De l’égalité des races humaines/Chapitre 5

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CHAPITRE V.

Bases de classification des races humaines.


En matière anthropologique, la mensuration du crane est assez attaquée ; la mécanique anthropologique est également attaquée et la géométrie descriptive anthropologique n’a pas toute l’exactitude qu’il faudrait.
Ainsi armée, l’anthropologie est-elle arrivée à dégager les aptitudes morales des races ? Il ne me parait pas qu’elle en ait dégagé les aspects craniologiques. (Léon Cahun).

D’après les naturalistes les plus compétents en botanique et en zoologie, on reconnaît sous le nom de races les variétés d’une espèce donnée, lorsque ces variétés se sont fixées par la reproduction avec des particularités d’abord indécises ou individuelles, mais qui ont fini par devenir constantes et transmissibles par l’hérédité, sans déroger aux lois générales de l’espèce.

Lorsque la science anthropologique fut constituée, cette définition de la race était déjà toute faite ; ne pouvant trouver mieux, les anthropologistes l’acceptèrent telle qu’elle était. Rien de plus sage. Il est inutile de revenir sur les différents essais de classification dont nous avons déjà passé en revue les plus remarquables. Les systèmes abondent. On y rencontre tant de contradictions, tant de divergences d’opinions dans les principes zootaxiques adoptés par les divers auteurs, qu’on a droit de se demander si cette science anthropologique à laquelle nous avons reconnu une importance si haute, un but si élevé, ne serait pas plutôt un simple amalgame de conceptions confuses, où chacun peut s’exercer sans être astreint à aucune règle fixe, aucune méthode rationnelle ! En effet, une science dont les interprètes les plus autorisés s’entendent si peu sur les bases fondamentales qui doivent en être établies, avant d’y formuler aucune déduction théorique, ne saura jamais s’entourer du prestige nécessaire pour commander aux esprits et soumettre les doutes de l’intelligence.

Cette confusion des idées engendre ou tolère une terminologie imparfaite dont insuffisance n’a pas échappé aux savants consciencieux. « Les termes techniques les plus importants de la science de l’homme, dit M. de Rosny, sont au nombre de ceux sur lesquels reposent les plus regrettables malentendus. Si l’idée de l’espèce en apparence si rigoureuse en zoologie, a pu être contestée, presque ébranlée par la doctrine du transformisme, l’idée de race, déjà moins claire, moins précise quand il s’agit des animaux, devient obscure, vague, trompeuse, parfois même fantaisiste, quand elle est appliquée à l’homme[1]. » Ces expressions paraissent bien rudes et sont de nature à diminuer l’orgueil de bien des savants ; mais elles ne sont pas moins vraies, pas moins caractéristiques.

D’où vient alors ce vague, cette obscurité qui pénètre l’esprit de ceux qui s’occupent d’étudier les races humaines et de les classer ? Les difficultés sont-elles inhérentes à la science même ou bien sont-elles le résultat des systèmes préconçus, voulant tirer des faits naturels la confirmation de certaines doctrines enfantées par le préjugé ? Les deux cas existent. D’une part la science anthropologique manque jusqu’ici de principes certains ; de l’autre, l’esprit de système en profite pour construire les théories les plus extravagantes et en tirer des conclusions aussi vaines que prétentieuses.

Mais avant d’accuser la science ou les savants qui en font l’interprétation, ne convient-il pas d’examiner les bases sur lesquelles on s’appuie pour établir les classifications, ainsi que les doctrines anthropologiques qu’on en fait découler d’une façon plus ou moins logique ? Ne faut-il pas mettre sous les regards du lecteur tous les éléments qui doivent l’aider à motiver son jugement ? Pour cela, une foule de faits dont j’ai intentionnellement circonscrit la discussion sur des points spéciaux, lorsqu’il s’est agi de réfuter la théorie de la pluralité des espèces humaines, vont de nouveau se présenter à notre examen. Le plus souvent, il n’y a de changé que le nom ou l’étiquette entre les arguments polygénistes, divisant le groupe humain en plusieurs espèces, et ceux des monogénistes qui admettent plusieurs races dans une seule espèce. Peut-être paraîtra-t-il fastidieux de revenir toujours sur les mêmes questions, les tournant et retournant sans cesse, sans qu’on paraisse avancer d’un pas dans l’étrange besogne. Pareil à Sisyphe condamné a rouler éternellement son titanique rocher, on semble se livrer à un labeur pénible, ingrat et décourageant, sans pouvoir jamais atteindre aux sommets de la vérité. Mais ce fait même concourt admirablement à prouver une chose, c’est que l’échafaudage sur lequel on s’est placé pour proclamer la distinction radicale et l’inégalité des races humaines, est sans fondement solide. Aucune loi naturelle ne lui sert d’étai.

« Que l’on suive la classification de mon maître Blumenbach en cinq races (Caucasique, Mongolique, Américaine, Éthiopique et Malaise) ou bien qu’avec Prichard, on reconnaisse sept races (Iranienne, Touranienne, Américaine, des Hottentots et Boschimans, des Nègres, des Papous et des Alfourous), il n’en est pas moins vrai qu’aucune différence radicale et typique, aucun principe de division naturelle et rigoureuse ne régit de tels groupes[2]. » Ces paroles de Humboldt sont d’une autorité décisive. Jamais une intelligence mieux organisée ne s’est rencontrée dans les annales de la science ; et jamais savant ne fut plus spécialement compétent pour se prononcer dans une pareille question. À part ces connaissances profondes, universelles ; à part cette pénétration supérieure qui a fait de lui le plus illustre investigateur des temps modernes, le grand Humboldt avait parcouru la plus grande partie de la terre, vu les hommes de toutes les races et sous toutes les latitudes, comparé les types les plus divers. Qui aurait le droit de se supposer plus apte que celui-là à discerner la vérité sur la valeur réelle des divisions ethnologiques ? Qui peut offrir autant de garantie pour contrôler ses premières impressions par toutes les lumières d’un savoir infiniment varié ? Personne. C’est donc sous l’impression des paroles du savant cosmologue, avec la réserve rationnelle qu’elles nous imposent, que nous allons examiner les principales bases de classification que les anthropologistes ont imaginées pour diviser et étudier les races humaines. C’est d’ordinaire la charpente osseuse, la couleur, les langues qui en sont les éléments essentiels.

I.

COMPARAISONS CRANIOLOGIQUES.


Il faut commencer par la craniologie. On sait que ce nom fut créé par le célèbre docteur Gall pour désigner la doctrine physiologique par laquelle il croyait prouver que l’on peut découvrir toutes les facultés affectives, morales ou intellectives d’un homme, rien qu’en étudiant les protubérances de la boîte crânienne appelées vulgairement bosses. Quelles que soient les analogies que l’on puisse trouver entre cette doctrine et les opérations pratiques auxquelles se livrent les anthropologistes, dans l’étude des crânes, il y a une différence notoire et qu’il faut certainement reconnaître entre les deux catégories d’investigation.

Gall et son intelligent disciple, Spurzheim, en étudiant le crâne humain, ne recherchaient aucunement les caractères ethnologiques qui séparent tel groupe d’hommes des autres groupes plus ou moins divergents. Ils considéraient toutes les races comme douées des mêmes facultés et ne s’occupaient que des différences individuelles. C’était une espèce de philosophie empirique, où les, diverses manifestations de l’esprit étaient censées s’observer matériellement, par les empreintes qu’elles laissent sur les parties distinctes du crâne, considérées comme leurs sièges respectifs. Spurzheim, comprenant que la science devait être désignée plutôt par son but que par le moyen employé pour y parvenir, changea le nom de la fameuse doctrine qui, au lieu de craniologie ou cranioscopie, se nomme plus spécialement phrénologie.

Les anthropologistes, en étudiant la forme et le volume du crâne, cherchent surtout à découvrir les différences qui existent entre les races humaines, après avoir assigné arbitrairement à chaque race une certaine forme ou une certaine capacité crâniennes spéciales. Plus tard, il est vrai, on s’appuiera sur ces mêmes spécialisations pour proclamer que telle race est inférieure ou supérieure à telle autre ; mais cette conclusion, sans avoir plus de poids que celle des phrénologistes, ne sera pas moins revêtue d’un semblant scientifique. Tous ceux qui n’auront pas fait de ces questions une étude approfondie, seront tentés de croire que des inductions tirées d’une méthode aussi compliquée, aussi savante que celle des anthropologistes, ne sauraient être que l’expression de la vérité. Aussi est-il bon d’en examiner le mérite.

La première application de la craniologie à l’étude des races humaines a été faite par le naturaliste Daubenton· Après lui vinrent Camper, Blumenbach et Sœmmering. Nous parlerons tout d’abord du procédé de Blumenbach, conservé dans la science sous le nom de méthode de la norma verticalis.

Pour étudier les crânes suivant cette méthode fort ingénieuse, on les range à ses pieds sur une suface plane et horizontale, en les faisant reposer sur la mâchoire inférieure, de manière que les arcades zigomatiques se trouvent sur une même ligne. En les regardant de haut en bas, on considère successivement la longueur de la voûte crânienne, sa largeur ou son étroitesse relative, la saillie du front, enfin la forme générale de la boîte osseuse. Selon que les os malaires dépassent plus ou moins la ligne verticale prolongée du bord latéral du crâne au plan de la base, l’anthropologiste classe ce crâne parmi les races noires ou dans les races jaunes ou blanches. On a nommé plus tard cryptoziges les crânes dont les arcades zigomatiques, considérées d’après cette méthode, sont cachées par la projection relative des tempes et phénoziges, ceux dont ces arcades sont visibles dans les mêmes conditions. Il est inutile de mentionner toutes les discussions qui ont eu lieu pour la fixation du plan dans lequel le crâne se trouve réellement placé sur sa base.

« Cet aspect de la tête, qu’on me permettra de nommer norma verticalis, dit le grand naturaliste de Gœttingue, permet de saisir d’ensemble et nettement les principaux traits caractéristiques des crânes des différentes races, tant ceux qui dépendent de la direction des mâchoires et de celle des os malaires, que ceux qui ressortent de la largeur ou de l’étroitesse de la voûte crânienne, de l’aplatissement ou de la saillie du front. »

En comparant, suivant cette méthode, des têtes éthiopiques, mongoliques et caucasiques, il croyait faire les remarques suivantes :

— Le crâne de la race éthiopique, étroit et déprimé aux tempes, montrerait à découvert les arcades zigomatiques ; le front en serait assez saillant, mais dépassé par la proéminence des os malaires et la projection de l’arcade dentaire supérieure, à partir de la racine du nez. — Chez le Mongol, le crâne serait un peu moins étroit que chez l’homme noir et aplati au-dessus des orbites ; les arcades zigomatiques très écartées, l’arcade dentaire moins projetée en avant, mais plus large. — Pour le Caucasien, la voûte crânienne serait généralement élargie, le front large aussi présenterait une courbe très proéminente, les pommettes et les arcades seraient dissimulées par les tempes, enfin le bord alvéolaire de la mâchoire supérieure serait a peine visible.

On a aussi nommé prognathe, la face projetée en avant du Noir ainsi caractérisé ; eurignathe, la face élargie du Mongol et orthognathe, la face droite et régulière du Caucasien.

Cette méthode, qui est d’une application très facile, permet d’étudier un crâne sans aucun instrument et sans qu’on soit astreint à aucun calcul. Il suffit de la justesse du coup. d’œil. Aussi les anthropologistes, qui ont l’ambition de faire de leur science une citadelle hérissée de défenses inaccessibles aux profanes, en font-ils peu de cas. Sans doute, le résultat auquel on parvient n’a aucune importance doctrinale et rigoureuse dans l’étude des divers types de l’humanité, mais les autres procédés, malgré leurs difficultés exagérées et leur appareil imposant, offrent-ils rien de meilleur ? si les inventeurs mêmes de tous ces procédés dont on parle si haut, après des dissertations interminables, ne finissent- ils pas toujours par en reconnaître l’inanité ou l’insuffisance ? Mais telle est leur logique, qu’après avoir reconnu que cinq procédés, appliqués l’un après l’autre, ne donnent que des résultats contradictoires, non-seulement dans un même groupe, mais le plus souvent sur le même individu, ils affirment néanmoins que c’est de l’ensemble de ces mêmes procédés que doit sortir la vérité que l’on cherche.

Citons encore une autre méthode beaucoup plus répandue que celle de Blumenbach. C’est l’angle facial de Camper. « Le caractère sur lequel repose la distinction des nations, dit l’auteur, peut être rendu sensible aux yeux, au moyen de deux lignes droites, l’une menée du conduit auditif à la base du nez, l’autre tangente, en haut, à la racine du front et, en bas, à la partie la plus proéminente de la mâchoire supérieure. L’angle qui résulte de la rencontre de ces deux lignes, la tête étant vue de profil, constitue, on peut dire, le caractère distinctif des crânes, non seulement quand on compare entre elles plusieurs espèces d’animaux, mais aussi quand on considère les diverses races humaines. »

Par cette méthode, Camper croyait pouvoir conclure que la tête du Noir africain, ainsi que celle du Kalmouk, présente un angle de 70 degrés, tandis que celle de l’Européen en offre un de 80. « C’est de cette différence de dix degrés, dit-il, que dépend la beauté plus grande de l’Européen, ce qu’on peut appeler sa beauté comparative ; quant à cette beauté absolue qui nous frappe à un si haut degré dans quelques œuvres de la statuaire antique (comme dans la tête de l’Apollon et dans la Méduse de Soriclès) elle résulte d’une ouverture encore plus grande de l’angle qui, dans ce cas, atteint jusqu’à 100 degrés. »

On a émis diverses opinions sur ce procédé comme sur celui de Blumenbach. Des modifications de détails y ont été appliquées par Owen, Bérard, Jacquart, M. Topinard et beaucoup d’autres savants qu’on peut se dispenser de nommer.

Pour compléter la liste des méthodes dont la vulgarisation est très étendue, il faut encore mentionner la théorie de Retzius, qui divisait les races en dolichocéphales et brachycéphales, selon la longueur relative du diamètre antéro-postérieur de leurs crânes comparée à celle du diamètre transversal. Le diamètre longitudinal se mesure d’ordinaire en droite ligne, de la saillie de la glabelle au point le plus reculé de l’écaille occipitale ; le diamètre transversal coupe perpendiculairement cette ligne à l’endroit de la plus grande largeur du crâne, quel que soit le point où il tombe, pourvu qu’on ne descende pas jusqu’à la saillie sus-mastoïdienne, développée parfois avec exagération dans certaines races, telles que les Esthoniens.

La division dichotomique de Betzius fut trouvée insuffisante pour la classification de toutes les races humaines. Thurnam[3], Welcker[4], Huxley[5] et Broca[6] l’ont tour à tour remaniée. Ce dernier en a tiré cinq divisions, à savoir : la brachicéphalie, la sous-brachycéphalie, la mésaticéphalie, la sous-dolichocéphalie et la dolichocéphalie. La longueur du diamètre transversal, multipliée par 100 et divisée par le diamètre longitudinal, donne ce qu’on est convenu d’appeler l’indice céphalique. Soit un crâne dont le diamètre antéro-postérieur serait au diamètre transversal comme 9 est à 7, son indice céphalique (7 X 100 : 9) serait de 77,77.

Après ces mesures, dont la base est purement géométrique, il faut mentionner la jauge ou le cubage des crânes. Sur l’affirmation de Sœmmering, déclarant que le crâne du blanc était plus grand que celui du noir, Saumarez suivant Broca[7], essaya le premier de jauger les crânes en les remplissant d’eau. Ce premier moyen fut considéré comme incorrect. W. Hamilton essaya le jaugeage par le sable fin, sec et homogène. Tiedemann y substitua le mil ; enfin, on y a employé les grains de moutarde blanche, le mercure, le plomb de chasse, la graine de lin, etc.

Pas plus que les mesures angulaires, l’opération du jaugeage n’offre de résultat sérieux. « Faites cuber le même crâne suivant le même procédé par deux personnes successives, dit Broca, et vous pouvez obtenir ainsi des différences de plus de 50 centimètres cubes. Enfin ce qui est pis encore, faites cuber plusieurs fois de suite le même crâne par la même personne et vous pourrez encore obtenir des différences presque aussi grandes que dans le cas précédent[8]. »

Il n’est pas nécessaire de continuer l’exposition théorique des différents procédés craniométriques employés simultanément ou isolément dans les investigations anthropologiques. Il faudrait pour cela entrer dans des détails que ne comporte pas le caractère de cet ouvrage. Il suffit de savoir que les méthodes adoptées comme les meilleures par les uns sont discutées et souvent repoussées par les autres, soit dans leur portée scientifique, soit dans les applications qui en sont faites. Chacun trouve des arguments tout aussi valables et pour l’attaque et pour la défense. L’école anthropologique allemande n’est pas toujours d’accord avec l’école française ou américaine. Les partisans d’une même école sont encore moins disposés à s’entendre.

