De l’assujettissement des femmes/III

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III


Je ne trouverai pas de difficulté, je présume, à persuader à ceux qui m’ont suivi sur la question de l’égalité de la femme avec l’homme dans la famille, que ce principe d’égalité complète entraîne une autre conséquence, l’admissibilité des femmes aux fonctions et aux occupations qui, jusqu’ici, ont fait le privilège exclusif du sexe fort. Je crois que, si on les frappe encore d’incapacité pour ces occupations, c’est pour les maintenir dans le même état de subordination au sein de la famille, parce que les hommes ne peuvent pas encore se résigner à vivre avec des égaux. Sans cela, je pense, presque tout le monde dans l’état actuel de l’opinion en politique et en économie politique reconnaîtrait qu’il est injuste d’exclure la moitié de la race humaine du plus grand nombre des occupations lucratives, et de presque toutes les fonctions élevées, et de décréter, ou bien que dès leur naissance les femmes ne sont pas et ne peuvent pas devenir capables de remplir des emplois légalement ouverts aux membres les plus stupides et les plus vils de l’autre sexe, ou bien que, malgré leur aptitude, ces emplois leur seront fermés et réservés exclusivement aux individus mâles. Dans les deux derniers siècles, on ne songeait guère à invoquer d’autre raison que le fait même pour justifier l’incapacité légale des femmes, et on ne l’attribuait pas à une infériorité d’intelligence, à laquelle personne ne croyait réellement, à une époque où les luttes de la vie publique mettaient la capacité des gens à une épreuve dont les femmes n’étaient pas toutes exclues. La raison qu’on donnait alors n’était pas l’inaptitude des femmes, mais l’intérêt de la société, c’est-à-dire l’intérêt des hommes ; de même que la raison d’État voulait dire alors les convenances du gouvernement et le soutien des autorités existantes, et suffisait pour expliquer et excuser les crimes les plus horribles. De nos jours le pouvoir tient un langage plus bénin, et quand il opprime quelqu’un il prétend toujours que c’est pour lui faire du bien. C’est en vertu de ce changement que, lorsqu’on interdit une chose aux femmes, on croit bon d’affirmer, et nécessaire de croire, qu’en y aspirant, elles sortent de la véritable voie du bonheur. Pour que cette raison fût plausible (je ne dirai pas bonne), il faudrait que ceux qui la mettent en avant allassent plus loin que personne n’a encore osé le faire en face de l’expérience actuelle. Il ne suffit pas de soutenir que les femmes sont en moyenne moins bien douées que les hommes sous le rapport des plus hautes facultés mentales, ou qu’il y a moins de femmes que d’hommes qui soient propres à remplir les fonctions qui exigent la plus grande intelligence. Il faut prétendre absolument que nulle femme n’est propre à ces fonctions, et que les femmes les plus éminentes sont inférieures par les qualités de l’esprit à l’homme le plus médiocre à qui ces fonctions sont maintenant dévolues ; car si la fonction est mise au concours ou donnée au choix avec toutes les garanties capables de sauvegarder l’intérêt public, on n’a pas à craindre qu’aucun emploi important ne tombe dans la main de femmes inférieures à la moyenne des hommes, ou seulement à la moyenne de leurs compétiteurs du sexe masculin. Tout ce qui pourrait arriver, c’est qu’il y eût moins de femmes que d’hommes dans ces emplois ; ce qui aurait lieu dans tous les cas, parce que la plupart des femmes préféreraient probablement toujours la seule fonction que personne ne pourrait leur disputer. Or, le détracteur le plus déterminé des femmes ne se hasardera pas à nier que, si à l’expérience du présent nous ajoutons celle du passé, les femmes, non en petit nombre, mais en grand nombre, se soient montrées, capables de faire tout ce que font les hommes, sans aucune exception peut-être, et de le faire avec succès et honneur. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a des choses où elles n’ont pas réussi aussi bien que certains hommes ; qu’il y en a beaucoup où elles n’ont pas obtenu le premier rang ; mais il y en a fort peu, de celles qui dépendent seulement des facultés intellectuelles, où elles n’aient atteint le second rang. N’est-ce pas assez, n’est-ce pas trop, pour prouver que c’est une tyrannie pour les femmes et un dommage pour la société, que de ne pas leur permettre de concourir avec les hommes pour l’exercice de ces fonctions ? Chacun ne sait-il pas que ces fonctions sont souvent occupées par des hommes bien moins propres à les remplir que beaucoup de femmes, et que des femmes auraient battus dans tout concours équitable. Qu’est-ce que cela fait qu’il y ait ailleurs dans d’autres emplois des hommes plus propres à remplir ceux dont nous parlons que ces femmes ? Est-ce que cela n’arrive pas dans toutes les compétitions ? Y a-t-il un si grand excès d’hommes propres aux hautes fonctions, que la société soit en droit de rejeter les services d’une personne compétente ? Sommes-nous si assurés d’avoir toujours un homme sous la main pour toutes les fonctions sociales importantes qui pourront vaquer, que nous n’ayons rien à perdre à frapper d’incapacité la moitié de l’espèce humaine, en refusant d’avance de tenir compte de ses facultés, quelque distinguées qu’elles puissent être ? Lors même que nous pourrions nous en passer, comment concilier avec la justice le refus que nous leur faisons de la part d’honneur et de distinctions qui leur revient, ou du droit moral de tous les humains à choisir leurs occupations (hormis celles qui font tort à autrui) d’après leurs propres préférences et à leurs propres risques ? Et ce n’est pas là que s’arrête l’injustice ; elle frappe aussi ceux qui pourraient profiter du service de ces femmes. Ordonner que des personnes soient exclues de la profession médicale, du barreau ou du parlement, ce n’est pas léser ces personnes seules, c’est léser toutes celles qui voudraient employer leurs services dans la médecine, le barreau ou le parlement ; c’est supprimer à leur détriment l’influence excitante qu’un nombre plus grand de concurrents exercerait sur les compétiteurs, c’est restreindre le champ où leur choix peut s’exercer.

