De l’état actuel de l’art religieux en France

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DE L’ÉTAT ACTUEL
DE
L’ART RELIGIEUX
EN FRANCE.

« L’étude des monumens religieux a ranimé parmi nous le sentiment et le goût de l’art chrétien. Ce sentiment a bientôt tourné au profit du christianisme lui-même. En apprenant à comprendre, à admirer nos églises, on est devenu presque juste, presque affectueux pour la foi qui les a élevées. C’est là un retour un peu futile vers la religion, retour sincère cependant, et qu’il ne faut pas dédaigner. L’art rend ainsi aujourd’hui à la religion quelque chose de ce qu’il en a reçu jadis[1]. » Ainsi parlait, il y a peu de temps, dans une occasion solennelle, l’ancien ministre de l’instruction publique. Ces paroles expriment avec noblesse une vérité généralement, mais vaguement sentie. Plus que personne leur auteur a contribué à ramener en France le sentiment de l’art religieux, d’abord par le nouveau jour qu’il a jeté sur l’histoire des temps où cet art naquit, et ensuite par ses généreux efforts, pendant qu’il était au pouvoir, pour sauver et populariser les débris de notre ancienne gloire artistique. Un immense changement s’est opéré dans les esprits depuis le temps où nous nous sentions excité à élever une voix humble, inconnue et presque solitaire, contre les Vandales de diverses espèces qui dévastaient les monumens de notre foi et de notre histoire[2]. En peu d’années tout a changé de face. La révolution de juillet, en portant le dernier coup à l’ancien régime dans le présent et l’avenir, a donné un nouvel élan à l’étude et à l’appréciation de l’ancienne France dans le passé, non pas le passé bâtard et inconséquent des derniers siècles, mais le passé de cette grande époque où le christianisme régnait sur l’ame et le corps de l’humanité. Le nouveau gouvernement s’est rangé franchement du côté du petit nombre d’hommes qui, inspirés par les éloquentes invectives de M. Victor Hugo, essayaient de lutter contre le torrent des dévastations. Usant avec une salutaire énergie de leur puissance, M. Guizot et ses successeurs à l’intérieur et à l’instruction publique ont étendu les bras immenses et inévitables de la centralisation pour arrêter le marteau municipal et la brosse fabricienne, en même temps qu’ils ont créé ou encouragé de vastes et importantes publications, destinées à tirer de la poussière et à révéler au pays les antiques trésors de son art national. Noble et bienfaisant exemple qu’il appartenait au pouvoir antérieur de donner, et qu’il faudra bien, Dieu merci, suivre à l’avenir. D’un autre côté, une étude de plus en plus approfondie de l’étranger a produit rapidement des résultats tout-à-fait inattendus. En voyant de plus près les mœurs et la science de l’Allemagne et de l’Angleterre, on s’est aperçu du profond respect, de la tendre sollicitude que ces grandes nations professent pour les monumens de leur passé ; la pensée s’est naturellement reportée sur la patrie, et on a reconnu, avec surprise et admiration, que la France renfermait encore dans ses villes de province des cathédrales plus belles, malgré le triste dénuement des unes et le fard ridicule des autres, que les plus célèbres cathédrales de l’Angleterre. On a trouvé dans la poudre de ses bibliothèques des poèmes plus originaux, plus inspirés que les épopées les plus populaires de l’Allemagne. On a vu encore les manuscrits de ces poèmes souvent ornés de miniatures plus fines, plus gracieuses que les plus vantées du Vatican. On est arrivé ainsi à comprendre et à découvrir que, même en France, il avait existé un autre art, une autre beauté que la beauté matérialiste et l’art païen du siècle de Louis XIV et de l’empire. Cette découverte renfermait implicitement celle de l’art religieux. Nous n’hésitons pas à employer ce mot de découverte, parce qu’une réhabilitation aussi complète, aussi fondamentale, que celle qui est exigée pour l’art religieux, vaut bien l’invention la plus difficile. Malheureusement cette découverte n’a guère été faite que par des gens de lettres ou des voyageurs. La faire passer dans la vie pratique, la faire reconnaître par les artistes ou ceux qui aspirent à le devenir, la faire comprendre par ceux qui commandent ou qui jugent les œuvres dites d’art religieux, c’est là le difficile ; mais c’est aussi là l’essentiel, car, à l’heure qu’il est, il n’y a pas d’art religieux en France ; et ce qui en porte le nom n’en est qu’une parodie dérisoire et sacrilége.

Ce n’est pas assurément que la matière de l’art religieux manque aujourd’hui en France plus qu’en aucun autre pays ou à aucune autre époque. Il y a une religion en France qui compte encore des millions de fidèles ; or, toute religion qui n’est pas née à l’état de secte, comme le protestantisme, a toujours donné la vie à un art qui pût lui servir d’organe, parler son langage à l’imagination et au cœur de ses enfans, traduire ses dogmes en images vénérées et chéries, enfin parer ses rites et ses cérémonies d’un attrait mystérieux et populaire. Ce que la religion des Hindous, des Égyptiens, des Grecs, des Mexicains a fait, la religion catholique l’a fait aussi, mais avec une splendeur et une puissance à nulle autre égale. Notre patrie est couverte des produits de l’art catholique, qui ont survécu à trois siècles de profanations, d’ignorance et de ravages. Pour un Louvre, pour un Versailles dont la France s’enorgueillit, elle a cent cinquante cathédrales, elle a dix mille églises de paroisse qui remontent aux temps où régnait le véritable art chrétien. Ces cathédrales et ces églises, malgré leur pauvreté et leur nudité actuelle, ou plutôt à cause de cette nudité, offrent aux peintres et aux sculpteurs le champ le plus vaste, et presque le seul, pour leurs travaux ; car on ne pourra pas faire un Versailles à chaque règne. Et où trouver aujourd’hui des particuliers qui remplacent pour l’art les princes et les prélats d’autrefois ? Ces églises ouvrent chaque jour leurs portes à une foule plus ou moins nombreuse de personnes, qui y voient avec intérêt et émotion les représentations des objets de leur culte et de leurs croyances, et qui ne demanderaient pas mieux que de s’y intéresser avec ardeur et enthousiasme, si l’on prenait la peine de donner à ces représentations une valeur réelle, et de la leur expliquer. Ce n’est donc pas, nous le répétons, la matière qui manque en France à l’art religieux ; ce qui lui manque, c’est le bon sens, c’est la science, c’est la foi, c’est la pudeur chez la plupart de ceux qui en sont les prétendus ouvriers. Ce qui importe, c’est de dénoncer aux hommes sincères et conséquens l’étrange abus qu’on fait des mots et des choses, dans un ordre d’idées et de faits qui exige plus de conscience et plus de scrupule qu’aucun autre. Ce qui importe encore, c’est de mettre à nu les plaies qui gangrènent l’application religieuse de l’art, afin que la partie saine de la jeune génération d’artistes qui s’élève puisse en éviter le contact et la honteuse contagion.

Mais, avant d’aller plus loin, répondons d’avance en deux mots à une multitude d’objections et de reproches qui pourraient nous être adressés. Qu’on le sache bien, nous n’entendons nullement parler de l’art en général, mais uniquement de l’art consacré à reproduire certaines idées et certains faits enseignés par la religion : tout le reste est complètement étranger à nos plaintes et à nos invectives. Nous n’empiéterons pas sur cette vaste extension d’idées, qui comprend aujourd’hui, sous le nom d’artistes, jusqu’aux coiffeurs et aux cuisiniers. Nous ne prétendons en rien intervenir dans les grandes transformations, dans le rôle humanitaire que divers critiques et philosophes assignent à l’art, d’abord parce que nous n’y croyons pas, ensuite parce que nous n’y comprenons rien, enfin et surtout, parce qu’il n’y a rien de commun entre tout cela et le catholicisme. En effet, le catholicisme n’a rien d’humanitaire, il n’est que divin, à ce que nous croyons ; du moins il n’est nullement progressif, il est encroûté (pour me servir d’un terme familier et emprunté à l’art), d’où il suit que les œuvres d’art qu’il est censé inspirer ne doivent et ne peuvent être qu’encroûtées comme lui. Plein de respect pour la critique et pour la philosophie, nous leur laissons le domaine intact et l’usage exclusif de tous les tableaux de batailles, de toutes les scènes historiques, des marines, des paysages, de la peinture de genre dans toutes ses branches intéressantes : nous leur laissons les masses d’infanterie et de cavalerie savamment échelonnées, les assemblées politiques et populaires d’hommes en frac, les intérieurs, les cuisines, les plats de fruits avec des mouches qui en dégustent délicatement le suc, le lever et le coucher des grisettes, les pêcheurs d’huîtres, les intérieurs de chenil, les belles dames en robe de satin, et les notabilités municipales en habit de garde national ; en un mot, tous les sujets qui, depuis la renaissance, inspirent la peinture moderne, et réjouissent le public civilisé. Nous ne nous réservons absolument que le droit de parler sur le tout petit coin qui est laissé à l’art religieux, ou, pour parler plus justement, à l’art catholique, ou encore pour être intelligible aux hommes les plus éclairés, à l’art concentré dans le domaine du fanatisme et de la superstition.