Nous n’avons jusqu’ici parlé, en fait d’essais anthropométriques, que de la craniométrie, parce que c’est l’étude qui défraye la meilleure partie de toutes les discussions ; mais il y en a beaucoup d’autres à mentionner. On a aussi cherché des différences dans la conformation du bassin, lequel serait non seulement de forme distincte entre les hommes et les femmes d’une même race, comme l’a catégoriquement reconnu l’anatomie comparative des deux sexes, mais aussi entre les femmes de races diverses, présentant dans chaque race une configuration particulière. Nous verrons jusqu’à quel point la pelvimétrie confirme une telle opinion, et si les cas examinés offrent cette régularité de disposition qui pourrait seule leur communiquer un caractère scientifique. Quant aux autres questions que soulève l’ostéométrie comparée des races humaines, telle que la longueur relative des membres supérieurs, l’aplatissement des pieds, l’opposabilité plus ou moins grande et du gros orteil, la platycnémie et mille autres détails anatomiques que peut suggérer la fantaisie, dans le but de mieux signaler les diversités caractéristiques des races, ils n’ont aucune valeur propre à y attirer l’attention.

Mais voyons quelques chiffres, où sont condensés les résultats de divers essais de craniométrie. Nous commencerons par le cubage, en copiant les tableaux suivants tirés de l’Anthropologie du professeur Topinard. Ils tendent à désigner la capacité comparative de l’endocrâne dans les différentes races humaines. Les chiffres placés à gauche indiquent le nombre de crânes dont on a tiré la capacité moyenne ; quant aux deux rangées de chiffres à droite, elles portent leurs étiquettes et représentent des centimètres cubes.

Hommes Femmes
88 Auvergnats 1598cc 1445cc
69 Bretons-Gallots 1599 1426
63 Bas-Bretons 1564 1366
124 Parisiens contemporains 1558 1337
18 Caverne de l’Homme-Mort 1606cc 1507cc
20 Guanches 1557 1353
60 Basques espagnols 1574 1356
9 Corses 1552 1367
84 Mérovingiens 1504 1361
22 Chinois 1518 1383
12 Esquimaux 1539 1428
54 Néo-Calédoniens 1460 1330
85 Nègres de l’Afrique occidentale 1430 1251
7 Tasmaniens 1452 1201
18 Australiens 1347 1181
9 Nubiens 1329 1298

Ces chiffres cités par M. Topinard ont été empruntés aux Mémoires d’Anthropologie de Broca, qui les a obtenus en jaugeant les crânes avec du plomb de chasse.

L’américain Morton, opérant avec la même matière, est arrivé aux résultats suivants, sans établir la distinction des sexes.

38 Européens 1534cc
18 Mongols 1421
79 Nègres d’Afrique 1364
10 Nègres d’Océanie 1234
152 Péruviens 1339
25 Mexicains 1339
164 Américains autres 1234

M. Barnard Davis verse dans le crâne qu’il a préalablement pesé vide, du sable fin bien desséché et il pèse de nouveau. Voici ses résultats, après la conversion faite de l’once avoir du poids anglais en centimètres cubes français :

146 Anciens Bretons 1524cc
36 Anglo-Saxons 1412
39 Saxons 1488
31 Irlandais 1472cc
18 Suédois 1500
23 Néerlandais 1496
9 Lapons 1440
21 Chinois 1452
116 Kanakes 1470
27 Îles Marquises 1452
7 Maoris 1446
12 Nègres Dahomey 1452
9 Néo-Hébrides 1432
15 Australiens 1295


En examinant ces différents tableaux, un fait positif se laisse tout d’abord remarquer, c’est l’irrégularité des résultats et l’incertitude où se trouve l’esprit quand il faut juger de leur valeur relative. Nous avons déjà cité des paroles bien graves de Broca, sur l’inexactitude propre des procédés du cubage ; mais tous ceux qui ont lu ses Mémoires savent combien il s’ingéniait à trouver des raisons pour justifier la science dont il était devenu l’interprète le plus autorisé, à force de travail et de constante vocation. Cependant, quoi qu’en ait pu dire l’illustre savant, on ne pourra jamais condescendre à ses opinions, au point de croire que de tous les anthropologistes lui seul ne se trompait pas. Si on observe bien ses chiffres, on remarque, du premier coup d’œ1l, qu’il a voulu ramener le cubage des crânes à l’établissement d’une preuve cherchée partout, afin de confirmer l’existence d’une distinction sérielle et hiérarchique entre les races humaines. En effet, on ne voit aucune des moyennes tirées des peuples européens au-dessous des races mongoliques ou éthiopiques. Il est vrai que les 84 Mérovingiens de la liste donnent une moyenne inférieure aux 22 Chinois et aux 12 Esquimaux ; mais cette seule exception est justement celle qui peut s’expliquer par des causes dont l’illustre professeur avait positivement établi la valeur.

On peut toutefois observer que Broca trouve dans le groupe australien un cubage supérieur à celui du groupe nubien. Ce fait est en contradiction flagrante avec l’opinion de tous les anthropologistes qui, à tort ou à raison, assurent que le Nubien est le type le plus élevé de la race noire et l’Australien le plus mal doué des hommes. Les Auvergnats sont aussi au-dessus des Parisiens. Mais c’est là un mince détail, puisque la limite des races est sauvegardée !

Quant au tableau tiré des moyennes de Morton, on sait ce qu’il faut en penser. L’esprit suivant lequel tous les savants de l’école américaine, sauf de rares exceptions, considéraient l’anthropologie, rend toutes leurs affirmations suspectes. Ils n’y voyaient qu’un moyen de légitimer le système de l’esclavage. Or, ce système s’expliquerait assez bien si l’on parvenait à prouver que les hommes sont d’espèces différentes et, de plus, inégaux.

La liste de M. Barnard Davis, faite sans esprit de système, laisse voir les faits tels que le hasard les présente. Le groupe des Chinois, celui des nègres Dahomey et les habitants des Îles Marquises, surpassent le groupe des Anglo-Saxons, et sont surpassés par les Kanakes. Là, on ne rencontre assurément aucun caractère fixe, pouvant conduire à une classification exacte, mais rien non plus qui dévoile une combinaison systématique.


L’indice céphalo-orbitaire, obtenu par M. Mantegazza par le cubage au mercure, ne donne aucune base de classification. En voici le tableau restreint donné par le savant professeur d’anthropologie à l’École des hautes études de Paris.

20 Italiens 27.73
2 Australiens 25.61
3 Néo-Zélandais 32.49
6 Nègres 27.19

Ainsi les Italiens seraient bien rapprochés des Nègres, l’Australien tiendrait un bout et le Néo-Zélandais l’autre. Ce résultat renverse non seulement l’ordre des groupes ethnologiques, mais encore toute idée de hiérarchie entre les races humaines.


Il faut pourtant voir si l’indice céphalique, dont on parle tant, nous offrira une base plus solide. Voici le tableau qu’en donne Broca[9].

Dolichocéphales vrais.
15 Esquimaux du Groënland 71.40
54 Néo-Calédoniens 71.78
17 Australiens 71.93
18 Hottentots et Boschimans 72.42
8 cafres 72.54
15 Bengalais 73.30
85 Nègres d’Afrique occidentale 73.40
6 Français. Époque de la pierre taillée,

(3 du Cro-Magnon, 3 du diluvium de Paris).

73.34
19 Français méridionaux. Époque de la pierre polie

(Caverne de l’Homme-Mort, Lozère)

73.22
22 Nubiens de l’Île d’Éléphantine 73.72
15 Arabes 74.06
11 Kabyles 74.63
Sous-dolichocéphales.
15 Français septentrionaux. Époque de la pierre polie 75.01
10 Papous 75.07
3 Bohémiens de Roumanie 75.28
28 Corses d’Avapessa (XVIIIe siècle) 75.35
20 Guanches 75.53
81 Anciens Égyptiens 75.58
32 Polynésiens 75.68
9 Tasmaniens 76.01
6 Slaves du Danube 76.18
81 Français (Mérovingiens) 76.36
12 Égyptiens modernes (Coptes) 76.93
21 Chinois 76.69
11 Malgaches 76.89
15 Français (Gaulois de l’âge de fer) 76.39
60 Basques espagnols (Zaraus) 77.62
Mésaticéphales.
25 Mexicains (non déformés) 78.12
5 Roumains 78.31
22 Gallo-Romains 78.55
53 Normands du XVIIIe siècle (ossuaire de Saint-Arnould, Calvados) 78.77
125 Parisiens du XIXe siècle 79.00
125 Parisiens du XIIe siècle 79.18
117 Parisiens du XVIe siècle 79.56
16 France septentrionale. Age du bronze (Orouy) 79.50
81 Malais (autres que les Javanais) 79.02
12 Amérique méridionale (non déformés). 79.16
21 Amérique septentrionale (non déformés) 79.25
Sous-brachycéphales.
57 Basques français (Saint-Jean-de-Luz) 80.25
4 Esthoniens 80.39
63 Bas-Bretons des Côtes-du-Nord (cantons bretonnants) 81.25
73 Bretons des Côtes-du-Nord (cantons gallots) 82.05
11 Mongols divers (Tartares, etc.) 81.40
11 Turcs 81.49
29 Javanais (Collection Vrolik) 81.61
17 Russes divers (Russie d’Europe) 82.81
11 Alsace et Lorraine 82.93
Brachycéphales.
10 Indo-Chinois 83.51
5 Finnois 83.69
88 Auvergnats (ossuaire de Saint-Nantaire). 84.07
6 Bavarois et Souabes 84.87
10 Lapons 85.63
12 Syriens de Gebel-Cheikh (légèrement déformés) 85.95
20 Amérique. Plusieurs séries de crânes déformés dont les indices moyens varient de 93 à 103.00


Pour tous ceux qui possèdent quelques notions d’ethnologie, ce tableau offre les plus curieuses observations. Les conclusions qui en découlent ont une importance d’autant plus grande que, venant de Broca, les chiffres ont une valeur significative. Eh bien, que peut-on induire de cette nouvelle base de classification ? C’est qu’il n’y a dans la conformation extérieure du crâne aucun caractère invariable qui fasse distinguer un individu de telle race d’un autre appartenant à une race différente. Parmi les dolichocéphales vrais, on rencontre, en tête, les Esquimaux du Groënland appartenant à la race jaune, avec un indice céphalique de 71.40, le plus petit du tableau, c’est-à-dire inférieur même à celui des Australiens et des Hottentots, tandis que les Lapons, également de la race jaune (branche ougrienne ou boréale de M. de Quatrefages), occupent une des places les plus élevées parmi les brachycéphales. Immédiatement après les nègres de l’Afrique occidentale, ayant un indice céphalique de 73.40, viennent les blancs de France (époque de la pierre taillée et de la pierre polie) les uns avec un indice de 73.34, les autres de 73.22, — Les noirs Tasmaniens (76.01) viennent tout près des blonds Slaves (76.18). Les Mexicains, race mixte qui tient le milieu entre les rougeâtres et les jaunes, sont placés à côté des blancs Normands du XVIIe siècle. Les Javanais très bruns sont immédiatement à côté des Russes d’Europe, à la peau si blanche et si fine que le sang se laisse voir au travers de l’épiderme. Des Indo-Chinois presque noirs ont 83.51 à côté des Finnois blonds, aux yeux bleus, qui ont 83.69.

Voilà des résultats bien curieux. En les considérant, on est obligé de se demander comment le savant Broca, qui a eu en mains de tels moyens de contrôle, ne s’est pas bien vite ravisé sur toutes les théories qu’il a soutenues avec tant d’ardeur, en faveur des doctrines de l’école américaine. Je pourrais me contenter des chiffres du savant auteur des Mémoires d’anthropologie ; mais comme on pourrait croire que je m’y arrête, cette fois, parce que sa sagacité est ici au-dessous de l’ordinaire, il est bon de voir la liste des indices céphaliques de Barnard Davis. On y trouvera le même désordre, le même rapprochement des races les plus diverses et les plus éloignées, quand on considère les autres caractères anthropologiques. — Ses chiffres[10] ne diffèrent pas beaucoup de ceux de Broca. Il y a simplement à observer que l’auteur n’y fait point figurer les Français, coïncidence d’autant plus curieuse qu’il n’y a pas d’Anglais dans le tableau de Broca. Là encore, on peut voir que les Tasmaniens (75.6) sont placés à côté des Suédois et des Irlandais (75) ; les Anglais (77) sont plus dolichocéphales que les naturels des Îles Marquises (80) ; les Esquimaux tiennent toujours le degré inférieur de l’échelle (71.3), regardant à l’autre bout les Birmans, race jaune[11] comme eux, mais les plus brachycéphales du tableau, ayant un indice céphalique de 86.6.

Il semble qu’après de tels résultats on a bien le droit de déclarer que la mesure de l’indice céphalique n’autorise aucunement les anthropologistes à s’y appuyer pour diviser les races humaines en groupes distincts. Pas plus que le cubage du crâne et l’indice céphalo-orbitaire, cette nouvelle mesure ne donne la ressemblance ou l’exactitude des caractères qu’on doit rechercher, avant tout, dans les groupes naturels que l’on s’efforce de classer. Mais trouverons-nous jamais cette méthode précise et invariable, sans laquelle il est impossible d’arriver à des conclusions sûres et indiscutables dans la division taxiologique des races humaines ?

Essayons au moins l’indice vertical que le professeur Virchow considère comme la meilleure des mesures craniométriques. Voici quelques chiffres qu’en donne M. Topinard, d’après Broca.

Hommes Femmes
63 Bas-Bretons 71.6 70.8
28 Corses 71.5 72.6
125 Parisiens (XIXe siècle) 72.2 71.7
13 Esquimaux 72.8 73.4
88 Auvergnats 73.6 73.8
85 Nègres d’Afrique 73.4 73.5
54 Néo-Calédoniens 73.7 74.6
27 Chinois 77.2 76.8
18 Caverne de l’Homme-Mort 68.9 73.0

Dans ce tableau, on voit les Noirs d’Afrique entre les Auvergnats et les Parisiens. Les Chinois et les Esquimaux de la race jaune se trouvent séparés par ces mêmes Auvergnats unis aux Africains. Quelle conclusion en tirer ?

Nous négligerons, quant à présent, la mesure de la circonférence horizontale destinée à distinguer les races frontales ou occipitales de Gratiolet ; celles du transverse frontal minimum et de l’indice frontal ne nous diront rien de mieux, puisque l’on y retrouve le Noir d’Afrique à côté du Parisien, le Chinois accoudé à l’Australien, dans un désordre caractéristique[12].

En passant à l’étude de la face humaine, on ne découvre pas une base de classification plus solide que les précédentes. Pour la longueur et la largeur de cette partie du crâne, M. Topinard cite les chiffres suivants empruntés à M. Pruner-Bey.

Largeur Longueur
18 Esquimaux 133 mill. 135 mill.
12 Chinois 134 137
10 Scandinaves 129 132
6 Allemands du Midi 127 131
30 Néo-Calédoniens 125 137
30 Nègres d’Afrique 127 131
8 Hottentots 116 123
6 Lapons 109 136

On ne peut tirer de ce tableau aucune conclusion d’une certaine valeur. « Les Esquimaux et les Chinois, dit l’auteur de l’Anthropologie, auraient donc la partie du visage sous-jacente aux sourcils la plus longue et les Lapons la plus courte. » Pourtant, bien que les deux catégories soient séparées par tous les autres groupes du tableau, elles appartiennent également à la grande race jaune. En vérité, il n’y a rien de plus éloquent que ces tableaux craniométriques. D’autres, en les lisant avec indifférence, peuvent ne point y trouver un passe-temps bien agréable. Mais quand je pense que tous ceux qui les établissent n’ont jamais pu se convaincre de l’inutilité des divisions systématiques que l’on veut créer entre les diverses races de l’humanité ; quand je pense que l’illustre Broca, dans cet océan de doute et de confusion ou l’étude des caractères ethniques si vagues et si fuyants jette l’esprit, a pu croire à l’existence de plusieurs espèces humaines, distinctes les unes des autres, je ne puis m’empêcher d’admirer l’aptitude toute spéciale dont sont douées certaines intelligences pour s’orienter à travers les contradictions. Qu’on ne se fatigue pas, cependant ! Les questions que l’examen de ces tableaux soulève ont une importance assez marquée pour qu’on ait l’ambition de s’y édifier le mieux possible. Voyons donc la mesure de l’indice facial prise par Broca.