Je me bornerai dans les détails de ma thèse aux fonctions publiques ; cela suffira, je pense, puisque, si je réussis sur ce point, on m’accordera facilement que les femmes devraient être admissibles à toutes les autres occupations auxquelles il peut être important pour elles d’être admises. Je commencerai par une fonction très différente de toutes les autres, dont on ne peut leur contester l’exercice par aucune exception tirée de leurs facultés. Je veux parler du suffrage pour les élections tant du parlement que des corps municipaux. Le droit de prendre part au choix de ceux qui doivent recevoir un mandat public est une chose tout à fait distincte du droit de concourir pour l’obtention du mandat. Si l’on ne pouvait voter pour un membre du parlement qu’à la condition d’avoir les qualités que doit présenter un candidat, le gouvernement serait une oligarchie bien restreinte. La possession d’une voix dans le choix de la personne par qui l’on doit être gouverné est une arme de protection qui ne doit être refusée à aucun de ceux mêmes qui sont le moins propres à exercer la fonction du gouvernement. Il est à présumer que les femmes sont aptes à faire ce choix, puisque la loi leur en donne le droit dans le cas le plus grave pour elles. La loi permet à la femme de choisir l’homme qui doit la gouverner jusqu’à la fin de sa vie, et suppose toujours que ce choix a été fait volontairement. Dans les cas de l’élection pour les charges publiques, c’est à la loi d’entourer l’exercice du droit de suffrage de toutes les garanties et de toutes les restrictions nécessaires ; mais, quelles que soient les garanties qu’on prenne avec les hommes, il n’en faut pas plus avec les femmes. Quelles que soient les conditions et les restrictions sous lesquelles les hommes sont admis à prendre part au suffrage, il n’y a pas l’ombre d’une raison pour ne pas y admettre les femmes sous les mêmes conditions. La majorité des femmes d’une classe ne différerait probablement pas d’opinion avec la majorité des hommes de cette classe, à moins que la question ne portât sur les intérêts mêmes de leur sexe, auquel cas elles auraient besoin du droit de suffrage comme de l’unique garantie que leurs réclamations seront examinées avec justice. Ceci doit être évident pour ceux mêmes qui ne partagent aucune des autres opinions que je défends. Quand même toutes les femmes seraient épouses, quand même toutes les épouses devraient être esclaves il n’en serait que plus nécessaire de donner à ces esclaves une protection légale ; car nous savons trop la protection que les esclaves peuvent attendre quand les lois sont faites par leurs maîtres.

Quant à l’aptitude des femmes non seulement à participer aux élections, mais à exercer des fonctions publiques, ou des professions chargées d’une responsabilité publique, j’ai déjà fait remarquer que cette considération ne fait rien au fond à la question pratique que nous discutons, puisque toute femme qui réussit dans la profession qui lui est ouverte prouve par là même qu’elle est capable de la remplir, et que, pour les charges publiques, si le régime politique du pays est constitué de manière à exclure un homme incapable, il exclura aussi une femme incapable, tandis que, s’il n’en est pas ainsi, le mal ne devient pas plus grand de ce que l’incapable est une femme, au lieu d’un homme. Du moment qu’on reconnaît à des femmes, si petit que soit leur nombre, la capacité de remplir ces charges, les lois qui les leur ferment ne sauraient se justifier par l’opinion qu’on pourrait se faire des aptitudes des femmes en général. Mais, si cette considération ne touche pas le fond de la question, elle est bien loin d’être sans valeur ; examinée sans préjugés, elle donne une force nouvelle à l’argument contre les incapacités des femmes, et lui prête l’appui de hautes raisons d’utilité publique.

Écartons d’abord toute configuration psychologique qui tendrait à prouver que les prétendues différences mentales entre l’homme et la femme ne sont que l’effet naturel des différences de leur éducation, qu’elles n’indiquent dans leur nature aucune différence foncière, bien loin d’indiquer une infériorité radicale. Voyons les femmes comme elles sont, ou comme on sait qu’elles ont été, et jugeons l’aptitude qu’elles ont déjà révélée dans les affaires. Il est évident qu’elles peuvent faire au moins ce qu’elles ont fait, sinon autre chose. Si l’on considère avec quel soin on les détourne par leur éducation des objets et des occupations réservées aux hommes au lieu de les y préparer, on verra que je ne me montre guère exigeant en leur faveur quand je me contente de prendre pour base ce qu’elles ont réellement accompli. Ici, en effet, une preuve négative n’a qu’une faible valeur, mais la plus légère preuve positive est sans réplique. On ne peut pas conclure qu’il est impossible à une femme d’être un Homère, un Aristote, un Michel-Ange, un Beethoven, par la raison qu’aucune femme jusqu’ici n’a produit de chefs-d’œuvre comparables à ceux de ces puissants génies, dans les genres où ils ont brillé. Ce fait négatif laisse la question indécise, et la livre aux discussions psychologiques. Mais il est certain qu’une femme peut être une reine Élisabeth, une Débora, une Jeanne d’Arc. Voilà des faits, non des raisonnements. Or il est curieux que la seule chose que la loi actuelle empêche les femmes de faire, ce sont les choses dont elles se sont montrées capables. Nulle loi ne défend aux femmes d’écrire les drames de Shakespeare, ni les opéras de Mozart ; mais la reine Élisabeth, et la reine Victoria, si elles n’avaient pas hérité du trône, n’auraient pu recevoir la plus infime fonction politique, et pourtant la première s’est montrée à la hauteur des plus élevées.

Si l’expérience prouve quelque chose en dehors de toute analyse psychologique, c’est que les choses que les femmes ne sont pas admises à faire sont justement celles auxquelles elles sont particulièrement propres, puisque leur vocation pour le gouvernement s’est fait jour et a brillé dans les rares circonstances qui leur ont été données, tandis que dans les voies glorieuses qui leur étaient ouvertes en apparence, elles sont bien loin d’avoir brillé du même éclat. L’histoire nous fait voir seulement un petit nombre de reines en comparaison avec le nombre des rois, et encore dans ce petit nombre la proportion des femmes qui ont montré les talents du gouvernement, est-elle bien plus grande, quoique plusieurs aient occupé le trône dans des circonstances difficiles. Il faut remarquer aussi qu’elles se sont souvent distinguées par les qualités les plus opposées au caractère imaginaire et conventionnel qu’on attribue à leur sexe : elles ont été aussi remarquables par la fermeté et la vigueur qu’elles ont imprimées à leur gouvernement que par leur intelligence. Si aux reines et aux impératrices nous ajoutons les régentes et les gouvernantes de provinces, la liste des femmes qui ont brillamment gouverné les hommes devient très longue[1]. Ce fait est si incontestable, que, pour répondre à l’argument hostile au principe établi, on a eu recours à une insulte nouvelle, et qu’on a dit que, si les reines valent mieux que les rois, c’est que sous les rois les femmes gouvernent, tandis que sous les reines ce sont les hommes.