Qu’on se rassure donc, il ne s’agit nullement pour nous de savoir si l’art en général sera catholique ou non. C’est là tout bonnement la question de la destinée du monde. Il est certain que si la société tout entière redevenait catholique, l’art le serait aussi, bon gré mal gré ; mais il est également certain que, si cela arrive jamais, ce ne sera pas de nos jours, et que tout le monde aura le temps d’y penser. Quant à nous, nous ne nous occupons que du présent, et voici ce que nous en disons : Il est de fait qu’actuellement en France il y a beaucoup d’hommes fanatiques et superstitieux, dits catholiques, et que ces catholiques ont des églises vastes et nombreuses, publient des livres de piété illustrés, ornent des chapelles et des oratoires, pour lesquelles églises, oratoires, chapelles, livres illustrés et autres, les artistes de nos jours, grands et petits, font tous les ans une foule de tableaux, estampes, lithographies, statues, bas-reliefs en carton-pierre et en marbre. Il semblerait, au premier abord, que tous ces divers objets d’art, étant à l’usage exclusif des gens religieux, dussent porter quelque trace de l’esprit de leur religion même. Eh bien ! il n’en est rien. Au milieu du fractionnement général de la société, fractionnement que l’art a suivi de manière à administrer à chacun selon ses besoins et ses idées, la fraction des hommes qui usent du culte, comme dit M. Audry de Puyraveau, soit en théorie, soit en pratique, cette fraction est comme la tribu de Lévi ; elle n’a rien, ou plutôt moins que rien, pire que rien, car elle est inondée de produits divers qui lui sont inintelligibles et inutiles, ou bien antipathiques et injurieux. Avez-vous les goûts militaires ? MM. Horace Vernet, Bellangé, Eugène Lamy, et mille autres, sont là pour vous pourvoir abondamment de toutes les batailles que vous pouvez désirer. Aimez-vous, au contraire, la vie sédentaire, les jouissances domestiques, ce qu’on appelle les études de mœurs ? MM. Court, Franquelin, Roqueplan, se chargent de récréer vos yeux par une foule de représentations empruntées à cet ordre d’idées et d’habitudes, et souvent pleines de talent et d’esprit. Fatigué de la monotonie de la vie française, aspirez-vous après l’éclatant soleil et les pittoresques mœurs de l’Italie ? MM. Schnetz, Édouard Bertin, Winterhalter, vous transporteront au sein de cette patrie de la beauté par la chaleur et la fidélité de leurs pinceaux. Avez-vous, par hasard, juré une fidélité désespérée à la mythologie antique ? il y a toujours à chaque salon, surtout parmi les sculpteurs, plusieurs traînards du paganisme ; et d’ailleurs vinssent-ils à manquer, il vous resterait toujours les doctrines de l’Académie des Beaux-Arts, les concours pour les prix de Rome, et les regrets de certains feuilletonistes. Préférez-vous sagement les gloires et les souvenirs de notre Europe moderne ? vous avez MM. Scheffer, Delaroche, Hesse, et d’autres qu’on pourrait nommer à côté d’eux, qui ont conquis une place honorable dans l’histoire de l’art pour l’école française de nos jours. En un mot, tout le monde en a pour son goût ; et si la caricature réclame par le fait une place dans chacun de ces divers genres, elle peut le faire avec bon droit, parce qu’elle n’en envahit aucun, et que sa modestie ajoute à sa vérité. Il n’y a que dans le cas où vous seriez catholique, que toute satisfaction vous est refusée ; il ne vous reste d’autre ressource que de voir la religion, la seule chose au monde qui n’admette pas un côté comique, envahie par la caricature ; et c’est encore le nom le plus doux qu’on puisse donner, sauf un très petit nombre d’exceptions, aux parodies, tantôt horribles, tantôt ridicules, qui couvrent chaque année les murs du Louvre, et s’en vont de là souiller nos églises sous le titre mensonger de tableaux religieux.

Mais je vous demande trop, lecteur, en supposant que vous soyez catholique ; je veux seulement que vous ayez quelques notions de la religion, que vous l’ayez tant soit peu étudiée dans ses dogmes d’abord, puis dans son influence sur la société à une époque où elle était souveraine : je ne vous demande pas des convictions, je ne vous suppose que quelques idées et quelques souvenirs, puisés par vous-même à l’abri de la routine des écoles classiques. Voilà tout ce que j’exige, et cela étant, je vous prends par la main, et je vous conduis à la première église venue. Que ce soit une cathédrale ou une paroisse de village, peu importe. Passons même devant la cathédrale, si c’est une cathédrale des anciens jours, sans nous y arrêter ; nous perdrions de vue le but immédiat de notre visite, tristement confondus que nous serions à la vue de ces glorieuses façades mutilées de mille façons par la haine et l’ignorance, quelquefois remplacées, comme à la sublime basilique de Metz, par un horrible portail de théâtre, en l’honneur de Louis XV ; à la vue de ces vitraux défoncés et suppléés par des verres blancs ou des flaques de bleu et de rouge ; à la vue d’un badigeon beurre frais, comme à Chartres, ou au Mans, ou partout, sous lequel disparaissent à la fois les merveilles de la sculpture et le prestige de l’antiquité ; à la vue d’un soi-disant jubé qui, comme à Rouen, élève sa masse lourde, opaque et grossière, à la place même qu’occupait jadis le voile du sanctuaire brodé en pierre et découpé à jour ; à la vue enfin d’un chœur brutalement déshonoré, comme à Strasbourg et à Notre-Dame de Paris, par un revêtement en marbre de couleur ou par une boiserie d’antichambre. Laissons donc là la cathédrale, qui réclame une bien autre indignation. Bornons-nous à la simple paroisse moderne et décorée dans le dernier goût, et voyons quelles sont les traces d’art chrétien que nous y trouverons. Arrêtons-nous un instant devant la façade : vous y verrez quelques colonnes serrées les unes contre les autres, comme à Notre-Dame-de-Lorette, ou bien une série de frontons superposés et flanqués de deux excroissances alongées en pierre, qui ont la forme d’un radis ou d’un sorbet dans son verre, comme à Saint-Thomas-d’Aquin ; vous saurez que ce sont des trépieds où est censée brûler la flamme de l’encens. Quelquefois une tour s’élève au-dessus de cette monstruosité, tour dépourvue à la fois de grace, de majesté et de sens, terminée par une terrasse plate ou par un toit de serre-chaude, ou, comme en Franche-Comté, par un capuchon en forme de verre à patte renversé. Vous vous demandez ce que peut être un édifice qui s’annonce ainsi, si c’est un théâtre, ou un observatoire, ou une halle, ou un bureau d’octroi. On vous explique que c’est un temple. À coup sûr, pensez-vous, c’est le temple de quelque culte qui a remplacé le christianisme. On vous nomme un saint dont le nom figure dans le calendrier chrétien, et vous finissez par découvrir une croix plantée quelque part avec autant de bonne grace que le drapeau tricolore sur les tours de Notre-Dame. C’est donc vraiment une église ! Vous entrez. Est-ce bien vrai ? Oui, il faut le croire, car voilà un autel, des confessionnaux, une chaire, des crucifix. Mais est-ce bien une église catholique, une église où l’on prêche les mêmes dogmes, où l’on célèbre le même culte que celui qui a régné dans les églises d’il y a trois cents ans ? Ces dogmes n’ont-ils pas été profondément altérés, ce culte n’a-t-il pas subi quelque révolution violente ? Où est donc cette forme consacrée de la croix, si naturellement indiquée et si universellement adoptée pour le plan de toutes les anciennes églises ? Où a-t-on copié ces fenêtres carrées, rondes, en parallélogramme, en segment de cercle, quelquefois en poire garnie de feuillage, en un mot de toutes les formes possibles, pourvu qu’elles ne tiennent ni du cintre, ni de l’ogive chrétienne ? Est-ce de cette cage suspendue entre deux piliers, ou de ce tonneau à demi creusé dans le mur, que l’on prêche la parole du Dieu vivant, dans la même langue que saint Bernard et Bossuet ? Qu’est-ce que cette montagne de rocaille qui grimpe à l’extrémité, qui cache le chœur, s’il y en a un, qui élève, sur des colonnes cannelées, un fronton garni de je ne sais combien de gros enfans tout nus dans les postures les plus ridicules, et qui se répète en petit tout le long des bas-côtés ? Serait-ce par hasard l’autel où se célèbrent les plus augustes mystères ?

Mais approchons : examinons ces sculptures, ces tableaux surtout, que l’on y expose à la vénération des fidèles. Quoi ! c’est le fils de Dieu mourant sur la croix que cette étude d’anatomie où vous pouvez compter tous les muscles, toutes les côtes, mais où vous ne trouverez pas la trace la plus légère d’une souffrance divine, et dont les bras, tendus et dressés verticalement au-dessus de la tête, semblent, conformément au symbole janséniste, s’ouvrir à peine afin d’embrasser, dans le sacrifice expiatoire, le moins d’ames possible[3]. Quoi ! cet être tout matériel, tout humain, tout courbé sous le poids des basses conceptions du peintre, et entouré de figures aussi ignobles que la sienne, ce serait là le fils de Dieu avec les douze pêcheurs qui lui ont conquis le monde ! Quoi ! ce médecin juif qui semble demander le salaire de ses visites, c’est Jésus ressuscitant la jeune fille de Jaïr[4] ! Cet homme nu qui prêche d’un air goguenard à un auditoire de gamins de Paris, c’est le précurseur martyr annonçant la venue du Sauveur[5] ! Ces demoiselles prétentieuses, ces petites maîtresses affectées, dont le front n’a jamais réfléchi que des vanités frivoles ou des passions impures, ce sont là nos vierges-martyres, nos Catherine, nos Cécile, nos Agnès, nos Philomène ! Cette femme échevelée, effrontée, à l’œil ardent, au vêtement impudique, c’est la première des saintes, l’amie du Christ, Madeleine ! Ces autres femmes aux formes grossièrement matérielles, à la robe transparente, ce sont là les symboles de la religion et de la foi[6] ! Cette série de scènes fantasmagoriques, où je reconnais, sous des habits d’emprunt et dans des attitudes de théâtre, les figures que je rencontre chaque jour dans les rues, c’est là l’histoire de notre religion[7] ! Ces Romains en toge, ces gladiateurs nus, ces modèles complaisans de raccourci, ces déclamateurs barbus, tous taillés sur le même patron, et dont je ne puis deviner les noms qu’avec l’aide du suisse ou du bedeau, ce sont là les saints dont autrefois des attributs distincts et tous empreints d’une poésie sublime rendaient les noms chers et familiers, même aux moindres enfans ! Quoi ! enfin, cette matrone païenne, cette Junon ressuscitée, cette Vénus habillée, cette image trop fidèle d’un impur modèle, ce serait là, pour comble de profanation, la très sainte Vierge, la mère du divin amour et de la céleste pureté, l’emblème adorable qui suffit à lui seul pour creuser un abîme infranchissable entre le christianisme et toutes les religions du monde, l’idéal qui évoque sans cesse l’artiste vraiment chrétien à une hauteur où nul ne saurait le suivre ? Quoi, vraiment, c’est là Marie ! Mais, dites-moi, je vous en supplie, quels sont donc les profanes qui ont envahi tous nos sanctuaires, et qui, consommant le sacrilége sous la forme de la dérision et du ridicule, pour mieux flétrir la vieille religion de la France, ont intronisé le matériel, le grotesque et l’impur, sur les autels de l’Esprit saint, des martyrs et de la Vierge ?

