De l’Espagne et de son histoire

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DE L’ESPAGNE
ET
DE SON HISTOIRE.

CORRESPONDANCE, MÉMOIRES ET ACTES DIPLOMATIQUES CONCERNANT LES PRÉTENTIONS ET L’AVÉNEMENT DE LA MAISON DE BOURBON AU TRÔNE D’ESPAGNE, ACCOMPAGNÉS D’UN TEXTE HISTORIQUE ET PRÉCÉDÉS D’UNE INTRODUCTION, PAR M. MIGNET.

On éprouve une émotion également vive en entrant pour la première fois au parlement d’Angleterre et aux archives des affaires étrangères de France. Sous les voûtes de Saint-Étienne, l’histoire des trois royaumes est concentrée tout entière, depuis Hampden jusqu’à O’Connell. Il semble qu’on voie passer devant soi, le front chargé des soucis du pouvoir, ces générations d’hommes politiques qui se transmirent, comme un dépôt national, l’habileté par laquelle on use de la bonne fortune et la persévérance qui triomphe de la mauvaise. En Angleterre, négociations diplomatiques et intrigues de cour, prédications de la chaire et déclamations des hustings, tout depuis trois siècles aboutit à cette petite salle.

La France manque d’un foyer lumineux où soient venus converger ainsi les rayons épars de son histoire. Une partie s’en faisait dans les cours souveraines, les assemblées du clergé, ou les états provinciaux, une autre dans les salons de Versailles ou les boudoirs des maîtresses. Cependant, lorsque l’on veut comprendre les annales de la monarchie, non d’après les œuvres académiques, mais dans leur réalité pratique et ignorée, lorsque l’on tient à saisir la physionomie vivante de l’ancien régime, c’est à l’hôtel de la rue des Capucines que l’on doit commencer cette étude entravée jusqu’ici par une réserve rarement justifiée.

Ce fut une tradition constante pour tous les princes de la maison de Bourbon, que le gouvernement se résume dans la direction des affaires étrangères, et que le roi ne peut abandonner la conduite de celles-ci, sans compromettre le sort de sa couronne, et sa sûreté personnelle. Personne n’ignore que Louis XV lui-même, ce roi de sérail, qui, du fond du Parc-aux-Cerfs, livra le Canada et la marine française à l’Angleterre, laissa partager la Pologne, et voyait de sang-froid venir la révolution, avait une diplomatie secrète fort active, devant laquelle tremblèrent le duc de Choiseul et le duc d’Aiguillon ; agence mystérieuse dont le comte de Broglie fut le chef, Favier le publiciste, et qui enrôla dans sa franc-maçonnerie politique M. de Vergennes et le chevalier d’Éon. Conçoit-on dès-lors que des écrivains aient pu se croire en mesure de tracer un tableau quelque peu sérieux des derniers siècles, sans la connaissance des seuls documens qui pussent les faire sortir des banalités historiques ?

Si depuis quelques années, les publications successives des travaux du général Grimoard, de Lemontey et de Mazure, celle des mémoires du duc de Saint-Simon surtout, ont répandu quelques idées moins erronées, rien de plus inexact encore que l’impression généralement conservée en France et en Europe, du gouvernement de Louis XIV[1]. Personne n’ignore sans doute que ce grand roi gagna des batailles grâce aux généraux qui conduisaient ses armées, à Louvois qui les organisait, à Colbert qui préparait le nerf de la guerre : mais la cause principale de ses succès demeure enveloppée de mystère. On attribue à la force ce qui appartient à l’habileté, à la fortune ce qu’il conviendrait de rapporter à l’adresse. L’idée qui lia tous les plans politiques de ce long règne, la prévoyance qui les conçut un demi-siècle avant leur exécution et qui les poursuivit pied à pied, la souplesse qui tira parti des évènemens, la corruption qui triompha des hommes, tout cela échappe pour ne laisser saisir que des effets sans cause. On ignore jusqu’au nom de ces nombreux agens auxquels le disciple de Mazarin aimait à confier, non l’éclatant appareil, mais la réalité de la puissance politique. On dirait que le public juge le siècle des magnificences royales, à la manière de ces visiteurs d’usines, devant lesquels l’industrie fait couler à pleins bords la lave brûlante ou tisser ses toiles légères, et qui, satisfaits de ces brillantes manifestations, n’ont ni curiosité ni loisir pour s’enquérir des forces motrices et des procédés de la science.

Le xviie siècle fut l’époque de la grande diplomatie, de la diplomatie de haut style, qui unissait à la connaissance pratique des hommes la vaste science léguée par l’âge précédent. Ce fut par elle que Louis XIV, jeune encore, éleva la puissance française, et que la Hollande parvint à fonder la sienne. Guillaume III fut le premier diplomate de son temps ; et s’il finit par abaisser le roi de France, c’est que celui-ci, après avoir perdu M. de Lionne et les hommes formés par Mazarin, n’avait plus guère, pour seconder sa vieillesse, que des ministres étrangers aux traditions de Munster et des Pyrénées, manquant également d’autorité pour résister aux haines de l’Europe et aux passions de leur maître.

Toutes les entreprises de ce monarque, depuis la guerre de dévolution qui commença si glorieusement son règne jusqu’à celle de la succession d’Espagne qui le termina par des péripéties si diverses, toutes ses négociations, depuis le congrès d’Aix-la-Chapelle jusqu’à celui d’Utrecht, étaient contenues en germe et ménagées à dessein dans l’acte fameux de 1659. En en dressant les stipulations, qu’accompagnèrent des renonciations équivoques et des clauses mal définies, Mazarin s’était beaucoup plus occupé d’ouvrir des chances à l’avenir que de garantir la sécurité du présent. Mettre la France en mesure d’hériter de l’Espagne, soit en dépeçant ses possessions, soit en recueillant la monarchie tout entière ; créer au roi très chrétien des prétentions que la force saurait bien ériger en droits ; lui ménager dans tous les cabinets de l’Europe, depuis la cour du roi catholique jusqu’à celle du plus mince électeur, un patronage qui mît à sa solde les princes ou leurs ministres, leurs favoris ou leurs favorites, tel fut le legs que l’Italien fit à la France. Jamais pensée ne fut servie par un corps diplomatique plus intelligent et plus soumis, plus fanatiquement dévoué à la gloire personnelle du souverain et à l’agrandissement de l’état. Dans son sein le secret demeurait inviolable ; chez lui, le sentiment de la force n’ôtait rien à une prudence minutieuse dans les détails et peu scrupuleuse dans les moyens. Ce n’était jamais qu’après avoir préparé le terrain, sans laisser au hasard rien de ce que l’habileté pouvait lui ôter, que ce gouvernement, si superbe dans ses formes et pourtant si réservé dans sa conduite, se livrait à ces actes d’éclat dont il avait d’avance calculé la portée et mesuré toutes les conséquences.

Louis XIV, qui, dans sa jeunesse, avait eu M. de Lionne pour endormir l’Europe sur ses projets, trouva, sur ses derniers jours, M. de Torcy pour le réconcilier avec elle. En 1668, le chevalier de Grémonville avait signé à Vienne un premier traité de partage de la monarchie espagnole, demeuré secret jusqu’à nos jours[2]; en 1713, Mesnager négociait à Utrecht, sur des bases sinon semblables, du moins analogues ; et à travers tant de vicissitudes et de calamités, il renouait la chaîne long-temps interrompue des saines traditions politiques.