C’est peut-être perdre le temps que d’argumenter contre une mauvaise facétie ; mais ces sortes de raisons font de l’impression sur les esprits, et j’ai entendu citer cette plaisanterie par des gens qui avaient l’air d’y trouver quelque chose de sérieux. À tout prendre, elle servira aussi bien qu’autre chose de point de départ dans la discussion. Je nie donc que sous les rois les femmes gouvernent. Les exemples, s’il y en a, sont tout à fait exceptionnels, et si les rois faibles ont mal gouverné, c’est aussi souvent sous l’influence de leurs favoris que sous celle de leurs favorites. Quand une femme mène un roi par l’amour, il n’y a pas à espérer un bon gouvernement, quoiqu’il y ait des exceptions. En revanche, dans l’histoire de France, nous voyons deux rois qui ont volontairement donné la direction des affaires pendant plusieurs années, l’un à sa mère, l’autre à sa sœur : celui-ci, Charles VIII, était un enfant, mais il suivait en cela les intentions de son père Louis XI ; l’autre, Louis IX, était le roi le meilleur et le plus énergique qui eût occupé le trône depuis Charlemagne. Ces deux princesses gouvernèrent d’une façon qu’aucun prince de leur temps n’a surpassée. L’empereur Charles-Quint, le souverain le plus habile de son siècle, qui eut à son service autant d’hommes de talent qu’aucun autre prince en eut jamais, et qui était très peu enclin à sacrifier ses intérêts à ses sentiments, donna, durant toute sa vie, le gouvernement des Pays-Bas successivement à deux princesses de sa famille (elles y furent ensuite remplacées par une troisième), et la première, Marguerite d’Autriche, fut l’un des meilleurs politiques de l’époque. En voilà assez pour cette face de la question, passons à l’autre. Quand on dit que sous les reines les hommes gouvernent, est-ce qu’on entend la même chose que lorsqu’on accuse des rois de se laisser mener par des femmes ? Veut-on dire que les reines choisissent pour instruments de gouvernement les hommes qu’elles associent à leurs plaisirs ? Cela se voit peu, même sous les princesses les moins timorées sur leurs plaisirs, comme Catherine II par exemple ; et ce n’est pas là qu’il faut chercher ce bon gouvernement qu’on attribue à l’influence des hommes. Si, sous le règne d’une femme, l’administration est confiée à des hommes meilleurs qu’elle ne l’est sous la moyenne des rois, il faut que les reines aient plus d’aptitude que les rois à les choisir, et qu’elles soient mieux faites que les hommes non seulement pour occuper le trône, mais encore pour remplir les fonctions de premier ministre ; car le principal rôle de premier ministre n’est pas de gouverner en personne, mais de trouver les personnes les plus capables de conduire chaque département des affaires publiques. Il est vrai qu’on accorde généralement aux femmes, entre autres avantages sur les hommes, la faculté de découvrir plus rapidement qu’eux le fond des caractères, et que cet avantage doit les rendre, toutes qualités égales, plus propres que les hommes à faire choix de leurs instruments, ce qui est bien l’affaire la plus importante de quiconque a à gouverner l’humanité. L’immorale Catherine de Médicis elle-même a su apprécier la valeur d’un chancelier de L’Hôpital. Mais il est vrai aussi que les plus grandes reines ont été grandes par leur propre talent, et c’est pour cela qu’elles ont été bien servies. Elles ont retenu dans leurs mains la direction suprême des affaires, et, en écoutant de bons conseillers, elles ont donné la plus forte preuve que leur jugement les rendait propres à traiter les plus grandes questions du gouvernement. Est-il raisonnable de penser que les personnes qui sont propres à remplir les plus hautes fonctions de la politique sont incapables de s’acquitter des moindres ? Y a-t-il une raison dans la nature des choses qui rende les femmes et les sœurs des princes aussi capables que les princes eux-mêmes pour leurs affaires, et qui rende les femmes et les sœurs des hommes d’État, des administrateurs, des directeurs de compagnies et des chefs d’établissements publics, incapables de faire la même chose que leurs frères et leurs maris ? Cette raison saute aux yeux. Les princesses sont placées par leur naissance bien plus au-dessus de la généralité des hommes qu’elles ne sont au-dessous d’eux par leur sexe, et on n’a jamais cru qu’elles n’avaient pas le droit de s’occuper de politique ; au contraire, on leur a reconnu le droit de prendre à toutes les affaires qui s’agitent autour d’elles, et auxquelles elles peuvent se trouver mêlées, l’intérêt généreux qu’éprouvent naturellement tous les humains. Les dames des familles régnantes sont les seules à qui on reconnaisse les mêmes intérêts et la même liberté qu’aux hommes, et c’est précisément chez elles qu’on ne trouve pas d’infériorité. Partout et dans la mesure où l’on a mis à l’épreuve la capacité des femmes pour le gouvernement, on les a trouvées à la hauteur de leur tâche.