13 Esquimaux 73.4
80 Nègres 68.6
69 Bretons-Gallots 68.5
88 Auvergnats 67.9
49 Néo-Calédoniens 66.2
125 Parisiens 65.9
12 Australiens 65.6
8 Tasmaniens 62.0

Remarque-t-on d’ici les Nègres accolés aux Bretons-Gallots, les Auvergnats à côté des Néo-Calédoniens et, pour comble d’outrage, les Parisiens si près des Australiens, les représentants noirs les plus arriérés de l’espèce ! Vraiment si le nom bien connu du savant professeur ne se trouvait pas clairement exprimé ici, on croirait volontiers que nous avons affaire à un monogéniste décidé, doublé d’un négrophile têtu. Mais non, c’est l’esprit le moins accessible aux compromissions humanitaires, c’est l’inspirateur respecté de l’école anthropologique française qui constate ce désordre ! Ces séries où les races humaines vont bras dessus, bras dessous, dans une belle promiscuité, ne semblent-elles pas rire au nez des savants classificateurs ? Les anthropologistes peuvent-ils continuer à les enregistrer, sans modifier leurs théories si tranchantes et si affirmatives ? Quel ne sera pas alors le discrédit de leur science, quand viendra la critique du vingtième siècle, où Noirs et Blancs, Jaunes et Bruns sauront également tailler leur plume et manier ces instruments de la maison Mathieu[13] si éloquents, même entre les mains de ceux qui ne veulent pas y croire !

On sent combien il est intéressant de poursuivre la lecture de ces tableaux qui sont l’expression de tout ce que les anthropologistes ex professo se donnent de mal, au milieu de ces appareils sévères, de ces crânes dénudés et grimaçants où ils font froidement leur expérience in anima vili. Pour moi, à part la soif inextinguible que j’ai de la vérité, à part le devoir que j’ai de poser même une seule pierre dans l’œuvre de la réhabilitation scientifique de la race noire dont le sang coule pur et fortifiant dans mes veines, j’éprouve un plaisir inouï à me promener ainsi entre ces différentes colonnes de chiffres si soigneusement disposées, pour la plus grande édification de l’intelligence. Aussi continuerai-je à les parcourir !

Nous allons être en présence d’un tableau de M. Welcker. Il s’agit de la ligne naso-basilaire, allant du basion (bord antérieur du trou occipital) au point nasal, c’est-à-dire à la racine du nez. « Les Allemands en font le plus grand cas, dit M. Topinard. Ils la considèrent comme la base philosophique du crâne cérébral, comme la corde de la courbe que décrivent les corps des trois vertèbres crâniennes, comme l’axe autour duquel évoluent d’une part le crâne, de l’autre la face[14]. »

En voici les chiffres :

Mill.
3 Papous. 96
13 Malais de Bugi, 2 Lapons, 3 Brésiliens. 97
6 Juifs. 98
2 Hongrois, 5 Tsiganes, 6 Malais de Madura,

2 Hottentots.

99
30 Allemands, 12 Russes, 5 Cosaques, 5 Tartares,

16 Chinois, 2 Mexicains, 20 Nègres.

100
3 Écossais (highlanders), 5 Baskirs. 101
8 Français, 6 Hollandais, 6 Malais de Sumatra. 102
9 Finnois, 7 Malais des Moluques. 103
3 Australiens, 3 anciens Grecs. 104
11 Esquimaux. 106
2 Cafres. 107

Ainsi, parmi ceux dont la ligne naso-basilaire est la plus courte, c’est-à-dire les plus brachycéphales, il faut compter les Papous noirs de l’Océanie, à côté des Birmans de race jaune ; les Hongrois, les Tziganes sont réunis aux Malais et aux Hottentots. Dans la plus remarquable série, on rencontre ensemble : les Allemands, les Russes, les Cosaques, les Tartares, les Chinois, les Mexicains et les Nègres, c’est-à-dire les représentants de toutes les races humaines qui vivent sur la face de la terre, avec la mesure commune de 100 millimètres.

On peut parfaitement négliger les autres mesures cranioscopiques qui ne nous offrent rien de plus concluant sur la distinction sériale des races humaines. Abordons plutôt, pour en finir avec ces citations de chiffres, le tableau de Broca, concernant l’indice nasal. C’est le rapport qui existe entre la plus grande largeur du nez à l’ouverture des narines et sa plus grande longueur, mesurée à partir de la suture naso-frontale pour descendre à l’épine nasale, au-dessus de l’arcade dentaire supérieure. Pour avoir cet indice, on multiplie par 100 la largeur maximum du nez et on divise le produit par la longueur maximum. Selon l’indice ainsi obtenu, le crâne est placé parmi les leptorrhiniens, les mésorrhiniens ou les platyrrhiniens.

Le premier terme avait déjà été employé pour caractériser la gracilité relative de la région nasale du rhinocéros de Cuvier ; Étienne Geoffroy Saint-Hilaire avait aussi nommé platyrrhinins une tribu de singes, les Cébins du Nouveau-Monde, pour les distinguer des Pythécins de l’ancien continent, désignés sous le nom de catarrhinins. C’est en pensant peut-être à cette homonymie des termes que M. Topinard a fait sur l’indice nasal la réflexion suivante : « Ce caractère, dit-il, rentre à certain point de vue dans la catégorie de ceux qui établissent un passage de l’homme au singe, mais plus encore de ceux dont la raison demeure sans explication. » Le professeur d’anthropologie semble pourtant y attacher une importance positive ; car, avant de présenter le tableau qui va nous passer sous les yeux, il ajoute ces mots : M. Broca, en effet, a découvert que l’indice nasal est un des meilleurs pour distinguer les races humaines, quoiqu’il ne les distribue pas en une échelle régulière, conformément à l’idée hiérarchique que nous nous faisons de ces crânes[15]. »

Je crois que M. Topinard, dont la modération est bien connue parmi ceux qui formulent des conclusions doctrinales, exagère beaucoup l’importance de cette mesure craniologique. Malgré toute l’autorité qu’on doit lui reconnaître, quand il s’agit de savoir les opinions que professait Broca sur un point quelconque de la science anthropologique, il est certain que celui-ci n’attachait à l’indice nasal aucune prévallence sur les autres procédés craniométriques. Dans un de ces Mémoires, dont les considérations sont trop étendues pour qu’on en fasse ici un résumé même écourté, le savant anthropologiste s’exprime ainsi : « Les remarques qui précèdent montrent que l’indice nasal est plus sujet à varier que l’indice céphalique ; et si celui-ci est déjà reconnu trop variable pour constituer à lui seul la caractéristique du crâne, à plus forte raison ne devons-nous pas nous flatter de trouver dans l’indice nasal un caractère décisif[16]. » Dans un autre mémoire, de la même année beaucoup plus étendu que le précédent, il a dit encore : « Je répète qu’il n’entre nullement dans ma pensée de faire de l’indice nasal la base d’une classification quelconque. Je n’y vois qu’un des caractères qui doivent concourir à l’étude des analogies et des différences ethnologiques[17].

… « Je ne saurais trop répéter en terminant, que l’indice nasal est sujet, plus que la plupart des autres caractères, à l’influence perturbatrice des variations individuelles et que les résultats qu`il fournit doivent, pour être valables, être relevés par la méthode des moyennes sur des séries suffisamment nombreuses[18]. »

Puisque, par les propres appréciations de Broca, nous savons quel cas il faut faire de l’indice nasal comme caractère taxiologique des races humaines, nous ferons bien d’examiner le tableau suivant, qui sera suivi de quelques explications nécessaires pour en fixer la valeur.

Platyrrhiniens. Indice nasal.
16 Hottentots. 58.38
8 Tasmaniens. 56.92
83 Nègres d’Afrique. 54.78
22 Nubiens. 55.17
14 Australiens. 53.39
66 Néo-Calédoniens. 53.06
Mésorrhiniens.
29 Javanais. 51.47
11 Lapons. 50.29
41 Péruviens. 50.23
26 Polynésiens. 49.25
11 Mongols. 48.68
27 Chinois. 48.53
Leptorrhiniens.
122 Parisiens modernes. 46.81
53 Basques français. 46.80
53 Basques espagnols. 44.71
17 Guanches. 44.25
14 Esquimaux. 42.33

Assurément, dès qu’on jette un premier coup d’œil sur ce tableau, il semble en sortir une déduction imposante. Tous les peuples de la race noire se trouvent parmi les platyrrhiniens ; tous les types de la race jaune ou malayo-américaine, excepté les Esquimaux, sont parmi les mésorrhiniens ; tous ceux qu’on regarde comme les représentants de la race blanche, parmi les leptorrhiniens. C’est pour la première fois qu’un procédé craniométrique offre un tel accord avec les théories anthropologiques ; et c’est justement à l’égard de ce procédé que le grand maître de la science recommande le plus de prudence, le plus de méfiance ! Le fait est curieux entre tous et mérite d’être étudié. L’heure est peut-être venue de dénoncer l’application fallacieuse de la méthode des moyennes, que les anthropologistes placent si haut, parmi les moyens d’investigation mis à la disposition de la science, C’est par un abus contraire à tous les principes de l’histoire naturelle que l’on prend ainsi une constatation idéale, arbitraire pour en inférer des lois naturelles, dont le caractère essentiel consiste surtout dans la précision et la régularité.

Avec la théorie des moyennes, l’expérimenteur qui dispose d’un grand nombre de crânes trouve facilement une façon de leur faire dire ce qu’il veut. Il n’y a qu’à choisir ses types dans le tas, écartant les maximums ou les minimums suivant les convenances de la thèse à soutenir. Je ne prétends pas mettre en doute l’intégrité des savants qui opèrent sur ces moyennes ; mais ils sont des hommes et l’on sait combien peu on hésite, lorsqu’il s’agit de forcer un fait à concourir à la démonstration d’un système que l’on défend. Il y a dans le tableau original de Broca, d’où M. Topinard a extrait les chiffres que nous venons de voir, un exemple ou plutôt un trait de lumière qui nous aidera merveilleusement à expliquer le cas en question. Les moyennes y sont accompagnées des minima et des maxima.

Ainsi la race la plus platyrrhinienne du tableau, les Hottentots, possède, un minimum d’indice nasal de 47.17 qui entre dans la catégorie des mésorrhiniens ; tandis que les Guanches, dont l’indice nasal est le plus petit, offrent parfois des maxima qui tombent dans la catégorie des mésorrhiniens. Mais qu’en sera-t-il si on répète la même comparaison entre les noirs de l’Afrique et les Parisiens modernes. Le minimum trouvé pour les premiers descend jusqu’a 43.13, qui est au-delà même des moyennes représentées par les Guanches, parmi les plus purs leptorrhiniens ; tandis que le maximum des derniers monte à 53.33, qui est la moyenne des Hottentots ! Avec de telles oscillations comment veut-on que l’indice nasal ait aucune portée scientifique, aucune valeur zootaxique ? Nous savons bien que, exceptis excipiendis, la race noire offre beaucoup plus souvent que la race blanche ce nez aplati et élargi à la base qui retire au visage toute expression de beauté ; mais n’est-il pas connu que le nez de la race mongolique est tout aussi large et aplati ? D’autre part, les nez plus ou moins camus se rencontrent si souvent dans la race blanche et le nez droit, même aquilin, est si peu rare parmi les noirs, qu’on ne pourra jamais en faire un caractère ethnique.

Ajoutons une remarque. Si la morphologie du nez constitue, comme l’affirme le savant M. Topinard, un de ces caractères qui établissent un passage de l’homme au singe, il y a tout lieu de croire que la race blanche caractérisée leptorrhinienne, est un type intermédiaire entre les singes et l’homme. Car, dans un classement basé sur les formes du nez, ou fait à ce point de vue de l’anatomie comparée de l’homme et des grands singes anthropomorphes, le blanc vient immédiatement après les chimpanzés. On peut se convaincre de cette vérité en lisant les propres paroles de Broca. « Dans les races humaines l’accroissement de l’indice nasal constitue presque toujours un caractère d’infériorité ; cela pourrait faire croire que la largeur relative de la région nasale doit être plus grande dans les singes que dans l’homme. Il n’en est rien cependant, et, s’il est vrai de dire que l’indice nasal des jeunes anthropoïdes se rapproche quelque peu des proportions humaines, il faut aussi ajouter que chez les anthropoïdes adultes, l’indice nasal devient plus petit et même beaucoup plus petit que celui de l’homme[19]. »

L’indice orbitaire de Broca ne donne nullement une base sûre pour la classification des races. La nomenclature d’après laquelle le savant anthropologiste range les différents groupes humains, en microsèmes, mésosèmes et mégasèmes, ne correspond pas du tout aux grandes divisions taxiologiques adoptées par les autres ethnographes et anthropologistes. Telle que la donne M. Topinard[20], elle laisse voir toutes les races dans un mélange dont on ne peut tirer aucune règle précise.

Une particularité fort curieuse, que nous avons eu lieu de remarquer déjà dans d’autres tableaux, c’est la fréquence de similitude de caractères entre les races noire et blanche qui, sous le rapport craniologique, semblent souvent se rapprocher, tandis que la race jaune ou mongolique garde toujours son cachet spécial. Dans le tableau de Broca[21], beaucoup plus explicite que le simple extrait du professeur Topinard, à la fin de chaque ligne, il y a les lettres M, E, ou C qui indiquent les types mongolique, éthiopique ou caucasique. Tous les peuples de race mongolique sont réunis parmi les mégasèmes qu’ils composent presque seuls, étant au nombre de vingt-trois sur les vingt-six catégories de cette section.

Aux sections des mésosèmes et surtout des microsèmes, on rencontre les Éthiopiens et les Caucasiens mélangés dans une forte proportion. Des treize peuples composant les races où domine la microsémie, on compte huit peuples caucasiques et cinq éthiopiques entremêlés dans le plus grand désordre.

On pourrait rapprocher cette coïncidence et celle rencontrée dans la mesure de l’angle avéolo-condylien. « Un fait digne de remarque, dit Broca, c’est que sous ce rapport, les crânes de type éthiopique ne diffèrent que très peu de ceux du type caucasique… Chez les Nègres comme chez les Européens, la moyenne est négative et un peu supérieure à 1 degré. — La seule différence ethnique qui paraisse se dégager de cette étude est relative aux crânes du type mongolique qui m’ont donné une moyenne de + 3° 31[22]. »

Nous avons suffisamment parcouru ces tableaux qui sont les résumés des procédés variés imaginés par les anthropologistes pour découvrir les caractères différentiels qui distinguent les races humaines les unes des autres. On peut s’assurer que ceux qu’on a vus donnent la juste mesure de ce que valent les autres. Ab uno disce omnes. Aussi nous contenterons-nous désormais d’en faire une analyse succincte en donnant l’opinion de chaque auteur, ou d’un anthropologiste compétent.

L’étude de l’indice général de la tête osseuse, faite au moyen du craniophore, ne donne pas une mesure de nature à mieux consolider les classifications des races, telles qu’on est habitué à se les représenter. Par le même instrument, on peut encore déterminer le degré d’inclination du front. Le résultat en est que lorsqu’on parle du « front déprimé du nègre », on commet une erreur qui, involontaire ou entretenue par d’anciens préjugés, prend les proportions d’une grosse bêtise. « Ce qu’on appelle un beau front, c’est-à-dire un front droit et bombé, dit M. Topinard, paraît se rencontrer aussi souvent, sinon davantage, dans les races nègres d’Afrique ; la série des Nubiens de M. Broca si négroïde par le crâne, est spécialement remarquable par la saillie des bosses frontales. »

Cette citation me remet en mémoire le passage d’un savant article où mon intelligent compatriote, M. Janvier, dit que Broca distinguait du premier coup d’œil les Noirs haïtiens, en remarquant leur front bombé. Le savant anthropologiste aurait-il eu le caprice de ne jamais voir dans les crânes nubiens de son laboratoire une particularité ethnique qu’il reconnaissait si bien dans le Noir haïtien ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. C’est l’éternelle histoire de l’esprit humain. Les pages de l’erreur ne seront définitivement scellées que lorsque toutes les races, également instruites, sauront également discuter toutes les propositions, toutes les opinions, dans l’universalité de la science. Cette ère poindra peut-être vers la fin du vingt-cinquième siècle ; mais déjà on peut voir blanchir à l’horizon de l’avenir le ciel sombre de la barbarie, qui a si longtemps fait la nuit dans les intelligences enténébrées de la majeure partie de l’humanité. Cette aube grandira, s’étendra. La lumière sera faite brillante et belle. Mais en attendant qu’elle vienne, continuons à nous diriger au milieu de l’ombre épaisse ou luttent encore toutes les nations, toutes les conceptions. Étudions toujours toutes les doctrines anthropologiques qui se couvrent du nom auguste de la science et en tiennent actuellement la place.

