuilles, fleurs et grappes de l’année. Afin donc d’éviter une végétation trop étendue, par cela même épuisante, on retranche presque totalement les pousses de l’année précédente, ne laissant vers l’origine de chaque pousse que deux ou trois yeux ou bourgeons latens, sauf plus tard, par voie d’ébourgeonnage ou de pincement, à supprimer une partie des nouvelles pousses, trop étendues encore.

Vers l’époque de la formation des jeunes grappes et de l’épanouissement des fleurs se présentent tour à tour les chances les plus grandes des accidens qui menacent de diminuer ou d’anéantir la récolte. Ce sont surtout les pluies trop abondantes qui peuvent entraîner le pollen et empêcher ainsi la fécondation et la fructification, ce sont aussi les gelées tardives qui solidifient l’eau dont les tissus délicats de la fleur sont gorgés, écartent les cellules, désagrègent ces tissus et les frappent de mort[30]. Contre ces deux accidens très fâcheux, le même moyen est employé tous les ans avec grand succès par les habiles et soigneux horticulteurs de Thomery et de Fontainebleau. Dans cette dernière localité, pour la treille si renommée qui s’étend sur une longueur totale de 3, 500 mètres, et dont la hauteur dépasse 6 mètres, des auvens en bois posés sous le chaperon de la muraille font écouler les eaux pluviales au-delà des rameaux palissés qui portent les fleurs ; les mêmes auvens forment un écran qui suffit pour arrêter le rayonnement direct de la chaleur entre les organismes de la vigne et les espaces célestes toutes les fois que le ciel sans nuages occasionnerait, par un rayonnement libre, une congélation plus ou moins forte dans ces organismes délicats. Dans plusieurs des vignobles à raisins de table non moins renommés de Thomery, notamment chez M. Rose Charmeux, l’un des grands propriétaires et des plus habiles horticulteurs de la contrée, on obtient des résultats également favorables contre les gelées et les pluies, même dans les treilles en contre-espaliers[31], à l’aide de bandes de paillassons, larges de 50 à 60 centimètres, disposées comme une sorte de toiture à une seule pente, de 45 degrés environ ; au-dessus, des cordons de vigne suivent toute la longueur de ces contre-espaliers[32]. Des moyens permanens plus simples encore, et assez généralement efficaces, consistent dans une disposition particulière du sommet ou chaperon des murs. Il suffit effectivement de recouvrir ces chaperons avec des tuiles dites faîtières et plates, en donnant à une partie de ces dernières une saillie de 15 ou 16 centimètres, et la pente suffisante pour faciliter l’écoulement des eaux pluviales. On évite du moins ainsi des soins sur lesquels on peut rarement compter dans la plupart des jardins d’agrément, et l’on protège les murs eux-mêmes contre les détériorations spontanées des neiges et des eaux pluviales : la saillie des tuiles suffit la plupart du temps pour protéger aussi les fleurs et les fruits contre le rayonnement et les pluies.

On peut enfin combattre efficacement les effets des gelées printanières au moyen de légères et très économiques toiles d’emballage ou de tenture attachées avec des fils devant les espaliers. De semblables abris en toile s’appliquent avec le plus grand succès à la conservation du raisin sur les treilles durant presque tout l’hiver, pendant plusieurs semaines du moins après la chute des feuilles, lors même qu’il survient quelques gelées légères. Des précautions plus sûres, mais aussi plus dispendieuses, sont mises en usage tous les ans pour conserver les raisins de la magnifique tribu des chasselas dorés. Sur l’immense treille de Fontainebleau, vers la fin de septembre, des bâtis mobiles en bois, appliqués contre la muraille, reçoivent des traverses cylindriques sur lesquelles s’enroulent des toiles que l’on fait descendre ou remonter comme des stores, afin de procéder à volonté au nettoyage ou à la cueille des grappes, tout en maintenant les toiles baissées pendant les intervalles de temps qui séparent ces manipulations. Les horticulteurs de Thomery ont imaginé une méthode de conservation non moins efficace. Lorsqu’ils renoncent à conserver une partie notable de leurs raisins en les laissant sur les treilles convenablement garanties, ils les disposent de la manière suivante dans leurs fruitiers : le sarment qui porte les grappes est coupé au sécateur à huit ou dix centimètres au-dessus et au-dessous du pédoncule ; le bout supérieur du sarment est quelquefois cacheté afin de ralentir l’évaporation, l’extrémité inférieure est plongée dans de l’eau pure ou légèrement sucrée que contient une petite fiole placée sur une tablette, et dont le goulot est maintenu dans un râtelier en bois. Ces fioles sont ainsi rangées tout autour des murs du fruitier : l’eau spontanément introduite par la section inférieure du sarment compense sans obstacle l’évaporation à la surface des fruits ; ceux-ci conservent leurs formes arrondies et une si remarquable fraîcheur qu’au bout de trois mois et au-delà les grappes ressemblent aux raisins nouvellement cueillis sur le cep à l’époque de leur maturité[33]. Dans tous les cas, le succès des moyens de conservation sur la treille ou dans le fruitier est d’autant plus certain que l’on a pratiqué avec plus de soin, dès les premiers temps de la formation du fruit, l’excision des grains trop serrés qui se seraient opposés au libre accès de l’air et de la lumière, auraient rendu la maturité incomplète, et plus tard par leur mutuel contact, retenant l’eau interposée, auraient occasionné une inévitable altération putride.