Sous la régence, le caractère des négociations politiques change avec celui des évènemens. Ce ne sont plus ces vues ambitieuses et hautes, ces projets persévérans et à longue échéance, attributs d’un pouvoir sûr de lui-même. Il faut acheter des appuis au dehors pour résister aux ennemis du dedans ; on est, d’ailleurs, en face d’Alberoni, boute-feu dont il s’agit d’éventer plus encore que de combattre les projets téméraires et sans suite. L’intrigue succède à la politique, l’imbroglio à la guerre ; on assassine les courriers, au lieu de livrer des batailles ; à Madrid comme à Paris, on dépense à soustraire et à déchiffrer les dépêches, les soins que don Louis de Haro et Mazarin consacraient à composer les leurs. Cellamare conspire dans le boudoir de Sceaux, avec quelques pédans et quelques gentilshommes endettés ; le duc de Saint-Aignan riposte en Espagne par une contre-conspiration, dont le principal personnage est la nourrice de la reine.

Dubois, supérieur à tout ce monde, parce qu’il est mieux assis dans sa corruption, prend sans peine le premier rôle ; il lance dans toutes les cours des nuées de gens d’église et de gens de lettres qui servent le maître et le valet, selon leur goût. 8,000,000 et cinq années d’angoisses sont dépensés à procurer au misérable la barrette de cardinal. Lafitau, Tencin, Rohan, négocient successivement à Rome ce grand sacrilége ; des ambassadeurs spéciaux vont à Vienne, passent et repassent les Pyrénées, pour intéresser le roi d’Espagne et l’empereur à la plus grande affaire de l’époque ; l’un d’eux, usé par les soucis et les fatigues, meurt au champ d’honneur comme Roland à Ronceveaux[3] ; George II d’Angleterre et Jacques III le famélique se rencontrent dans cette négociation, et la conquête du chapeau occupe la diplomatie de la régence, autant que celle de la Flandre et de la Franche-Comté avait occupé la diplomatie de Louis XIV.

Celle de Louis XV se distingua par son incessante activité et sa perpétuelle impuissance. Il n’y avait plus dans la chancellerie française ni bases arrêtées, ni longs projets d’avenir. La direction des affaires appartint successivement à tout le monde, et l’on essaya un peu de tous les systèmes, en ne retirant, ainsi que cela devait être, de ces tentatives contradictoires que de constantes humiliations et une déconsidération croissante.

On rêve un instant l’anéantissement de l’empire ; cette idée est embrassée avec ardeur, le roi de Prusse l’inspire et la fomente, prenant en pitié l’incapacité politique et l’imprévoyance de ses alliés. Dans ce pêle-mêle de négociations, lui seul suit invariablement ses vues, sachant y faire concourir les évènemens et les hommes, les intrigues des cabinets et les engouemens de l’opinion. Frédéric II renouvelle à son profit la position qu’au début de son règne l’habileté de son ministère avait faite à Louis XIV, il poursuit contre l’empire les projets que celui-ci avait formés contre l’Espagne.

La France s’aperçoit cependant qu’elle joue grossièrement un jeu de dupe, et qu’un seul intérêt est en action dans la crise où elle se trouve si gratuitement engagée ; elle abandonne alors ses alliances, s’en crée d’autres pour les quitter et les reprendre encore. Rapide et mobile dans ses impressions, tourmentée du besoin d’agir, en même temps qu’incapable de mesurer les conséquences de ses démarches, elle va toujours au-delà du but et découvre de plus en plus sa faiblesse, alors qu’elle affecte à tout propos de faire parade de sa force. Le système autrichien est substitué à l’alliance prussienne, et les femmes, alors officiellement entrées dans les affaires, embrassent la nouvelle combinaison comme un caprice de cœur. La France s’engage sans but et sans motif dans des complications aussi dangereuses qu’imprévues ; elle prend pour elle toutes les charges en se désintéressant à l’avance de tous les bénéfices éventuels. Une guerre plus honteuse encore par la légèreté des vues qui y présidèrent que par les humiliations qu’elle attira sur nos armes, est suivie d’une paix désastreuse, mais nécessaire.

Après s’être agité sans motif, on se repose sans honneur. On laisse périr une grande nation sans avoir même le triste mérite de deviner l’attentat déjà presque consommé. Le prince de Rohan[4] en soupçonne bien quelque chose ; mais le duc d’Aiguillon lui défend même d’arrêter sa pensée sur un projet si peu vraisemblable et si contraire aux assurances qu’il reçoit chaque jour du comte de Mercy, ambassadeur de l’impératrice. Il l’invite à abandonner un fil qui ne pourrait que l’égarer, et à ne pas donner de suite à des révélations dont le seul résultat serait d’inquiéter inutilement le roi. Malheureuse Pologne ! malheureuse France !

Notre diplomatie se relève un instant par la probité de Louis XVI et le talent de M. de Vergennes. Les négociations qui amenèrent la conclusion du traité de 1783, après la guerre d’Amérique, sont dignes des bons temps de la science. Les intérêts coloniaux et politiques y furent largement étudiés et garantis par un ensemble de dispositions heureuses. Si l’inexpérience en matière économique et commerciale fit à cette époque commettre quelques fautes, ce furent là de ces erreurs inséparables d’une première éducation et qui ne compromettent pas l’avenir.

Quand la révolution eut commencé à gronder sur l’Europe, la diplomatie fit silence. Entre parties qui se considèrent comme ennemies naturelles, les négociations sont impossibles. La paix ne peut avoir à leurs yeux que le caractère d’un armistice, et le droit des gens n’est plus que le droit de la guerre. Brissot avait déclaré du haut de la tribune que la France tenait pour ennemis tous les despotes, pour alliés tous les peuples libres ou aspirant à l’être. Il fallait dès-lors rappeler ses ambassadeurs d’auprès de tous les rois, pour en accréditer auprès des clubs et des sociétés secrètes. Aux manœuvres propagandistes furent opposés des moyens aussi peu moraux et plus impuissans qu’elles. On se flattait alors de dominer une révolution en achetant ses chefs ; jamais les hommes ne furent estimés plus cher et ne valurent moins, car jamais ils ne furent plus subordonnés aux idées, dont ils étaient les instrumens et non les promoteurs. La diplomatie des comités de la convention, qui en fit plus qu’on n’imagine, a je ne sais quoi de sombre et de sauvage ; celle de la contre-révolution est d’une fabuleuse niaiserie.

Lorsque enfin l’égoïsme eut ranimé l’ambition en triomphant de la terreur des uns et du fanatisme des autres, ceux-ci aspirèrent à la paix pour jouir de leurs conquêtes, ceux-là pour s’en faire adjuger quelque portion en faisant acte d’empressement. Alors s’ouvrirent les conférences de Bâle, et l’on vit bientôt des mains teintes du sang de Louis XVI presser celles de ministres d’un petit-fils de Louis XIV et du roi qui avait conduit en personne la première coalition contre la France.

