De l’Astrologie

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XXXVI

DE L’ASTROLOGIE.[1]


1. Voici un écrit sur le ciel et sur les astres, non pas sur le ciel et les astres considérés en eux-mêmes, mais relativement aux prédictions vraies qu’on en tire pour la vie de l’homme. Ce livre ne contient pas de préceptes, il n’enseigne pas de doctrine, il ne dit pas comment on peut exceller dans la divination ; mais je reproche à tous les hommes sages qui s’exercent dans les autres sciences et qui communiquent aux autres leurs découvertes, de ne point honorer et de ne pas pratiquer l’astrologie.

2. C’est cependant une science antique ; ce n’est pas d’hier qu’elle est venue à nous ; elle est l’œuvre des anciens monarques : chéris des dieux. Mais nos contemporains, par ignorance, par oisiveté et surtout par paresse, s’en font une idée toute différente, ou bien, s’ils rencontrent de faux devins, ils s’en prennent aux astres et détestent l’astrologie elle-même, disant qu’elle n’a ni sens, ni vérité, et que c’est une science trompeuse et frivole. Ils ont tort, selon moi ; l’inhabileté de l’ouvrier ne provient pas de la mauvaise qualité de son art ; le peu de talent d’un musicien n’est pas la faute de la musique ; l’artiste peut être un ignorant, mais chaque art a le mérite qui lui est propre.

3. Ce sont les Éthiopiens qui, les premiers, ont fait part aux hommes de cette découverte. Ils y furent conduits et par la sagesse particulière à leur nation les Éthiopiens étant, pour le reste, supérieurs aux autres peuples, et par la situation avantageuse de leur pays. Un calme, une sérénité continuelle les environne ; ils ne sont point assujettis aux vicissitudes des saisons ; ils habitent sous une température uniforme. Ils remarquèrent les premiers que la lune n’est pas toujours complètement la même, mais qu’elle prend diverses formes, se montrant tantôt sous un aspect, tantôt sous un autre, phénomène qui leur parut digne d’admiration et de remarque. Après de fréquentes observations, ils en découvrirent la cause, à savoir que la lune ne brille pas de sa propre lumière, mais de celle qui lui vient du soleil.

4. Ils trouvèrent aussi la marche des autres astres, que nous nommons planètes, parce que ce sont tes seuls qui se meuvent, leur nature, leur puissance, les effets que produit chacun d’eux, et leur donnèrent des noms, insignifiants en apparence, mais correspondant à leur valeur naturelle.

5. Voilà ce que les Éthiopiens aperçurent dans le ciel. Ils communiquèrent aux Égyptiens, leurs voisins, cette science encore imparfaite. Les Égyptiens, après avoir reçu d’eux l’art de la divination à peine ébauché, le développèrent, firent connaître la mesure du mouvement de chaque astre, et réglèrent par le calcul l’ordre des années, des mois et des heures. La mesure des mois fut la lune et sa révolution, celle de l’année fut le soleil et sa marche circulaire.

6. Ils portèrent beaucoup plus loin leurs découvertes. Embrassant l’espace tout entier, avec les astres fixes, stationnaires et immobiles, ils le divisèrent en douze parties où les autres opérèrent leurs mouvements, et à chacune desquelles ils assignèrent des animaux représentés sous une forme différente, poissons, hommes, bêtes sauvages, oiseaux, animaux domestiques.

7. C’est de là que prit naissance cette foule de divinités adorées en Égypte, car tous les Égyptiens n’employaient pas les douze divisions pour l’art divinatoire ; mais les uns employaient une constellation, et les autres une autre. Ceux qui jadis consultaient le Bélier adorent un bélier ; ceux qui tiraient leurs présages des Poissons ne mangent pas de poisson ; on ne tue pas de bouc chez ceux qui observaient le Capricorne, et ainsi de suite, selon l’astre dont on respectait le pouvoir. S’ils adorent un taureau, c’est certainement pour honorer le Taureau céleste ; cet Apis, qui est pour eux un objet sacré, qui paît en liberté dans leur pays et pour lequel ils ont fondé un oracle, est le symbole astrologique du taureau qui brille au ciel.