Avant d’abandonner le terrain de la craniométrie, où il nous a été impossible de trouver une base sérieuse de classification, je ne saurais mieux faire que de citer quelques paroles de l’illustre Broca, celui qui a le plus travaillé à ces opérations anthropométriques. En parlant de la direction du trou occipital dans les différentes races humaines et particulièrement de l’angle de Daubenton, l’éminent anthropologiste s’est ainsi exprimé : « Une classification ethnologique basée exclusivement sur ce caractère serait donc tout à fait trompeuse ; mais il a cela de commun avec tous les autres. Plus on avance dans l’étude des races humaines, et plus on acquiert la conviction que leurs affinités et leurs différences ne peuvent être déterminées et encore moins mesurées par un seul et unique caractère anatomique, morphologique ou fonctionnel. Ce n’est qu’en tenant compte de tous ces caractères suivant les principes de la méthode naturelle, qu’on peut espérer d’arriver à une classification vraiment scientifique[23]. »

Nous enregistrons cet aveu suprême. Nous notons bien dans la gravité de cette belle phraséologie la nuance sombre de ce découragement profond que ceux-là seuls connaissent qui se sont passionnes pour une idée scientifique et qui, après des recherches laborieuses, longues, consciencieuses, arrivent enfin à voir leur conception hautement démentie par la nature des choses. Cette dizaine de lignes que nous venons de lire semblent rendre inutiles tous les arguments que je me suis efforcé d’aligner pour réfuter le célèbre champion du polygénisme. Sans le besoin de l’histoire, sans la nécessité qu’il y a surtout à ce que ces pages restent, puisque les idées qu’elles combattent sont fixées en d’autres pages peut-être moins véridiques mais plus belles ; je pourrais vraiment alléger mon ouvrage de toute la lourde discussion qui en est sortie. Mais, pour revenir à une observation que j’ai déjà faite, en vertu de quelle logique Broca ou ses disciples et continuateurs ont-ils pu trouver dans la réunion de caractères qu’ils reconnaissent aussi trompeurs les uns que les autres, une manifestation quelconque de la vérité scientifique ? Comment parviendra-t-on jamais à une classification vraiment scientifique, « en suivant les principes de la méthode naturelle », quand les mesures anthropologiques, que l’on reconnaît comme les seules bases rationnelles, sont non- seulement trompeuses, irrégulières, mais le plus souvent contradictoires ? Il faudrait, après avoir cherché des moyennes pour chaque caractère ethnologique, prendre encore la moyenne de ces moyennes avant d’avoir une base définitive. Renvoyer à de telles données pour la solution du problème de la classification des races humaines, c’est déclarer indirectement qu’on n’y parviendra jamais.

II.

AUTRES BASES ANTHROPOMÉTRIQUES.


Maintenant que nous avons vu tout ce que la craniométrie peut offrir de ressources dans les recherches comparatives sur les caractères respectifs des races humaines ; maintenant que nous avons constaté l’impuissance des anthropologistes à tirer de ces procédés si compliqués la moindre règle qui ait une précision suffisante pour nous guider dans la distinction des groupes ethniques, nous pouvons passer à l’examen des autres procédés anthropométriques qui ont aussi fait l’objet de très savantes études. Cet examen sera si rapide qu’on doit plutôt le considérer comme un simple coup d’œil. À quoi bon d’ailleurs s’appesantir sur des faits d’où l’on ne peut tirer aucune lumière, aucun indice de la vérité !

La perforation de la cavité olécranienne de l’humérus, dont on a voulu faire une particularité ethnique, après l’avoir observée pour la première fois sur des squelettes de Hottentots, est complètement négligée. On l’a rencontrée dans toutes les races et dans des proportions remarquables parmi les anciennes populations de la France. C’est au point que sur 47 montagnards de l’Ain du Ve siècle, le phénomène se vérifie dans une proportion de près de 28 pour cent.

La platycnémie (jambe en lame de sabre), qui résulte peut-être de l’aplatissement latéral du tibia, n’est pas plus particulière à telle race qu’à telle autre. De même que la perforation olécranienne de l’humérus, elle semble se produire dans une certaine phase de développement de chaque race. Il faudrait alors la considérer plutôt comme un de ces signes anthropogéniques qui prouvent que toutes les races subissent une même évolution, tant dans l’ordre physique que dans l’ordre intellectuel et moral. C’est une question importante que nous aurons à étudier.

Un point des plus intéressants dans les différentes comparaisons que l’on a faites des squelettes humains de races diverses, c’est la proportion des membres supérieurs et des membres inférieurs. Des mensurations incertaines, exécutées avec plus ou moins de soins, avaient décidé certains anatomistes ou anthropologistes à déclarer que l’avant-bras de l’homme noir, comparé au bras, est plus long que celui de l’Européen. Depuis cette découverte ingénieuse, on s’est efforcé, par toutes sortes de procédés, à inventer des mesures précises, afin de fixer l’exactitude de ce fait. Mais la plus grande confusion règne dans les chiffres. Un savant sérieux ne saurait y voir que l’une de ces fantaisies dont parle M. de Rosny. Le but de ceux qui soutiennent ou ont soutenu ces paradoxes est surtout de démontrer qu’il existe un rapprochement plus ou moins valable entre l’Africain et le singe. White, Humphry et Broca n’en ont point fait mystère. Cependant, il y a bien lieu de croire qu’en déduisant une telle conséquence de ce caractère supposé ou même positif et inconstable, ils avaient complètement oublié toutes les autres constatations de l’anatomie comparée, pour ne s’arrêter qu’à un détail qui s’adapte plus particulièrement à leur doctrine scientifique. « Le plus évident jusqu’ici, dit le professeur Topinard, c’est que les proportions de l'homme ne se rapprochent ou ne s’éloignent pas de celles de l'anthropoïde par toutes les parties du squelette à la fois, mais tantôt par l’une, tantôt par l’autre, sans qu’il y ait de règle à établir, de prévision possible. Rien n’est plus opposé à la théorie monogéniste d’une gradation hiérarchique des races et plus conforme au contraire à celle des formations parallèles. Un type est supérieur par un point et inférieur par un autre. Il en est de même dans la famille des anthropoïdes, il y a divergence de proportions entre leurs genres et leurs espèces comme entre les races humaines[24]. »

Avant et au-dessus des conséquences qu’on a voulu déduire de la différence proportionnelle des membres inférieurs et supérieurs de l’Africain, comparés à ceux de l’Européen, il faut mentionner celles qu’on a inférées de la conformation du bassin dans les divers groupes de l’espèce humaine. En mesurant les dimensions du bassin, au point de vue de l’anatomie comparée, on a observé que sous ce rapport les animaux offrent une différence notable avec l’homme.

Tandis que parmi tous les mammifères la longueur du bassin l’emporte sur sa largeur, c’est le fait tout contraire qui se manifeste dans notre espèce. Cependant les Chimpanzés tiennent à peu près le juste milieu, ayant les deux diamètres de la cavité pelvienne presque égaux ; le gorille et l’orang, inférieurs au chimpanzé sous d’autres rapports, se rapprochent encore plus de l’homme sous celui-là. On pensa bientôt à y établir une différenciation entre les noirs et les blancs. Camper et Sœmmering déclarèrent que le bassin du noir est en général plus étroit que celui de l’Européen. Cuvier confirma leur opinion en affirmant que, sous ce rapport, la Vénus hottentote présentait des caractères patents d’infériorité. Weber et Vrolick, sans être aussi tranchants dans leurs déductions, avancèrent également le même fait. Suivant le premier, les principales formes du bassin se réduisent à quatre et se rencontrent dans toutes les races humaines ; mais la forme ovale se laisse voir plus souvent chez le blanc europeen ; la carrée, chez le Mongol ; la ronde, chez l’Américain et la cunéiforme dans la race noire.

La dimension carrée et cunéiforme de l’orifice supérieur de l’excavation pelvienne ne se rencontre pas dans la nature. Vrolick, tout en sacrifiant à l’opinion commune, quand il déclare que le bassin de l’homme noir présente une configuration qui se rapproche de l’animalité, reconnaît déjà la gracilité du bassin de la femme noire. Or, quoi qu’en ait pensé M. Pruner-Bey, il est évident que lorsqu’il s’agit d’étudier les différences ethniques que présente la configuration du bassin dans les groupes humains, c’est bien sur la femme que doivent se diriger les investigations scientifiques. La nature a mis un sceau sur la conformation anatomique de chaque sexe. Si elle a donné la prééminence à l’homme pour tout ce qui touche au cerveau et à la vigueur musculaire, elle a surtout donné à la femme tous les dons supérieurs qui concourent à la reproduction et à la conservation de l’espèce. Or, le bassin est, pour ainsi dire, la coupe ou vient s’adapter l’organe même de la maternité, le véritable vase d’élection de l’humanité. Pour se pénétrer de cette idée, on n’a besoin de recourir à aucune doctrine ésotérique, à aucune téléologie transcendantale.

D’ailleurs, pour comparer raisonnablement les caractères que signale la pelvimétrie dans les différentes races humaines, il ne faudrait pas mettre en regard des bassins du sauvage nigritien ceux des Européens modernes, déjà civilisés, ayant un genre de vie infiniment plus facile et plus élevé que l’Africain. C’est à l’anthropologie préhistorique de l’Europe qu’il faudrait plutôt faire appel, en mettant les types blancs, disparus ou devenus rares, de l’époque de la pierre polie ou de l’age de bronze à côté des peuples noirs ou jaunes dont l’évolution historique présente actuellement une phase semblable. De plus, les listes que l’on nous offre sont si maigres qu’elles n’ont aucune signification. Pourquoi, par exemple, le tableau[25] de M. Topinard est-il si parcimonieux en fait d’Européennes, dont il offre seulement quatre bassins, quand il a pu s’en procurer huit d’Africaines ? Ne serait-ce pas, ici comme ailleurs, l’éternel jeu, la prestigieuse fantasmagorie des moyennes dont j’ai déjà parlé ? J’avoue que lorsque j’entends un anthropologiste exposer à ses collègues les résultats qu’il a obtenus a l’aide de ces moyennes, je me rappelle invinciblement ce que dit le caustique orateur romain sur la contenance de deux augures qui se regardent. On a besoin alors de bien grands efforts pour ne point partir d’un de ces éclats de rire bruyants qui trahissaient les dieux du vieil Homère.

Suivant le Dr Verrier, préparateur à la Faculté de médecine de Paris, on peut réunir les bassins de toutes les races connues en trois grandes classes.

« La première, dit-il[26], comprenant les bassins de toutes les femmes d’Europe (moins la Lapone) de la Turquie d’Asie, de l’Égypte, de la Nouvelle-Guinée, des Négresses de la Guadeloupe et de la côte occidentale d’Afrique (Ouoloves).

« La deuxième classe, comprenant les bassins des femmes Syriennes, Persanes, Canaques, Australiennes, Péruviennes, Mongoliennes et Chinoises, Annamites, Lapones et Samoyèdes.

« Enfin les bassins de la troisième classe, de beaucoup moins connus en raison du petit nombre qu’on en possède, appartiennent aux Négresses du centre et du sud de l’Afrique, aux Négritos, aux Papoues et aux Bosjemanes. »

On remarquera que dans cette classification toutes les races sont amalgamées dans les diverses classes, excepté la dernière où il ne se trouve que des races noires puisque les Boschimans, malgré la clarté relative de leur peau, ont toujours été classés parmi les peuples noirs. Il faut encore observer que cette classification, selon l’opinion de l’auteur, n’a qu’un caractère purement obstétrical. Il n’admet pas les nomenclatures anthropologiques de Weber ou de Joulin. « Il n’y a pas plus de bassins carrés ou ronds qu’il n’y a de bassins cunéiformes dans l’espèce humaine, dit-il. La forme générale est plus ou moins ellipsoïde. Les nègres présentent des races multiples comme les blancs et les bassins des négresses de la Guadeloupe ou des Ouoloves de la côte occidentale d’Afrique sont aussi grands, aussi bien conformés que les plus beaux types européens. » Ces paroles nous dispensent de tout autre commentaire.

III.

LA CHEVELURE ET LA COLORATION DE LA PEAU.


Nous nous sommes bien attardés sur les bases anthropométriques si souvent invoquées comme pouvant déterminer les caractères morphologiques qui distinguent les races humaines les unes des autres. Rien ne reste pour appuyer les théories que les anthropologistes ont soutenues avec plus ou moins d’insistance, en s’autorisant de l’étude de la charpente osseuse de l’homme. Il n’y a donc qu’à constater ce résultat négatif et à passer immédiatement à l’étude de la coloration de la peau.

Bien qu’à notre avis on ne puisse jamais trouver une meilleure base pratique pour asseoir les grandes divisions ethnologiques, tous les savants ethnographes et anthropologistes répètent en chœur que la couleur de la peau est un caractère insuffisant pour distinguer les races humaines. Sans doute, il y a bien à redire sur la solidité d’un tel indice, quand on voit le Nubien, le Cafre, le Soudanien, l’Australien, le Dravidien, le Californien, enfin une centaine de peuples de nuance plus ou moins noire, différer si profondément par les traits du visage et la chevelure. En passant à la race blanche, — et nous entendons par là les hommes ayant la peau d’une blancheur plus ou moins franche, — on rencontre des types beaucoup plus homogènes ; mais ils sont encore assez variés, depuis le Scandinave aux formes sveltes, au teint rosé, aux yeux bleus et grands, aux traits accusés, jusqu’aux Ossètes au corps large et charnu, aux traits inharmoniques, à l’œil petit et farouche. La race jaune offre encore plus de désordre. Il est impossible d’énumérer les différences de complexion et de traits qui existent entre le Chinois, le Turc de l’Asie, le Guarani, le Mexicain, le Botocudo de l’Amérique, le Lapon européen et, puisqu’il s’agit de couleur, le Boschiman de l’Afrique méridionale, les Guanches, les Berbers, etc.

Cette confusion qui règne généralement entre la conformation typique et la couleur des diverses races, rend, il est vrai, difficile et imparfaite toute classification anthropologique basée seulement sur la coloration de la peau. Mais comment se tirer de difficulté ? En refusant à la coloration pigmentaire plus ou moins accusée toute valeur taxiologique, a-t-on découvert un caractère anatomique ou morphologique qui lui soit bien supérieur comme signe distinctif des races humaines ? Certainement non. Aucune des méthodes que nous avons déjà étudiées ne donne de résultat meilleur.

On ne peut mieux rencontrer, en s’étayant sur la nature ou la qualité des cheveux. Nous n’y jetterons un coup d’œil que pour la forme. Huxley a proposé une classification d’après la chevelure. Il divise les races humaines en deux grandes séries principales, renfermant les ulotriques aux cheveux crépus et les liotriques aux cheveux lisses. Cette grande division dichotomique, que nous avons déjà entrevue dans la classification de Bory de Saint-Vincent, répond plus ou moins à celle de Retzius (dolichocéphales et brachycéphales), avec des subdivisions inégales. Les ulotriques ne comprendraient que les Noirs africains et les Papous. Les liotriques sont partagés en quatre subdivisions comprenant : 1° Le groupe Australoïde, composé des Australiens, des Noirs du Dekkan (Hindous) et peut-être des anciens Égyptiens. Ils ont le crâne prognathe, à arcades sourcillières développées, la peau et les yeux noirs : les cheveux également noirs sont longs et droits. 2° Le groupe Mongoloïde à la peau jaunâtre, brune ou rouge brun, cheveux pareils à ceux du groupe précédent, crâne mésaticéphale : on y réunit les Mongols, les Chinois, les Polynésiens, les Esquimaux et les Américains. 3° Le groupe Xanthochroïde, réunit les Slaves, les Teutons, les Scandinaves et les Celtes blonds, peuples à la peau blanche, aux yeux bleus, cheveux abondants, crâne brachymésaticéphale. 4° Le groupe mélanochroïde a enfin le teint pâle, les cheveux noirs et longs, les yeux également noirs, tels que les Ibériens, les Celtes bruns et les Berbers[27].