Une question importante est soulevée relativement au raisin considéré comme objet direct d’alimentation. En certaines contrées, on regarde le raisin comme une sorte de médicament à mettre jusqu’à un certain point en parallèle avec les eaux minérales. D’autre part, on accorde au raisin diverses propriétés nutritives. Les faits positifs et la théorie, qui en toute chose n’est qu’une résultante des faits bien observés, s’accordent à montrer que ces opinions, en apparence contraires, sont parfaitement conciliables.

Il y a quelque quarante ans, un viticulteur bourguignon, profond observateur, M. Morelot de Dijon, rendant compte dans un ouvrage spécial des anciennes pratiques traditionnelles parmi les propriétaires de sa contrée, disait que jusqu’alors la plupart avaient coutume d’abandonner pour toute nourriture à leurs ouvriers, durant les vendanges, le raisin qu’ils mangeaient à discrétion, et puisque ceux-ci généralement s’en contentaient, on pouvait croire que le raisin est alimentaire. Or il arriva que quelques propriétaires mieux avisés, remarquant la consommation énorme de raisin qui résultait de cette méthode d’alimentation et le peu de travail accompli par chaque individu sous l’influence de ce régime, essayèrent de fournir aux travailleurs un repas plus substantiel au milieu du jour. Cette innovation leur réussit à merveille ; ils obtinrent à moins de frais plus de travail mieux exécuté. Bientôt les propriétaires voisins reconnurent qu’une pareille dépense faite à propos était encore la meilleure économie, et l’exemple ne tarda guère à être généralement suivi : donc le raisin seul ne saurait constituer un bon aliment. Hâtôns-nous d’ajouter qu’aucune substance exclusivement employée ne saurait fournir une alimentation saine et fortifiante, car les hommes, ainsi que tous les animaux, doivent trouver dans leur nourriture, d’ailleurs appropriée à leurs organes digestifs, toutes les substances, et en proportions convenables, qui doivent servir à la réparation et au développement de leurs tissus. Quant au raisin en particulier, voici ce que la science peut nous apprendre : on voit, par sa composition immédiate, que ce fruit renferme des substances sucrées, azotées, grasses et salines, toutes jouant un rôle utile dans l’alimentation ; mais, d’une part, l’eau s’y trouve en quantité tellement considérable, qu’il faudrait un énorme volume de raisin pour qu’un tel aliment donnât à lui seul tous les principes solides nécessaires à la nutrition complète. D’ailleurs le jus du raisin Contient à l’état inerte plusieurs fermens qui reçoivent une énergie active au contact de l’air dès que ce jus s’écoule, aussi bien sous la pression de la dent que sous l’effort de la presse à vendange. Ces fermens, destinés à produire la transformation du sucre en alcool, peuvent exercer sur la santé une action quelquefois défavorable dont il faut tenir compte.