8. Peu de temps après, les habitants de la Libye s’adonnèrent à la même science, et l’oracle d’Ammon, établi chez les Libyens, se rattache également au ciel et à la sagesse qui en émane ; c’est aussi pour cela qu’ils représentent Ammon sous la figure d’un bélier.

9. Les Babyloniens, à leur tour, furent initiés à ces phénomènes : ils prétendent même les avoir connus avant les autres ; pour moi, je pense que cette science n’est parvenue chez eux que beaucoup plus tard.

10. Les Grecs n’apprirent l’astrologie ni des Éthiopiens ni des Égyptiens : c’est Orphée, fils d’Œagre et de Calliope, qui leur en révéla les premiers principes. Cependant il ne les rendit pas publics ; il n’enseigna point cette science au grand jour, mais il l’enveloppa d’enchantements et de mystères pour seconder ses vues. Il construisit une lyre et institua des orgies dans lesquelles il chantait ses dogmes sacrés. Sa lyre à sept cordes rendait une harmonie qui était comme le symbole de celle des planètes. C’est par ces recherches et cette impulsion qu’Orphée charmait et subjuguait tous les cœurs ; mais, en réalité, son attention ne se dirigeant pas sur la lyre qu’il avait faite, il ne se préoccupait d’aucune espèce de musique, il ne songeait qu’à la grande Lyre d’Orphée. En effet, les Grecs, pour lui faire honneur, lui assignèrent une place dans le ciel, et la réunion de plusieurs étoiles prit le nom de Lyre d’Orphée. Aussi, quand parfois vous voyez Orphée représenté en pierre ou en peinture, assis au milieu de ses auditeurs dans l’attitude d’un homme qui chante, une lyre à la main et entouré d’une foule d’animaux, hommes, taureaux, lions et autres encore, à cette vue rappelez-vous quel est ce chant, quelle est cette lyre, quel taureau et quel lion prêtent l’oreille à Orphée ; si vous en connaissiez les modèles, vous verriez qu’ils sont tous placés dans les cieux.

11. On dit que le fameux Tirésias, de Béotie, qui se fit une grande réputation en prédisant l’avenir, enseigna aux Grecs que, parmi les planètes, les unes étaient femelles, les autres mâles, et qu’elles avaient des influences différentes. De là cette légende sur Tirésias, qu’il était de deux natures, qu’il réunissait les deux sexes, tour à tour homme ou femme.

12. Lorsque Atrée et Thyeste se disputèrent le trône de leur père, les Grecs cultivaient publiquement l’astrologie et l’étude du ciel. L’État d’Argos résolut de donner l’empire à celui des deux frères qui surpasserait l’autre dans cette science. Thyeste désigna et fit connaître à ses concitoyens le bélier céleste : d’où la fable que Thyeste avait un agneau d’or. Atrée leur parla du soleil et de ses levers ; que le soleil et le monde ne se meuvent pas dans le même sens, mais que leur marche est opposée, de sorte que ce que nous prenons pour le coucher du monde est en réalité le lever du soleil. Cette démonstration le fit élire roi par les Argiens, et sa sagesse lui valut une grande gloire.

13. Je vois un emblème pareil dans Bellérophon. Je ne puis croire qu’il eût un cheval ailé ; mais je me figure que ce héros, en cultivant l’astrologie, prit des idées sublimes, vécut au milieu des astres et s’élança vers les cieux, non sur les ailes d’un cheval, mais porté par son génie.

14. J’en dis autant de Phrixus, fils d’Athamas, qu’on représente traversant les airs sur un bélier d’or. Il en est de même de l’Athénien Dédale, dont l’histoire, quoique étrangère, se rattache pourtant à l’astrologie : il en connaissait parfaitement les secrets et les avait appris à son fils.

15. Seulement la jeunesse et l’imprudence d’Icare le portèrent à des recherches interdites à l’homme ; il s’éleva en esprit jusqu’au pôle, mais il fut précipité du haut de la vérité, jeté hors du bon sens, et noyé dans une mer d’erreurs sans limites. Les Grecs racontent autrement son aventure, et l’on a donné à un golfe le nom de mer Icarienne sans trop savoir pourquoi.