Et que l’on ne croie point que ces profanateurs, quels qu’ils soient, ont borné leurs envahissemens aux églises des grandes villes. Nous l’avons déjà dit, il n’y a point de paroisse de campagne où ils n’aient pénétré, et où ils n’aient tout souillé. Il n’est point d’église de village où, après avoir détruit les saintes images d’autrefois, défoncé ou bouché les vestiges de l’architecture sacrée, badigeonné le temple tout entier, ils n’aient exposé aux regards d’une foule désorientée une masse d’images qui ne sauraient être qu’un objet de profonde ignorance pour les simples, de mépris pour les incrédules, de scandale pour les fidèles instruits. Trop heureuse encore la pauvre paroisse, si dans la ferveur d’un zèle plus funeste mille fois que celui des iconoclastes, on n’a pas fait disparaître la vieille madone de bois brun ou de cire, habillée de robes empesées en mousseline rose ou blanche, avec une couronne de fer-blanc sur la tête, mais que le peuple préfère avec raison, parce que, malgré la simplicité grossière de l’image, il n’y a là du moins aucune insulte à la morale ni au sentiment chrétien. On sait que dernièrement le curé de Notre-Dame-de-Cléry ayant voulu enlever la madone séculaire, qui se vénère à ce lieu de pèlerinage, pour la remplacer par quelque chose de plus frais, le peuple s’est révolté contre cette exécution, et il s’en est suivi un procès correctionnel où l’on a vu l’étrange spectacle d’une population qualifiée d’ignorante et de fanatique, obligée de défendre les vieux objets de son amour et de son culte contre le goût moderne de son pasteur.

C’est que, dans ce système de profanation méthodique, tout se tient avec une impitoyable logique ; le laid a tout envahi ; il a souillé jusqu’aux derniers recoins où pouvait encore se cacher le symbolisme catholique. Il règne partout en maître, depuis les énormes croûtes qui viennent chaque année, après l’exposition, déshonorer les murs de nos églises, masquer et défigurer leurs lignes architecturales[8], jusqu’aux petites images que l’on distribue aux prêtres, pour en garnir leurs bréviaires modernisés aussi comme tout le reste, jusqu’à ce prétendu bonnet carré dont on les coiffe quand ils montent en chaire ou conduisent un mort à sa dernière demeure, espèce d’éteignoir dont je ne sais quelle liberté de l’église gallicane semble réserver le privilége exclusif au clergé français[9].

Voilà donc jusqu’où est tombé cet art divin, enfanté par le catholicisme et porté par lui au plus haut point de splendeur qu’aucun art ait jamais atteint ! cet art créé et propagé dans le monde chrétien par tant de grands papes et de saints évêques ; cet art dont les Agricole, les Avit, les Martin, les Nicaise, et tant d’autres pontifes français, avaient légué à leurs successeurs le dépôt sacré en même temps que le souvenir de leur sainteté et de leur noble grandeur ; cet art si populaire, si aimé, si généreux, qui avait mis les talens les plus purs et les plus dévoués au service de l’intelligence des pauvres et des humbles, qui avait peuplé jusqu’aux moindres villages de trésors inimitables, et porté jusqu’au fond des déserts et des forêts inhabitables le magnifique témoignage de la fécondité et de la beauté du catholicisme : voilà donc ce qu’il est devenu avec la permission du clergé moderne ! Ces peintres vraiment chrétiens des vieilles écoles d’Italie et d’Allemagne, ces hommes qui puisaient toutes leurs inspirations dans le ciel ou dans des émotions épurées par la piété la plus sincère, ces humbles génies dont chaque coup de pinceau était, on peut le dire sans crainte, un acte de foi, d’espérance et d’amour, ces admirables auxiliaires de la ferveur chrétienne, ces prédicateurs puissans de l’amour des choses d’en haut, c’est donc en vain qu’ils ont travaillé, puisque, relégués dans les galeries des princes, où ils sont confondus le plus souvent avec tout ce que l’art a produit de plus impur et de plus dégradé, ils voient la place qu’ils ambitionnaient, sur les autels où leurs frères viennent prier, usurpée par d’effrontés parodistes, sans qu’aucune main sacerdotale vienne jamais purifier le sanctuaire de ces souillures. On l’a dit avec une cruelle vérité : il y a beaucoup d’églises qui n’ont pas été atteintes par les mutilations iconoclastes des huguenots ; il y en a beaucoup qui ont survécu à la rage des vandales de la terreur, mais il n’y en a pas une seule en France, quelle que soit sa majesté ou sa petitesse, pas une seule qui ait échappé aux profanations que commettent, depuis trois siècles, des architectes et des décorateurs soldés, encouragés ou du moins tolérés par le clergé. Et cependant, dans ces églises où il n’y a pas une pierre qui ne porte l’empreinte du paganisme régénéré, pas un ornement qui ne témoigne du triomphe de la rocaille du xviiie siècle, ou du classicisme païen du xviie on entend souvent des prédicateurs monter en chaire et vanter les services rendus par la religion à l’art, sans s’apercevoir même que la religion a été honteusement expulsée de l’art jusque dans le temple où ils parlent. On voit chaque jour des apologistes de la religion, dissertant sur le même thème avec l’ignorance la plus inexcusable, ou la plus plaisante confusion, oublier les noms des artistes qui ont le plus honoré la religion, ou bien ne les citer que pour les confondre avec ceux qui ne se sont servi des sujets religieux que pour populariser la victoire de la chair sur l’esprit, Fra Angelico avec Titien, Giotto avec les Carraches, Van-Eyck avec Rubens, et le pur et pieux Raphaël du Sposalizio et de la Dispute du Saint-Sacrement avec ce Raphaël dégénéré qui n’avait plus pour modèle que la boulangère dont il avait fait sa maîtresse.

Mais n’accusons pas seulement le clergé français ; celui d’Italie et d’Espagne a été aussi loin que lui : celui d’Allemagne a été plus loin encore, mais il a le bon esprit de sentir aujourd’hui son erreur, et de revenir avec empressement aux types chrétiens[10]. N’accusons pas même le clergé en général, si ce n’est du tort d’avoir subi trop servilement le joug des artistes dégénérés qui ont brisé le fil de la tradition chrétienne ; et pendant long-temps il n’y en a point eu d’autres. Accusons surtout ces artistes et leurs successeurs, obligés par état d’étudier les différentes phases de l’art religieux, d’avoir volontairement répudié la beauté et la pureté des anciens modèles, pour affubler les sujets chrétiens d’un vêtement emprunté tour à tour à l’anatomie savante du paganisme, ou à la coquetterie débauchée au temps de Louis XV. Accusons les princes et les grands seigneurs des trois derniers siècles, qui n’ont eu que trop d’encouragemens pour ces sacriléges, et trop de galeries pour y déposer leurs produits. Nous n’oublierons jamais un tableau que nous avons vu à la galerie des anciens électeurs de Bavière à Schleissheim, près Munich, que nous citerons comme le type de ce que nous appelons le genre profanateur : c’est une Madeleine peinte par je ne sais plus quel peintre français du xviiie siècle ; cette Madeleine est nue et sans autre parure que ses cheveux, lesquels sont poudrés. Le guide vous dit d’un ton sentimental que l’artiste a eu sa femme pour modèle. Aujourd’hui on ne met plus de poudre aux Vierges et aux Madeleines, parce que ce n’est plus la mode ; mais on leur met des féronnières et des bandeaux, parce que l’on en voit aux femmes du monde, au-dessus desquelles la pensée du peintre n’a jamais su s’élever. On ne déshabille pas une sainte, parce qu’après tout on veut que son tableau puisse être acheté par le gouvernement pour telle ou telle église ; mais l’accoutrement qu’on lui donne, la tenue et le regard qu’on lui prête, ne sont guère plus décens ni plus édifians que la nudité complète de la Madeleine de Schleissheim.

L’antiquité païenne, que nous admirons volontiers chez elle et dans certaines limites, mais dont nous repoussons avec horreur l’influence sur nos mœurs et notre société chrétienne, l’antiquité était au moins conséquente dans les symboles qu’elle nous a laissés de ses dieux et de ses croyances. Ces symboles sont tout-à-fait d’accord avec les récits de ses prêtres et de ses poètes. Jamais elle n’a imaginé de faire de son Jupiter une victime, de son Bacchus un dieu mélancolique, de sa Vénus une vierge pudique et pieuse. Il était réservé aux chrétiens, aux catholiques, de trouver le secret de la profanation dans l’inconséquence, d’emprunter aux doctrines pulvérisées et flétries à jamais par le christianisme les types de leurs constructions et de leurs images religieuses, d’édifier l’église du Crucifié sur le plan du temple de Thésée ou du Panthéon, de métamorphoser Dieu le père en Jupiter, la Vierge en Junon ou en Vénus habillée, les martyrs en gladiateurs, les saintes en nymphes, et les anges en amours !

