De l’éducation des femmes/Notes de Charles Baudelaire/Introduction

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Texte établi par Édouard ChampionLibrairie Léon Vanier, éditeur (p. 87-89).

LIAISONS DANGEREUSES
NOTES INÉDITES DE CHARLES BAUDELAIRE

INTRODUCTION


Bien qu’en pensent Maxime du Camp et autres biographes inférieurs, qui n’ont su voir en Baudelaire qu’un farceur cynique ou un homme à bons mots, l’auteur des « Fleurs du Mal », fut mieux qu’un fou singulier. La conception qu’il se fit de toutes choses de la vie fut particulière. Sa manière critique et littéraire ne peut être entachée de banalité. En faut-il conclure pour cela qu’il ne fut qu’une créature paradoxale ?

On a laissé aujourd’hui ces idées qui retardent pour juger plus sainement ce prodigieux esprit. On recueille ses propos, ses lettres, ses projets ; et dans chacun de ces écrits on a plaisir à retrouver ce goût subtil, cette analyse aiguë, fine et brusque qu’il fut seul à connaître et qui le placent parmi les précurseurs des idées modernes, de celles-là même qui sont les plus bienfaisantes.

Ce fut en 1856, l’année qui précéda la publication des « Fleurs du Mal », que Baudelaire projeta de rééditer les « Liaisons dangereuses » ; il voulait y inscrire en tête une étude sur la vie et les œuvres de Choderlos et faisait à ce sujet les recherches les plus minutieuses : « Mettez-moi de côté tout ce que vous accrochez de Laclos et sur Laclos » écrivait-il le 9 décembre 1856 à Poulet-Malassis[1]. Plus tard, recevant le catalogue du même Poulet-Malassis, où il relève avec indignation les noms de Sedaine, de Bièvre, Gilbert, J.-B. Rousseau, il se considère « heureux de n’y voir ni Laclos ni son nom ». Il ajoute toutefois : « J’ai acheté la bonne édition des « Liaisons dangereuses. Si jamais cette idée galope de nouveau dans votre tête, je verrai M. M. Quérard et Louandre, Louandre m’ayant promis de me mettre en relation avec un descendant (petit-fils ou petit-neveu) qui a des paquets de notes »[2]. Enfin le 30 octobre 1864, il écrivait de Bruxelles à Poulet-Malassis pour que celui-ci accueille favorablement une traduction du « Satyricon » de Pétrone[3] « un ouvrage sur lequel je serai fier de coller mon nom et un travail critique sur Laclos[4]. Il en fut de ces projets d’éditions comme de bien d’autres idées de Baudelaire ; son étude sur Laclos ne vit pas plus le jour que les travaux ou réimpressions qu’il projetait et qui, remarquons-le, nous manquent encore aujourd’hui, tels des « Morceaux choisis de Rétif. »

Ce livre sur Choderlos de Laclos lui avait tenu à cœur cependant ; durant qu’il y travaillait, il avait même refusé à son éditeur d’écrire une étude sur Crébillon fils, « Non pas de Crébillon, écrit-il le 18 mars 1857 ; c’est bien assez de l’autre pour lequel je me donnerai beaucoup de mal »[5]. Et deux jours après : « Excepté en faveur de Laclos, je n’écris plus rien »[6].

Qu’étaient donc devenues ces notes qu’aucun des biographes de Baudelaire n’avaient connues et dont tous, cependant, devaient concevoir l’intérêt ; « Les liaisons dangereuses » jugées par l’auteur des « Fleurs du Mal ! » Il eut été dommage que nous fussions complètement privés de ce document et nous devons ici témoigner toute notre reconnaissance à M. Alfred Bégis, qui l’a recueilli et le conserve dans ses archives, pour avoir bien voulu nous permettre de le reproduire. Sans doute, telles qu’elles se présentent, ces notes sont imparfaites ; mais leur imperfection même est intéressante : « Biographie — Notes — Intrigue et caractère — Citations pour servir au caractère. » Il y avait là tous les éléments d’une étude sérieuse et fouillée. Si ces quelques notes nous donnent le regret de ne pas avoir le document en son entier, consolons-nous à la lecture des quelques belles phrases que le poète y a semées et des pensées hautes que le critique y énonce[7].

  1. Charles Baudelaire.Œuvres posthumes et correspondances inédites .. publiées par Crépet, 1887, in-8o p. 139.
  2. Id. p. 154, lettre du 28 mars 1857.
  3. Ce travail non publié a été annoncé sous ce titre : Le Banquet de Trimalcion de Pétrone, traduit par Charles Baudelaire.
  4. Crépet, p. 227.
  5. Crépet, p. 149.
  6. Crépet, p. 149. Lettre du 28 mars 1857.
  7. Nous noterons ici, pour satisfaire le goût des minutieux que les notes de Baudelaire sont en partie écrites sur des bulletins de souscription au Parnasse contemporain édité par Alphonse Lemerre et sur des avis de recouvrements et de traites de la maison Poulet-Malassis.

    Nous ajouterons aussi que nous nous faisons un devoir de publier intégralement le manuscrit de Baudelaire.