16. Peut-être Pasiphaé, ayant appris de Dédale à connaître le Taureau, qui brille au milieu des astres, s’éprit-elle de la science astrologique ; ce qui fit dire que Dédale lui avait fait épouser un taureau.

17. Quelques-uns, ayant divisé cette science en plusieurs parties, l’accrurent chacun de nouvelles découvertes, relatives à la lune, à Jupiter, au soleil, à leur cours, à leur mouvement, à leur puissance.

18. Endymion donna des règles pour tout ce qui regarde la lune.

19. Phaéthon entreprit de déterminer la marche du soleil, mais il ne put se rendre compte de tous les phénomènes, et il mourut laissant son œuvre imparfaite. Ceux qui ne connaissent pas cette circonstance font de Phaéthon un fils du Soleil et racontent de lui une histoire tout à fait incroyable. Ils disent qu’il alla trouver le Soleil, son père, et lui demanda la permission de conduire son char lumineux : le Soleil consent et lui donne des avis sur la conduite des chevaux. Mais Phaéthon n’est pas plutôt monté sur le char, qu’emporté par la jeunesse et l’inexpérience, tantôt il s’approche trop de la terre, tantôt il s’en éloigne trop, et fait périr les hommes par un froid ou par une chaleur insupportables : Jupiter irrité le frappe d’un coup de foudre ; il tombe : ses sœurs l’entourent et mènent un grand deuil jusqu’à ce qu’elles soient métamorphosées ; et maintenant ce sont des peupliers qui pleurent Phaéthon en versant de l’ambre au lieu de larmes. Cependant rien de tout cela n’a eu lieu, et il n’est pas possible d’y croire : jamais le soleil n’a eu de fils, et jamais son fils n’est mort.

20. Les Grecs ont encore une foule d’autres fables auxquelles je ne saurais ajouter foi. Le moyen de croire, en effet, qu’Énée soit fils de Vénus, Minos de Jupiter, Ascalaphus de Mars, Autolycus de Mercure ? Chacun d’eux sans doute était chéri des dieux, et, au moment de leur naissance, Vénus, Jupiter ou Mars avait l’œil sur eux. Car ceux des dieux qui dominent sur les hommes lorsqu’ils viennent au monde, peuvent passer pour leurs pères ; ils ont sur eux la même influence ; ils leur donnent le teint, la forme, l’habileté, l’esprit… Minos fut roi, parce que Jupiter le dominait ; Énée dut sa beauté à l’influence de Vénus ; Autolycus fut voleur[2], parce que Mercure l’avait porté au vol.

21. Jamais Jupiter n’enchaîna Saturne, ni ne le précipita dans le Tartare, jamais il ne trama contre lui rien de ce qu’ont imaginé les hommes. Saturne roule dans une orbite éloignée de notre cercle ; son mouvement est très-lent et les hommes ont grand’peine à l’apercevoir : de là l’on a dit qu’il était immobile et comme enchaîné ; quant à l’immense profondeur de l’air, on lui a donné le nom de Tartare.

22. C’est surtout par les poésies d’Homère et celles d’Hésiode qu’on peut se convaincre de la concordance des faits de l’astrologie. Quand le poëte nous parle de la chaîne de Jupiter, des traits lancés par le Soleil, il me semble qu’il désigne les jours : et j’en dis autant des villes, des chœurs de danse et des vendanges que Vulcain représente sur le bouclier d’Achille. Ce qu’on raconte de l’adultère de Mars et de Vénus révélé à tous les dieux, n’est qu’une invention astrologique, c’est la conjonction de Mars et de Vénus qui sert de matière au chant d’Homère. Dans d’autres passages il définit leur influence respective. Il dit de Vénus[3] :

Que les plaisirs d’hymen soient sous sa douce loi.


et pour la guerre[4] :

Que le rapide Mars, que Minerve y président.