Est-ce à dire qu’il faille asservir toutes les œuvres d’art religieux à un joug uniforme ? qu’il faille passer le niveau impitoyable d’un type unique, comme celui de Bysance, sur tous les fruits de l’imagination et de l’inspiration consacrée par la foi ? Il n’en est rien : l’art vraiment religieux ne repousse que le contresens, mais il le repousse énergiquement ; il a horreur de l’envahissement du païen dans le chrétien, de la matière et de la chair dans le royaume de la pureté et de l’esprit. Il veut la liberté, mais la liberté avec l’ordre ; il veut la variété, mais la variété dans l’unité, loi éternelle de toute grandeur et de toute beauté. Mais au lieu de longues explications théoriques, citons des noms et des faits ; c’est le plus sûr moyen de montrer combien le génie catholique sait être fécond et varié, sans jamais mentir aux conditions de sainteté et de pureté qui le constituent. Dira-t-on qu’il y a uniformité entre une cathédrale romane et une cathédrale ogivale, entre Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Ouen de Rouen, entre la cathédrale de Mayence et celle de Milan, et pour ne pas sortir de Paris, entre Saint-Germain-des-Prés et l’intérieur de Saint-Eustache ? Non certes, et cependant tous ces édifices répondent également à l’idée légitime et naturelle d’une église chrétienne, tandis qu’il y a répulsion complète et profonde entre cette idée et des anachronismes comme la Madeleine et Notre-Dame-de-Lorette. Est-ce que les bas-reliefs d’André de Pise au baptistère de Florence, ceux des tombeaux de saint Augustin à Pavie et de saint Pierre martyr à Milan, le Jugement dernier au grand portail de Notre-Dame, ou les saintes exquises de la Frauenkirche à Nuremberg, sont taillés sur le même modèle ? Non, certes, ces pierres toutes vivantes par la foi et le génie qui les anime, ne se ressemblent ni par la disposition des sujets, ni par l’expression, ni par l’agencement, mais uniquement par ce sentiment de pudeur, de grace et de dignité que le dogme de la réhabilitation de l’homme donne à toutes ses idées ; tandis que la fameuse vierge de Brydone à Chartres, et le fameux tombeau du maréchal de Saxe à Strasbourg ne sauraient commémorer que l’emphase et la prétention d’un siècle corrompu. Qu’y a-t-il de commun entre la madone vraiment divine de Van-Eyck à Gand, et celles de Francia et du Pérugin ; entre les délicieuses miniatures de Hemling sur le reliquaire de Sainte-Ursule à Bruges, et celles de Fra Angelico sur les reliquaires de Santa-Maria-Novella ; entre les graves et grandioses fresques de la primitive école florentine, et celles si pures et si majestueuses de Luini ou de Raphaël avant sa chute ? Ce n’est certes ni le coloris, ni le dessin, ni les types choisis, rien en un mot, si ce n’est une égale fidélité à l’idée chrétienne, et ce merveilleux effet également produit sur l’ame par tous ces différens chefs-d’œuvre. Entraînée par eux vers le ciel, elle est plongée dans cette sorte d’extase mystérieuse qu’aucune parole ne saurait rendre, et qui ne laisse à l’admiration d’autres ressources que de dire comme Dante, au souvenir des délices du paradis :

Perch’ io lo’ngegno e l’arte e l’uso chiami,
Si nol direi, che mai s’immaginasse ;
Ma creder puossi et di veder si brami.

Que l’on ne croie pas non plus que cette fidélité à la pensée chrétienne doive dépendre exclusivement d’une époque spéciale, d’une organisation unique de la société, et que la nôtre en soit déshéritée. À côté de ces exemples qui datent des écoles primitives, on peut citer à juste titre l’admirable école contemporaine d’Allemagne, je veux dire celle d’Overbeck et de ses nombreux disciples, si peu connue en France, où l’on se croit cependant le droit de porter sur elle les jugemens les plus bizarres, parce qu’on a vu deux ou trois tableaux de l’école de Dusseldorf qui ne lui ressemble en rien. Eh bien ! tous ceux qui ont vu et compris des tableaux ou des dessins d’Overbeck, ne pourront s’empêcher de reconnaître qu’il n’y a là aucunement copie des anciens maîtres, mais bien une originalité puissante et libre, qui a su mettre au service de l’idée catholique tous les perfectionnemens modernes du dessin et de la perspective ignorés des anciens. L’ame la mieux prédisposée à la poésie mystique n’en est pas moins complètement satisfaite, comme devant le chef-d’œuvre le plus suave des anciens jours, et l’intelligence la plus revêche est forcée de convenir qu’il y a même de notre temps la possibilité de renouer le fil des traditions saintes, et de fonder une école vraiment religieuse, sans remonter le cours des âges, et sans cesser d’être de ce siècle.

Il est triste que l’Allemagne puisse s’attribuer à elle seule la gloire de cette véritable et salutaire renaissance. Il est triste que la Belgique, par exemple, où il y a, comme en France, tant de jeunes talens, qui a produit, au XVe siècle, une école si chrétienne, si pure, et la première de toutes par le coloris, celle de Van-Eyck, de Hemling, de Roger Van de Weyde, de Schoreel, s’obstine aujourd’hui à ne voir dans son brillant passé que l’école charnelle et grossièrement matérialiste de Rubens et de Jordaens. Il est triste que la France n’ait pas revendiqué l’initiative de cette glorieuse réaction en faveur du bon sens et du bon droit. Heureusement il est aujourd’hui constaté que cette réaction s’est étendue jusqu’à elle, et que parmi nous une foule de nobles cœurs d’artistes palpitent du désir de secouer le joug du matérialisme païen. Ils aspirent, pour l’art auquel ils ont dévoué leur vie, à des destinées plus élevées que celles qui lui sont promises par les arbitres usurpateurs de la critique moderne. Il est donc permis d’espérer que nous verrons enfin s’élever une école de peinture chrétienne dans cette France, qui, depuis les enlumineurs de nos vieux missels, n’a pas compté un seul peintre religieux, sauf le seul Lesueur, venu du reste à une époque qui rend sa gloire doublement belle. De la peinture, cette révolution heureuse se communique et se communiquera chaque jour davantage aux deux autres grandes branches de l’art. Nous ne voulons blesser aucune modestie, ni entourer d’éloges prématurés des efforts qui aboutiront plus tard à une couronne populaire et méritée ; mais nous ne pouvons nous défendre de signaler, à côté des œuvres si accomplies et si heureusement inspirées de MM. Orsel et Signol en peinture[11], à côté des monumens, jusqu’à présent trop rares et trop étrangers à la religion, de Mlle de Fauveau, les excellens commencemens de MM. Bion et Duseigneur en sculpture, et ces travaux d’architecture si patiens, si savans et si régénérateurs de MM. Lassus, Vasserot et Louis Piel. Chaque année fortifie les dévouemens anciens, et fait éclore des vocations nouvelles pour la régénération de l’art religieux ; et le jour viendra peut-être bientôt où l’on verra une phalange serrée marcher au combat et à la victoire sur les vieux préjugés et les nouvelles aberrations qui dominent l’art actuel. Mais les obstacles sont nombreux, les ennemis sont acharnés ; la lutte sera longue et pénible. Constatons seulement que cette lutte existe, car, dans le fait seul de son existence, il y a un progrès incalculable sur l’époque de la restauration, et un germe fécond de conquêtes pour l’avenir. Il faut, du reste, nous habituer à regarder en face nos adversaires, à les compter et surtout à peser leur valeur. C’est pourquoi il ne sera peut-être pas hors de propos de faire ici une brève énumération des différentes catégories d’adversaires que nous avons à redouter ou à combattre ; je ne crains pas de dire nous, parce qu’il y a certes entre ceux qui travaillent pour la réhabilitation d’une cause immortelle et ceux qui jouissent du fruit de leurs généreux efforts, une union de cœur et d’ame assez intime pour justifier la solidarité des espérances et des inimitiés.

Posons en premier lieu, non pas comme les plus redoutables, mais comme les plus nombreux et les plus aptes à se laisser confondre par une portion du public avec les hommes du progrès, posons les hommes de la mode, de cette mode, ignoble parodie de l’art, et qui en est la mortelle ennemie, de cette mode qui a mis le gothique en encriers et en écrans, qui daigne assigner aux produits de l’art chrétien une place dans ses préférences, à côté des pendules de Boule et des bergères en porcelaine du temps de Louis XV ; de cette mode enfin qui inspire à un certain nombre de peintres des tableaux où les mœurs et les croyances du moyen-âge sont représentées avec tout autant de fidélité que dans cette foule de pitoyables romans qui inondaient naguère notre littérature. Heureusement le bon sens public a déjà fait justice de ces charges du moyen-âge, de cette prétendue étude du passé, sans goût, sans science et sans foi ; la mode du gothique est à la veille d’être enterrée, et les pieux efforts de ceux qui se sont dévoués à l’œuvre de la régénération seront bientôt à l’abri d’une confusion humiliante avec l’exploitation de ceux qui spéculent sur la vogue et sur toutes les débauches de l’esprit.

Est-ce la seconde ou bien la dernière place qu’il faut assigner aux théoriciens et aux praticiens du vieux classicisme ? S’il fallait ne tenir compte que de la valeur, de l’influence, ou de la popularité de leurs œuvres et de leurs doctrines, en vérité, ce ne serait que pour mémoire qu’on aurait le droit de les mentionner. Mais, puisqu’ils occupent toutes les positions officielles, puisqu’ils ont à peu près le monopole de l’influence gouvernementale, puisqu’ils s’y sont constitués comme dans une citadelle d’où ceux qui font quelque chose se vengent de la réprobation générale qui s’attache à leurs œuvres, en repoussant opiniâtrement les talens qui ont brisé leur joug, et d’où ceux qui ne font rien s’efforcent d’empêcher que d’autres ne puissent faire plus qu’eux-mêmes ; puisque surtout ils ont encore la haute main sur tous les trésors que l’état consacre à l’éducation de la jeunesse artiste, il ne faut jamais se lasser de les attaquer, de battre en brèche cette suprématie qui est une insulte à la France, jusqu’à ce que l’indignation et le mépris public se soient enfin frayé un chemin jusque dans le sanctuaire du pouvoir pour en chasser ces débris d’un autre âge. Du reste, on a la consolation de sentir que, s’ils peuvent encore faire beaucoup de mal, briser beaucoup de carrières, tuer en germe beaucoup d’espérances précieuses, leur règne n’en touche pas moins à sa fin ; il ne leur sera pas donné de flétrir long-temps encore de leur souffle malfaisant l’avenir et le génie d’une jeunesse digne d’un meilleur sort ; la publicité fera justice de ces ébats du classicisme expirant, qui seraient si grotesques, s’ils n’étaient encore plus funestes ; les concours de Rome les tueront. Nous ne subirons pas toujours le règne d’hommes qui ont l’à-propos de donner pour sujet aux élèves, en l’an de grâce 1837, Apollon gardant les troupeaux chez Admète, et Marius méditant sur les ruines de Carthage !