Cette classification de Huxley ne repose que nominalement sur la nature des cheveux. C’est en somme un mélange de méthodes créant des groupes encore plus artificiels que ceux qui sortent de l’application d’une méthode unique. Il faut encore citer la classification de F. Müller et Hæckel[28] basée uniquement sur la nature et l’implantation des cheveux. Nous abrègerons toutes explications en présentant le tableau synoptique qu’ils ont dressé pour donner une idée d’ensemble de la nomenclature qu’ils proposent.

Chevelure. Laineuse.
Lisse.
En buisson. Hottentots.
Papous.
En toison. Nègres africains.
Cafres.
Raide. Australiens.
Hyperboréens.
Américains.
Malais.
Mongols.
Bouclée. Dravidiens.
Nubiens.
Méditerranéens.

Un simple coup d’œil jeté sur ce tableau indique à quel point tous, les groupes ethniques y sont encore mélangés dans la plus grande confusion. Si dans la division caractérisée par une chevelure laineuse nous ne rencontrons que des peuples noirs, dans celle dont la chevelure lisse est la caractéristique, nous voyons les Nubiens et les Dravidiens noirs réunis aux Méditerranéens qui sont en majeure partie blancs. Les Mongols clair-jaunes sont accouplés aux Australiens noirs et aux Américains, dont une grande partie est aussi très brune et presque noire, telle que les Californiens.

Il semble donc établi qu`aucune autre base de classification anthropologique n’offre plus de garantie d’exactitude que la coloration de la peau. Quoi que fasse la science, elle est obligée de compter avec les idées générales, quelque vulgaires qu’elles soient, lorsqu’elle est surtout impuissante à en suggérer de plus rationnelles. Or, dans tous les pays, dans toutes les races, quand on voit pour la première fois l’échantillon d’une variété de l’espèce humaine, ce qui étonne tout d’abord et attire invinciblement l’attention, ce n’est ni les traits du visage, ni les particularités de la chevelure, c’est plutôt la couleur de la peau.

Qu’on glisse un noir Australien parmi les populations noires et aux cheveux crépus de l’Afrique, ou dans les mornes d’Haïti, la majorité de ceux qui passeront a quelques pas de lui, s’occuperont bien peu de ses cheveux longs et droits et encore moins du prognathisme plus ou moins accentué de son visage. Mais qu’il se présente un albinos de la Nigritie ayant comme eux les mêmes formes du visage et la même chevelure laineuse, privé seulement de la coloration pigmentaire à laquelle ils sont habitués ; celui-ci fera une vive impression sur tous ceux qui l’auront vu. Il faudra une longue expérience des cas d’albinisme et l’instruction d’un anthropologiste, d’un médecin ou d’un naturaliste, pour qu’on ne voie pas un blanc et rien qu’un blanc en ce noir métamorphosé.

D’autre part, que l’on introduise parmi les campagnards Français ou Allemands le plus beau spécimen de la race dravidienne, un Tova aux grands yeux noirs, à la chevelure longue et soyeuse, aux traits les plus réguliers. Cet individu excitera le plus grand émoi autour de lui. Mais si le même albinos de race éthiopique a le soin de se bien raser la tête, il passera inaperçu ; et même avec ses cheveux crépus, mais blondelets, il sera plutôt l’objet d’une douce curiosité, sans jamais causer cette sotte frayeur que tous les noirs qui voyagent inspirent aux Européens de province, encore incomplètement civilisés.

Nous croyons devoir adopter la classification ethnologique basée sur la couleur de la peau, pour une seconde raison. Non-seulement elle est plus apparente et prête moins à l’équivoque, mais elle offre encore le caractère le plus constant dans chaque race. Les Français du XIXe siècle ne ressemblent pas exactement aux Français du Ve siècle, ils ressemblent encore moins à ceux de l’époque des rennes. Mais ce qu’ils ont de commun, c’est la couleur de la peau. Nous faisons abstraction des croisements ethniques dont l’influence disparaît insensiblement dans l’évolution que chaque peuple accomplit vers un type commun qu’on peut appeler son type national. D’après Lyell les formes crâniennes, le développement cérébral et la civilisation suivent une marche analogue. On peut aux formes crâniennes ajouter toute la stature du corps humain. Car les formes et les dimensions de chaque organe tendent naturellement à s’adapter aux occupations habituelles des individus, suivant les modes variés d’exercice qu’on leur fait subir. Mais ce n’est pas le moment de nous étendre sur cet intéressant sujet. Nous y reviendrons plus tard.

La conclusion en est que la couleur des races humaines est, sublatis sublandis, en corrélation régulière avec le climat et les milieux où ils vivent, tandis que la forme du visage, dans la majeure partie des cas, s’harmonise avec le degré de civilisation acquis actuellement ou par les ancêtres qui l’ont fixé à leurs descendants au moyen de l’hérédité. Or, si l’on réfléchit qu’à peu d’exceptions près, toutes les races qui tombent sous l’étude de l’ethnologiste sont cantonnées en des milieux connus, d’où elles ne se déplacent qu’avec peine et difficulté ; que dans les cas même ou elles se déplacent, elles ne prospèrent dans un nouveau milieu qu’autant qu’il réunit les conditions climatologiques, qui leur permettent un acclimatement facile, on verra que la couleur est le caractère le plus persistant et le moins trompeur dans la distinction des races.

Il faut excepter le cas où, comme les anciens Égyptiens, un peuple subit des invasions répétées durant des siècles par des races étrangères qui, au moyen de croisements continuels, lui infusent lentement une coloration autre que la nuance primitive de ses ancêtres. Mais ce sont des cas accidentels dont l’histoire offre un contrôle sûr et pratiquable. En somme, tout le temps que l’on continuera à désigner généralement les races humaines sous les dénominations de blanche, jaune, noire, brune ou rouge ce sera un leurre que de choisir d’autres caractères que ceux de la couleur, quand il faut les classer.

Si les classifications sont tellement confuses, c’est qu’au lieu de s’arrêter à une base unique, on les confond toutes. Le plus souvent on crée à plaisir des dénominations arbitraires qui ne disent rien des particularités naturelles qui doivent servir de caractéristique à une nomenclature. N’est-ce pas ainsi qu’on parle de la race aryenne, de la race indo-européenne ? Cette nomenclature artificielle est d’autant plus captieuse qu’elle semble revêtir un cachet scientifique qui en impose au vulgaire. Le mot aryen ou aryan, dont la racine sanscrite signifie noble, appliqué à toute la race blanche, ne prouve autre chose qu’un orgueil rétrospectif. En fait, il n’a jamais existé une nation aryane. Quant au terme indo-européen, il provient simplement d’une fausse théorie linguistique. Quand on nomma ainsi la race blanche, on ignorait que la majeure partie de la population de l’Inde était d’un brun foncé ou franchement noir. L’erreur est sortie de cette idée que la beauté et l’intelligence sont l’apanage exclusif de la race blanche. Le terme de caucasique n’a d’autorité que par son ancienneté ; car plusieurs races distinctes entourent ou habitent le Caucase. On a moins à redire sur la dénomination mongolique donnée souvent à toute la race jaune. Bien que les Mongols proprement dits, comprenant les Mandchoux, les Tougouses, les Kalmouks, etc., ne sont qu’une partie de la race jaune, on a pu se servir de leur nom comme terme générique pour désigner toute la race dont ils paraissent former les principaux types. Quant au terme éthiopique, on n’a guère de reproche à lui faire. Non seulement il a en sa faveur les mêmes raisons invoquées pour le terme mongolique, mais, par son étymologie, il est simplement une dénomination de la couleur, désignant toutes les races au visage brûlé, c’est-à-dire noires.

Il existe donc trois grandes divisions ethniques dans l’espèce humaine : la blanche, la jaune et la noire. Comme subdivision, se rapportant aux trois groupes principaux, on peut découvrir une quantité de nuances, variant à l’infini, mais dont les différences saisissables ne vont pas au delà d’une cinquantaine.

Ne pourrait-on pas établir une classification basée uniquement sur la coloration des races, en essayant de dresser, comme l’a fait Broca, un tableau des couleurs de la peau ?

Sans donner à ce système une importance scientifique qu’il n’a pas, on pourrait en tirer un résultat pratique incontestable. « La distribution diverse du pigment, dit M. Mantegazza, est un bon caractère anatomique pour instituer un système de classification des hommes, mais non pour, établir une méthode taxonomique[29]. » Rien de plus judicieux que les paroles du savant professeur de Florence. Mais, nous l’avons déjà vu, une vraie méthode taxonomique est un idéal auquel il est impossible d’atteindre. Les différences qui séparent les races humaines les unes des autres ne sont pas suffisamment délimitées par la nature, pour qu’on puisse y établir aucune classification rationnelle. Il vaudrait donc mieux grouper les races humaines suivant le caractère le plus apparent qui est incontestablement leur coloration. Ne restera-t-il pas d’autres difficultés ? Certainement oui. Quoi qu’on fasse, malgré les instructions les plus précises, malgré les planches chromo-lithographiques aux teintes les plus délicates et imaginées par les meilleurs coloristes, on ne pourra jamais saisir exactement certaines nuances de coloration et encore moins les représenter par les combinaisons chimiques que mettent à notre disposition les cinq couleurs fondamentales d’où les grands peintres tirent tous leurs effets de lumière.

La couleur de la peau n’est jamais franchement noire, jamais d’un jaune semblable à celui du rayon lumineux du prisme solaire, jamais exactement blanche. Quant au rouge, il est inutile de dire combien il est faux de l’appliquer à la coloration d’une race ou d’un homme quelconque. On n’a jamais que des nuances, tirant plus ou moins sur ces notes franches. C’est que, si les couleurs chimiques sont plus ou moins analogues à celles représentées par ; le tissu utriculaire des végétaux, au point que telle couleur végétale ressemble à s’y tromper à la couleur minérale correspondante, il en est bien autrement pour le tissu cellulaire où se trouve le réseau de pigment qui couvre la peau humaine.

Par quelle combinaison intime le sang que nous voyons rouge arrive-t-il, sous l’influence de la lumière, à transformer en tant de nuances diverses le dépôt pigmentaire qu’il accumule entre le derme et l’épiderme de l’homme M. Topinard a essayé de répondre à ces questions. « À la suite de la matière colorante rouge du sang, dit-il, et de la matière colorante noire de la peau et de la choroïde, il faut en citer une troisième dans l’économie, la biliverdine qui se produit dans le foie et colore les tissus en jaune dans l’ictère. À l’état physiologique ou sub-physiologique, et quel que soit le nom qu’on lui donne, elle produit parfois une teinte jaunâtre ou sub-ictérique de la face. C’est à elle incontestablement qu’il faut attribuer la coloration jaunâtre de la peau, du tissu cellulo-adipeux des muscles et du sang si souvent indiquée dans les autopsies de nègres. Cette matière colorante n’est-elle qu’une transformation, une manière d’être différente de la matière colorante du sang ou du pigment ? C’est aux chimistes à répondre[30]. »

Tout ce qu’on vient de lire du savant professeur peut avoir un haut intérêt en anthropologie pathologique. On pourrait par exemple se demander si les particularités qu’il signale ici n’expliquent pas l’immunité, depuis longtemps observée, dont jouissent les hommes de couleur et les noirs (sans doute, les jaunes et les bruns asiatiques aussi) contre la jaunisse ou fièvre ictérique. Le sang ayant acquis l’aptitude physiologique de charrier dans les vaisseaux artériels ou veineux la matière qui colore leur peau ou leurs organes internes, ne subit aucun dérangement morbide en en véhiculant une quantité plus ou moins grande. Mais au point de vue qui nous occupe, l’explication est absolument insuffisante. Et faudra-t-il le dire ? Je crois même que ce n’est pas aux chimistes mais bien aux physiologistes qu’il faut s’adresser pour avoir la lumière sur cette question.

En effet, il n’est pas certain qu’il y ait dans l’organisme humain, trois éléments fondamentaux de coloration qui seraient distinctement figurés par le rouge, le jaune et le noir. Il faut en compter un nombre infini ou ne tenir compte que d’un seul qui est le sang. La biliverdine, comme la bilifuchsine ou la biliprasine, est produite avec la bile, dans la glande hépatique, mais c’est le sang qui fournit au foie tous les matériaux nécessaires pour la former. C’est ainsi que certaine matière mise dans la cornue du chimiste se transforme et change d’aspect, selon les conditions de dosage et de chaleur. La chimie a fait sa tâche en extrayant les matières colorantes de la bile ; c’est au physiologiste qui étudie les phénomènes de la vie organique, à rechercher par quel mode d’action le foie décompose le sang pour le transformer, à ce point. Voilà pour la couleur jaune.

La couleur noire de la peau ou des autres tissus, n’a pas d’autre origine que le sang. Nous avons eu déjà une notion de la mélanine, dont l’accumulation dans le réseau sous-épidermique colore en noir la peau de l’Éthiopien. Cette substance est composée de fines granulations dont les parties microscopiques ne sont rien autre chose que du sang arrivé à un haut degré de carbonisation et privé d’oxygène. En leur communiquant une certaine quantité d’oxygène, on les verrait revenir graduellement à la coloration du sang.

L’acide azotique, selon Littré et Ch. Robin[31], change la mélanine en une masse roussâtre. Ce phénomène chimique provient sûrement de ce que l’acide azotique, qui est un des agents oxydants les plus énergiques, dissocie la trame moléculaire de la mélanine, en lui cédant l’oxygène dont elle est avide. En étudiant ces faits, on s’explique aussi comment les hommes qui habitent un climat chaud brunissent sous les rayons ardents que darde le soleil, sans que leur constitution ait eu des qualités primitives, autres que celles qui se trouvent uns les autres hommes vivant sous un ciel moins brûlant ou même sous une basse température. Chez les premiers, le sang est attiré jusqu’aux moindres ramuscules du tissu vasculaire, par l’effet de la chaleur qui les dilate, et perd par l’abondance de la transpiration et l’évaporation qui s’en suit, la majeure partie de ses éléments liquides. Il dépose donc ses résidus carbonisés dans les cellules épithéliales, comme le caput mortuum qui reste dans la cornue surchauffée du chimiste. Pour expliquer la coloration en jaune des peuples hyperboréens qui ont dû former les premières populations de leurs nuances apparues sur la terre, on s’y prendrait différemment. On sait que le corps humain offre, sous toutes les latitudes, une température constante ou dont les variations sont insensibles. Ceux qui habitent les froides régions, aux environs des pôles, sont instinctivement conduits à se nourrir de tous les aliments dits respiratoires et dont l’action consiste à entretenir dans l’économie organique la chaleur indispensable à la vie. De tous ces aliments, les matières grasses sont les plus efficaces, au moins le plus à portée des populations qui avoisinent la mer. Une expérience pratique a dû en indiquer l’utilité et en vulgariser l’usage.

Le foie étant l’organe destiné à produire le suc propre à émulsionner la graisse et à la rendre assimilable à l’organisme, on comprend aisément la suractivité qu’il doit avoir dans toutes les races auxquelles sont imposées les conditions d’existence précédemment exposées. L’irritation continuelle de la glande hépatique y détermine une hypersécrétion de la bile. Celle-ci ayant utilisé, suivant sa principale destination, la plus grande partie de l’acide cholalique, de la cholestérine et des sels qui y sont réunis, continue à circuler dans le sang avec ses matières colorantes ; elle les dépose, dans sa course ultime, au réseau sous-épidermique, ici beaucoup moins actif que chez l’Africain. Comme elles ne sont point rejetées facilement de l’organisme, n’étant point sollicitées à l’extérieur par une transpiration abondante, on comprend qu’elles finissent enfin par colorer l’épiderme du Lapon et de tous les peuples de la même race, en leur donnant cette teinte jaune, aux nuances si variées !

L’homme de race blanche, placé sous les latitudes d’un climat tempéré, ne se verra ni brûlé par le soleil, ni jauni par un excès de matières biliaires dans la composition de son sang. Son teint restera toujours plus ou moins incolore. Son épiderme transparent, comme celui de toutes les races humaines, d’ailleurs, ne laissera voir le derme qu’avec cette couleur de chair si bien connue, mais si difficile à définir. Ainsi sera caractérisée la couleur de la race dite caucasique dont la nuance n’approche pas plus de la blancheur de l’albâtre que celle de l’Éthiopien ne prend cette teinte de noir de fumée dont on parle si souvent.