Ainsi d’une part le raisin renferme des substances éminemment nutritives, et d’un autre côté il contient des fermens capables de se développer au contact de l’air et de détruire partiellement les effets de la nutrition. De là cette conséquence facile à déduire, qu’en proportions convenables, le raisin, introduit dans les rations alimentaires des hommes, y peut jouer un rôle utile en équilibrant, comme plusieurs substances alimentaires tirées du règne végétal, l’action nutritive des alimens plastiques tirés des animaux. Pris trop exclusivement, les viandes, les légumes, exercent de même une influence fâcheuse sur la santé, tandis que le concours en est favorable au maintien et au développement de l’hygiène publique et de la force des populations. Rappeler ces notions positives trop peu répandues encore parmi toutes les classes de la population, c’est faire naturellement pressentir l’explication probable de ce qui se passe en certaines contrées allemandes où l’on a institué le traitement connu sous le nom de cure du raisin. C’est particulièrement sur les bords du Rhin, à Durckheim, aux environs de Wurzbourg, sur les rives du Mein, de l’Elbe et du Danube, dans le Harz, la Bavière et dans les vignobles renommés de la Hongrie, que se rencontrent les établissemens de ce genre. Un assez grand nombre de personnes de différens pays se soumettent au régime du raisin et paraissent en éprouver une favorable influence. Les rations journalières, commencées à 500 grammes, varient de 2 à 3 kilogrammes et s’élèvent parfois jusqu’à Il kilogrammes, pris en quatre fois et en bornant le surplus de l’alimentation à deux très légers repas, suivant les idiosyncrasies ou tempéramens des individus et les conseils du médecin. Le chasselas et le muscat sont recommandés par Huber, le tokai, le furmint et les pineaux conviennent aussi ; enfin les effets de la variété dite tresseau bien mûr sont plus prononcés en raison de la propriété purgative de ce raisin. Parfois on associe au régime du raisin des bains de petit-lait. La confiance souvent justifiée dans les effets thérapeutiques de ce frugal régime est traditionnelle en Suisse comme en Allemagne. C’est surtout, à ce qu’il paraît, un moyen de combattre les effets d’une alimentation trop riche qui, longtemps prolongée, laisse dans l’organisme de trop abondantes sécrétions, souvent une obésité incommode.

Indiquer les principes de la culture du raisin de table, montrer cruelles précautions nécessite la viticulture horticole, c’est déjà faire comprendre combien exige de sollicitude Intelligente la viticulture pratiquée en grand. Il y a là un sujet d’étude entièrement distinct, et la production du raisin nous amène à rechercher, dans un prochain travail, quelles sont les conditions imposées à la fabrication du vin, et quelles ressources assure à notre pays cette branche précieuse de son industrie agricole.


PAYEN, de l'Institut.

