De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir/L’eau coule

La bibliothèque libre.
De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir : 1888-1897Mercure de France. (p. 138-139).

L’EAU COULE…


L’eau coule dans la boue et dans le bois, après
la pluie. C’est maintenant que sont trempés les prés.
Les merles vivent dans l’humidité des gaules
qui servent à faire les paniers, gaules jaunes.
J’ai bu au tuyau de fer de la source douce
entouré de mousse en soleil transparent et de rouille.
Je t’aurais aimée là, autrefois, près de la mousse,
parce que tu avais une figure douce.
Mais à présent, je souris en fumant ma pipe.
Les rêves que j’ai eus étaient comme les pies
qui filent. J’ai réfléchi. J’ai lu des romans
et des vers faits à Paris par des hommes de talent.
Ah ! Ils n’habitent pas auprès des sources douces
où vont se baigner les bécasses en feuilles mortes.

Qu’ils viennent avec moi voir les petites portes
des maisons des bois abandonnées et crevées.
Je leur montrerai les grives, les paysans doux,
les bécassines en argent, les luisants houx.
Alors ils souriront en fumant dans leur pipe,
et, s’ils souffrent encore, car les hommes sont tristes,
ils guériront beaucoup en écoutant les cris
des éperviers pointus sur quelque métairie.


1894.