En 1789 s’ouvre pour le droit et la science diplomatiques une ère nouvelle, sur laquelle les publications officielles ne peuvent projeter encore aucune lumière. Les questions européennes ne sont pas résolues d’une manière assez complète et assez définitive, pour qu’il n’y eût pas imprudence, de la part du pouvoir, à fournir des armes aux passions et aux intérêts hostiles. D’ailleurs, tout gouvernement qui se respecte doit, à ceux qui l’ont servi, la protection du silence pour leurs derniers jours. Quand des vœux ont été exprimés pour que les archives des affaires étrangères s’ouvrissent aux investigations savantes, quand on a conçu la pensée de les faire concourir à la grande collection historique commencée par M. Guizot, toutes les convenances prescrivaient donc de se reporter à une période dont les intérêts fussent complètement en dehors de ceux qui s’agitent aujourd’hui.

Le choix qui a été fait est sans doute le plus heureux, peut-être même le seul qui se put faire. En retraçant brièvement l’histoire de la diplomatie moderne, nous venons de voir qu’une époque seule s’y présentait avec cette harmonieuse unité de vues qui permet à l’historien de suivre largement le cours d’une féconde pensée. Ce n’est guère que sous Louis XIV que la France, jeune, forte et pleine d’avenir, s’est trouvée en mesure de faire de la politique selon un plan arrêté, en y rapportant, pendant un demi-siècle, toutes ses vues, en y faisant concourir toutes ses démarches.

Répétons-le : la succession d’Espagne fut l’idée-mère de la politique de Louis XIV, celle qui lie toutes les parties de son règne. Cette grande affaire fut pour le xviie siècle ce qu’est pour notre âge l’avenir de l’empire ottoman. Toutes les questions n’acquéraient de véritable importance qu’autant qu’elles se rattachaient à ce grand problème, dont la menaçante solution resta près de cinquante ans suspendue sur l’Europe. Cette époque est féconde en enseignemens : on verra ce qu’en présence d’une inévitable catastrophe la prudence suggérait aux uns, l’ambition inspirait aux autres.

Ce n’était pas seulement la dynastie qui s’éteignait en Espagne, l’état lui-même semblait prêt à descendre dans la tombe. Louis XIV ne mit tant de prix à épouser l’infante, fille aînée de Philippe IV, que parce qu’il convoitait ce grand héritage ; et s’il donna les renonciations exigées comme conditions du mariage, ce fut en les invalidant et en protestant à l’avance contre elles. La naissance d’un prince qui vécut près de quarante années ajourna ses espérances et les craintes de l’Europe, sans dissiper un seul instant ni les unes ni les autres, tant semblait irrévocable l’arrêt de mort que ce grand royaume portait au front !

Lassé d’attendre, le roi de France, du vivant même de Charles II, fit valoir par les armes une partie de ses prétentions, en se réservant de les exposer plus tard tout entières. Des traités de partage furent passés avec les principales puissances de l’Europe, et ces traités furent le principe direct ou éloigné de toutes les guerres de ce temps. Cette négociation fut le thème de toutes les investigations des publicistes ; il en sortit une guerre qui mit en contact, sur tous les champs de bataille de l’Europe, toutes les illustrations du grand siècle. L’empire et la France, la Hollande et l’Angleterre, en attendaient l’issue avec une égale perplexité ; et pour grandir les tristes scènes qui se jouaient à l’Escurial autour du lit du monarque mourant, derrière les confesseurs et les caméristes on découvrait dans le lointain l’Italie, la Sicile, les Pays-Bas, les royaumes de Colomb, de Pizarre et de Cortez, attendant qu’une signature disputée à une main défaillante décidât sur quel empire le soleil ne cesserait jamais de briller. Unité d’action, universalité des intérêts, grandeur et nationalité du résultat, ce sujet offrait donc à un écrivain français toutes les conditions prescrites par les rhéteurs pour devenir la grande épopée diplomatique des temps modernes, si l’on veut bien me passer le mot.

Une telle entreprise était une œuvre de sagacité et de labeur comme il s’en fait peu dans un temps où les études sérieuses avortent sous les ambitions hâtives, et où l’habitude paraît prise de suppléer par des généralités aux faits que l’on ignore. On ne pouvait penser à livrer à l’impression deux cents volumes in-folio de correspondances et de mémoires ; outre qu’une telle publication était matériellement impossible, elle eût été inutile, car elle n’eût pas vulgarisé la science politique. Il ne s’agissait pas non plus d’écrire un livre, comme il s’en est fait déjà de fort bons, en s’appuyant sur des documens authentiques. Ce qu’il importait, c’était de faire connaître les correspondances elles-mêmes, sinon dans toute leur étendue, du moins dans leur esprit et dans leurs formes, dans ce qu’elles ont de plus individuel. Il fallait initier le public à ces préoccupations de chaque jour, qui font de la vie de l’homme d’état une existence si agitée et souvent si dramatique.

Montrer comment se développe une pensée féconde servie par d’habiles instrumens, comment l’esprit de conduite fait renouer à chaque heure des fils que les évènemens semblent briser ; dégager la politique des abstractions pour l’observer soumise à toutes les influences personnelles, à toutes les variations du tempérament, de l’humeur et du caprice ; faire voir, enfin, ce que la valeur des hommes ôte et ajoute à une situation, tel devait être le résultat d’un travail dont il appartenait à la France d’avoir l’initiative. Ce but ne pouvait être atteint que par des publications originales, encadrées dans un texte destiné à les réunir sans prétendre les commenter. Il fallait que l’écrivain s’effaçât devant les illustres morts, représentés après deux siècles dans toute la vérité de leurs passions et de leurs paroles les plus secrètes ; et pourtant le but eût été complètement manqué, si l’on n’avait su se placer assez haut pour saisir l’ensemble d’une négociation dont chacun des acteurs n’apercevait que des faces isolées, si l’on n’en avait coordonné toutes les parties, en conservant à chacune leur couleur spéciale.

Une révélation reçue de Madrid nécessitait, en effet, des ouvertures à Vienne ; un mot échappé à Londres modifiait notre attitude en Hollande. Tous les princes allemands, depuis l’électeur de Brandebourg, jusqu’au plus petit évêque régalé par la France[5], toutes les puissances du second ordre, le Portugal que Louis XIV payait pour faire la guerre, la Suède qu’il payait pour rester en paix, s’engrenaient comme des ressorts accessoires dans le jeu d’une mécanique immense. Les correspondances contemporaines doivent donc s’éclairer l’une par l’autre : un rapport de l’abbé de Saint-Romain, agent secret à Lisbonne, expliquera une dépêche de l’archevêque d’Embrun, ambassadeur à Madrid ; et c’est une lettre de M. de Gravel, ministre à Ratisbonne, de M. Gomont, envoyé à Cologne, ou de M. Millet, plénipotentiaire à Berlin, qui éclaircira des soupçons conçus par M. de Grémonville, à Vienne, ou le comte d’Estrades, à La Haye.

Le soin de réunir ces documens précieux et de les éclairer par une haute critique revenait de droit à un écrivain qui a eu le bon goût de rester fidèle à ses premières études, alors que de plus éclatantes fortunes pouvaient l’inciter à les abandonner. Les lettres profiteront d’une conduite pleine de convenance, si ce n’est d’habileté, et qui, sans compromettre l’avenir politique de M. Mignet, s’il veut un jour en poursuivre un, lui impose aujourd’hui, comme un devoir de position, de graves et honorables travaux.