Ce fait est d’accord avec les conclusions générales que semble suggérer l’expérience encore imparfaite des tendances particulières et des aptitudes caractéristiques des femmes, telles que les femmes ont été jusqu’ici. Je ne dis pas telles qu’elles continueront d’être, car, je l’ai déjà déclaré plus d’une fois, je crois qu’il y a de la présomption à dire ce que les femmes sont ou ne sont pas, ce qu’elles peuvent être ou ne pas être, en vertu de leur constitution naturelle. Au lieu de les laisser se développer spontanément, on les a tenues jusqu’ici dans un état si contraire à la nature, qu’elles ont dû subir des modifications artificielles. Personne ne peut décider pertinemment que, s’il était permis à la femme comme à l’homme de choisir sa voie, si on ne cherchait à lui donner que la tournure exigée par les conditions de la vie humaine et nécessaire aux deux sexes, il y eût une différence essentielle, ou même une différence quelconque dans le caractère et les aptitudes qui viendraient à se développer. Je montrerai tout à l’heure que, parmi les différences actuelles, les moins contestables peuvent fort bien être le produit des circonstances, sans qu’il y ait une différence dans les capacités naturelles. Mais si l’on considère les femmes telles que l’expérience nous les montre, on peut dire avec plus de vérité que pour toute autre proposition générale dont elles soient l’objet, que leurs talents sont en général tournés vers la pratique. Tout ce que l’histoire rapporte des femmes dans le présent ou dans le passé le confirme, et l’expérience de tous les jours ne le confirme pas moins. Considérons les aptitudes d’esprit qui caractérisent le plus souvent les femmes de talent, elles sont toutes propres à la pratique, et s’y portent. On dit que la femme a une faculté d’intuition. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est sans doute une vue rapide et exacte d’un fait présent. Cette qualité n’a rien à faire avec les principes généraux. Par l’intuition personne n’arrive à saisir une loi de la nature, ni à connaître une règle générale de devoir ou de prudence. Pour cela il faut rassembler lentement et avec soin des faits d’expérience, puis les comparer ; et ni les femmes ni les hommes d’intuition ne brillent d’ordinaire dans cette partie de la science, à moins pourtant que l’expérience nécessaire ne soit telle qu’ils puissent l’acquérir par eux-mêmes. Car ce qu’on appelle leur sagacité d’intuition est une qualité qui les rend merveilleusement aptes à recueillir les vérités générales qui sont à la portée de leur observation personnelle. Quand donc le hasard fait que les femmes possèdent aussi bien que les hommes les résultats de l’expérience d’autrui, par l’effet de leur lecture ou de leur instruction (j’emploie le mot hasard à dessein, parce que les seules femmes instruites dans les connaissances qui rendent propres aux grandes affaires, sont celles qui se sont instruites elles-mêmes), elles sont mieux armées que la plupart des hommes des instruments qui font réussir dans la pratique. Les hommes qui ont reçu beaucoup d’instruction sont exposés à se trouver en défaut et à ne pas comprendre un fait qui se dresse devant eux, ils n’y voient pas toujours ce qui y est réellement, ils y voient ce qu’on leur a appris à y trouver. Cela n’arrive que rarement aux femmes d’une certaine capacité. Leur faculté d’intuition les en préserve. Avec la même expérience, et les mêmes facultés générales, une femme voit ordinairement beaucoup mieux qu’un homme ce qui est immédiatement devant elle. Or cette sensibilité pour les choses présentes est la principale qualité dont dépend l’aptitude à la pratique dans le sens où on l’oppose à la théorie. La découverte des principes généraux appartient à la faculté spéculative ; la découverte et la détermination des cas particuliers où ces principes sont ou ne sont pas applicables relève de la faculté pratique ; et les femmes telles qu’elles sont aujourd’hui ont sous ce rapport une aptitude particulière. Je reconnais qu’il ne peut y avoir de bonne pratique sans principes, et que l’importance prédominante que la rapidité d’observation a parmi les qualités des femmes les rend particulièrement aptes à bâtir des généralisations hâtives sur leur observation personnelle, quoique très promptes aussi à les amender, à mesure que leur observation prend une plus grande étendue. Mais ce défaut se corrigera quand les femmes auront un libre accès à l’expérience de l’humanité, à la science. Pour le leur ouvrir, rien de mieux que l’éducation. Les erreurs d’une femme sont du même genre que celles d’un homme intelligent qui s’est instruit lui-même ; il voit souvent ce que des hommes élevés dans la routine ne voient pas, mais il tombe dans des erreurs, faute de connaître les choses depuis longtemps connues. Naturellement, il a pris beaucoup aux connaissances déjà accumulées, sans cela il ne serait arrivé à rien, mais ce qu’il en sait, il l’a pris au hasard, par fragments, comme les femmes.

Si cette attraction de l’esprit des femmes vers le fait réel, présent, actuel est, par elle-même et considérée exclusivement, une source d’erreurs, c’est aussi le plus utile remède de l’erreur opposée. L’aberration principale des esprits spéculatifs, celle qui les caractérise le mieux, c’est précisément le manque de cette perception vive et toujours présente du fait objectif ; faute de quoi ils sont exposés non seulement à négliger la contradiction que les faits extérieurs peuvent opposer à leurs théories, mais à perdre totalement de vue le but légitime de la spéculation, et à laisser leurs facultés s’égarer dans des régions qui ne sont peuplées ni d’êtres réels animés ou inanimés, ni même idéalisés, mais d’ombres créées par les illusions de la métaphysique ou par le pur enchevêtrement des mots qu’on nous donne pour les vrais objets de la plus haute et de la plus transcendante philosophie. Pour un homme de théorie ou de spéculation qui s’emploie non à rassembler des matériaux par l’observation, mais à les mettre en œuvre par des opérations intellectuelles, et à en tirer des lois scientifiques ou des règles générales de conduite, rien de plus utile que de pousser ses spéculations avec l’aide et sous la critique d’une femme réellement supérieure. Il n’y a rien de comparable pour maintenir sa pensée dans les limites des faits actuels et de la nature. Une femme se laisse rarement égarer par des abstractions. La tendance habituelle de son esprit à s’occuper des choses séparément plutôt qu’en groupes, et, ce qui y tient étroitement, son vif intérêt pour les sentiments des personnes, qui lui fait d’abord considérer en toute chose le côté pratique, la façon dont les personnes en seront affectées, ces deux dispositions ne l’inclinent pas à ajouter foi à une spéculation qui oublie les individus et traite les choses comme si elles n’existaient qu’en vue de quelque entité imaginaire, pure création de l’esprit, qui ne peut se ramener à des sentiments d’êtres vivants. Les idées des femmes sont donc utiles à donner de la réalité à celles d’un penseur, comme les idées des hommes à donner de l’étendue à celles des femmes. Quant à la profondeur, c’est-à-dire autre chose que la largeur, je doute beaucoup que même à présent, comparées avec les hommes, les femmes aient quelque désavantage.