Une troisième espèce d’adversaires, et, selon nous, la plus dangereuse, ce sont les critiques. Nous entendons sous ce nom les écrivains qui, dans divers journaux, sont chargés de traiter les questions d’art. Tous ces juges souverains et sans appel semblent s’être donné le mot pour étouffer, soit par un silence convenu, soit par des blâmes amers, tout ce qui porte l’empreinte d’une régénération religieuse dans l’art. En attaquant la juridiction de ce haut tribunal, nous avons besoin de répéter ce que nous avons dit en commençant, savoir : que nos observations et nos plaintes roulent uniquement sur la partie religieuse des différentes branches de l’art ; pour tout le reste, nous nous déclarons de nouveau tout-à-fait incompétent. Mais lorsqu’il s’agit de l’avenir d’un élément si essentiel et si intime de la forme religieuse, élément qui s’adresse, ou qui est censé du moins s’adresser aux masses catholiques, nous nous sentons le droit de protester selon la mesure de nos forces contre cette ligue mauvaise, dont les organes impitoyables sont campés dans les journaux les plus accrédités, et même dans ceux plus spécialement consacrés aux arts[12]. Si cette ligue devait triompher, c’en serait fait assurément de toute espèce d’école religieuse en France. Dès qu’un jeune homme montre dans ses œuvres quelque tendance à marcher dans une voie plus pure et plus rationnelle que celle qui lui est tracée à l’École des Beaux-Arts, ou par l’exemple des maîtres en vogue, ses œuvres et sa tendance sont aussitôt censurées avec l’animosité la plus cruelle. Le mot de pastiche lui est jeté avec un froid mépris, comme une flétrissure dont il ne doit jamais se relever. On lui impute comme un crime de copier servilement les écoles gothiques ; et ce reproche lui est fait par des hommes qui, à chaque ligne de leurs écrits, montrent l’ignorance la plus profonde de tout ce qui touche à ces malheureuses écoles gothiques ; par des hommes dont les paroles prouvent qu’ils n’ont jamais vu, ou du moins jamais regardé, un tableau de l’époque qu’ils voudraient mettre au ban de l’intelligence humaine ; par des hommes qui donnent chaque jour l’exemple de cette confusion historique que nous relevions plus haut comme très regrettable chez les ecclésiastiques, mais qui est bien autrement inexcusable chez ceux qui se sont investis du droit de régenter l’art passé, présent et à venir. Ils ne savent pas même distinguer entre leurs contemporains ; ils déclarent, avec la plus risible certitude, que M. Ingres et Overbeck suivent la même ligne ; ils vous disent que la Sainte Cécile de M. Delaroche rappelle le style gothique du Pérugin ; d’autres, à propos du même tableau, n’ont-ils pas été parler de Giotto et d’Orgagna, comme étant du xve et du xvie siècle ? Après quoi, dans la même phrase, ils accouplent adroitement deux ou trois de ces grands noms, pour asseoir sur eux un jugement tantôt méprisant, tantôt dédaigneusement protecteur, et établir des rapprochemens inouis entre des hommes qui n’ont jamais rien eu de commun entre eux, si ce n’est d’être également ignorés de ceux qui en parlent de la sorte. Et voilà les censeurs qui donnent ou ôtent à leur gré le droit de cité dans l’art ! Voilà les aristarques à qui nous reconnaîtrions le droit de former nos idées sur le beau ! Ce n’est pas tout : après qu’ils ont ruiné, autant qu’il dépend d’eux, la pratique du vrai beau, il nous faut subir leurs théories, apprécier tout ce qu’elles renferment de pur, de satisfaisant et de fécond, tout ce qu’elles promettent de gloire et d’originalité à l’avenir de l’art en France. Il faut entendre les uns proclamer et appeler de tous leurs vœux une réaction plus ou moins effrontée en faveur des nudités, l’apothéose de la chair, le retour aux classiques turpitudes de la mythologie ; ils nous trouvent déjà trop loin des saletés de Boucher et de Vanloo, des solennelles nudités de l’empire : on dirait qu’il n’y a plus assez de barons à l’Académie pour les servir à leur gré. Les autres, avec une outrecuidance despotique, s’indignent que nous ne restions pas cloués au xvie siècle ; ils veulent bien reconnaître que les Grecs et les Romains ne sont plus de mise, mais le paganisme de la renaissance, mitigé par la civilisation italienne, travesti à l’usage de ces tyranneaux d’Italie, les plus corrompus et les plus sacriléges qu’on vit jamais ; voilà le beau idéal, qu’il n’est pas donné au génie chrétien, au génie national, de dépasser ! Mais, quels que soient leurs dissentimens intérieurs, leurs différens degrés de pudeur et de science, on peut être sûr qu’ils se trouveront tous d’accord pour combattre en bataille rangée contre ceux qui chercheront à ramener dans l’art religieux l’esprit chrétien, dont ils ont décrété unanimement la mort et la sépulture, au sein des vieilleries des temps barbares. Eh bien ! on peut le leur prédire hardiment, leur arrêt sera cassé ; malgré leur union et leur acharnement, ils seront débordés ; l’instinct de la jeunesse ne se laissera pas égarer ; les idées marcheront, et un beau jour ces arbitres redoutables se réveilleront tout seuls sur leur tribunal abandonné. J’en prends à témoins, et le nombre toujours croissant de jeunes gens qui bravent la malveillance et l’injustice pour suivre la voie nouvelle, et l’intérêt toujours plus vif que met le public à étudier leurs essais, malgré les avertissemens zélés que distribue chaque matin le journal de chacun. Mais si l’empire de la critique telle qu’elle est actuellement organisée, doit s’écrouler, il n’en est pas moins très puissant à l’heure qu’il est. Pour le braver et lui survivre, il faut aux nouveaux adeptes de l’art chrétien, non pas l’ardeur d’une réaction momentanée, non pas l’élan d’un jeune courage, mais l’énergie intime, l’enthousiasme calme et contenu, le dévouement religieux à ce qui est immortel, et cette modestie silencieuse en face de l’injustice, qui semble l’ignorer encore plus que la dédaigner, toutes vertus bien rares et bien difficiles, mais dont le grand et saint Overbeck, au fond de son atelier solitaire de Rome, fournit le modèle le plus accompli et le plus encourageant.

Signalons en quatrième lieu une autre classe d’adversaires qui semblerait rentrer dans la précédente, mais qui offre des caractères distincts. Nous voulons parler d’un certain nombre d’écrivains sur l’art, lesquels, dominés par ces prévisions vagues et ambitieuses qui sont le signe à la fois de la grandeur et de la faiblesse de notre temps, voudraient lancer l’art dans des voies inconnues et impossibles à déterminer, au risque de le voir s’égarer ou périr d’impuissance. Ils parlent bien des conditions essentielles à l’art religieux en général, ils connaissent les produits de l’ancien art chrétien, ils les apprécient même sous quelques rapports, ils les ont étudiés avec plus ou moins de conscience et de profondeur ; mais, entraînés par je ne sais quelle impulsion humanitaire, ils font chorus avec les adorateurs du paganisme et de la renaissance pour déclamer contre le moyen-âge en général, pour confondre l’art de cette époque dans leurs rancunes contre la féodalité, pour protester contre toute tendance qui semblerait ressusciter cette époque, même en peinture. Ils veulent qu’on n’étudie les chefs-d’œuvre du passé chrétien que le temps nécessaire pour asseoir un jugement souvent superficiel sur des noms trop ignorés, pour leur assigner une place honorable dans la grande révolution de l’humanité ; après quoi ils lancent l’art dans un orbite immense et vague, dont il est impossible de découvrir le but au milieu de leurs formules éclectiques, dont il est impossible surtout de retirer aucune application pratique pour réparer les dommages et combler les vides des temps où nous vivons. En un mot, ils veulent faire une philosophie de l’art. Déplorable erreur ! nous ne craignons pas de le dire, du moins en ce qui touche à l’art religieux, si cette philosophie ne doit consister, comme celle qu’on nous offre, qu’en un certain nombre de formules arbitraires, qui nous autoriseront à renier le passé pour nous livrer aveuglément aux hasards de l’avenir. Malheur à l’art, si cette tendance se communiquait à beaucoup de jeunes artistes ; sa régénération chrétienne deviendrait impossible. Qu’on le sache donc bien. Il en est de l’art religieux comme de la religion elle-même. Quand on est réduit à faire de la philosophie religieuse, c’est qu’il n’y a plus de religion ; quand on fait de la philosophie de l’art, c’est qu’il n’y a plus d’art. Dans l’art chrétien, il ne peut y avoir rien de nouveau au fond, pas plus que dans le christianisme lui-même. L’un tient à l’autre par d’indissolubles nœuds. D’ailleurs, n’invente pas qui veut ; ceux-là surtout qui croient et qui veulent inventer sont justement ceux qui inventent le moins. Le génie, dans l’art comme dans tout, n’a jamais été le fruit de la préméditation, du calcul ou du raisonnement ; c’est le fruit de ce que les uns appellent le hasard, et les autres l’inspiration d’en haut. Il y a une fin de non-recevoir bien facile à opposer aux auteurs de ces théories ambitieuses : c’est de leur demander ce qu’il faut donc faire actuellement pour bâtir et orner nos églises, et répondre aux divers besoins des masses religieuses, en attendant qu’eux ou les artistes qu’ils ont en vue, s’il y en a, aient inventé quelque nouveau progrès. Quant à nous, nous répondrons franchement qu’il faut tout bonnement marcher sur les traces des grands artistes chrétiens, au risque de se borner à les copier et de procurer à ses œuvres la terrible dénomination de pastiches. Le champ du véritable art chrétien est, Dieu merci ! assez vaste, depuis les peintures des catacombes jusqu’à la Dispute du Saint-Sacrement, depuis les sculptures de l’école de Pise jusqu’aux apôtres de Nuremberg, depuis l’Abbaye-aux-Hommes de Caen jusqu’à la cathédrale d’Orléans. Oui, encore une fois, étudiez, fût-ce au risque de les imiter servilement, les grands hommes qui ont fait de si grandes œuvres ; étudiez-les dans ces œuvres d’abord, puis dans leur vie, dans leurs croyances, dans le fécond et sublime symbolisme dont leurs travaux n’ont été que l’expression. L’étude sérieuse, consciencieuse, amoureuse, conduira à l’inspiration, et l’originalité ne manquera pas ; nous en avons pour témoins les Overbeck, les Veith, les Cornelius, les Hess, toutes les splendeurs de la glorieuse école d’Allemagne.