  1. Voyez la Revue des 15 septembre, 1er novembre 1859 et 1er janvier 1860. Dans des études antérieures relatives au sucre, nous avions pressenti la réalisation prochaine des mesures qui seules pouvaient concilier les intérêts des industries saccharines rivales des colonies et de la métropole, en développant la consommation au profit de tous par rabaissement des droits Revue des 1er novembre 1857 et 1er mai 1859.
  2. Dès 1827 et 1828, nos trente départemens viticoles adressaient aux chambres des pétitions signées par plus de cent cinquante mille propriétaires représentant six millions de cultivateurs.
  3. Rappelons que la vigne vitis vinifera est placée par les botanistes dans la famille des ampélidées. Cette dernière dénomination vient du mot grec äμπεος vigne. Le vin était nommé dans l’ancienne Grèce οϊνος, d’où viennent les mots latin et français vinum et vin.
  4. La cellulose est une substance plastique qui, sécrétée pendant le cours de la végétation, forme la base organique des cellules, vaisseaux, fibres allongées, et constitue ainsi les parties élémentaires de tout l’édifice végétal. Sous les formes filamenteuses des fibres textiles du chanvre, du lin, de l’urtica nivea, du coton poils de la graine du cotonnier, la cellulose constitue l’élément presque unique de la fabrication des fils, des tissus de toiles et des différens papiers. Un exemple entre mille prouvera l’utilité de cette substance. En ce moment, par suite de l’énorme développement des écrits, des impressions de livres et journaux, de la fabrication des papiers peints, les papeteries manquent à tel point de matière première que le commerce des chiffons se trouve au rang des graves questions internationales.
  5. Dans tous les raisins, la matière colorante se compose d’une substance brune et d’une autre jaunâtre ; dans le raisin noir, on trouve en outre des principes colorans rouge et bleu, dont le mélange, suivant que l’un ou l’autre domine, produit les diverses nuances de violet tournant au rouge ou au bleu sombre qui caractérisent les nombreuses variétés de raisins et de vins rouges.
  6. Quelques variétés seulement contiennent, jusque dans toute la masse de la pulpe charnue du fruit, des matières colorantes offrant une nuance violette foncée. Ces sortes de vignes ne sont en général cultivées qu’exceptionnellement, et les raisins dits teinturiers qu’elles produisent sont destinés à la préparation des vins de couleur intense qu’on emploie pour rehausser la teinte des vins trop pâles.
  7. Les pépins, sorte de noyau renfermant l’amande et le germe de la graine, se caractérisent par une structure serrée, presque ligneuse, que j’ai décrite avec M. de Mirbel vol. XXX et XXII des Mémoires de l’Académie des Sciences. Dans les pépins de raisin, les principes les plus abondans, outre la cellulose et le ligneux, sont le tanin ou acide tanique, qui dans les vins soumis au cuvage s’ajoute au tanin des enveloppes du raisin, et une huile grasse de la nature de celles que toutes les graines renferment. Cette huile, propre à l’éclairage et à la fabrication du savon, peut en être parfois extraite économiquement dans la proportion de 10 à 12 pour 100, lorsqu’on ne préfère pas employer les pépins à la nourriture des poules, des faisans, ce qui utilise en outre les substances azotées également contenues dans les pépins.
  8. Nous venons de désigner les substances organiques, colorantes, aromatiques, astringentes, azotées, grasses et salines renfermées dans le tissu qu’on rencontre immédiatement sous l’enveloppe épidermique du raisin. Pour compléter l’indication de la composition chimique du fruit, nous devons ajouter les principes contenus dans la masse globuleuse sous-jacente : ce sont, outre l’eau qui les tient en dissolution, la glucose, douée de la saveur douce et sucrée, les acides pectique, malique, le bitartrate et le racémate de racemus, grappe de raisin de potasse, concourant tous à développer la saveur acidulée du fruit ; l’albumine, qui joue un rôle utile dans l’alimentation des hommes et sert à nourrir le ferment, principe latent aussi renfermé dans le raisin ; des substances grasses ; enfin différens sels. Les iodures par exemple se rencontrent en plus fortes proportions dans les vins des contrées maritimes, notamment des vignobles de l’île de Ré et de La Rochelle. Le goître étant inconnu dans ces contrées et généralement sur tout le littoral des mers, on en a conclu que, pour faire disparaître cette affection, il faudrait faire usage dans les localités où elle règne d’alimens et de boissons aussi riches en iode ou sels iodurés que les substances alimentaires généralement en usage dans les pays plus favorisés.
  9. M. le comte Odart, dans la deuxième édition de son Traité d’Ampélographie, cite l’ouvrage de Kutsami, écrit en chaldéen et très estimé des Arabes au temps de leur splendeur.
  10. L’abbé Rozier avait entrepris en 1780 de fonder un établissement dans lequel il se proposait de dresser la synonymie des cépages, d’indiquer leurs caractères distinctifs, les procédés de culture et de taille propres à chaque variété, les qualités des produits et les proportions des mélanges de raisins qui pouvaient donner les vins les plus estimés. Divers obstacles imprévus firent échouer son projet. M. de Champagny, ministre sous le premier empire, donna la mission de rectifier la nomenclature des cépages a Bosc, membre de la section d’économie rurale de l’Académie des Sciences et de la Société d’Agriculture. Ce savant, par des recherches actives en différentes contrées, s’était mis en mesure d’accomplir la tâche difficile qui lui était confiée ; mais la mort vint le surprendre avant qu’il eût réuni ses observations nombreuses en un corps d’ouvrage méthodique.
  11. Les dispositions qui ont été prises avec l’appui de M. le ministre de l’agriculture permettront de maintenir la collection de Paris dans le jardin du Luxembourg. La collection de l’Algérie sera confiée aux soins de M. Hardy, l’habile directeur des pépinières centrales qui répandent chaque année dans notre vaste colonie un grand nombre de bonnes espèces et variétés d’arbres à fruit et forestiers. M. Mares, correspondant de la Société centrale, surveillera la culture de la collection transplantée dans le département de l’Hérault, et M. Demetz, le savant agronome-administrateur qui dirige avec tant de zèle, de dévouement et de succès la colonie pénitentiaire de Mettray où six cent cinquante enfans sur sept cents travaillent à la culture de 250 hectares, met le plus gracieux empressement à cultiver la collection destinée au département de l’Indre. Déjà M. le duc Decazes a pu s’assurer lui-même du concours qu’il est possible d’attendre de la part des jeunes détenus : pendant son séjour, une brigade d’entre eux fut chargée, d’après ses indications, de dresser par département une liste alphabétique des cépages. Les jeunes ouvriers, devenus apprentis viticulteurs, parvinrent, après s’y être pris à deux fois il est vrai, à dresser exactement la table alphabétique qui leur était demandée.