23. Convaincus de ces vérités ; les anciens se servaient très-souvent de la divination et ne la regardaient pas comme superflue. Ils ne fondaient pas de ville, n’élevaient pas de murailles ; ne livraient pas de combat, ne se mariaient pas, sans avoir pris conseil des devins, dont ils ne séparaient pas les oracles de la science astrologique. À Delphes, la vierge prophétique est un symbole de la vierge céleste ; le dragon placé sous le trépied n’est doué de la voix que parce qu’il y a un dragon qui brille parmi les astres, et l’oracle d’Apollon, établi à Didyme[5], n’est, à mon avis, ainsi nommé que par allusion aux Gémeaux du ciel.

24. La divination était si sacrée aux yeux des anciens, qu’Ulysse, fatigué de ses courses errantes, mais voulant connaître au vrai ce que lui réservaient les destins, descendit aux enfers, non

Pour y voir et les morts et le sombre royaume[6],


mais dans le désir de consulter Tirésias. Parvenu à l’endroit désigné par Circé, il y creuse une fosse et égorge des brebis : plusieurs ombres, parmi lesquelles se trouve sa mère, se présentent pour boire le sang, mais il ne le permet à aucune, pas même à sa mère avant que Tirésias y ait goûté et qu’il l’ait contraint à lui révéler l’avenir. Il eut le courage de voir sa mère souffrir de la soif.

25. C’est sur le modèle des lois célestes que Lycurgue composa celles qu’il a données aux Lacédémoniens : ainsi chez eux c’est une loi de ne jamais se mettre en campagne avant la pleine lune. Le législateur a pensé que cet astre n’avait pas la même influence à son croissant et à son décours, mais que tous les événements lui étaient soumis.

26. Les Arcadiens sont les seuls qui se soient refusés à cette doctrine et qui ne fassent aucun cas de l’astrologie : ils sont du reste si fous et si ignorants, qu’ils se disent plus anciens que la lune.

27. Ainsi nos ancêtres étaient fortement attachés à la divination. Mais à notre époque, les uns disent qu’il est impossible d’assigner un but certain à cette science, qu’elle ne mérite point notre confiance et ne dit jamais la vérité, que ni Mars ni Jupiter ne se meuvent pour nous dans les cieux, qu’ils se soucient fort peu des affaires humaines, qu’ils n’ont aucun rapport avec elles, qu’enfin ils roulent dans leur orbite, emportés par la fatalité.

28. D’autres, sans taxer l’astrologie d’imposture, prétendent qu’elle est inutile, attendu que la divination ne saurait changer la décision des Parques.

29. Voici ce que je réponds aux uns et aux autres : les astres suivent leur orbite dans le ciel, mais, indépendamment de leur mouvement, ils agissent sur ce qui se passe ici-bas. Voudriez-vous qu’un cheval au galop, que des oiseaux et des hommes en s’agitant, fissent sauter des pierres ou voler des brins de paille par le vent de leur course, et que la rotation des astres ne produisît aucun effet ? Le moindre feu nous envoie ses émanations, et cependant ce n’est pas pour nous qu’il brille et il se soucie fort peu de nous échauffer : pourquoi ne recevrions-nous aucune émanation des étoiles ? L’astrologie, il est vrai, ne peut rendre bon ce qui est mauvais : elle ne change rien au cours des événements, mais elle rend service à ceux qui la cultivent, en leur annonçant le bonheur à venir ; elle leur procure une joie anticipée, en même temps qu’elle les rend plus forts contre le mal. L’infortune, en effet, ne les surprendra pas sans qu’ils s’y attendent : la prévision, l’exercice, la rend plus facile et plus légère. Telle est ma façon de penser sur l’astrologie.

  1. On doute que ce traité soit de Lucien, malgré l’affirmation de Dusoul. Il est écrit en dialecte ionien.
  2. Voy. Homère, Odyssée, XIX, v. 396.
  3. Iliade, V, v. 429.
  4. Id., Ibid.
  5. Didyme veut dire jumeau.
  6. Homère, Odyssée, XI, v. 93.