De Mazas à Jérusalem/4/Sans but

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Chamuel (p. 97-102).
IV. — Le grand trimard


IV

LE GRAND TRIMARD



SANS BUT


— Comment, se dit-on, quel est leur but ?

Et le questionneur bienveillant réprime un haussement d’épaules en constatant qu’il y a de jeunes hommes réfractaires aux usages, aux lois, aux exigences de l’actuelle société et qui cependant n’apportent pas l’affirmation d’un programme.

— Quel est leur espoir ?

Si du moins ces négateurs sans credo avaient l’excuse du fanatisme ; mais non : la foi ne veut plus être aveugle. On discute, on tâtonne, on cherche. Piètre tactique ! Ces tirailleurs de la bataille sociale, ces sans-drapeau ont l’aberration de ne pas proclamer qu’ils tiennent la formule des panacées universelles, la seule ! Mangin avait plus d’esprit…

— Et leur intérêt, je vous demande ?

N’en parlons pas : ils ne briguent ni mandats, ni places, ni délégations d’aucune sorte. Ce ne sont pas des candidats. Alors quoi ? Laissez-moi rire ! Pour eux on a le dédain qu’il sied, un dédain où se mêle de la commisération.

J’aurai ma part de cette mésestime.

Nous sommes quelques-uns ainsi sentant fort bien qu’à peine nous entrevoyons les prochaines vérités.

Plus rien ne nous attache au passé, mais l’avenir ne se précise pas encore.

Et forcément nous allons mal compris comme des étrangers, et c’est ici et c’est là, c’est partout que nous sommes étrangers.

Pourquoi ?

Parce que nous ne voulons pas réciter de nouveaux catéchismes, ni surtout faire semblant de croire à l’infaillibilité des doctrines.

Il nous faudrait une complaisance vile pour paraître admettre sans réserve un ensemble de théories. Cette complaisance nous ne l’avons point. Il n’y a pas eu de Révélation : nous gardons notre enthousiasme vierge pour une Ferveur. Viendra-t-elle ?

Aussi bien, si le terme ultime nous échappe, nous ne boudons pas à la besogne ; notre époque est de transition et l’homme affranchi a son rôle.

La société autoritaire nous est odieuse, nous préparons l’expérience d’une société libertaire.

Incertains de ce qu’elle donnera, nous souhaitons quand même cette tentative — ce changement.

Au lieu de stagner dans ce monde vieilli où l’air est lourd, où les ruines s’éboulent comme pour ensevelir, nous nous hâtons aux démolitions dernières.

C’est hâter l’heure d’une Renaissance.