Sur son œuvre de jeunesse, on avait pu deviner en lui plusieurs des qualités qui constituent l’historien-publiciste, rôle éminent où l’appréciation de la pensée s’unit à l’étude des hommes, et qui tient par un bout à la vie philosophique, en pénétrant par l’autre dans les réalités de la vie usuelle. Son Histoire de la révolution française se plaça hors ligne par un style ferme et réfléchi, par une manière toujours impartiale, je dirai presque impassible, alors même que l’auteur était encore impressionné par les passions et les préjugés de l’homme de parti. Ce livre signala l’un des premiers la transition du libéralisme de l’ère critique et révolutionnaire au dogmatisme d’une école qui cherche à se rendre raison d’elle-même, en s’appuyant sur l’autorité d’une grande idée sociale.

M. Mignet vit avec Sieyes toute la révolution dans la suprématie politique du tiers-état, et dégageant cette idée des phases sanglantes qu’elle dut traverser pour se faire jour, il la présenta comme un droit supérieur à tous ceux qui disparurent devant elle.

Ce qui fit la puissance du jeune écrivain, ce qui imprima à ses déductions une sorte de rigueur mathématique, était pourtant recueil, sinon de son talent, du moins de sa doctrine. En subordonnant les faits aux idées, il dut s’exposer à en altérer quelquefois le caractère, et surtout agrandir l’importance et la valeur des personnes qu’il contemplait à travers l’œuvre immense où elles étaient engagées. De là une tendance à accepter tous les évènemens, comme s’engendrant forcément les uns les autres, à chercher dans une pensée générale la justification des faits particuliers, au lieu d’y voir le produit spontané des passions et de la liberté humaine.

Je crois de toute mon ame à la philosophie de l’histoire, parce que je crois en Dieu et en la Providence. Je sais que l’esprit humain suit une irrésistible impulsion et que le monde intellectuel a ses lois, comme l’univers physique. Je crois, par exemple, qu’il ne dépendait d’aucune puissance de ravir à la société française les conquêtes de la révolution de 89, et qu’il est également impossible d’empêcher que les résultats de ce grand mouvement ne deviennent européens. Mais j’estime que les faits pouvaient se présenter tout autrement, et qu’un peu plus d’intelligence chez les uns, un peu moins de corruption chez les autres, certains accidens, même de circonstance et de détail, auraient imprimé un tout autre cours, non aux idées qui viennent de Dieu, mais aux évènemens qui viennent des hommes.

Ce qui ressort surtout de l’histoire sérieusement méditée, c’est la puissance de l’individu, non quant aux résultats définitifs, mais quant à la manière dont ces résultats sont acquis aux nations. Un homme de plus peut leur valoir dix ans de calamités de moins ; et la proposition contraire est aussi malheureusement vraie. Je ne sais, par exemple, rien de mieux que l’étude des archives des affaires étrangères pour montrer combien la sphère de l’action personnelle est large encore, bien qu’elle soit circonscrite dans celle des nécessités sociales. En se trouvant plus rapproché des réalités politiques, M. Mignet aura dû modifier une disposition qui est celle de tous les esprits supérieurs au début de la vie. Il suffit d’apprécier la haute sagacité de l’écrivain dans les argumens et le texte historique, où sont si lumineusement enchâssés les documens officiels, et surtout dans la belle introduction qui les précède, pour voir que ces années d’expérience et d’étude ont conduit son talent à sa plus entière maturité.

Cependant nous aurons à signaler bientôt, en appréciant ce morceau lui-même, une dissidence qui nous paraît tenir à un certain tour d’esprit que M. Mignet a conservé de sa première manière. Si, comme nous le croyons, le point de vue selon lequel il apprécie le fait le plus funeste, selon nous, aux destinées de l’Espagne, la succession féminine, manque de vérité politique, il faudra, ce me semble, l’attribuer au besoin de justifier les phénomènes historiques, par cela seul qu’ils se produisent, et de rationaliser les accidens, en les élevant à la dignité de principes.

Dans ce vaste prologue, si beau d’ordonnance et d’harmonie, d’une éloquence sobre, mais pleine, où l’on voit se nouer dans le lointain des âges le drame que les évènemens vont bientôt trancher, M. Mignet s’est attaché à mettre en regard la fortune pâlissante de l’Espagne et celle de la France, qui chaque jour s’élève plus forte et plus radieuse, et finit par absorber sa rivale en lui imposant sa dynastie. C’est la lutte de deux grands peuples également favorisés du ciel, mais auxquels leurs institutions ont préparé des destinées si différentes.

On nous permettra de traiter ce morceau comme une œuvre à part, comme l’une des conceptions historiques les plus remarquables de ce temps ; nous parcourrons donc rapidement à notre tour la route que M. Mignet a si largement frayée, nous inspirant souvent de sa pensée, prenant aussi quelquefois nos réserves contre elle.

Ce qui saisit le plus vivement le voyageur en parcourant la Péninsule ibérique, c’est la stérilité des plus beaux dons du ciel. Un rempart de quatre-vingt-douze lieues la circonscrit et la protège, ne lui laissant que deux étroites ouvertures sur l’Europe, et cette configuration qui semblait, plus que toute autre cause, devoir assurer à l’Espagne un système politique dont l’intérêt national fût la base, ne l’a pas empêché d’user sa force et ses ressources dans les querelles continentales les plus étrangères à ses développemens intérieurs. Six cent cinquante-six lieues de côtes lui ouvrent d’excellens ports sur les deux mers ; et loin d’appeler dans son sein le commerce du monde, ces ports ont été les canaux par où sa force et sa richesse se sont écoulées vers des plages aujourd’hui perdues pour elle. Sur son sol si divers d’aspect et d’élémens, où la science se complaît à trouver comme un résumé de la création tout entière[6], les productions de toutes les zones se touchent et se confondent, et nulle contrée n’offre pourtant un tel aspect de misère et de désolation ; les arbres y manquent comme les hommes, les eaux comme les moissons. De grands fleuves, qui devraient doter ce pays du plus beau système de canalisation du monde, y portent la ruine et la stérilité, torrens impétueux grossis aux pluies de l’hiver, lits infects et desséchés sous un ardent soleil.

Cette lenteur à s’engager dans les voies de la civilisation moderne, cette constante misère à côté de tant de richesses, tiendraient-elles à un défaut inhérent, à la constitution physique de cette contrée, à la barrière qui la sépare du continent ? M. Mignet semble le croire. On pourrait répondre que si son isolement a nui à l’Espagne, c’est que les circonstances politiques où elle s’est trouvée engagée l’ont empêchée d’en recueillir le bénéfice, et que les mers qui entourent la Grande-Bretagne assurent sa sécurité intérieure et sa nationalité, sans être un obstacle à aucun de ses développemens. Nous pensons, pour notre compte, qu’ici tous les reproches doivent porter sur les institutions et sur les hommes, qu’aucun ne peut s’adresser à la nature, si ce n’est peut-être celui d’une trop grande fécondité.