Nous arrivons, enfin, à ce que nous ne pouvons ni ne voulons regarder comme la disposition hostile d’une dernière classe d’adversaires, mais à ce qui n’en est pas moins l’obstacle le plus grave et peut-être le plus difficile à surmonter que présente l’état actuel des choses, c’est-à-dire l’indifférence et l’éloignement du clergé pour les idées que nous exposons. Quand on songe au grand nombre de travaux que le clergé fait exécuter ou sur lesquels il influe indirectement, il est évident que, tant qu’il n’interviendra pas d’une manière décisive en faveur de la régénération chrétienne et rationnelle de l’art, cette régénération manquera de l’impulsion la plus efficace et du secours le plus naturel. Malheureusement, il n’est pas moins évident que, dans le moment actuel, le clergé est en général indifférent à tout ce qui se fait pour le salut de l’art religieux, qu’un grand nombre de ses membres ignore complètement l’histoire et les règles de cet art, qu’ils ne comprennent ni n’apprécient guère les monumens admirables qu’ils en possèdent, et surtout qu’ils acceptent et consacrent avec le plus aveugle empressement le règne du paganisme dans tous les travaux qui se font journellement dans nos églises. Nous savons qu’il y a quelques honorables exceptions, et nous nous faisons un devoir de signaler celles qui sont à notre connaissance. M. l’évêque de Belley, par exemple, se montre aussi préoccupé qu’aurait pu l’être un pontife des plus beaux siècles de l’église, du maintien et du progrès de l’esprit chrétien dans les monumens de son diocèse ; l’archevêque d’Avignon, les évêques de Nevers, du Mans, de Rodez, ont fait des circulaires qui manifestent le plus louable esprit de conservation et de respect pour la vénérable antiquité. Il y a même au séminaire du Mans un cours d’archéologie chrétienne dont le fondateur, M. l’abbé Chevreau, a mérité récemment une médaille d’or, décernée par la société que préside M. de Caumont. Nous croyons qu’il y a au petit séminaire de Saint-Germer, près Beauvais, un cours semblable. On a vu dernièrement dans les journaux que M. l’abbé Devoucoux, savant autunois, avait fait découvrir les magnifiques sculptures du portail de la cathédrale d’Autun, recouvertes à dessein, au xviiie siècle, par une épaisse couche de plâtre, afin de pouvoir y plaquer un gros médaillon digne de cette malheureuse époque. Ce qui dépasse tout cela, c’est qu’un jeune curé de Nantes, aidé par plusieurs paroissiens instruits, a conçu le plan hardi de rebâtir son église sur un modèle du moyen-âge. Que Dieu le conduise ! Sans doute on pourrait encore recueillir plusieurs traits analogues d’autres parties de la France. Ces symptômes sont heureux ; mais qu’ils sont en général peu nombreux ! Notre proposition n’en subsiste pas moins pour l’immense majorité du clergé, qui, nous le répétons, se montre profondément indifférente à la renaissance ou à l’existence de l’élément chrétien dans l’art, et dont l’indifférence ne saurait provenir que de son ignorance fâcheuse sur cette grave matière.

À Dieu ne plaise que nous regardions cette ignorance comme intentionnelle, que nous lui reprochions comme une faute ce que nous regardons seulement comme un très grand malheur. Nous savons mieux que personne toutes les difficultés contre lesquelles il lui aurait fallu lutter pour être arrivé aujourd’hui au point que nous voudrions lui voir occuper. Des persécutions et des épreuves trop longues ont dû naturellement détourner les anciens du sanctuaire de ce genre d’étude ; et depuis la paix de l’église, le nombre des prêtres a été long-temps trop petit pour qu’ils eussent pu dérober au service des paroisses les loisirs nécessaires à l’examen de ces grandes questions. Ils n’ont fait d’ailleurs que recueillir la succession de trois siècles d’inconséquences et d’erreurs, que l’on pourrait, à plus juste titre, reprocher à leurs prédécesseurs. Ceux-ci, en effet, procédaient avec une logique désespérante à la destruction méthodique de tout ce qui devait leur rappeler le mieux la glorieuse antiquité du culte dont ils étaient les ministres. Il ne serait pas resté une seule de nos cathédrales gothiques, si ces masses indestructibles n’avaient fatigué leur déplorable courage ; mais on peut juger de leurs intentions par certaines façades et certains intérieurs qu’ils ont réussi à arranger à leur gré. C’est grâce à eux qu’on a vu tomber ces merveilleux jubés, barrière admirable entre le saint des saints et le peuple fidèle, aujourd’hui remplacée par des grilles en fer creux ! Non contens de l’envahissement des statues et des tableaux païens sous de faux noms, on les vit, pendant le cours du xviiie siècle, substituer presque partout à l’antique liturgie, à cette langue sublime et simple que l’église a inventée et dont elle a seule le secret, des hymnes nouvelles où une latinité empruntée à Horace et à Catulle dénonçait l’interruption des traditions chrétiennes. On les vit ensuite défoncer les plus magnifiques vitraux, parce que sans doute il leur fallait une nouvelle lumière pour lire dans ces nouveaux bréviaires ; puis encore abattre les flèches prodigieuses qui semblaient destinées à porter jusqu’au ciel l’écho des chants antiques qu’ils avaient répudiés[13]. Après quoi, assis dans leurs stalles nouvelles, sculptées par un menuisier classique, il ne leur restait plus qu’à attendre patiemment que la révolution vînt frapper aux portes de leurs cathédrales, et leur apporter le dernier mot du paganisme ressuscité, en envoyant les prêtres à l’échafaud, et en transformant les églises en temples de la Raison.

Mais grace pour leur ombre ! ils avaient l’excuse de s’être laissé entraîner par le torrent qui a entraîné la société tout entière depuis les soirées platoniciennes des Médicis, jusqu’aux courses de char ordonnées par la convention au Champ-de-Mars. Eussent-ils voulu d’ailleurs n’employer que des artistes chrétiens, où les auraient-ils trouvés au milieu de la désertion générale ? Ainsi donc indulgence pour le passé. Le clergé y a tous les droits. Mais il n’en sera peut-être pas de même pour l’avenir. Déjà l’on commence à s’étonner de ce que si peu de ses membres ont jugé digne de leur attention et de leur dévouement, ce que les indifférens eux-mêmes appellent l’art chrétien. On s’étonne à bon droit de voir que, si cet art, qui constitue une des gloires les plus éclatantes du catholicisme, est reconnu, est apprécié aujourd’hui, c’est grâce aux efforts de savans laïcs, protestans, étrangers, d’hommes presque tous imbus de la funeste théorie de l’art pour l’art, tandis que le clergé et les catholiques français s’en occupent à peine[14]. On s’étonne que toutes les fatigues et toute la gloire de cette grande œuvre soient livrées sans partage à des écrivains tels que MM. De Caumont, de Laborde, Magnin, Mérimée, Vitet, Didron, dont les travaux, du reste, si savans et si méritoires, ne portent pas la moindre trace d’esprit religieux. On s’en étonne, disons-nous ; mais, après tout, il n’y a là qu’une conséquence toute naturelle d’un fait encore bien autrement étonnant : c’est qu’il n’y a pas peut-être cinq séminaires en France, sur quatre-vingts, où l’on enseigne à la jeunesse ecclésiastique l’histoire de l’église ! Chose merveilleuse et déplorable à la fois, l’histoire de l’église, cette série d’évènemens et d’individus gigantesques, qui préoccupe aujourd’hui tant d’esprits complètement étrangers, sinon hostiles, aux convictions religieuses, cette manifestation continuelle d’une force supérieure à celle de l’homme, semble n’être indifférente qu’au clergé catholique. Veut-on acquérir quelques notions justes et impartiales sur les grands hommes et les grandes époques de cette histoire ? veut-on savoir ce qu’étaient les croisades, saint Grégoire VII, Innocent III, saint Louis, saint Thomas, Sixte-Quint, il faut avoir recours à des livres traduits des protestans allemands, ou aux écrits de M. Michelet, M. Villemain et M. Guizot. C’est en vain que vous vous adresseriez au clergé français, successeur et représentant de ces noms glorieux parmi nous ; vous le trouverez occupé à réimprimer les mensonges gallicans de Fleury ou la Dévotion réconciliée avec l’esprit, par un prélat du dernier siècle.