  12. La réunion récente d’un congrès pomologique de nos plus habiles viticulteurs, la plupart membres des sociétés d’horticulture du Rhône, de la Gironde et de nos deux Sociétés centrales d’agriculture et d’horticulture.
  13. Citons à ce propos l’exemple assez curieux d’un professeur de culture peu familiarisé avec certaines habitudes locales. Ayant rapporté lui-même cinq ceps de Fontainebleau, il avait constaté que ces vignes transplantées avaient dès la première fructification produit des raisins dont les grains étaient très serrés, tandis qu’à Fontainebleau les grappes de chasselas portaient toujours des grains assez écartés. Il ignorait sans doute qu’à Fontainebleau on assure artificiellement cet utile écartement des fruits sur chaque grappe en coupant avec de fins ciseaux les grains trop rapprochés les uns des autres : pour rendre les conditions égales, il aurait donc fallu faire venir aussi de Fontainebleau les ouvrières habituées à ce travail, ou du moins adopter leur utile pratique.
  14. Une anecdote curieuse que je tiens d’un savant ami M. Bérard, doyen de la faculté des sciences de Montpellier semble trancher la question de supériorité entre les raisins de Fontainebleau et ceux du midi. M. Bérard avait reçu chez lui l’un des chimistes les plus illustres de la Grande-Bretagne et lui faisait les honneurs de son riche département en le guidant à travers les immenses vignobles de l’Hérault. Sir Humphry Davy, grand consommateur et appréciateur de nos excellens chasselas de Thomery, dont il ne pouvait se lasser, trouva plus délicieux encore les raisins aromatiques et très sucrés du muscat de Frontignan, qu’il venait de goûter. Il pria M. Bérard d’en prendre une ample provision qui pût lui suffire pendant la durée d’une promenade ; à peine rassuré sur ce point en voyant cueillir une douzaine de ces grappes volumineuses, il ne put cependant achever même la seconde grappe. — Mon cher ami, dit-il à M. Bérard, vous aviez bien raison : ce raisin est exquis, mais je n’en pourrais manger davantage.
  15. Les synonymes suivans désignent en différens lieux cette variété : tokai des jardins, chasselas royal rose, — rose du Pô, Royal-tramontaner des Allemands.
  16. Désigné aussi sous les noms de gros coulard et froc de la Boulaye.
  17. En différentes localités, on a donné au fruit blanc et sucré du chasselas cioutat les noms de raisin d’Autriche, — persillade Petersilien-traube des Allemands, — ciotat et chasselas à feuilles laciniées.
  18. La synonymie de ce cépage comprend les dénominations de chasselas violet de la Pomme française, — rouge commun, — septembre ou Ceresa de l’Isère.
  19. On lui a donné les synonymes : chasselas fendant jaune, — fendant vert.
  20. Dans la grande collection de M. André-Leroy d’Angers, cette dernière variété est désignée sous le nom de tokai des jardins.
  21. Voici d’ailleurs les dénominations et les caractères distinctifs des six plus intéressantes variétés de muscat cultivées :
    . Muscat blanc ordinaire. Ses grappes, assez volumineuses, cylindriques, présentent des grains serrés, qui, éclaircis à temps, prennent en mûrissant sous les radiations solaires une teinte légèrement ambrée. C’est alors un raisin sucré, succulent, qui, dans nos climats méridionaux, concourt à fournir les moûts qui donnent le vin liquoreux bien connu de muscat Frontignan. — La variété dite muscat d’Alexandrie produit des grappes très volumineuses, à gros grains de forme ovoïde naturellement assez écartés, qui toutefois sous le climat de Paris, même dans les années favorables, n’atteignent qu’en espaliers bien exposés au sud leur maturité complète ; la coloration est alors jaunâtre, légèrement orangée. C’est un fruit d’assez ferme consistance, sucré, doué d’un arôme moins prononcé que celui du muscat ordinaire. — Sous le nom de muscat de Syrie, on désigne une des plus précieuses variétés que l’on puisse introduire dans la culture des jardins aux environs de Paris comme dans les départemens de l’est, de l’ouest et du centre de la France. Cette vigne donne de belles grappes à gros grains ovoïdes, de couleur jaunâtre orangée, doués d’un délicieux parfum, et qui parviennent aisément, dans ces régions, au terme de leur maturité vers la même époque que le chasselas doré. Quant aux variétés nommées muscat rouge et muscat violet, elles n’ont de particulier que la coloration spéciale de leurs fruits, prononcée surtout lorsqu’ils arrivent à maturité. Au contraire la variété dite muscat précoce ou madeleine musquée de Courtiller, cette variété distincte, obtenue par M. Courtiller d’un pépin de la vigne d’Ischia, est remarquable à plusieurs titres : elle donne des fruits excellons, aromatiques et sucrés, qui mûrissent dès la fin de juillet ou durant les premiers jours du mois suivant.
  22. Les synonymes sont : spiran, espiran, aspiran, riberal, riberenc.
  23. Parmi les désignations synonymes de cette tribu, citons celles de ouillade et œillade dans l’Hérault et le Gard, de cinq-saous à Saint-Gilles Gard, boudoulès dans les Pyrénées, milhaud et prunelas Tarn-et-Garonne, motteville noir Haute-Garonne, gros maroquin Charente, œillade bleue. En quelques endroits, on a par erreur adopté pour cette tribu la dénomination d’espagnen.
  24. Désigné par les synonymes belosard nom d’un village du Jura, blussard, plussard, pendoulot, raisin perle, méclier, métie dans le département de l’Ain.
  25. Une variété, dite corinthe blanc sans pépins, est originaire de France. Ses grappes, plus volumineuses, portent des grains plus gros que dans les deux variétés précédentes ; mais le goût en est moins relevé et moins agréable.
  26. Nous n’avons pas parlé de trente-cinq variétés, comprenant quatorze chasselas, douze muscats et neuf variétés appartenant à d’autres tribus : c’est que le dernier congrès des viticulteurs français réunis à Bordeaux ne les a pas considérées comme assez bien déterminées ou assez distinctes. Nous devons dire que, d’après l’autorité du congrès, on doit rejeter les variétés de raisins nommées muscat de la mi-août et moscatellonero.
  27. Les raisins de table donnent lieu à un commerce intérieur qui chaque année, grâce aux chemins de fer, acquiert plus d’importance, et permet aux viticulteurs de nos départemens du midi d’envoyer au centre et au nord de la France les fruits de leur récolte en devançant ainsi l’époque de la maturité des raisins obtenus près de Paris.