Tout accuse, en ce pays, une position manquée, quelque chose d’exceptionnel et d’anormal. Il est visible que le développement naturel de la société n’a pas parcouru au-delà des Pyrénées ses phases nécessaires. Si la Russie souffre de la civilisation en serre-chaude improvisée par Pierre-le-Grand, l’Espagne est malade aussi d’un vice organique caché dans les profondeurs de son histoire.

Après une résistance héroïque, la Péninsule subit, comme le reste du monde, le joug de Rome. Les arts et les mœurs de l’Italie s’acclimatèrent vite sous son beau ciel, et ses steppes les plus sauvages attestent encore, par d’imposantes et voluptueuses ruines, que la conquête de cette contrée fut plus complète que celle des Gaules. À la chute de l’empire, l’Espagne chrétienne et romaine reçut aussi du Nord le flot régénérateur ; la barbarie y épandit le limon de sa force fécondante, et l’empire des Goths primait alors celui des Francs, nos rudes ancêtres.

Mais, au commencement du viiie siècle, un fait nouveau se produisit qui jeta la Péninsule en dehors des voies suivies par les autres nations européennes. Les Arabes y détruisirent la puissance des Goths, et, sur les ruines d’une société romano-germaine, ils élevèrent cette civilisation sarrazine, mosaïque brillante et légère dont leur architecture semble encore la vivante image. Cependant le grand cataclysme sous lequel succomba la civilisation chrétienne en Afrique et en Asie, ne devait pas s’y reproduire. La partie la plus énergique de la population s’enfuit vers le nord, jetant dans les montagnes des Asturies, de l’Aragon et de la Navarre les bases de royaumes voués dès l’origine à une guerre incessante et impitoyable : croisade entreprise pour recouvrer les tombeaux de ses pères, et dont chaque enfant recevait le signe avec l’eau de son baptême.

Pendant que les autres nations se mêlaient, en s’étendant hors de leurs frontières, pour réagir ensuite sur elles-mêmes, et que, par ses transformations successives, le régime féodal enfantait tour à tour l’aristocratie des barons, la démocratie des communes et la suprématie des rois ; pendant que les conquêtes de l’agriculture, de la navigation et du commerce, hâtées par les croisades et une sécurité plus générale, imprimaient un mouvement progressif à la société française, l’Espagne restait vouée à la même œuvre, qu’elle suivait avec une courageuse et patiente obstination.

Durant huit siècles, qui virent, selon les historiens castillans, livrer trois mille six cents batailles rangées, ce peuple ne se délassa de sa vie armée qu’en répétant en chœur les chants chevaleresques qui grossissaient chaque jour cette vaste épopée cyclique. La guerre devint pour lui quelque chose de sacré ; il la fit avec une foi forte et impitoyable, et la destruction des Maures prépara celle des Indiens.

Son expérience sociale n’augmenta pas plus que sa sécurité intérieure. Au lieu de s’étendre sur le sol, pour le féconder par le travail, de se grouper, comme elle le fit en France, autour des demeures féodales et des abbayes, la population de l’Espagne se jeta dans de grandes villes, les seules qui pussent efficacement résister aux attaques des armées musulmanes. De là cette disproportion notable entre la population urbaine et celle des campagnes dont les désastreuses conséquences se sont étendues jusqu’à nous. Au sein de cette société organisée pour une guerre éternelle, les terres étaient sans valeur, parce qu’elles étaient possédées sans sécurité. Aussi furent-elles distribuées aux chefs militaires, bien plus comme des territoires à défendre que comme une source de richesses à exploiter. De là l’immense étendue de ces possessions qui eussent fait de l’aristocratie espagnole la plus colossale du monde, si l’incurie des hommes et des lois ne les avait rendues stériles.

Le régime féodal fit peut-être répandre en France autant de sang qu’au-delà des Pyrénées la longue croisade contre les Maures ; mais les victoires territoriales remportées par nos rois sur leurs feudataires, les conquêtes politiques faites par les communes, avançaient chaque jour l’œuvre commencée, et la société moderne sortit enfin de ces couches laborieuses. La puissante unité de l’empire de Charlemagne avait créé pour l’avenir des titres aux rois de France leurs successeurs ; en Espagne au contraire, aucun lien ne rattachait les diverses dynasties princières à un même centre de suzeraineté féodale. Ces dynasties, d’ailleurs, n’exerçaient qu’un pouvoir fort limité, autant par l’autorité des chefs militaires qui marchaient de pair avec elles, que par la turbulente puissance de ces populeuses cités, où l’insurrection éclatait sitôt que les Maures quittaient le pied des remparts.

Cependant, lorsque le royaume de Grenade eut succombé sous les armes chrétiennes, et que l’Espagne se trouva réunie sous le sceptre de Ferdinand et d’Isabelle, une nouvelle ère s’ouvrit pour ce pays, qui parut rentrer enfin dans le mouvement imprimé aux autres sociétés contemporaines. Le pouvoir royal commença à s’y développer, assez fort pour créer l’unité nationale, trop faible pour étouffer le goût et l’habitude de la liberté. Les priviléges anarchiques de l’Aragon, qui légitimaient la guerre civile et l’imposaient comme un devoir, les institutions aristocratiques de la Castille, les fueros de toutes les villes, subirent l’action de la royauté et s’harmonisèrent avec elle. Le justiza d’Aragon vit s’abaisser ses prérogatives, égales, sinon supérieures, à celles des princes souverains ; l’exorbitante influence de la noblesse propriétaire d’une grande partie du sol des deux Castilles et de Léon fut attaquée par la force et minée par l’adresse. Ferdinand eut l’habileté de se faire élire, avec le concours de Rome, grand-maître des trois ordres militaires, et de rattacher ainsi ces corps puissans à la couronne. En s’appuyant sur les vieilles mœurs et les institutions particulières à la Péninsule, il usa de tout sans rien détruire ; c’est ainsi qu’il fit de la Sainte-Hermandad un moyen de police et un instrument de pouvoir non moins énergique que ne le fut en France l’établissement des troupes soldées.

L’Espagne rentrait donc enfin dans la voie générale des peuples, après avoir dépensé sept siècles à une œuvre glorieuse, mais stérile ; elle commençait à subir les influences auxquelles d’autres nations devaient des destinées déjà plus pacifiques et plus prospères. Si les vues patriotiques de Ferdinand avaient continué d’être appliquées, on ne saurait douter que ce beau royaume, au lieu de la splendeur factice et passagère du règne suivant, ne se fût élevé à cette puissance forte et permanente que donne la mise en œuvre de toutes les facultés natives. Un étranger vint suspendre violemment ce travail intérieur, et rejeter l’Espagne dans la position exceptionnelle dont elle commençait à sortir. Le Gantois Charles-Quint, avec son cortège de ministres belges et de soldats allemands, porta à la nationalité espagnole un coup dont elle ne se releva plus. Au lieu de se faire l’instrument de la grandeur naissante du royaume, il fit du royaume l’instrument de sa grandeur personnelle, et le roi d’Espagne disparut devant l’empereur.