Voilà bien des hypothèses. Mais l’anthropologie ne repose jusqu’ici que sur des données hypothétiques. C’est déjà quelque chose, quand on peut les faire concorder avec les notions indiscutables auxquelles ont est déjà parvenu dans les sciences mieux faites, mieux élaborées.

Faute de mieux, nous avons accepté la coloration de la peau comme une base pratique de classification ; mais, il faut le répéter, elle n’offre pas plus que les autres caractères anatomiques une méthode sûre et scientifique. Cette méthode n’existe pas. Mais comment a-t-on pu alors classer les races humaines en inférieures et supérieures ? Si on ignore quels sont les caractères qui les distinguent régulièrement les unes des autres, comment pourra-t-on attribuer aux unes plus d’intelligence, plus de moralité qu’aux autres, sans donner dans le plus arbitraire des empirismes ? Les anthropologistes désireux de pouvoir fixer les particularités taxonomiques qui légitiment leur théorie, ont eu recours à un nouveau mode de classification qui ne relève nullement des sciences naturelles ; mais elle est si renommée qu’on est forcé de s’en occuper. D’ailleurs, c’est un sujet fort intéressant, c’est une des études les plus attrayantes qui soient offertes à l’esprit humain. Je veux parler des classifications basées sur la linguistique.


IV.

ESSAIS DE CLASSIFICATIONS LINGUISTIQUES.


En s’occupant de l’étude morphologique des langues, on a été prompt à reconnaître qu’elles peuvent se diviser en trois grandes classes. 1° Les langues isolantes ou monosyllabiques, dans lesquelles les racines restent invariables, le rôle des mots dépendant de leur position comme dans le chinois, le cambodgien, l’annamite et le thaï ou siamois, ainsi que les dialectes qui s’y rapportent. 2° Les langues agglutinantes, ou plusieurs racines s’unissent pour former un vocable ou un mot quelconque sans perdre leur signification primitive, l’une conservant son indépendance radicale et les autres se réduisant au rôle de simples signes auxiliaires : comme exemple, on peut citer le turc, le malay, le dravidien et la majeure partie des langues africaines. 3° Les langues inflexionnelles ou amalgamantes, dans lesquelles la racine principale d’un mot et ses désinences admettent également l’altération phonétique, telles que les langues indo-européennes, sémitiques et chamitiques.

Cette division ne semble-t-elle pas répondre à celle de l’espèce humaine en trois grandes races, la jaune, la noire et la blanche ? Une pareille coïncidence dut éveiller l’attention des ethnologues qui se demandèrent bientôt si certains groupes de l’humanité ne seraient pas mieux conformés pour se servir de telle forme de langage plutôt que de telle autre. Si l’on arrivait à une pareille systématisation, ne trouverait-on pas du coup une base taxiologique et une base hiérarchique pour la division des races humaines ? La linguistique ne viendrait-elle pas trancher le nœud gordien qui a défié si longtemps toutes les méthodes naturelles ?

Ces idées une fois lancées, les philologues et les linguistes virent dans leurs études une importance philosophique de premier ordre. Le fait parut d’autant plus intéressant que la majeure partie de la race blanche parle des langues infléchies ; une grande partie de la race jaune parle des langues isolantes et presque tous les noirs Africains parlent des langues agglomérantes. On lutta de travail et de persévérance pour découvrir les corrélations qui peuvent exister entre les organes de la voix et le cerveau, d’une part, entre la pensée et la parole, de l’autre. Ce fut une vraie émulation dans toute l’Europe. Comme il fallait s’y attendre, plusieurs écoles furent érigées. Il en sortit tant de discussions passionnées, tant de brillantes mais stériles contradictions que, de guerre lasse, on désarma de toutes parts, laissant à la science le calme et le recueillement qui sont pour elle les meilleures garanties de progrès, après les périodes d’ardente polémique. Les choses sont bien changées maintenant. Aussi bien, on peut aborder froidement ces questions, sans réveiller les passions qui agitaient si fort tous les savants de la première moitié de ce siècle. Revenons-y donc quelques instants.

La première controverse historique qu’il faut mentionner est celle qui se manifesta à propos de l’origine du langage. Dès l’antiquité hellénique, l’étude du langage avait commencé à préoccuper les esprits. Les deux plus grands maîtres de la philosophie grecque, Aristote et Platon en ont laissé la preuve, l’un dans un traite spécial (de l’Interprétation ou du Langage), l’autre dans son Cratyle. L’école épicurienne, dont toutes les idées sont condensées dans le magnifique poëme de Lucrèce, s’en était aussi occupé. En fit-on un bien grand cas ? Était-ce là une question de vif intérêt en dehors du cercle philosophique ou l’on s’en occupait légèrement ? Il est certain que non. Avant le christianisme et les dogmes théologiques, il ne pouvait y avoir de discussions bien ardentes sur un tel sujet. Si, dans le dialogue de Platon, Hermogène considère le langage comme le produit d’une pure convention et croit que les signes en sont arbitraires, Socrate le réfute sans colère, en soutenant que la parole est une faculté naturelle qui se développe graduellement avec la pensée et que les signes dont on fait usage pour la fixer ont des rapports positifs avec la nature des choses.

Aristote, qui cherchait surtout à approfondir les notions par l’analyse, afin de parvenir à une systématisation générale de la connaissance, tout en reconnaissant dans le langage une faculté naturelle, y voyait de plus un caractère particulier à l’intelligence humaine, un produit de l’âme intellectuelle, pour nous servir de sa terminologie. Sans s’arrêter sur les abstractions, il analyse les qualités du langage et les lois de l’interprétation des signes, d’une façon insuffisante si on en compare le résultat à tout ce qui a été fait après lui, mais avec une sagacité remarquable. Cependant ce point n’a jamais soulevé de graves discussions dans les anciennes controverses philosophiques, soit parmi les péripatéticiens, soit entre les écoles opposées.

Quant à Lucrèce, qui considère Épicure à l’égal d’un dieu, il opine avec lui que les premiers hommes émirent instinctivement les sons variés du langage et furent poussés par la nécessité à donner un nom à chaque chose. L’origine du langage découlerait ainsi de la nature même de l’homme et de ses facultés innées. Il en aurait usé spontanément, comme les autres animaux émettent leurs cris ou leurs chants.

Sentit enim vim quisque suam, quoad possit abuti[32].

Toutes ces théories passèrent inaperçues ou n’attirèrent que légèrement l’attention. Autre fut l’impression quand la question fut reprise vers la fin du XVIIe siècle, par Condillac et, après lui, Leibniz. La grande lutte philosophique aujourd’hui oubliée entre les sensualistes et les spiritualistes fut entraînée sur le terrain de la linguistique. L’un soutenait à peu près la théorie de l’Hermogène de Platon, l’autre répliquait en développant l’argumentation socratique, sous l’inspiration générale du spiritualisme classique. Qui a eu raison, qui a eu tort ? Leurs contemporains furent partagés et indécis : la division et l’indécision règnent encore. Cependant la théorie de Condillac était adaptée à tout un système. Il voulait trouver un terme transactionnel qui conciliât les différentes hypothèses, en les faisant aboutir à sa théorie de la sensation.

Pour lui l’homme acquiert successivement toutes ses facultés par la sensation. Celle-ci, en se transformant en idées, se traduit naturellement par la parole composée primitivement de signes naturels et, plus tard, de signes arbitraires conventionnellement admis dans le langage. Sans la parole, l’homme est impuissant à analyser ses pensées. Aussi tout l’art de penser consiste-t-il à s’approprier une langue bien faite ! D’après ce raisonnement, l’origine de la parole serait purement et simplement dans la sensation perceptive. Mais dans notre époque d’industrialisme et de positivisme, on ne comprend plus, hélas ! le charme qu’il y avait à se délecter ainsi dans les enchantements de la métaphysique.

Au commencement de ce siècle, Bonald, esprit cultivé, mais paradoxal, qui croyait pouvoir réagir contre les tendances et les convictions de son temps, déploya une rare énergie à prendre le contre-pied de tout ce qui semblait concorder avec les idées persistantes de la grande Révolution française. Or, admettre qu’il avait suffi des seules forces de l’intelligence humaine pour inventer le langage, comme le XVIIIe siècle le proclamait avec l’école épicurienne, n’était-ce pas élever un piédestal à l’orgueil humain, et légitimer toutes les tendances tumultueuses qu’on manifestait hardiment, avec la prétentieuse formule : « Chaque homme est le seul ouvrier de sa propre destinée ? » Il lui parut donc faire œuvre pie et conservatrice, en préconisent une théorie contraire. D’après lui, la parole nous serait venue d’une source plus haute, nos premiers parents l’ayant reçue de Dieu lui- même par les moyens surnaturels de la révélation. « Suivant Bonald, dit Fr. Lenormant, l’homme, au moment où Dieu l’a placé dans le monde, était muet et privé de pensée ; ses facultés intellectuelles existaient en lui à l’état de germe, mais elles étaient frappées d’impuissance, incapables de se manifester et par suite de se produire. Tout à coup, la lumière a éclairé ces ténèbres et le miracle a été produit par la parole de Dieu qui a frappé l’oreille de l’homme et lui a révélé le langage. »

Impossible de condenser en moins de mots et d’une manière plus saisissante, tant par l’élévation du style que par la sûreté de l’interprétation, la théorie que l’auteur des Recherches philosophiques avait imaginée pour expliquer l’origine du langage. Mais là encore, c’était le terrain de la métaphysique ; peut-être même de la théologie politique. La question manquait donc de base scientifique. En effet, la linguistique à l’aide de laquelle on pouvait l’étudier avec fruit, n’était pas encore constituée d’une manière systématique et rationnelle.

Il est vrai que depuis 1787, Hervas, savant jésuite espagnol, nommé par Pie VII préfet de la bibliothèque Quirinale, après que son ordre avait été chassé de l’Espagne, a écrit en italien un ouvrage volumineux où l’on trouve de très savantes recherches de linguistique ; mais le titre[33] même de l’ouvrage prouve que la science qui nous occupe n’y avait qu’une place accessoire. C’est une espèce d’encyclopédie prenant le contre-pied de l’œuvre des Voltaire, des Diderot et des D’Alembert. En 1805, le même auteur publia à Madrid un Catalogue raisonné de toutes les langues connues. En 1815, Vater, continuant les travaux d’Adelung, avait aussi publié une Table alphabétique de toutes les langues du monde[34]. Enfin, Klaproth, en 1823, publia son Asia polyglotta qui fit la plus grande sensation dans le monde savant. Mais jusque-là, ce n’était que de brillants aperçus jetés sur un coin de l’esprit humain. Les études devaient y prendre toutefois la plus belle extension et le plus haut intérêt.

La linguistique a été véritablement et définitivement constituée à partir des travaux de l’immortel Bopp dont la Grammaire comparée des langues indo-européennes conserve encore une grande autorité parmi les savants les plus spéciaux. — Par son traité Des rapports des langues malayo-polynésiennes avec les langues indo-germaniques, il a surtout jeté la première base de l’étude organique des langues et des lois phonétiques qui président à la formation des mots. Peut-on oublier le professeur Eichloff ? Par ses éminents travaux de philologie comparée ou de linguistique proprement dite, il a puissamment contribué à donner à la glottologie le caractère positif et scientifique qu’elle possède à notre époque.

Dans cette nouvelle phase de la science, la question de l’origine du langage fut de nouveau agitée, mais avec une tout autre compétence. Ceux qui l’abordèrent le firent avec une véritable autorité. Ce furent les Ch. Bell, les Duchenne et les Gratiolet, d’une part ; les Renan, les Guillaume de Humboldt, les Pott et les Max Müller, de l’autre.

Dans le langage il y a deux choses à considérer fort distinctes : l’émission de la parole et l’expression. Quant au premier point qui a trait au langage naturel, les physiologistes éminents qui s’en occupèrent, ne s’écartent pas sensiblement de l’opinion de Lucrèce. Ils n’ont fait que la compléter, en lui donnant un cachet scientifique que le disciple d’Épicure ne pouvait même soupçonner. Suivant eux, les mouvements du corps et des membres expriment certains besoins ou certains actes, parce qu’ils en sont les signes naturels, tels que les modifications de la physionomie qui s’accordent spontanément et simultanément avec le jeu de certains muscles du visage. Ceux-ci obéissent aux impulsions intimes qui résultent de la sensation. Les cris, les gestes, qui sont d’abord instinctivement produits, peuvent se répéter volontairement et unissent par s’adapter à la désignation des objets. Les enfants en donnent l’exemple continuel, jusqu’à ce qu’ils apprennent enfin leur langue maternelle[35].

Pour ce qui concerne l’origine du langage artificiel, c’est-à-dire la faculté de l’expression, on a imaginé pour l’expliquer, diverses hypothèses aussi valables les unes que les autres. On a tour à tour produit la théorie des onomatopées et celle des interjections. Les premières décèleraient en l’homme une tendance instinctive à imiter les sons naturels et les secondes seraient le simple effet des grandes émotions. Il est certain que ces théories, prises isolément, ne représentent pas la vraie nature des choses. Elles doivent se compléter et s’aider d’autres données avant d’offrir des bases scientifiques plus solides.

Max Müller et M. Renan, les trouvant insuffisantes, ont cherché d’autres raisons. Ils considèrent les racines comme des types phoniques produits spontanément par une faculté inhérente à la nature humaine, celle de nommer les choses en les ramenant à des idées générales, suivant la puissance naturelle de l’esprit.

Mais que savait-on des racines ? Les pouvait-on étudier d’une manière précise, de façon à déduire des conclusions valables sur leur origine ? Comme après la découverte du sanscrit toutes les langues indo-européennes ont pu être classées, on commença par distinguer les radicaux des éléments formels qui y sont ajoutés d’après les règles de la phonétique. Les radicaux considérés comme les éléments primitifs de la langue furent divisés ensuite en racines attributives et racines démonstratives.

Pour expliquer l’origine d’une langue, il suffirait donc d’étudier ces racines qui sont d’ordinaire en nombre restreint dans chaque langue et les suivre attentivement dans leurs transformations phoniques.

Mais en quoi ces particularités linguistiques peuvent- elles intéresser l’anthropologie dans la recherche d’une base de classification des races humaines ? Continuons le raisonnement et les conséquences s’en déduiront. Les racines étant considérées comme produites spontanément par la faculté que l’homme a de nommer les choses, il semble que la pensée plus ou moins éclairée devient la grande régulatrice de la parole, à laquelle elle communique seule la vie et le mouvement. Le langage ne doit-il pas alors être rangé parmi les facultés que l’homme développe lui-même, par les seules excitations de la vie sociale ?

C’est une conclusion indispensable. Le professeur Sayce, un des plus brillants disciples de Max Müller, l’exprime en ces termes : « Le langage, tel que nous le trouvons, est aussi bien une création de l’homme que la peinture ou tel autre des beaux-arts… Le langage appartient à la multitude ; il fait communiquer l’homme avec l’homme ; il est le produit de causes et d’influences combinées qui affectent également tous les hommes[36]. »

Peut-être les idées de M. Renan ne sont-elles pas bien claires sur ce point fondamental. Voici d’ailleurs comme il s’exprime. « Le besoin de signifier au dehors ses pensées et ses sentiments est naturel à l’homme. Tout ce qu’il pense, il l’exprime intérieurement et extérieurement. Rien non plus d’arbitraire dans l’emploi de l’articulation comme signe des idées. Ce n’est ni par une vue de convenance ou de commodité, ni par une imitation des animaux que l’homme a choisi la parole pour formuler et communiquer ses pensées, mais parce que la parole est chez lui naturelle et quant à sa production naturelle et quant à sa valeur[37]. » Subtiles et délicates sont les pensées de l’éminent philosophe ; mais plus subtiles et plus fines sont ses expressions !

En somme, il opine que la parole est un résultat des facultés de l’homme agissant spontanément plutôt qu’une création de l’homme même. C’est à ce point qu’on peut facilement rattacher son opinion à celle de toute l’école théologique en distinguant la parole en puissance de la parole en acte. Dieu l’aura créée dans l’homme sous la première espèce ; mais elle se manifestera sous la seconde. C’est ainsi que l’œil voit ou que l’oreille entend, sous une simple impulsion visuelle ou auditive, sans que l’on puisse logiquement dire que l’homme est le propre créateur de ses facultés de voir et d’entendre. Combien de fois ne trouvera-t-on pas chez M. Renan ces réticences savantes où se trahit involontairement l’ancien séminariste de Saint-Sulpice !