Comment se ferait-il donc que, dépourvu de connaissances étendues et approfondies sur les évènemens et les personnages des temps qui ont enfanté l’art chrétien, le clergé pût apprécier les produits de cet art, qui tient par les liens les plus intimes à ce que l’histoire a de plus grand et de plus important ? Comment aurait-il appris à distinguer les œuvres fidèles aux bonnes traditions ou qui manifestent une tendance à y retourner, de toutes celles qui les parodient et les déshonorent ? Il faut bien cependant qu’il se hâte de revenir à cette étude et à cette appréciation, sous peine de laisser porter une grave atteinte à sa considération dans une foule d’esprits sérieux. Des faits trop nombreux viennent chaque jour à l’appui d’adversaires malveillans. On a déjà dit que, pour entendre de la musique religieuse, il fallait aller à l’Opéra ou aux concerts publics, tandis que la musique théâtrale se retrouve dans les églises. Craignons qu’on ne dise bientôt que l’art religieux a des sanctuaires dans le cabinet des amateurs, dans les boutiques des marchands de curiosités, dans les galeries du gouvernement, partout enfin, excepté dans l’église ! Nous avons entendu le curé d’une ville importante, très respectable comme prêtre, se montrer même scandalisé de cette expression d’art chrétien, et déclarer qu’il ne connaissait d’autre art que celui de faire des chrétiens ! Ce n’était ici que l’expression un peu crue d’une idée trop générale. Citons un exemple borné, mais significatif, de cette déplorable absence du sentiment de l’art chrétien. On a moulé depuis plusieurs années quelques-unes des plus belles madones de nos belles églises gothiques, celle de Notre-Dame, celle de Saint-Denis, qui a été transportée à Saint-Germain-des-Prés ; ces modèles exquis de la beauté chrétienne se trouvent, chez la plupart des marchands où le clergé et les maisons religieuses, les frères des écoles chrétiennes, etc., se fournissent des images qui leur sont nécessaires ; il semble que leur choix pourrait se fixer sur ces monumens de l’antique foi que le zèle de quelques jeunes artistes a mis à leur portée. Eh bien ! il n’en est rien ; ils sont unanimes pour préférer cette horrible Vierge du dernier siècle, de Bouchardon, je crois, que l’on retrouve dans toutes les écoles, dans tous les couvens, dans tous les presbytères, cette Vierge au front étroit, à l’air insignifiant et commun, aux mains niaisement étendues, figure sans grace et sans dignité, qu’on dirait inventée à dessein pour discréditer le plus admirable sujet que la religion offre à l’art. Que penser ensuite, pour ne pas étendre nos observations hors de Paris, de cette chapelle de Saint-Marcel, récemment érigée dans Notre-Dame[15], monstrueuse parodie de cette architecture gothique dont on avait le plus beau modèle dans l’église même, et où, par un raffinement exquis de barbarie, on a été peinturlurer en marbrures et dorer une espèce d’arcade qui semble avoir la prétention d’être ogivale ? Est-il possible que de pareilles choses se passent en 1837, dans la métropole de Paris et de la France ? Et que sera-ce encore, s’il ne s’élève pas du sein du clergé une seule voix pour protester contre cet incroyable projet qu’on attribue au vandalisme municipal, qui tend à transformer en sacristie la chapelle propre de la Sainte-Vierge, située au chevet de la basilique, en violant ainsi l’éternelle règle de l’architectonique chrétienne, telle que toutes nos cathédrales nous la révèlent, en remplaçant par un lieu d’habillement et de comptabilité ce sanctuaire suprême, ce dernier refuge de la prière, que la tendre piété de nos pères avait toujours réservé, au point culminant de l’église, au sommet de la croix, pour cette vierge-mère, dont Notre-Dame est un des plus beaux temples ?

Enfin, quand finira-t-on de voir s’élever, avec l’approbation du clergé ou par ses soins directs, des édifices comme Notre-Dame-de-Lorette, l’église du Gros-Caillou, la chapelle de la rue de Sèvres, où repose le corps de saint Vincent de Paule, indignes masures dont les formes lourdes et étriquées à la fois ne sont conformes qu’au genre classique et païen, contemporain de la réforme ; tandis que, par la contradiction la plus bizarre, les protestans construisent dans Paris une assez jolie chapelle gothique[16] sur le patron inventé et consacré par le catholicisme.

En vérité, quand on rapproche ce dernier fait de la quantité d’églises gothiques que l’on voit bâtir chaque jour en Angleterre, et du soin religieux avec lequel les protestans anglais et allemands conservent le caractère général et jusqu’aux moindres ornemens des belles cathédrales catholiques que la réforme a fait tomber entre leurs mains, on est tenté de croire que le protestantisme a usurpé le monopole de l’art chrétien. Heureusement il n’en est pas ainsi ; les nouvelles chapelles que les catholiques anglais fondent en si grand nombre, sont fidèlement copiées sur les anciennes églises qu’on leur a prises. Les jésuites viennent d’achever, dans le comté de Stafford, un vaste collége avec une belle église, l’un et l’autre entièrement gothiques, et dont le plan, aussi bien que les détails, rappellent les plus magnifiques abbayes du moyen-âge. Au mois d’octobre de cette année, dans une seule semaine et dans la même province, on a consacré trois belles églises et une abbaye de trappistes du meilleur style gothique[17]. Les catholiques d’Écosse et d’Irlande suivent absolument le même système. Enfin le souverain, si zélé, si généreux, et surtout si catholique, de la Bavière a fait restaurer, avec autant de soin que de science, les grandes cathédrales de Ratisbonne et de Bamberg ; pour celle-ci, le scrupule a été poussé si loin, que l’on a relégué, dans un cloître voisin, jusqu’aux mausolées modernes d’architecture classique qui déparaient ce magnifique édifice romain. Dans ses constructions nouvelles, ce souverain a embrassé tous les genres d’architecture chrétienne, depuis la basilique des premiers siècles jusqu’au gothique parfait du xvie, et il a su réserver les formes classiques pour le Valhalla, espèce de Panthéon historique, qui n’a rien de commun avec la religion. C’est qu’en effet, puisque l’architecture moderne en est réduite à copier, il faut au moins savoir ordonner ces copies d’une manière conséquente et rationnelle. S’il y avait quelque nouvelle architecture bien séduisante, bien originale, on conçoit que le clergé se laissât séduire comme au moment de la renaissance ; mais puisqu’on n’a encore rien pu inventer qui sorte des deux grandes divisions de l’antique et du moyen-âge, du païen et du chrétien, pourquoi, au nom du ciel ! aller choisir de préférence l’héritage du paganisme pour en faire hommage au Dieu des chrétiens ?

Qu’on ne nous objecte pas le surcroit de dépenses : mauvaise raison, ou plutôt excuse mensongère, inventée par la routine et l’ignorance des architectes classiques. Il ne s’agit pas, dans l’état actuel, d’élever de ces vastes cathédrales où presque chaque pierre est un monument de patience et de génie, œuvres gigantesques que la foi et le désintéressement peuvent seuls enfanter : il s’agit tout simplement de réparer, de sauver, de guérir les blessures de celles qui existent, et puis de bâtir çà et là quelques églises de paroisse petites et simples. Or, des calculs désintéressés ont prouvé qu’il n’en coûterait pas plus (peut-être même moins) pour adopter le système ogival ou cintré, sans abondance d’ornemens, que pour écraser le sol des masses opaques et percées de parallélogrammes que l’on construit de nos jours. Si nous sommes plus pauvres que les Anglais, nous sommes, je pense, plus riches que les malheureux paysans d’Irlande. Cependant ces pauvres serfs, tout épuisés qu’ils sont par la famine, les rentes qu’il leur faut payer à leurs seigneurs absens du pays, et les dîmes que leur extorque le clergé anglican, ces ilotes, qui n’ont que bien rarement du pain à manger avec leurs pommes de terre, ces martyrs perpétuels, obligés, après avoir gorgé de leurs dépouilles un clergé étranger, de nourrir encore celui qui les console dans leur misère, et de faire une liste civile à O’Connell, ce roi de la parole qui les conduit à la liberté ; ces Irlandais bâtissent, eux aussi, des églises pour abriter leur foi, qui ose enfin se montrer au grand jour ; et toutes ces églises sont gothiques[18] ! Comme dans toute l’Europe, après la grande frayeur de la fin du xe siècle, le sol de cette pauvre Irlande, tout fraîchement délivrée d’une affreuse servitude, se couvre d’une blanche parure d’églises dignes de ce nom, excutiendo semet, rejecta vetustate passim candidam ecclesiarum vestem induit. (Radulph Glaber, iii, 4.) Ils viennent, cette année même, de faire consacrer une belle cathédrale par leur archevêque patriote, monseigneur M’Hale, à Tuam. Voilà ce qu’ils font, ces glorieux mendians ! Et nous, Français, nous sommes encore à nous traîner servilement dans l’ornière que nous a tracée le conseil des bâtimens civils !

Mais on nous objectera peut-être que le clergé n’est plus, comme autrefois, le maître absolu de tous les édifices religieux ; que, par une inconséquence ridicule et illégale, mais passée en usage dans nos mœurs administratives, il n’a plus le droit exclusif d’accepter ou de rejeter les œuvres d’art qu’on y place, les travaux qu’on y fait ; qu’il ne lui est pas libre de s’opposer aux déprédations qu’y commettent les architectes municipaux, ni d’empêcher le gouvernement de s’habituer à regarder les églises comme autant de galeries où il lui est loisible d’exposer à demeure les tableaux soi-disant religieux que la protection d’un député ou le caprice d’un employé subalterne aura fait acheter. Cela n’est que trop vrai ; mais il n’en est pas moins positif que le clergé fait exécuter une foule de travaux importans pour son propre compte ; c’est sur ceux-là que roulent nos observations précédentes. Il y a, en outre, beaucoup de petites communes en France qui, pour devenir paroisses et avoir un curé à elles, s’imposent de grands sacrifices pour construire à leurs frais des églises, sans autres conseils que ceux des prêtres du voisinage, sans autre surveillance que la leur. Ce serait là une voie aussi naturelle qu’honorable de rentrer dans le vrai. D’un autre côté, il est malheureusement incontestable que le clergé n’a pas encore manifesté le moindre symptôme d’opposition au vandalisme des architectes officiels, au scandale des tableaux périodiquement octroyés aux églises. Il le pourrait cependant, nous en sommes persuadé, en s’appuyant sur ses droits imprescriptibles, et sur des textes de lois dont l’interprétation est abusive. Il le pourrait bien mieux encore en invoquant le bon sens et le bon goût du public, qui ne manquerait pas de réagir aussi sur l’esprit de l’administration. Il y aurait unanimité chez les gens de goût, chez les véritables artistes, pour venir au secours d’une protestation semblable de la part du clergé : l’opinion est délicate et sûre en ces matières, comme on l’a vu récemment lors des sages restrictions mises par M. l’archevêque de Paris à l’abus de la musique théâtrale dans les églises ; la victoire serait bientôt gagnée. Quant à nous, si nous avions l’honneur d’être évêque ou curé, il n’y a pas de force humaine qui put nous contraindre à consacrer des églises comme Notre-Dame-de-Lorette, à accepter des statues comme celles qu’on destine à la Madeleine, à subir des tableaux comme ceux que l’on voit dans toutes les paroisses de Paris, avec une pancarte qui annonce pompeusement qu’ils ont été donnés par la ville ou le gouvernement. En outre, si nous avions l’honneur d’être évêque ou curé, nous ne confierions jamais, pour notre propre compte, des travaux d’art religieux à un artiste quelconque, sans nous être assuré, non-seulement de son talent, mais de sa foi et de sa science en matière de religion : nous ne lui demanderions pas combien de tableaux il a exposés au Salon, ni sous quel maître païen il a appris à manier les pinceaux ; nous lui dirions : « Croyez-vous au symbole que vous allez représenter, au fait que vous allez reproduire ? ou, si vous n’y croyez pas, avez-vous du moins étudié la vaste tradition de l’art chrétien, la nature et les conditions essentielles de votre entreprise ? Voulez-vous travailler, non pour un vil lucre, mais pour l’édification de vos frères et l’ornement de la maison de Dieu et des pauvres ? S’il en est ainsi, mettez-vous à l’œuvre ; sinon, non. » Nous demandons pardon de la trivialité de la comparaison ; mais, en vérité, c’est le cas de renouveler la fameuse recette de la Cuisinière bourgeoise, et de dire ; « Pour faire une œuvre religieuse, prenez de la religion, etc. »