  28. Automne Eté Mois le plus chaud
    Bordeaux 14°4 21°7 22°9
    Francfort-sur-le-Mein 10° 18°3 18°8
    Paris 11°2 18°1 18°9
    Cherbourg 12°5 16°5 17°3
    Londres 10°7 17°1 17°8


    On sait que dans ces deux dernières localités, à Londre9 et à Cherbourg, on ne peut cultiver la vigne en pleine terre.

  29. Certains engrais, tels que les chiffons de laine et de soie, les râpures de corne, les os en poudre, d’une décomposition très lente, peuvent Être employés en proportions triples ou quadruples de la ration annuelle, une fois en trois ou quatre ans. Un des moyens de rendre à la terre en grande partie ce que la végétation annuellement lui enlève consiste à brûler les sarmens retranchés, les rafles et marcs de raisin, afin d’en répandre les cendres sur le sol ; mais il faut se rappeler en tout cas qu’un excès de fumure produit des raisins plus gros, plus aqueux et moins sapides.
  30. Ceci indépendamment des chances d’invasion des propagules de la maladie spéciale contre laquelle l’utile application du soufrage a été indiquée dans la Revue du 1er septembre 1856.
  31. On nomme contre-espaliers des treilles parallèles aux mars en espaliers établies à 2 mètres ou 2 mètres 1/2 de distance en avant de ces murs. Ces treilles sont formées de poteaux et treillages en bois ou cordons horizontaux en fil de fer.
  32. Ces sortes d’abris sont fabriqués en grand dans la belle usine fondée depuis deux ans par M. J. Guyot à Clichy, près de Paris.
  33. On a pu voir à l’exposition ouverte dans le Palais de l’Industrie cette année même, mai 1860, par la Société centrale d’horticulture, les magnifiques spécimens de chasselas coupés sur les treilles de Thomery à la fin du mois de septembre 1859 et parfaitement conservés suivant cette méthode par MM. Rose et Constant Charmeux et deux autres viticulteurs.