De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir/J’écris dans un vieux kiosque

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J’ÉCRIS DANS UN VIEUX KIOSQUE…


J’écris dans un vieux kiosque si touffu
qu’il en est humide et, comme un Chinois,
j’écoute l’eau du bassin et la voix
d’un oiseau — là, près de la chute (chutt!!)

d’eau. Je vais allumer ma pipe.
Ça y est. J’en égalise la cendre.
Puis le souvenir doucement descend
en inspiration poétique.

« Je suis venu trop tard dans un monde
trop vieux » et je m’embête, je m’embête
de ne pas assister à une ronde
de petites filles aux grands chapeaux étalés.


— Cora ! tu vas salir le bas de ton
pantalon, en touchant à ce vilain chien.
Voilà ce qu’eussent dit, dans un soir ancien,
les petites filles au bon ton.

Elles m’auraient regardé, en souriant,
fumer ma pipe tout doucement,
et ma petite nièce eût dit gravement :
Il rentre faire des vers maintenant.

Et ses petites compagnes, sans comprendre,
auraient arrêté une seconde
le charmantage de leur ronde,
croyant que les vers allaient se voir — peut-être.

— Il a été à Touggourt, ma chère,
eut dit le cercle des écolières
plus âgées. Et Nancy eût déclaré :
il y a des sauvages et des dromadaires.

Puis, j’aurais vu déboucher sur la route
le caracolement des ânes
de plusieurs messieurs et de plusieurs dames
revenant, le soir, d’une cavalcade.


Mon cœur, mon cœur, ne retrouveras-tu
que dans la mort cet immense amour
pour ceux que tu n’as pas connus
en ces tendres et défunts jours ?


1897.