L’œuvre de Ferdinand et d’Isabelle fut dénaturée par leur petit-fils. Au lieu de régler l’exubérance de la vie populaire, on préféra l’atteindre et la tarir dans sa source, et, selon l’usage de tous les despotismes, on coupa l’arbre pour cueillir le fruit. Les orageuses assemblées des cortès se turent devant les armes étrangères, les villes jouèrent leurs libertés dans des luttes inégales. Padilla de Tolède, Bravo de Ségovie, Maldonada de Salamanque, portèrent sur l’échafaud leur noble tête, et ce sang héroïque coula comme la sève d’un tronc frappé dans ses racines et qui voit bientôt pâlir et tomber sa couronne de verdure.

Le mauvais succès de l’insurrection des villes et l’éclatante vengeance qui en fut tirée, frappèrent au cœur le génie municipal alors qu’il commençait à s’épanouir. L’habileté et la fortune de l’empereur, les vice-royautés d’Italie et d’Amérique, les commandemens en Flandre et en Allemagne, étouffèrent en même temps la superbe indépendance de l’aristocratie espagnole. Contens du privilége de se couvrir devant leur maître, de le servir à sa cour et dans ses armées, les grands ne parurent plus dans les provinces dont ils possédaient la presque totalité du sol ; et un gouvernement ombrageux fit à cet égard une prescription de ce qui avait cessé déjà d’être dangereux pour lui. Un corps aristocratique sans action dans le gouvernement ne peut garder ni popularité ni importance politique. Ses richesses sont un effet sans cause, et comme une anomalie que lui font expier le mépris du pouvoir et la haine des peuples. Aussi la grandesse, sans racines dans la nation, fut-elle primée à la cour des princes autrichiens par les favoris du plus bas étage, et descendit promptement au dernier degré de l’impuissance et du rachitisme. On ne lui conserva pas même ces vains simulacres de liberté, dont on crut devoir amuser la vanité des procureurs des villes, dans les parades solennelles jouées par la royauté absolue.

Ainsi se desséchaient tous les germes d’avenir au sein de la triste Espagne. Pendant que son nom dominait les deux mondes, que ses flottes en couvraient les mers et qu’elle versait son sang sur tous les champs de bataille, la cause nationale y succombait sous des principes d’autant plus désastreux, qu’ils revêtaient des apparences plus brillantes. Les intérêts de l’empereur en Allemagne, en Flandre, en Italie, les développemens du système colonial auquel elle s’abandonnait avec une si funeste confiance, épuisèrent ses forces, et portèrent un coup mortel à son agriculture et à son industrie naissante ; rien ne se fit pour elle, quoique tout se fit en son nom ; elle était devenue l’accessoire des nombreux et lointains domaines annexés à sa couronne. Ce fut ainsi que le pays qui, par sa configuration géographique, semblait le mieux garanti contre les influences étrangères, les subit par le mauvais effet de ses institutions politiques, plus complètement et plus long-temps qu’aucun autre royaume du continent.

Charles-Quint comprit cependant la fausseté de sa position et toute l’inanité de sa gloire. Il expia l’une au monastère de Saint-Just, et rectifia l’autre en délivrant enfin l’Espagne de l’Autriche et de l’empire. Son fils vécut en roi péninsulaire, « enfermé à l’Escurial comme dans un monastère ; » il saisit une occasion heureuse de conquérir le Portugal, seule possession que les rois catholiques dussent envier, car elle est indispensable à leur sûreté intérieure, et Lisbonne est un point fatal par où l’Europe menacera toujours le gouvernement de Madrid. Mais ce prince n’avait été débarrassé que d’une trop faible partie de l’héritage paternel ; il fallut lui conserver le reste, et des flots de sang castillan coulèrent dans les Pays-Bas, pour prévenir un démembrement que l’Espagne aurait pu saluer comme une victoire. Avec l’étroitesse obstinée de son esprit, la froide exaltation de son ame, il se jeta dans les querelles religieuses de son temps, échoua en France et en Angleterre et se défendit en Espagne en faisant, du tribunal de l’inquisition, la machine de compression intellectuelle la plus colossale que put concevoir l’esprit humain. La Péninsule, où le travail féodal avait été subitement arrêté par l’invasion sarrazine, qui, au XVe siècle, commençait l’œuvre nationale de son organisation politique, lorsqu’elle fut si brusquement interrompue par Charles-Quint, se vit donc rejetée en dehors de toutes les idées européennes par la main de plomb de Philippe II. Pour avoir raison du protestantisme, il atteignit l’esprit humain en sa source même, préparant ainsi pour l’avenir au dogme religieux, si malheureusement associé à son pouvoir despotique, des épreuves plus redoutables que celles qu’il était appelé à traverser dans le reste de l’Europe.

« Philippe, dit M. Mignet, séquestra la royauté dans une solitude abrutissante, il la rendit invisible, sombre, hébétée ; il ne lui fit connaître les évènemens que par des rapports, les hommes que par des défiances. Il porta si loin le soupçon, qu’il éleva son fils dans la crainte et dans l’isolement ; il ne lui permettait pas de s’entretenir avec sa fille, à laquelle seule il se confiait, et qui seule soulageait sa vieillesse accablée d’infirmités et de revers. Au moment où il fallut quitter la puissance qu’il avait voulu étendre et qu’il avait craint de perdre, il rejeta sur la Providence son propre ouvrage, l’incapacité de son successeur. »

Philippe II avait imposé la stérilité à l’intelligence, Philippe III atteignit la terre elle-même. Depuis long-temps huit cent mille juifs chassés d’Espagne avaient emporté tous les germes d’une industrie naissante ; plus d’un million de Maures, chassés en trois jours, firent alors un désert de la partie la plus fertile du royaume.

Sous Philippe IV, un ministre entreprenant voulut relever sa patrie de son irrémédiable déchéance : « il ne vit pas que son repos était de la paralysie, et que remettre en mouvement ce pays malade, c’était le faire tomber ; » sa chute en effet fut profonde : la France et la Hollande lui enlevèrent des provinces, l’Angleterre des colonies ; le Portugal recouvra et maintint son indépendance ; la révolte éclata au royaume de Naples et jusqu’au sein de la Catalogne. Le sang de Charles-Quint s’était épuisé comme celui de Charlemagne ; et son arrière-petit-fils remit, en mourant, sa couronne à un être dégradé de corps et d’esprit, roi idiot d’une monarchie décrépite.

La vie de Charles II se consuma dans les sales intrigues des factions étrangères, pour se disputer un pays dont l’intérêt n’était pas plus consulté que les vœux. Les prétendans arguaient, non de l’assentiment national, mais de la volonté du roi devenue la loi suprême, ou de la loi fondamentale en matière de succession, institution funeste à laquelle on doit remonter comme à la source principale des calamités de l’Espagne.

M. Mignet professe une opinion contraire, et comme il y a grand profit à tirer des erreurs d’un homme d’esprit, nous donnons ses raisons, qui, si elles ne nous ont pas convaincu, pourront en convaincre d’autres.