Cependant il faut considérer comme absolument ruinée la théorie de Bonald, cherchant l’origine du langage dans une communication surnaturelle entre l’homme et Dieu. Cette thèse une fois écartée, le langage étant reconnu comme une création purement humaine, ne pouvait-on pas se demander si les races humaines, en créant chacune leur langue, conformément à leurs instincts et suivant leur constitution organique, ne laisseraient point deviner, dans la contexture idiomatique de ces diverses langues, des traces positives qui les distinguent les unes des autres ? Chaque race ne décèlerait-elle pas une complexion particulière, se trahissant dans la genèse de ses racines et dans le mode d’élaboration qu’il a employé pour en tirer les radicaux, le thème et enfin le mot infléchi, lorsque l’évolution linguistique a pu atteindre sa plus haute perfection ? Dans le cas de l’affirmative, l’étude de la linguistique offrirait un procédé d’investigation des plus sûrs dans la recherche des qualités constitutives des races et une base des plus solides pour leur classification méthodique.

Malheureusement, sans trop étudier si les choses étaient exactement telles qu’on les supposait, on s’empressa de formuler une classification linguistique, mais en la modelant, comme nous l’avons vu, sur la classification tripartite de l’école classique qui en devint un nouveau lit de Procuste.

Les trois groupes ainsi délimités ne devaient présenter que des différences ethniques, selon les uns ; mais d’autres y reconnaissaient des différences spécifiques multipliées à l’infini. C’était l’éternelle discussion à savoir s’il n’y a qu’une seule espèce humaine ou s’il faut en reconnaître plusieurs. La première opinion eut, dès l’abord, une autorité bien grande dans la science et cette autorité n’a pas diminué. Ce fut aussi pour elle une force considérable que d’avoir eu le poids qu’apporte à toute idée philosophique ou philologique — et il s’agit ici de l’une et de l’autre, — la flatteuse adhésion de M. Renan.

« En un sens, dit-il restrictivement, l’unité de l’humanité est une proposition sacrée et scientifiquement incontestable ; on peut dire qu’il n’y a qu’une langue, qu’une littérature, qu’un système de traditions symboliques, puisque ce sont les mêmes principes qui ont présidé à la formation de toutes les langues, les mêmes sentiments qui partout ont fait vivre les littératures, les mêmes idées qui se sont produites par des symboles divers. Cette unité démontrée aux yeux du psychologue, aux yeux du moraliste et même du naturaliste signifie-t-elle que l’espèce humaine est sortie d’un groupe unique, ou, dans un sens plus large, qu’elle est apparue sur un seul point du globe ? Voilà ce qu’il serait téméraire d’affirmer[38]. »

Encore que conditionnelle, cette adhésion est formelle. François Lenormant reconnaît aussi l’unité de l’espèce humaine à côté de la diversité des langues. « L’existence de plusieurs familles irréductibles de langues, écrit-il, n’emporte nullement, comme on l’a dit, la pluralité originelle des espèces humaines qui ont formé ces familles de langues. »

D’accord avec M. de Quatrefages, pour ne voir dans la langue humaine qu’un caractère secondaire, au point de vue taxonomique, c’est-à-dire un caractère de race, il a essayé d’expliquer la relation existant entre la race et la langue dans les termes suivants : « La faculté de produire des articulations parfaitement nettes et infiniment variées, choisies et déterminées par sa volonté, de les manier délicatement pour ne pas parler ici de leur groupement et de leur succession calculée de manière à exprimer une suite logique d’idées, est l’apanage exclusif de l’homme. Seulement les variations physiques des races produisent des modifications et des différences dans la construction des organes buccaux, modifie leur jeu et ses effets, la nature des sons articulés qu’ils sont aptes à produire. Chaque race, chaque subdivision ethnique et presque chaque nation a des articulations qui lui sont propres, d’autres qui lui font défaut ; d’un peuple à l’autre, les consonnes de même ordre éprouvent des altérations régulières et constantes, dont l’étude constitue dans la science du langage cette branche essentielle qu’on appelle la phonétique[39]. » On peut rapprocher de cette opinion celle de Guillaume de Humboldt et d’autres linguistes, d’après laquelle il y aurait un rapport si intime entre la race et la langue, que les générations ne s’accoutumeraient que difficilement à bien prononcer les mots que ne savaient pas leurs ancêtres. Ces idées sont-elles conformes à la vérité scientifique ? Nous y répondrons plus tard. Il n’est question ici ni de les contrôler, ni d’y ouvrir une controverse quelconque. Il s’agit plutôt d’examiner si les données de la linguistique s’adaptent absolument bien à la classification qu’on a cru pouvoir établir sur les principales familles de langues formellement étudiées. On l’a généralement cru à un certain moment. C’est à ce point qu’a l’ancienne dénomination de la race caucasienne par laquelle on s’est routinièrement habitué à désigner la race blanche, on tenta de substituer celle encore plus fausse de race indo-européenne, changeant une étiquette géographique contre une étiquette glottologique, sans la moindre compensation pour la science.

Une première contradiction entre les classifications naturelles et les classifications linguistiques, c’est que la race jaune pour la plus grande partie de ses subdivisions, ne se trouve pas placée immédiatement après la race blanche, mais en est séparée par la noire. En effet, d’après la théorie de Jacob Grimm[40], les langues offrent dans leur développement organique une échelle de composition ascendante. Dans les périodes primitives, les mots courts et monosyllabiques, formés seulement de voyelles brèves et de sons élémentaires, sont les seuls en usage. Cette époque a dû coïncider avec l’unité des langues qui n’avaient encore subi aucune différenciation. Ensuite, chaque idiome passe successivement à l’état agglutinant et de là à l’état flexionnel dans lequel on rencontre les langues dites aryennes, aussi haut qu’on puisse remonter dans les fastes du passé. Or, les langues africaines, ayant généralement la forme agglutinante, possèdent donc des qualités morphologiques supérieures à la langue chinoise, type des langues mono- syllabiques, et se rapprochent davantage des langues infléchies.

Ce n’est peut-être qu’un simple détail ; car ce n’est pas pour la première fois que nous voyons le type jaune s’éloigner plus du blanc que ne le fait le type noir. Mais si le premier groupe linguistique, celui des langues isolantes ou monosyllabiques, appartient essentiellement à la race mongolique, il y a bien loin de cette convenance entre les deux autres groupes de langues et les races qui s’en servent. Parmi les peuples parlant les langues agglutinantes, ne trouve-t-on pas, des blancs, des jaunes et des noirs ? Encore que la très grande majorité des peuples qui parlent les langues infléchies appartiennent à la race blanche, ne peut-on pas mentionner plusieurs idiomes de nations noires dans la contexture desquels on découvre déjà la forme flexionnelle ?

« Les langues agglutinantes sont très nombreuses et parlées par des peuples de toutes les races de l’humanité, dit F. Lenormant. » En effet, les Dravidiens noirs de l’Inde, comme les Ougro-Japonais presque blancs, parlent des langues de cette classe. Les hommes de Bournou qui vivent dans l’Afrique centrale, les noirs Yolofs, le Hottentot, si bizarre avec les klilcs qu’il fait entendre au commencement de toutes les intonations vocales, en sont à la même étape que les Basques et une foule de peuples blancs occupant les versants du Caucase, tels que les Géorgiens, les Tcherkesses ou Circassiens et beaucoup d’autres types anthropologiques qu’on distingue du blanc Européen, en les nommant allophylles. Pour abréger, il suffirait de dire que tous les aborigènes de l’Amérique, ou l’on rencontre les hommes de toutes les couleurs, parlent des langues agglutinantes.

Les langues à flexion se subdivisent en trois grandes branches, comprenant la famille chamitique, la famille syro-arabe et la famille dite indo-européenne. Les deux dernières appartiennent à des peuples qui sont tous de race blanche ou considérés comme tels par le plus grand nombre des ethnologues. Il est vrai que les Syriens ne sont pas positivement blancs, que beaucoup d’Arabes sont non- seulement bruns mais souvent noirs. La majeure partie des nations parlant les langues pracrites, — idiomes dont la parenté est directe avec le sanscrit qui est une langue morte, — sont évidemment noires ou très foncées. Mais on peut prétendre qu’elles étaient toutes blanches, à l’origine, et ce n’est pas le lieu de discuter une telle assertion.

Cependant pour la famille des langues chamitiques ou hamitiques, dites aussi égypto-berbères, il est positif qu’elles sont parlées par plusieurs peuples noirs, à cheveux crépus, de vrais nègres, pour répondre a la distinction spécieuse des anthropologistes. François Lenormant, la divisant en trois groupes, y compte : l’égyptien, l’éthiopien et le lybien. « Le groupe éthiopien, dit-il, est constitué par les langues parlées entre le Nil blanc et la mer, le galla et ses différents dialectes, le bedja, le saho, le dankàli, le somâli qu’il importe de ne pas confondre avec les idiomes sémitiques ou syro-arabe de l’Abyssinie. Linguistiquement et géographiquement, le bischarri fait le lien entre ces langues et l’égyptien[41]. »

Or, toutes ces langues sont parlées par des peuples de la race éthiopienne, comme l’indique assez la dénomination générique que le savant orientaliste a donnée au groupe qui les embrasse. Le haoussa, parlé par les noirs de l’Afrique centrale, dont il est devenu la langue commerciale, appartient au groupe lybien et est parente du berbère et, par suite, du mosaby, du schelouh et du zénatya de Constantine. C`est au dire de F. Lenormant, un idiome riche et harmonieux.

Dans les oasis du Sahara, on rencontre un peuple noir dont les caractères tranchent positivement avec celui des Arabes et dont l’idiome est un dialecte négro-berbère. « Le Dr Weisgerber, dit M. Paul Bourde, a exécuté de nombreuses mesures anthropologiques qui aideront sans doute a déterminer à quel rameau de l’espèce humaine il faut rattacher la curieuse population des oasis. On sait qu’elle est noire et M. Weisgerber incline à penser qu’elle provient d’un métissage entre nègres et Berbères. Elle parle un dialecte berbère qui paraît se rapprocher beaucoup du zénaga du Soudan. Elle aime le travail autant que la race arabe l’abhorre et est acclimatée dans les bas-fonds humides de l’Oued-Khir qui devient meurtrier pour celle- ci à certaines époques de l’année[42]. »

Les langues syro-berbères ou sémitiques et égypto- berbères ou chamitiques ont d’ailleurs une telle analogie entre elles, que le savant Benfey[43] y formula une théorie d’après laquelle il les fait provenir d’une source commune, qui fut divisée plus tard en deux branches distinctes. Comme elles possédaient alors toute leur fécondité organique, elles ont continué à se développer, après la séparation, en divergeant de plus en plus. Bleck, allant plus loin, fait dériver d’une source commune toutes les langues africaines et sémitiques[44].

V.

INCONSISTANCE DES LANGUES COMME BASE DE CLASSIFICATION.


En réunissant tout ce qui a été dit plus haut, on voit bien que la théorie qui se reposerait sur la morphologie linguistique comme base de classification des races ne serait guère plus heureuse que les précédentes. Aussi les plus savants linguistes, ayant appliqué à leur science tous les procédés d’investigation qui assurent la conquête des grandes vérités, ont-ils hautement déclaré linaptitude et même limpuissance de la glottologie dans les recherches taxiologiques, entreprises dans le but de parvenir à une délimitation précise des divers groupes ethniques qui forment l’humanité.

Bien plus ! Le lien essentiel que l’on avait imaginé pour réunir tous les peuples de race blanche en un faisceau compacte, en une famille commune, la langue aryaque, perd aujourd’hui tout son prestige des premiers temps, prestige devant lequel on s’inclinait si respectueusement. « Bien peu de linguistes, dit M. de Rosny osent encore présenter les langues de notre Europe, comme des filles d’une langue qui aurait été le sanscrit ou bien cet idiome hypothétique et quelque peu fantaisiste qu’on appelle aryague. Je qualifie cet idiome d’hypothétique, parce qu’il ne repose en somme sur la connaissance d’aucun texte, d’aucune inscription, d’aucun mot réellement historique, mais seulement sur la supposition que quelques racines anciennes des langues aryennes ont appartenu peut-être à une langue perdue de laquelle seraient dérivées toutes celles qui constituent le groupe qui nous occupe. Je pourrais ajouter que le nom même de cette langue est inconnu dans l’histoire et ne doit son origine qu’à une invention tout à fait moderne et d’une moralité scientifique encore fort douteuse.

La seule doctrine établie c’est que le sanscrit, le persan, le grec, le latin, les langues germaniques et les langues slaves, renferment un nombre considérable d’éléments communs tant lexicographiques que grammaticaux, et que le fait d’emprunt ne saurait être contesté. Mais une foule de langues ont fait à d’autres langues des emprunts considérables sans qu’il y ait pour cela la moindre parenté originaire[45]. »

L’unité d’origine des langues indo-européennes une fois rompue, on est forcément amené à ne voir dans les divers idiomes connus que l’expression sociale des peuples qui s’en servent, c’est-à-dire que le degré de perfection plus ou moins caractérisée de ces idiomes est adéquat au degré de civilisation de ces peuples. Cette thèse, il est vrai, parait inconciliable avec la théorie de l’évolution morphologique des langues et les faits historiques qu’on est forcé d’y adapter. Mais ne faudrait-il pas aussi se demander si le système de Jacob Grimm ne mérite pas qu’on y ajoute certaines modifications ? On est bien porté à croire que la morphologie, tout en présentant une gradation réelle entre les langues, au point de vue de la composition phonétique, n’institue pas une supériorité absolue de telle forme à telle autre. Chacune des grandes divisions, — monosyllabiques, agglutinatives ou inflectives, — semble être capable d’une évolution qui lui est propre et au cours de laquelle elle peut acquérir une conformation très approchante de la perfection, c’est-à-dire de l’idéal qu’on se fait de la parole humaine. Ainsi se conçoit aisément un fait incontestable, c’est que le chinois, quoique inférieur à telle langue agglutinante ou agglomérante, si on se réfère à la théorie de Grimm, est arrivé dans le cercle de son évolution et en tant que langue artificielle, à produire des œuvres d’une supériorité incontestable.

« Le pouvoir qu’a l’esprit humain sur ses instruments, si imparfaits qu’ils soient, dit Whitney, est évidemment démontré par l’histoire de cette langue qui a répondu avec succès à tous les besoins d’un peuple cultivé, réfléchi et ingénieux, pendant une carrière d’une durée sans pareille ; elle a été employée à des usages bien plus élevés et plus variés que nombre de dialectes mieux organisés : ces dialectes étaient riches par leur flexibilité, leur développement ; mais ils étaient pauvres par la pauvreté même et la faiblesse de l’intelligence de ceux qui les maniaient[46]. »

Mais revenons à l’idée de F. Lenormant et de Guillaume de Humboldt, idée partagée d’ailleurs par nombre de savants. Est-il vrai que chaque race humaine est conformée de telle sorte que ses représentants soient plus aptes à parler certaines langues que certaines autres ?

« Le langage que nous parlons n’est pas né en nous, à notre naissance, répond Sayce. L’enfant doit apprendre la langue maternelle, bien qu’il hérite sans doute d’une certaine aptitude à cet égard. S’il est né en Angleterre, il apprend l’anglais ; s’il est né en France, il apprend le français. Si deux langues ou davantage sont parlées par ceux qui l’entourent, il est probable qu’il apprendra ces langues plus ou moins bien, suivant qu’il sera en relations plus ou moins assidues avec ceux qui les parlent. Des langues autrefois parfaitement sues peuvent être entièrement oubliées et une langue étrangère peut devenir aussi familière à l’homme que si elle était sa langue maternelle. On voit des enfants, dont la langue était l’hindoustan, oublier entièrement cette langue, après un court séjour en Angleterre, et il devient souvent difficile de reproduire un son que l’on avait toujours sur les lèvres dans l’enfance. Ce qui est vrai de l’individu l’est également de la communauté qui se compose d’individus[47]. »

Ces vérités, sont si claires, si simples, que les gens qui ont voyagé et vu divers peuples transportés dans un milieu autre que celui de leurs ancêtres, trouveront curieux qu’on prenne la peine de les faire remarquer. La République haïtienne, peuplée de descendants d’Africains ne parle-t-elle pas le français ? N’a-t-on pas vu les soldats bosniaques envoyés dans la basse Nubie par le sultan Sélim, en 1420, perdre leur langue maternelle, pour en adopter une autre regardée comme inférieure ? Les indigènes de toute l’Amérique du Sud, qui se sont convertis en peuples civilisés, n’ont-il pas tous appris à parler l’espagnol et les Indiens du Brésil ne parlent-ils pas parfaitement le portugais, lorsqu’ils ont reçu une instruction solide ?