Si les qualités mentales des femmes, telles qu’elles sont déjà, peuvent prêter à la spéculation cette assistance, elles y jouent un rôle encore plus grand quand la spéculation a fait son œuvre, et qu’il s’agit d’en transporter les résultats dans la pratique. Pour des raisons que nous avons déjà données, les femmes sont incomparablement moins exposées à tomber dans l’erreur commune des hommes, de rester attachés à des règles quand ces règles ne sont pas applicables ou qu’il est nécessaire de les modifier dans l’application. Examinons maintenant une autre supériorité qu’on reconnaît aux femmes intelligentes : une promptitude d’appréhension plus grande que chez l’homme. Est-ce que cette qualité, quand elle prédomine, ne tend pas à rendre une personne propre aux affaires ? Dans l’action, le succès dépend toujours d’une prompte décision. Dans la spéculation rien de pareil, un penseur peut attendre, prendre le temps de réfléchir, demander de nouvelles preuves ; il n’est pas obligé de compléter d’un seul coup sa théorie, de peur que l’occasion ne s’échappe. Le pouvoir de tirer la meilleure conclusion possible de données insuffisantes n’est pas, il est vrai, sans utilité en philosophie ; la construction d’une hypothèse provisoire d’accord avec tous les faits connus est souvent la base nécessaire d’une recherche ultérieure. Mais c’est là une faculté plutôt avantageuse qu’indispensable en philosophie, et pour cette opération auxiliaire comme pour la principale, le penseur peut prendre le temps qu’il lui plaît. Rien ne l’oblige à se hâter, il a bien plutôt besoin de patience, pour travailler lentement jusqu’à ce que les lueurs vagues qu’il aperçoit soient devenues de vives lumières, et que sa conjecture se soit fixée sous la forme d’un théorème. Pour ceux au contraire qui ont affaire au fugitif et au périssable, aux faits particuliers, non aux espèces de faits, la rapidité de la pensée ne le cède en importance qu’à la faculté même de penser. Celui qui n’a pas ses facultés à ses ordres immédiats, dans les circonstances où il faut agir, est comme s’il ne les avait pas du tout. Il peut être propre à la critique, il n’est pas propre à l’action. Or c’est en ceci que les femmes, et les hommes qui ressemblent le plus aux femmes, ont une supériorité reconnue. Les autres hommes, quelque éminentes que soient leurs facultés, arrivent tard à les avoir tout à fait à leur commandement. La rapidité du jugement et la promptitude d’une action judicieuse, même dans les choses qu’on sait le mieux, sont chez eux le résultat graduel et lent d’un effort vigoureux passé en habitude.

On dira peut-être que la susceptibilité nerveuse plus grande des femmes les rend impropres à la pratique dans tout ce qui n’est pas la vie domestique, parce qu’elle les fait mobiles et changeantes, trop soumises à l’influence du moment, incapables d’une persévérance obstinée, qu’elles ne sont pas toujours assurées d’être maîtresses de leurs facultés. Je crois que ces mots résument la plupart des objections par lesquelles on conteste communément l’aptitude des femmes pour les affaires d’un ordre supérieur. La plupart de ces défauts tiennent uniquement à un excès de force nerveuse qui se dépense, et cesseraient dès que cette force pourrait s’employer à la poursuite d’un but défini. Une autre partie provient aussi de l’encouragement qu’on leur a donné avec ou sans conscience ; nous en voyons la preuve dans la disparition à peu près complète des attaques de nerfs et des évanouissements depuis qu’ils ont passé de mode. Bien plus, quand des personnes ont été élevées, comme beaucoup de femmes des hautes classes (cela arrive moins en Angleterre qu’ailleurs), en serre chaude, à l’abri de toutes les variations d’air et de temps, et n’ont pas été habituées aux exercices et aux occupations qui excitent et développent les systèmes circulatoire et musculaire, tandis que leur système nerveux, et surtout les parties de ce système affectées aux émotions, sont entretenues dans un état d’activité anormale, il ne faut pas s’étonner que les femmes qui ne meurent pas de consomption acquièrent des constitutions susceptibles de se déranger à la moindre cause externe ou interne, incapables de supporter un travail physique ou mental qui exige un effort longtemps continué. Mais les femmes élevées à gagner leur vie ne présentent pas ces particularités morbides, à moins d’être attachées à un travail sédentaire excessif et confinées dans des locaux insalubres. Celles qui dans leur jeunesse ont partagé la salutaire éducation physique et la liberté de leurs frères, et qui n’ont manqué ni d’air pur ni d’exercice dans le reste de leur vie, ont très rarement une susceptibilité de nerfs excessive qui les empêche de prendre part à la vie active. Il est vrai qu’il y a dans l’un et l’autre sexe des personnes chez qui une sensibilité nerveuse extrême est constitutionnelle, et porte un caractère si marqué qu’elle impose à l’ensemble des phénomènes vitaux une influence plus grande que tout autre trait de leur organisation. La constitution nerveuse comme d’autres dispositions physiques est héréditaire et se transmet aux fils aussi bien qu’aux filles, mais il est possible et probable que les femmes héritent plus du tempérament nerveux que les hommes. Partons de ce fait ; je demanderai si les hommes d’un tempérament nerveux sont censés impropres aux fonctions et aux occupations que les hommes remplissent d’ordinaire. Sinon, pourquoi les femmes du même tempérament le seraient-elles ? Les particularités du tempérament nerveux sont sans doute dans quelques limites un obstacle à la réussite dans certaines occupations, et une aide dans d’autres. Mais quand l’occupation s’approprie au tempérament, ou même dans le cas contraire, les hommes de la sensibilité nerveuse la plus exagérée ne cessent pas de nous donner les plus brillants exemples de succès. Ils se distinguent dans leurs actes surtout en ce qu’ils sont susceptibles d’une plus grande excitation que ceux d’une autre constitution physique ; leurs facultés, quand elles sont excitées diffèrent plus que chez les autres hommes de ce qu’elles sont à l’état normal, ils s’élèvent pour ainsi dire au-dessus d’eux-mêmes et font aisément des choses dont ils auraient été tout à fait incapables à d’autres moments. Mais cette excitation sublime n’est pas, excepté dans les constitutions faibles, un simple éclair qui s’éteint aussitôt sans laisser de trace durable et ne peut s’appliquer à la poursuite constante et ferme d’un objet. C’est le propre du tempérament nerveux d’être capable d’une excitation soutenue pendant une longue durée d’efforts. C’est ce qui fait qu’un cheval de race bien dressé court sans se ralentir jusqu’à tomber mort. Cela s’appelle avoir du sang. C’est cette qualité qui a rendu des femmes délicates capables de manifester la plus sublime constance non seulement sur le bûcher, mais à travers les longues tortures d’esprit et de corps qui ont précédé leur supplice. Il est évident que les gens de ce tempérament sont particulièrement propres à remplir des fonctions exclusives dans le gouvernement de l’humanité. C’est la constitution essentielle des grands orateurs, des grands prédicateurs, de tous les émouvants propagateurs des influences morales. On pourrait la croire moins favorable aux qualités acquises d’un homme d’état, de cabinet, ou d’un juge. Il en serait ainsi, s’il était vrai qu’une personne excitable doive toujours être dans un état d’excitation. C’est là une question d’éducation. Une sensibilité intense est l’instrument et la condition qui permet d’exercer sur soi-même un puissant empire, mais pour cela elle a besoin d’être cultivée. Quand elle a reçu cette préparation, elle ne forme pas seulement les héros du premier mouvement, mais les héros de la volonté qui se possède. L’histoire et l’expérience prouvent que les caractères les plus passionnés montrent le plus de constance et de rigidité dans leur sentiment du devoir quand leur passion a été dirigée dans ce sens. Le juge qui rend une décision juste dans une cause, contre ses plus forts intérêts, tire de cette même sensibilité le sentiment énergique de la justice qui lui permet de remporter sur lui-même cette victoire. L’aptitude à ressentir cet enthousiasme sublime qui tire l’homme de son caractère habituel réagit sur le caractère habituel. Quand l’homme est dans cet état exceptionnel, ses aspirations et ses facultés deviennent le type auquel il compare et par lequel il estime ses sentiments et ses actions des autres moments. Les tendances habituelles se modèlent et se façonnent sur ces mouvements de noble excitation, malgré leur fugacité, effet naturel de la constitution physique de l’homme. Ce que nous savons des races et des individus ne nous montre pas que les tempéraments excitables soient en moyenne moins propres à la spéculation et aux affaires que les tempéraments froids. Les Français et les Italiens ont sans doute par nature les nerfs plus excitables que les races teutoniques et si on les compare aux Anglais, les émotions jouent un rôle plus important dans leur vie journalière : mais est-ce que leurs savants, leurs hommes d’État, leurs législateurs, leurs magistrats, leurs capitaines, ont été moins grands ? Nous avons des preuves que les Grecs étaient autrefois, comme leurs descendants et successeurs aujourd’hui, une des races les plus excitables de l’humanité. Faut-il demander dans quel genre ils n’ont pas excellé ? Il est probable que les Romains, méridionaux aussi, avaient dans l’origine le même tempérament ; mais la sévérité de leur discipline nationale fit d’eux, comme des Spartiates, un exemple du type national opposé en tournant ce qu’il y avait d’exceptionnel dans la force de leurs sentiments naturels au profit des artificiels. Si ces exemples montrent ce qu’on peut faire d’un peuple naturellement excitable, les Celtes irlandais nous offrent le meilleur exemple de ce qu’il devient quand on l’abandonne à lui-même ; si toutefois on peut dire qu’un peuple est abandonné à lui-même quand il reste pendant des siècles soumis à l’influence indirecte d’un mauvais gouvernement, à celle de l’Église catholique et de la religion qu’elle enseigne. Le caractère des Irlandais doit donc être considéré comme un exemple défavorable : pourtant partout où les circonstances l’ont permis, quel peuple a jamais montré plus d’aptitude pour les genres les plus divers de supériorité ? De même que les Français comparés aux Anglais, les Irlandais aux Suisses, les Grecs et les Italiens aux peuples germaniques, les femmes comparées aux hommes feront en somme les mêmes choses, et si elles n’obtiennent pas le même succès, la différence portera plutôt sur le genre de succès que sur le degré. Je ne vois pas la plus faible raison de douter qu’elles les fissent aussi bien si leur éducation était dirigée de manière à corriger les faiblesses naturelles de leur tempérament, au lieu de les aggraver.