« Il ne restait à l’Espagne que sa loi de succession pour la tirer de son anéantissement. Il fallait que le continent vînt de nouveau à son aide, et que l’esprit européen, s’y introduisant à la suite d’une dynastie nouvelle, l’animât et la fit sortir de l’immobilité péninsulaire où elle était retombée… Les dynasties, et les lois de succession qui président à leur maintien ou à leur remplacement, sont d’ordinaire appropriées aux besoins des divers pays. La loi espagnole différait de la loi française, comme l’intérêt de l’Espagne différait de l’intérêt de la France ; elle appelait à la couronne les femmes qui la portaient dans d’autres maisons en se mariant. Ces mariages amenèrent la réunion des diverses parties de la Péninsule, et lui procurèrent l’aide du continent par l’avènement de princes étrangers qui lui apportèrent d’abord les forces de l’Europe pour la faire triompher dans ses luttes de religion et de race, et plus tard ses idées pour la faire sortir de l’immobilité péninsulaire où elle devait retomber… La France, au contraire, en admettant les femmes à la couronne, eût renoncé à sa nationalité ; elle pouvait entretenir son mouvement par les chocs non interrompus du reste de l’Europe et opérer sa formation par sa force intérieure. Aussi se réserva-t-elle des moyens particuliers de perpétuer sa dynastie. Elle plaça des rejetons royaux dans plusieurs provinces à mesure qu’elle les conquit, afin que les branches pussent, au besoin, remplacer le tronc. La loi des apanages fut la conséquence de la loi salique. Le pays le plus remarquable par son unité le fut aussi par la durée de sa dynastie. »

Le savant historien paraît avoir étudié les annales de l’Espagne sous la préoccupation de cette idée que l’isolement géographique de ce pays était pour lui le principe d’une infériorité constante qui devait être corrigée par l’effet de ses institutions. Mais cette position péninsulaire n’était-elle pas, au contraire, l’un des plus grands bienfaits dont la Providence pût doter un pays si heureusement assis sur deux mers, et les malheurs de l’Espagne ne tiendraient-ils pas à ce qu’il lui fut presque toujours interdit d’en recueillir le bénéfice ?

Il est difficile, ce semble, de concilier la valeur théorique que l’on attribue à la succession féminine et le blâme si judicieusement déversé sur cette perpétuelle exploitation de l’Espagne au profit d’intérêts étrangers. Si la succession des femmes hâta l’union des divers royaumes de la Péninsule, elle eut aussi pour résultat de prévenir toute assimilation entre ses élémens constitutifs, toute agglomération vers un centre principal. En France, la conquête territoriale finit par amener l’absorption morale ; en Espagne, la réunion par mariage d’états indépendans les maintint en face de la couronne de Castille dans une attitude d’égalité et de complet isolement. Voyez encore, au commencement du xviiie siècle, l’énergique concours que les états de Castille prêtaient à Philippe d’Anjou, et celui que les provinces dépendantes de l’ancienne couronne d’Aragon accordaient à l’archiduc.

Le principe qui a fondé la nationalité française eût concouru à fonder aussi la nationalité péninsulaire. L’effet de la loi salique eut été plus lent peut-être, mais certainement il eût été plus sûr. Notre régime des apanages n’était pas même à cet égard d’une rigoureuse nécessité ; à l’extinction des branches régnantes, mieux eût valu recourir, au besoin, à la succession bâtarde qui donna au Portugal le fondateur de la dynastie d’Avis, et son chef même à la maison de Bragance, que d’engager l’Espagne dans un système qui ne lui prêta qu’une force factice en échange de la force native dont elle la dépouillait.

On vient de dire à quel abaissement politique la dynastie autrichienne avait conduit l’Espagne ; la dynastie française ne servit guère mieux ni sa prospérité, ni sa gloire.

Le plus grand malheur qui eût pu arriver alors à la Péninsule eût été la réalisation du mot fameux de Louis XIV. Ce n’était pas l’espérance de rattacher un grand royaume au mouvement général du monde qui inspirait au monarque français le vœu qu’il n’y eût plus de Pyrénées. Dans sa bouche, ce désir avait une portée purement politique, il entendait dire seulement qu’Aranjuez serait une dépendance de Versailles comme Trianon, et qu’il y régnerait par procureur. S’il ne l’avait pas ainsi compris, Louis XIV n’eût pas manqué de s’en tenir au traité de partage de 1700 et de repousser le testament.

Quant aux bienfaits dont l’établissement de la maison de Bourbon et plus tard le pacte de famille ont pu doter l’Espagne, ils sont au moins problématiques. Après Philippe V, plus occupé de ses intrigues en France et des projets d’une femme et d’un ministre ambitieux sur l’Italie que des intérêts vitaux de sa patrie adoptive, ses successeurs s’engagent dans des conflits maritimes souvent sans but et toujours sans profit. Si, en face de l’Angleterre, l’alliance franco-espagnole était une heureuse nécessité pour les deux pays, la communauté de dynastie n’en fut pas le principe, car elle ressortait de la nature des choses. La branche des Bourbons, transplantée au-delà des Pyrénées, subit, d’ailleurs, promptement l’influence de l’immobilité péninsulaire, d’une manière aussi complète que la triste dynastie qu’elle avait remplacée. Sous des règnes obscurs, l’Espagne continua de courir rapidement vers sa décadence ; si des tentatives souvent irréfléchies de réforme eurent lieu dans son organisation civile et financière, dans le cours du xviiie siècle ; si de Macanas à Jovellanos, de l’intendant Orry à d’Aranda, Florida-Blanca et Olavide, on suit le progrès constant d’une école économique et administrative dans le sens de la centralisation moderne, il n’y a rien là qui se puisse directement rapporter à l’influence de la dynastie française ; des essais analogues avaient lieu en Autriche et en Toscane pour ne pas dire en Russie ; c’était comme le lointain retentissement des idées et surtout des passions contemporaines. Ces novateurs, plus théoriciens qu’hommes de pratique, que la royauté ne secondait que par boutades et que le peuple repoussait toujours, échouèrent contre les intérêts et bien plus encore contre les mœurs ; le mouvement essayé par Charles III était sans racines et sans avenir, ses ministres le conçurent trop à la manière de Joseph II dans les Pays-Bas. Tout cela était pour aboutir aux turpitudes de son successeur, qui monta sur un trône qu’on disait solide, parce qu’autour de lui il se faisait un profond silence : mais ce silence fut interrompu par un coup de tonnerre, et depuis ce jour une nue orageuse enveloppe l’Espagne et son avenir.

La succession étrangère n’a donc imposé à ce pays que des sacrifices tout aussi inutiles à son avancement intellectuel qu’à ses intérêts nationaux. Peut-être en l’appréciant autrement, ne se dégage-t-on pas assez des impressions contemporaines, et parce qu’on espère aujourd’hui la régénération de l’Espagne d’un retour à sa vieille loi de succession féminine, est-on disposé à transformer en principe de progrès ce qui n’est qu’un accident heureux.