Qu’on nous permette une dernière considération. Dans les beaux travaux qui ont paru jusqu’à présent en France sur l’art du moyen-âge, et dont nous avons cité plus haut les auteurs, on remarque un vide que l’on peut dénoncer sans être injuste envers ces hommes laborieux et intelligens qui ont ouvert la voie. Ce vide, c’est celui de l’idée fondamentale, du sens intime, de ce mens divinior qui animait tout l’art, et plus spécialement l’architecture du moyen-âge. On a parfaitement décrit les monumens, réhabilité leur beauté, fixé leurs dates, distingué et classifié leurs genres et leurs divers caractères avec une perspicacité merveilleuse ; mais on ne s’est pas encore occupé, que nous sachions, de déterminer le profond symbolisme, les lois régulières et harmoniques, la vie spirituelle et mystérieuse de tout ce que les siècles chrétiens nous ont laissé. C’est là cependant la clé de l’énigme, et la science sera radicalement incomplète, tant que nous ne l’aurons pas découverte. Or, nous croyons que le clergé est spécialement appelé à fournir cette clé, et c’est pourquoi nous regardons son intervention dans la renaissance de notre art chrétien et national, non-seulement comme prescrite par ses devoirs et ses intérêts, mais encore comme utile et indispensable aux progrès de cette renaissance et à sa véritable stabilité. En effet, par la nature spéciale de ses études, par la connaissance qu’il a, ou du moins qu’il doit avoir, de la théologie du moyen-âge, des auteurs ascétiques et mystiques, des vieux rituels, de toutes ces anciennes liturgies, si admirables, si fécondes et si oubliées, enfin et surtout par la pratique et la méditation de la vie spirituelle impliquée par tous les actes qui se célèbrent dans une église, le clergé seul est en mesure de puiser à ces sources abondantes les lumières définitives qui manquent à l’œuvre commune. Qu’il sache donc reprendre son rôle naturel, qu’il revendique ce noble patrimoine, qu’il vienne compléter et couronner la science renaissante par la révélation du dernier mot de cette science. Qu’il ne croie pas en faire assez, lorsqu’il n’étudiera que les dates, la classification, les caractères matériels des anciens monumens : c’est là l’œuvre de tout le monde. Il n’y a pas besoin d’être prêtre, ni même catholique pour cela ; on en voit des exemples tous les jours. Le clergé a, dans l’art, une mission plus difficile, mais aussi bien autrement élevée.

En terminant, nous ne demanderons pas pardon de la brusque franchise, de la violence même, si l’on veut, que nous avons mise à protester contre les maux actuels de l’art religieux ; la vérité nous excusera, et nous vaudra l’indulgente sympathie des cœurs sincères et des intelligences droites. L’avenir nous justifiera. Si la lutte continue avec la même constance qui a été montrée jusqu’ici, si l’instinct du public se développe avec la même progression, on peut nourrir l’espérance d’une victoire prochaine. Il nous sera peut-être donné de voir de nos yeux des évêques qui ne rougiront pas d’être architectes, au moins par la pensée, comme leurs plus illustres prédécesseurs, et aussi décidés à repousser de leurs églises l’indécent, le profane, les innovations païennes, qu’à anathématiser une hérésie ou un scandale. Peut-être alors verrons-nous encore des artistes qui comprendront que la foi est la première condition du génie chrétien, et qui ne rougiront pas de s’agenouiller devant les autels qu’ils aspirent à orner de leurs œuvres. Quant à nous, si nos faibles paroles avaient pu ranimer quelque courage éteint ou porter une seule étincelle de lumière dans un esprit de bonne foi, notre récompense serait suffisante, et notre alliance se trouverait ainsi consommée avec ces jeunes artistes qui se dévouent à faire rentrer dans l’art consacré au christianisme ces caractères de pureté, de dignité et d’élévation morale, seules dignes de la majesté de ses mystères et de ses destinées immortelles. Tous ensemble, ne perdons pas courage, et saluons cet avenir qui doit remettre en honneur la loi antique et souveraine de l’art, cette loi qui proclame que le beau n’est que la splendeur du vrai[19].


Le comte de Montalembert.

  1. Discours de M. Guizot à la société des Antiquaires de Normandie, en août 1837.
  2. Du Vandalisme en France. — Revue des Deux Mondes du 15 mars 1833.
  3. On sait que l’on suivait l’usage contraire dans toutes les crucifixions peintes ou sculptées dans les âges chrétiens. Un exemple frappant se voit dans le magnifique bas-relief de la chaire du baptistère de Pise, où Nicolas de Pise, père de la sculpture chrétienne, a représenté notre Seigneur les bras étendus horizontalement, comme pour embrasser l’humanité tout entière dans sa rédemption.
  4. Voyez le tableau derrière le maître-autel de Saint-Roch, à droite.
  5. Voyez un tableau qui représente la prédication de saint Jean-Baptiste, dans la même église, nouvellement placé.
  6. Voyez les deux figures destinées au bénitier de la Madelaine, exposées au Salon de 1836.
  7. Voyez la plupart des fresques de Notre-Dame-de-Lorette, de celles du moins qui sont découvertes en ce moment.
  8. Qu’on entre pour un instant seulement à Saint-Germain-des-Prés ou à Saint-Étienne-du-Mont, et l’on verra quel genre de services la peinture moderne sait rendre à l’architecture chrétienne.
  9. À Rome, et partout ailleurs dans le monde catholique, les prêtres ont pour coiffure un véritable bonnet carré à quatre pans, d’une forme à la fois digne et gracieuse, absolument semblable, sauf la couleur, à la barrette des cardinaux. Il en était de même en France avant Louis XIV. Qu’on n’accuse pas ces observations de minuties ; dans le symbolisme chrétien, dont le vêtement sacerdotal est une partie si essentielle, il n’y a rien d’insignifiant. Les moindres détails étaient liés aux œuvres les plus grandioses sous le règne de la beauté et de la vérité, et malheureusement ils le sont encore sous le règne du laid et du profane.
  10. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à visiter la cathédrale de Fribourg en Brisgau, à deux pas du Rhin. On y verra quel goût pur et excellent préside aux réparations et à l’entretien de cette magnifique et si complète église. Que si, en revenant, on passe par Strasbourg, et qu’on jette un coup d’œil sur le chœur de cette cathédrale, on verra quel abîme sépare la France de l’Allemagne sous le rapport de l’intelligence de l’art chrétien.
  11. Nous pourrions citer dans cette catégorie M. Hauser, car, quoique étranger à la France par sa naissance, il lui consacre ses études. La sympathie du public pour son tableau exposé à Saint-Roch a dû le dédommager suffisamment des inconcevables dédains d’un jury qui a eu le malheur d’être répudié par M. Delaroche et M. Vernet. Mais il aurait plus justement à se plaindre de la légèreté avec laquelle les journaux se sont plu à attribuer cet essai remarquable à une illustre princesse dont le talent n’a pas besoin d’être constaté par un prêt de ce genre. Le Musée des Familles a été jusqu’à faire graver et publier ce tableau en attribuant à son altesse royale la princesse Marie l’œuvre du peintre étranger. M. Hauser nous appartient, du reste, non-seulement par ses propres services, mais par l’excellente ligne qu’il fait suivre à son fils adoptif, qui, à peine sorti de l’enfance, promet déjà à l’art chrétien un digne représentant.
  12. Nous devons faire une exception en faveur de l’Européen, recueil dont tous les articles en matière d’art sont dictés par une science profonde et le sentiment le plus pur des exigences de la pensée chrétienne.
  13. On sait que tel a été le sort de la flèche de Notre-Dame de Paris.
  14. Nous devons cependant faire une exception en faveur de M. Gilbert, qui a publié des descriptions des cathédrales de Paris, Chartres, Amiens, Reims, etc. ; de M. l’abbé Pavie, auteur de quelques excellentes monographies sur les églises de Lyon ; de M. l’abbé Tron, qui vient de mettre au jour une bonne description de Saint-Maclou de Pontoise.
  15. Dans le transept septentrional.
  16. Rue d’Aguesseau-Saint-Honoré.
  17. Ces trois églises sont celles de la Grace-Dieu, château de M. Phillips, qui l’a fait construire, de Notre-Dame-du-Mont-Saint-Bernard, et de Withwich. Voyez l’Ami de la Religion du 7 novembre 1837.
  18. Pour être exact, il faut avouer que la chapelle métropolitaine de Marlborough-Street, à Dublin, est bâtie dans le genre classique, parce que, commencée, il y a plusieurs années, à une époque où le mauvais goût était encore puissant, même en Angleterre, elle a été achevée d’après le plan primitif.
  19. Cet article servira d’introduction à la Collection des monumens de l’histoire de sainte Élisabeth, composée de trente planches in-folio, qui représentent divers travaux de peinture et de sculpture des anciennes écoles, ainsi que d’Overbeck et de son école contemporaine, et publiée par M. Boblet, quai des Augustins, 37.