Admettons que l’esprit des femmes soit par nature plus mobile, moins capable de persévérance dans le même effort, plus propre à diviser ses facultés sur plusieurs choses qu’à parcourir une voie jusqu’à son terme le plus élevé ; il se peut qu’il en soit ainsi des femmes telles qu’elles sont maintenant (quoique avec beaucoup d’exceptions), et cela peut expliquer pourquoi elles sont restées en arrière des hommes les plus éminents justement sur les choses qui exigent surtout que l’esprit s’absorbe dans une longue série de travaux. Mais cette différence est de celles qui n’affectent que le genre de supériorité, non la supériorité elle-même, ou sa valeur réelle : et, d’ailleurs, il reste à prouver que cet emploi exclusif d’une partie de l’esprit, cette absorption de toute l’intelligence sur un seul sujet, et sa concentration sur un seul ouvrage, est la vraie condition des facultés humaines même pour les travaux spéculatifs. Je crois que ce que fait gagner cette concentration d’esprit dans une faculté spéciale, on le perd dans les autres ; et même dans les œuvres de la pensée abstraite, j’ai appris par expérience que l’esprit fait plus en revenant souvent à un problème difficile qu’en s’y adonnant sans interruption. En tous cas, dans la pratique, depuis ses objets les plus élevés jusqu’aux plus bas, la faculté de passer rapidement d’un sujet de méditation à un autre, sans que la vigueur de la pensée se relâche dans la transition, a bien plus d’importance : et cette faculté, les femmes la possèdent à cause de la mobilité même qu’on leur reproche. Elles la doivent peut-être à la nature, mais à coup sûr l’habitude y est pour beaucoup ; car presque toutes les occupations des femmes se composent d’une multitude de détails, à chacun desquels l’esprit ne peut pas même consacrer une minute, obligé qu’il est de passer à autre chose ; en sorte que, si un objet réclame plus d’attention, il faut prendre sur les moments perdus pour y songer. On a souvent remarqué la faculté qu’avaient les femmes de faire leur travail de pensée dans des circonstances et à des moments où tout homme peut-être se serait dispensé de l’essayer, et que l’esprit d’une femme, fût-il occupé uniquement de petites choses, ne peut rester inoccupé, comme celui de l’homme l’est si souvent quand il n’est pas envahi par ce qu’il veut considérer comme l’affaire de sa vie. L’affaire de la vie d’une femme c’est tout, et cette affaire ne peut pas plus cesser de marcher que le monde de tourner.