Autant que personne, je forme des vœux pour la consolidation du gouvernement dont le sort est si étroitement lié dans la Péninsule à celui de tous les hommes de quelque poids, par leurs lumières ou leur position sociale, gouvernement auquel il manque beaucoup sans doute en force et en dignité, mais qui, dans sa chute, signalerait le triomphe de la démagogie des villes et de la démagogie des campagnes, deux souverainetés également illégitimes parce qu’elles sont sans intelligence. Mais qu’est-il besoin de rappeler que si le trône d’Isabelle II est devenu le point de ralliement de la grandesse et de la classe moyenne, des hommes de l’industrie et de la partie éclairée du clergé, il le doit moins à la valeur de son titre qu’à l’obligation où fut ce gouvernement de s’appuyer sur des intérêts jusqu’alors impitoyablement repoussés et proscrits ? Il n’y aurait sans doute aucun avantage pour l’Espagne à ce qu’elle fût un jour gouvernée par tel prince étranger qu’il plairait au caprice d’une jeune reine de choisir, et cet avenir l’inquiéterait à bon droit, si, avant de redouter les inconvéniens possibles et fort éloignés d’un système dynastique, il ne lui fallait s’assurer les avantages actuels d’un gouvernement éclairé et libre.

Ce qu’on attend, en effet, de cet universel mouvement dans les hommes et dans les choses, qui, après s’être abrité derrière une intrigue de cour, a fini par devenir une révolution, c’est l’établissement d’un pouvoir entièrement nouveau, sinon dans ses formes, du moins dans ses maximes, qui repousse le passé de l’Espagne comme un legs stérile et funeste, et la fasse enfin sortir des voies où en poursuivant richesse et gloire, elle n’a rencontré que misère et corruption. L’Espagne a pour jamais perdu les Amériques, et son gouvernement vient de le proclamer pour la première fois ; si elle conserve encore aux Antilles et dans la mer des Indes les plus belles colonies du monde après celles de l’Angleterre, ces établissemens ne sont plus de nature à la détourner d’un système purement intérieur, le seul qui convienne à l’exploitation de son magnifique territoire, à la réforme de ses institutions civiles et de ses mœurs.

Effacée du nombre des grandes puissances de l’Europe, qu’elle s’en fasse oublier pendant un siècle, comme ces malades qui se retirent loin du monde pour soigner une santé débilitée par un mauvais régime, ou des infirmités de jeunesse ; que revenue de théories déjà visiblement en baisse dans son sein, et mise par nos armes, s’il le faut, à l’abri d’un absolutisme qui ne triompherait un jour que pour s’abîmer dans l’anarchie, elle reporte toutes ses pensées sur elle-même, n’étudiant son passé que pour s’en éloigner.

Tout gouvernement qui comprendra l’Espagne, s’attachera d’abord à y mettre le travail en honneur, à y faire fleurir la moralité privée, étouffée sous un formalisme religieux sans intelligence et sans vie ; il invoquera le concours du clergé auquel il fera une large part dans cette œuvre de régénération, en lui ôtant toute possibilité et dès-lors toute tentation d’exercer désormais aucune action politique ; il s’attachera à détruire, par l’ascendant de l’industrie et de l’esprit de propriété, ces habitudes vagabondes et guerrières de la démocratie rurale, retrempées dans la longue lutte de la Péninsule contre Napoléon, et que Ferdinand VII a si malheureusement excitées aux plus mauvais jours de sa puissance. En changeant le vieux système d’administration, en traçant des routes et creusant des canaux dans de vastes solitudes, il réunira des provinces étrangères les unes aux autres, il confondra de plus en plus la population des villes et celle des campagnes, que leurs antécédens historiques, autant que l’incurie souvent calculée du pouvoir, ont constituées dans un état presque permanent d’hostilité ; un gouvernement réparateur mettrait, en un mot, l’Espagne à bois neuf, en greffant les idées européennes sur ce sauvageon admirable de vigueur et de puissance.

Il n’en est pas de cette contrée comme de la France. Celle-ci a pu rester fidèle à presque toutes ses traditions politiques ; celle-là est malheureusement condamnée à les répudier. Quelque profonde qu’ait été la révolution de 89, elle n’a guère changé les rapports de la France vis-à-vis de l’Europe, parce que sa puissance s’est développée selon des conditions naturelles et normales. Nous avons pu ajouter à l’œuvre de nos pères sans en déplacer les fondemens. L’Espagne, au contraire, refoulée dans les voies intellectuelles par l’inquisition et l’absolutisme claustral, dans celles de la politique et de l’industrie par le système colonial et l’éparpillement de ses forces, entre dans une ère nouvelle, n’ayant à profiter que de ses fautes, car chez aucune nation le passé ne fut aussi coupable envers l’avenir.

Ce contraste entre notre gouvernement, fort de l’harmonieuse unité de ses parties, et un pouvoir gigantesque, produit des circonstances et inhabile à les dominer, est tracé dans l’introduction de M. Mignet d’une manière large et lumineuse. C’est la philosophie de l’histoire descendue des abstractions pour poser le plus important problème des deux derniers siècles.

Les deux volumes publiés n’en donnent pas la solution ; ils ne vont que jusqu’en 1668 et s’arrêtent à la paix d’Aix-la-Chapelle qui suivit la première guerre de Flandre. Près d’un demi-siècle devait s’écouler encore avant que le sort de l’Espagne fût irrévocablement fixé. Lorsque ce grand monument national sera achevé, nous embrasserons, dans son ensemble, une négociation dont nous n’avons pu esquisser que les prémices.


Louis de Carné.
  1. On pourrait citer à l’appui de cette assertion un livre récemment publié en Angleterre sur le sujet même qui nous occupe, par un noble écrivain (History of the war of the succession in Spain, by lord Mahon, London, 1832). Dans cet ouvrage, remarquable comme œuvre littéraire, l’auteur ne semble s’être dégagé d’aucun des préjugés traditionnels contre la France, qui forment le fonds de l’opinion politique à laquelle il appartient. Il s’élève, par exemple, avec violence contre la paix d’Utrecht, non moins impérieusement réclamée par les intérêts de la Grande-Bretagne que par les nôtres, et que les collisions de la régence avec la cour d’Espagne devaient bientôt justifier aux yeux des cabinets les plus hostiles à l’établissement de la maison de Bourbon à Madrid, comme à ceux des publicistes les plus prévenus contre l’extension de l’influence française.
  2. Documens publiés par M. Mignet, tom. ii, part. 5, sect. 3.
  3. L’abbé de Mornay-Montchevreuil, mort dans les Pyrénées en revenant de sa mission à Madrid.
  4. Depuis, cardinal de Rohan, alors ambassadeur à Vienne. Vaincu par l’évidence, et malgré les dénégations journalières du duc d’Aiguillon, il se crut enfin obligé d’en écrire directement au roi. La lettre fut remise à Mme Dubarry, qui la lut publiquement à l’un de ses soupers. Un ennemi du prince de Rohan courut en prévenir la Dauphine, qui, blessée d’une telle attaque contre sa mère, se hâta d’en atténuer l’effet et de préparer la disgrace de l’ambassadeur. On sait que ce fut pour vaincre le ressentiment de la princesse que celui-ci s’engagea plus tard dans la fatale affaire du collier, l’un des préludes de la révolution.
  5. L’on emploie ici cette expression dans le sens qu’elle eut constamment sous Louis XIV, pour indiquer les présens et les subventions faits par un roi, et l’on demande humblement la permission de signaler cette lacune au Dictionnaire de l’Académie.
  6. M. Bory de Saint-Vincent. Ses données ont été littéralement reproduites par le docteur Minano : Diccionario de Espana y Portugal. Madrid, 1826.