Waitz a mentionné tous ces faits, que je connais personnellement pour la plupart[48]. Mais en m’exprimant ici dans une langue dont mes ancêtres de Dahomey n’avaient absolument nulle idée, ai-je besoin d’offrir un exemple plus éloquent de la nullité des rapports naturels qu’on a essayé d’établir entre le langage et la race ?

La vraie relation qu’il faut donc reconnaître, c’est celle qui existe entre la parole et la pensée. C’est la pensée qui imprime à la parole ce caractère élevé, supérieur entre tous, et dont l’homme est si légitimement fier. Pour qu’une langue se perfectionne, il suffit que les peuples qui la parlent aient grandi en conscience et en intelligence, en savoir et en dignité. Il en est de même de l’individu. C’est pourquoi l’expression de Cicéron, vir bonus dicendi peritus, sera éternellement vraie. En réalité, toutes les langues n’offriront pas toujours les mêmes ressources littéraires. Tel idiome se prêtera plus spécialement à un genre de littérature que tel autre. Mais l’homme dont la pensée a acquis une élaboration supérieure, finit infailliblement par triompher de ces difficultés.

En effet, les langues, se décomposant en leur plus simple contexture, n’offrent d’abord que le squelette inanimé des thèmes verbaux ou nominaux qui, par des combinaisons de linguistique, le plus souvent inconscientes, spontanées, prennent chair et sang. La pensée leur communique la vie en y apportant ses formules. Les plus heureuses néologies nous viennent souvent dans un moment d’enthousiasme sans que la conscience ait rien fait pour en contrôler la conception. Ce sont d’ordinaire les meilleures. Ce qui a concouru à leur création, ce qui leur donne la forme, c’est le cœur de l’écrivain, c’est sa vie intellectuelle exaltée en puissance par l’ébranlement du mens divinior ! Aussi la grammaire d’une langue a-t-elle une importance autrement sérieuse que sa morphologie lexicographique.

Cependant, pour étudier la ressemblance qu’il peut y avoir entre diverses langues, ce ne sont pas les détails grammaticaux tels que la théorie des racines pronominales, les règles de la permutation littérale, les altérations phonétiques, etc., qui doivent attirer l’attention. C’est plutôt la logique de la phrase. « Nous ne pensons pas au moyen des mots, mais au moyen des phrases, dit Waitz ; aussi pouvons-nous affirmer qu’une langue vivante consiste en phrases et non en mots. Mais une phrase n’est pas formée de simples mots indépendants. Elle consiste en mots qui se rapportent les uns aux autres d’une façon particulière, de même que la pensée qui leur correspond ne consiste pas en idées indépendantes, mais en idées si bien liées qu’elles forment un tout et se déterminent mutuellement les unes les autres[49]. »

« C’est par la conception de la phrase que les langues se ressembleront ou différeront, dit encore Sayce[50]. »

Eh bien, si l’on veut étudier à ce point de vue les principales langues de l’Europe, que de dissemblances ne trouvera-t-on pas entre les idiomes des peuples que les anthropologistes ont continuellement, et sans doute à juste titre, considérés comme appartenant à un seul groupe ethnique ! Quand on examine la phraséologie de la langue allemande avec ses règles de construction si différentes du français, on est tenté d’admettre que, pour la logique de la phrase il y a peut-être plus de distance entre ces deux langues, toutes les deux infléchies, qu’entre la première et le turc, qui est pourtant une langue agglutinative. Prenons, par exemple, cette phrase française : « Ils n’étaient pas amenés à s’aimer l’un l’autre. » Elle se rend en turc par les mots suivants sous lesquels je place les mots français correspondants, autant qu’il m’a été possible de le faire, sans avoir particulièrement étudié le turc, en suivant seulement les indications données par le savant orientaliste Fr. Lenormant.

[51] [52]
Sev — isch — dir — il — me — r — di — ler.
Aimer l’un et l’autre, faire être ne pas. Ils

Il faut lire : « Sev-isch-dir-il-me-r-di-ler », en agglutinant toutes les autres racines modales avec sev.

La même idée exprimée en allemand se rendra par cette phrase.

Einander     zu lieben, waren sie nicht gemacht worden.
L’un l’autre pour aimer étaient-ils pas faits devenus.

On voit du premier coup que l’ordre logique de la phrase allemande se rapproche bien plus de la phrase turque que de la phrase française. Si la race germanique était plus brune que la race celtique, dont la majeure partie de la France est peuplée, d’après les ethnologistes, on pourrait croire qu’il y a une parenté ethnique plus grande entre le Turc et l’Allemand, qu’entre celui-la et le Français. Mais au point de vue de la couleur et suivant les classifications anthropologiques, c’est le contraire qui est vrai.

En laissant la construction logique de la phrase, on peut encore faire une remarque sur la conjugaison du verbe être. C’est le verbe par excellence, puisqu’au point de vue psychologique, on ne peut concevoir l’énonciation d’aucune idée, d’aucune pensée, sans y impliquer ce verbe, le seul qui subsiste par lui-même, en exprimant l’affirmation. La conjugaison d’un tel verbe ou le rôle qu’il joue dans la conjugaison des autres verbes, dans une langue quelconque, doit avoir une certaine relation psychologique avec le mode de conception des peuples parlant cette langue. Eh bien, une particularité fort curieuse existe là-dessus dans l’allemand et l’italien qui se distinguent, sous ce rapport, de tout le groupe linguistique de l’Europe occidentale. En ces deux langues, au lieu d’employer l’auxiliaire avoir, exprimant l’action, dans les temps composés du verbe être, ce sont les temps correspondants de ce verbe même qui en tiennent lieu. — En français, on dit : « j’ai été » ; en anglais, « I have been » ; en espagnol, « yo he sido ou he estado » ; mais en allemand et en italien, on dit : ich bin gewesen et io sono stato, c’est-à-dire je suis été. Or, au point de vue ethnologique, il n’y a pas de doute que les Italiens sont à une plus grande distance des Allemands que les Anglais. Sans doute, il y a une certaine compensation au point de vue lexicologique. Il y a peut-être plus du tiers des mots anglais dont la forme diffère si peu des mots allemands que la science la plus élémentaire des permutations linguistiques suffit pour les transformer les uns en les autres. Au point de vue de la construction grammaticale, pourtant, et pour l’ordre syntaxique de la phrase, l’anglais se rapproche beaucoup plus des langues d’origine latine et surtout du français.

Ce sont des faits qui prouvent sur abondamment que les langues, dans ce qu’elles ont d’essentiel, s’adaptent mieux au caractère social, à la civilisation qu’à la race. Le peuple anglais, quoique d’origine saxonne, forme avec le peuple français le noyau du groupe occidental, dont l’esprit, les tendances psychologiques diffèrent sans doute, mais s’écartent encore davantage de l’esprit et des inclinations morales de l’Allemand. Celui-ci, malgré le grand et subit développement intellectuel dont il fait preuve, reste, au point de vue psychologique, comme l’intermédiaire placé entre la civilisation qui s’arrête au régime autocratique de la Russie, d’une part, et celle de l’Europe latine qui, même dans ses défaillances, tourne encore ses regards vers la liberté, de l’autre. On en trouve le signe évident dans son amour excessif de l’autorité et la déification de la force qui semble être une floraison spéciale à son esprit national et le but invariable de ses aspirations.

Il est même curieux d’observer dans l’allemand, une particularité linguistique qu’on ne rencontre que dans certaines langues de l’Orient, c’est l’harmonie vocalique, c’est-à-dire une tendance à rendre toujours la vocalisation homophonique. La majeure partie des mots allemands, surtout dans leurs désinences, s’adaptent en effet à une phonologie semblable. Le son en, par exemple, (prononcé èn, sans nasalité) domine démesurément dans cette langue. L’infinitif de tous les verbes, la première et la troisième personne du pluriel de tous leurs temps, la majeure partie des noms, au pluriel, les épithètes adjectives, précédées de l’article défini, se terminent toujours en en. Le génie de la langue étant d’adresser la parole à la troisième personne du pluriel, on prévoit combien souvent ce son revient dans le discours. C’est à ce point que l’on peut attribuer à cette particularité la grande difficulté que l’étranger éprouve à distinguer les mots qui se succèdent dans la bouche d’un Allemand parlant avec précipitation, comme c’en est d’ailleurs l’habitude. Il n’y a que la ressource de l’accent tonique qui puisse aider à discerner les paroles et leur sens ; mais c’est la dernière conquête et la plus difficile pour celui qui n’est pas né ou, pour le moins, n’a pas grandi en Allemagne.

Une autre particularité des plus remarquables que l’on rencontre dans certaines langues agglutinantes, ce sont les mots holophrastiques, c’est-à-dire renfermant toute une phrase, par l’agglutination de plusieurs termes plus ou moins modifiés. Ainsi, dans la langue mexicaine, le nom de lieu Achichillacachocan signifie[53] : « le lieu où les hommes pleurent parce que l’eau est rouge. »

Presque toutes les langues américaines et la plupart des idiomes hyperboréens offrent des formes linguistiques semblables. On a fait la remarque que la trace s’en retrouve peut-être dans l’italien et l’espagnol, qui sont des langues flexionnelles et analytiques. Les mots ainsi formés se constatent aussi dans l’allemand, suivant une composition souvent arbitraire ; il en est de même pour le grec. Il faut citer surtout le vers suivant du poète Phrynichus, écrit en un seul mot et presque intraduisible :

Ἀρχαιομελησιδωνοφρυνιϰεράτα.

Il a attiré l’attention de Victor Hugo qui en fait une mention spéciale dans son William Shakespeare, œuvre de critique savante et de profonde érudition.

En réfléchissant sur les résultats que donne l’investigation glottologique dans l’étude des races humaines on ne saurait conserver la moindre illusion. La linguistique ne peut rien affirmer sur l’origine des nations. Moins encore elle peut nous aider à les classer en groupes naturels ayant des bases zootaxiques qui réunissent un caractère suffisamment scientifique.

Quelle que soit l’assurance que mettent les savants à parler des races et de leurs aptitudes, leurs déductions ne sont-elles pas d’avance frappées d’un cachet de routine et d’empirisme, quand les investigations préalables offrent un si piètre résultat ? Leur interprétation pourra-t-elle jamais être considérée comme le dernier mot de la science ? Plus ils insisteront dans leurs conclusions absolues, luttant contre l’évidence, appuyés sur des procédés aussi imparfaits et d’une application aussi incertaine que ceux que nous avons déjà vus, plus ils perdront de leur prestige, plus ils prouveront enfin leur incompétence, en compromettant le crédit d’une science qui est encore dans les langes, mais dont l’avenir est infiniment respectable.

Mais l’anthropologie, qui est impuissante à nous indiquer les délimitations précises qui séparent un groupe humain d’un autre, sera-t-elle mieux éclairée dans la solution d’une question beaucoup plus complexe et ardue ? Sera-ce en son nom qu’on prononcera dogmatiquement l’inaptitude congénitale et irrémédiable de la plupart de ces mêmes groupes à en égaler d’autres ? Peut-on jamais déterminer les qualités spécifiques, avant la détermination de l’espèce ? En bonne logique, cela paraît absolument impossible. La scolastique qui ne mérite toujours le mépris systématique dont le vulgaire ignorant l’accable, démontrerait avec évidence que l’être doit précéder la manière d’être. Modus essendi sequitur esse, disait l’école. Mais les savants, dont la dialectique est si serrée lorsqu’il faut défendre leurs opinions contre les théories qui leur sont opposées, ne se gênent pas pour si peu.

Nous allons donc voir comment ils essayent, dans l’obscurité même de la science, — in logo dogni luce muto, — de trouver le moyen de mesurer et de comparer les qualités les plus profondément cachées dans la nature humaine, telles que l’intelligence et la moralité, les seules qui rendent les hommes vraiment supérieurs les uns aux autres.

La conception d’une classification hiérarchique des races humaines qui est une des créations doctrinales des temps modernes ou plutôt du siècle que nous parcourons, sera sans doute, un jour, la plus grande preuve de l’imperfection de l’esprit humain, et surtout de la race orgueilleuse qui l’a érigée en doctrine scientifique. Mais elle ne mérite pas moins la peine d’être étudiée. Aussi prions-nous le lecteur de ranimer ses forces épuisées par le long examen des notions si variées et si contradictoires exposées jusqu’ici, pour nous suivre dans la partie de cet ouvrage qui constitue plus spécialement le but de nos recherches et où nous devons aborder le point fondamental de notre démonstration !



  1. Compte-rendu du Congrès international des sciences ethnographiques tenu à Paris en 1878, p. 750.
  2. A. de Humboldt, Kosmos, t. I, p. 427.
  3. Memoirs read before the anthropologioal Society of London.
  4. Ueber Wachstum und Bau des menschlichen Shœdels.
  5. Prehistoric remains of Gaithness.
  6. Mémoires d’anthr., t. IV, p. 229.
  7. Mém. d’anthr., t. IV, p. 8.
  8. Ibidem, p. 5.
  9. Broca, Mémoires d’Anthrop., t. IV, p. 269-270.
  10. Voir Topinard, Anthropologie, p. 246.
  11. Branche touranienne M. de Quatrefages.
  12. Voir Topinard, loco citato, p. 251 à 255.
  13. Presque tous les instruments ingénieux dus à l’imagination inventive des anthropologistes français ont été fabriqués par cette maison.
  14. Topinard, loco citato, p. 259.
  15. Topinard, loco citato, p. 262.
  16. Mémoires d’anthr., t. IV, p. 294.
  17. Ibidem, p. 321.
  18. Ibidem, p. 343.
  19. Broca, loco citato, t. IV, p. 306.
  20. L’Anthropologie, p. 284.
  21. Mém. d’Anthr., t. IV, p. 395.
  22. Ibidem, p. 503-504.
  23. Broca, loco citato, p. 634.
  24. Topinard, loco citato, p. 314.
  25. L’anthr., p. 315.
  26. E. Verrier, Nouvelle classif. du bassin suivant les races au point de vue de l’obstétrigue in Bulletin de la Société d’anthr. de Paris, t. VII, p. 317-318.
  27. Huxley, Anatomie comparée des vertébrés.
  28. Algemeine Ethnographie.
  29. Mantegazza, La physionomie et l’expression des sentiments.
  30. Topinard, loco citato, p. 354.
  31. Littré et Ch. Robin, Dict. de médecine, art. Mélanine.
  32. Lucrèce, De natura rerum, Liv. V, v. 1030.
  33. Idea dell’universo, che contiene la storia della vita dell’uomo, elementi cosmografici, viaggio estatico al mondo planetario e storia della terra, Césène, 1778-1787, 21 vol. in—4.
  34. Linguarum totius orbis index alphabeticum.
  35. Voir Albert Lemoine, De la physionomie et de la parole.
  36. A. H. Sayce, Principes de philologie comparée (Trad. de M. C. Jovy).
  37. Renan, De l’origine du langage.
  38. Renan, loco citato, p. 200.
  39. Fr. Lenormant, Hist. anc. de l’Orient, tome I, p. 335.
  40. Abhandlungen der Akademie der Wissenschaften zu Berlin, aus dem Jahr 1852.
  41. Fr. Lenormant, loco citato, p. 368.
  42. La France au Soudan in Rev. des Deux-Mondes, 1er février 1881.
  43. Th. Benfey, Ueber das Verhaltniss des œgyptischen sprache zum semitischen Sprachtmann.
  44. De nominum generibus linguarum Africæ australis.
  45. Congrès intern. des sciences ethnogr., etc., p. 114.
  46. Whitney, Le langage et l’étude du langage, 3e édit.
  47. Sayre, loco citato, p. 292.
  48. Théod. Waitz, Anthropologie der Naturvölker, Leipzig, 1859.
  49. Théod. Waitz, loco citato, p. 246.
  50. A. H. Sayce, loco citato, p. 107.
  51. Signe du participe présent. Sev-mek signifiant aim-er, en changeant le signe de l’infinitif, mek, en er ou (e) ou a sev er qui signifie aimant.
  52. Signe de l’imparfait : sev-er-im signifiant « j’aime », sev-e-rdim signifiera « j’aimais ». Il faut aussi remarquer que la dentale d marque ici le passé comme il en est dans les langues aryennes où t et d sont les signes caractéristique du passé, suivant que l’a démontré Burnouf dans la savante préface de sa grammaire grecque. En allemand l’imparfait de l’indicatif et le passe défini ont la même forme et ne se distinguent que par la contexture de la phrase.
  53. F. Lenormant, loco citato, p. 349.