Mais, dit-on, l’anatomie prouve que les hommes ont une capacité mentale plus grande que les femmes : ils ont le cerveau plus gros. Je réponds d’abord que ce fait est contestable. On est loin d’avoir constaté que le cerveau d’une femme soit plus petit que celui d’un homme. Si on tire cette conclusion uniquement de ce que le corps de la femme a en général des dimensions moindres que celui de l’homme, c’est une façon de raisonner qui mènerait à d’étranges conséquences. Un homme de haute taille devrait, d’après ces principes, être extraordinairement supérieur par l’intelligence à un homme petit, et un éléphant ou une baleine devraient s’élever prodigieusement au-dessus de l’humanité. Le volume du cerveau chez l’homme varie beaucoup moins que le volume du corps ou même que celui de la tête, et l’on ne peut pas du tout conclure de l’un à l’autre. Il est certain que quelques femmes ont un aussi grand cerveau que n’importe quel homme. Il est à ma connaissance qu’un savant, qui avait pesé beaucoup de cerveaux humains, disait que le plus lourd qu’il eût connu, plus lourd même que celui de Cuvier (le plus lourd de tous ceux dont le poids est rapporté dans les livres), était un cerveau de femme. Ensuite je dois faire observer qu’on ne sait pas bien encore quelle relation précise il y a entre le cerveau et les facultés intellectuelles, et qu’il subsiste encore à ce sujet bien des controverses. Nous ne pouvons pas douter que cette relation ne soit très étroite. Le cerveau est certainement l’organe de la pensée et du sentiment, et, sans m’arrêter à la grande controverse encore pendante de la localisation des facultés mentales, j’admets que ce serait une anomalie et une exception à tout ce que nous savons des lois générales de la vie et de l’organisation, si le volume de l’organe était tout à fait indifférent à la fonction, si un instrument plus grand ne donnait pas une plus grande puissance. Mais l’exception et l’anomalie seraient tout aussi grandes si l’organe n’exerçait son influence que par son volume. Dans toutes les opérations délicates de la nature — parmi lesquelles les plus délicates sont celles de la vie, et dans celles-ci les opérations du système nerveux le sont plus que toutes les autres — les différences dans les effets dépendent autant de la différence dans la qualité des agents physiques que dans leur quantité, et si la qualité d’un instrument est attestée par la délicatesse de l’ouvrage qu’il peut faire, il y a beaucoup de raison de penser que le cerveau et le système nerveux de la femme sont d’une qualité plus fine que le cerveau et le système nerveux de l’homme. Laissons de côté la différence abstraite de qualité, chose difficile à vérifier. On sait que l’importance du travail d’un organe dépend non seulement de son volume, mais aussi de son activité, et nous avons la mesure de celle-ci dans l’énergie de la circulation à l’intérieur de l’organe. Il ne serait pas surprenant que le cerveau de l’homme fût plus grand, et que la circulation fût plus active dans celui de la femme. C’est même une hypothèse qui s’accorde bien avec toutes les différences que nous présentent les opérations mentales des deux sexes. Les résultats que l’analogie nous porterait à attendre de cette différence d’organisation correspondraient à quelques-uns de ceux que nous observons d’ordinaire. D’abord on pourrait annoncer que les opérations mentales de l’homme seront plus lentes, que d’ordinaire sa pensée ne sera pas aussi prompte que celle de la femme et que ses sentiments ne se succéderont pas aussi rapidement que chez elle. Les grands corps prennent plus de temps pour entrer en action. D’autre part le cerveau de l’homme mis en jeu dans toute sa force donnera plus de travail. Il persistera davantage dans la ligne adoptée d’abord ; il aura plus de peine à passer d’un mode d’action à un autre ; mais dans l’œuvre entreprise il pourra travailler plus longtemps sans perte de force, ou sans fatigue. Ne voyons-nous pas en effet que les choses où les hommes excellent le plus sur les femmes sont celles qui demandent le plus qu’on persévère dans la méditation et pour ainsi dire qu’on martèle une même idée, tandis que les femmes font mieux tout ce qui se doit faire rapidement ? Le cerveau d’une femme est plus tôt fatigué, et plus tôt épuisé ; mais, arrivé au degré d’épuisement, il rentre plutôt en possession de toute sa force. Je répète que ces idées sont tout à fait hypothétiques ; tout ce que je veux, c’est indiquer une ligne de recherches. J’ai déjà déclaré qu’on ne savait certainement pas s’il y a une différence naturelle dans la force ou la tendance moyenne des facultés mentales des deux sexes, et bien moins en quoi cette différence consiste ; il n’est pas possible qu’on le connaisse tant qu’on n’aura pas mieux étudié, ne fût-ce que d’une manière générale, et qu’on aura encore moins appliqué scientifiquement les lois psychologiques de la formation du caractère ; tant qu’on dédaignera les causes externes les plus évidentes des différences de caractère ; que l’observateur n’en tiendra nul compte ; que les écoles régnantes de physiologie et de psychologie les traiteront du haut de leur grandeur avec un mépris à peine déguisé. Qu’elles cherchent dans la matière ou dans l’esprit l’origine de ce qui distingue principalement un être humain d’un autre, ces écoles s’accordent pour écraser ceux qui veulent expliquer ces différences par les relations différentes de ces êtres dans la société et dans la vie.

Les idées qu’on s’est formé de la nature des femmes sur de simples généralisations empiriques construites sans esprit philosophique et sans analyse, avec les premiers cas venus, sont si peu sérieuses, que l’idée admise dans un pays diffère de celle d’un autre ; elles varient suivant que les circonstances propres à un pays ont donné aux femmes qui y vivent des occasions de se développer ou de ne pas se développer dans un sens. Les Orientaux croient que les femmes sont par nature singulièrement voluptueuses ; un Anglais croit d’ordinaire qu’elles sont naturellement froides. Les proverbes sur l’inconstance des femmes sont surtout d’origine française ; il s’en est fait avant et après le fameux distique de François Ier. On remarque communément en Angleterre que les femmes sont beaucoup plus constantes que les hommes. L’inconstance a été considérée comme plus déshonorante pour une femme depuis plus longtemps en Angleterre qu’en France, et les Anglaises sont bien plus soumises à l’opinion que les Françaises. On peut noter en passant que les Anglais sont dans des circonstances particulièrement défavorables pour juger ce qui est naturel ou ne l’est pas, non seulement aux femmes, mais aux hommes, ou aux membres de l’humanité indistinctement. Ils ont surtout puisé leur expérience dans leur pays, le seul lieu peut-être où la nature humaine laisse voir si peu de ses traits naturels. Les Anglais sont plus éloignés de l’état de nature que tous les autres peuples modernes, à la fois dans le bon et dans le mauvais sens ; plus qu’aucun autre ils sont le produit de la civilisation et de la discipline. C’est en Angleterre que la discipline sociale a le mieux réussi, non pas à vaincre, mais à supprimer tout ce qui pouvait lui résister. Les Anglais, plus que tout autre peuple, non seulement agissent, mais sentent d’après la règle. Dans les autres pays, l’opinion officielle ou les exigences de la société peuvent bien avoir la prépondérance, mais les tendances de la nature de chaque individu restent toujours visibles sous leur empire, et souvent résistent : la règle peut être plus forte que la nature, mais la nature est toujours là. En Angleterre, la règle s’est en grande partie substituée à la nature. La plus grande partie de la vie se passe, non à suivre son inclination en se conformant à la règle, mais à n’avoir pas d’autre inclination que de suivre la règle. Or il y a là un bon côté sans doute, mais il y en a aussi un bien mauvais ; et cela rend un Anglais incapable de tirer de son expérience les éléments d’un jugement sur les tendances originelles de la nature humaine. Les erreurs qu’un observateur d’un autre pays peut commettre à ce sujet sont d’un caractère différent. L’Anglais ignore la nature humaine, le Français la voit à travers ses préjugés ; les erreurs de l’Anglais sont négatives, celles du Français positives. Un Anglais s’imagine que les choses n’existent pas parce qu’il ne les a jamais vues, un Français qu’elles doivent exister toujours et nécessairement parce qu’il les voit ; l’Anglais ne connaît pas la nature parce qu’il n’a eu aucune occasion de l’observer, le Français en connaît une grande partie, mais il s’y laisse tromper souvent parce qu’il l’a seulement vue déformée et déguisée. Pour l’un comme pour l’autre la forme artificielle que la société a donnée aux choses qui sont le sujet de l’observation en cache les véritables propriétés, en faisant disparaître l’état naturel ou en le transformant. Dans un cas il ne reste à étudier qu’un chétif résidu de la nature, dans l’autre la nature reste, mais déployée dans un sens qu’elle n’aurait peut-être pas choisi si elle avait pu se développer librement.

J’ai dit qu’on ne peut pas savoir aujourd’hui ce qu’il y a de naturel ou d’artificiel dans les différences mentales actuelles qui subsistent entre les hommes et les femmes ; s’il y en a réellement une qui soit naturelle, ou quel caractère naturel se révélerait par la suppression de toutes les causes artificielles de différence. Je ne veux pas tenter ce que j’ai déclaré impossible : mais le doute n’interdit pas les conjectures, et, quand la certitude n’est pas à notre portée, il peut y avoir des moyens d’atteindre quelque degré de probabilité. Le premier point, les origines des différences que nous observons à présent, est le plus accessible à la spéculation ; je tâcherai de l’aborder par la seule voie qui y conduise, en recherchant les effets des influences extérieures sur l’esprit. Nous ne pouvons isoler un membre de l’humanité de la condition où il est placé, de manière à constater par l’expérience ce qu’il aurait été naturellement ; mais nous pouvons considérer ce qu’il est et ce que les circonstances ont été, et si elles ont pu le faire ce qu’il est.

Prenons donc le seul cas frappant que l’observation nous donne où la femme paraît inférieure à l’homme, abstraction faite de son infériorité en force corporelle. Dans la philosophie, les sciences et les arts, nulle production digne du premier rang n’a été l’œuvre d’une femme. Peut-on expliquer cette infériorité sans supposer que les femmes sont naturellement incapables de produire de ces chefs-d’œuvre ?

D’abord nous pouvons demander si l’expérience a fourni une base suffisante pour tirer une induction. Il n’y a pas trois générations que les femmes, sauf de rares exceptions, ont commencé à s’essayer dans la philosophie, la science ou les arts. Avant notre génération, ces essais n’étaient pas nombreux, et même à présent ils sont très rares partout ailleurs qu’en Angleterre et en France. On peut se demander si, d’après ce qu’on pouvait attendre du calcul des probabilités, un esprit doué de qualités de premier ordre pour la spéculation ou les arts créateurs eût dû se rencontrer plus tôt chez les femmes à qui leurs goûts, leur position, permettaient de se consacrer à ces objets. Dans toutes les choses où elles ont eu le temps nécessaire, spécialement dans la partie où elles ont travaillé depuis le plus longtemps, la littérature (prose ou vers), sans atteindre les premiers rangs, les femmes ont fait autant de belles œuvres et obtenu autant de succès qu’on pouvait l’espérer, en tenant compte du temps et du nombre des compétiteurs. Si nous remontons aux temps primitifs, quand très peu de femmes s’essayaient dans la littérature, nous voyons que quelques-unes y ont obtenu un succès remarquable. Les Grecs ont toujours compté Sapho parmi leurs grands poètes, et il nous est bien permis de supposer que Myrtis, qui, dit-on, enseigna la poésie à Pindare, et Corinne, qui remporta cinq fois sur lui le prix des vers, doivent avoir eu assez de mérite pour qu’on ait pu les comparer à ce grand poète. Aspasie n’a pas laissé d’écrits philosophiques : mais on sait que Socrate lui demandait des leçons et déclarait en avoir profité.

Si nous considérons les ouvrages des femmes dans les temps modernes, et si nous les comparons à ceux des hommes soit dans la littérature, soit dans les arts, l’infériorité qu’on y trouve se réduit à un seul point, mais très important : le défaut d’originalité. Je ne parle pas d’un défaut absolu, car toute production de quelque valeur a une originalité propre, est une conception de l’esprit lui-même, non une copie de quelque autre chose. Il y a beaucoup d’idées originales dans les écrits des femmes, si par ces mots on entend qu’elles ne les ont pas empruntées et qu’elles les ont formées de leurs propres observations et par leur propre esprit. Mais elles n’ont pas encore produit de ces grandes et lumineuses idées qui marquent une époque dans l’histoire de la pensée, ni de ces conceptions essentiellement nouvelles dans l’art, qui ouvrent une perspective d’effets possibles non encore imaginés, et fondent une école nouvelle. Leurs compositions vivent le plus souvent sur le fond actuel des idées, et leurs créations ne s’écartent pas beaucoup du type établi. Voilà l’infériorité que leurs œuvres révèlent ; car dans l’exécution, dans l’application de l’idée et la perfection du style, il n’y en a pas. Les meilleurs romanciers pour la composition et l’arrangement des détails sont, pour une bonne part, des femmes. Il n’y a pas dans toute la littérature moderne une expression plus éloquente de la pensée que le style de madame de Stael ; et comme exemple de perfection artistique, il n’y a assurément rien de supérieur à la prose de George Sand, dont le style fait sur le système nerveux l’effet d’une symphonie de Haydn ou de Mozart. Ce qui manque aux femmes, je l’ai dit, c’est une grande originalité de conception. Voyons maintenant s’il y a une manière d’expliquer cette faiblesse.

Commençons par la pensée. Rappelons-nous que durant toute la période de l’histoire et de la civilisation où l’on pouvait arriver à des vérités grandes et fécondes par la seule force du génie, sans grande étude préalable, sans beaucoup de connaissance, les femmes ne s’occupèrent nullement de spéculation. Depuis Hypatie jusqu’à la Réformation, l’illustre Héloïse est presque la seule femme qui eût pu accomplir un pareil exploit, et nous ne savons pas l’étendue de l’esprit philosophique que ses malheurs ont fait perdre à l’humanité. Depuis l’époque où il a été possible à un nombre considérable de femmes de s’adonner à la philosophie, l’originalité n’est plus possible aux mêmes conditions. Presque toutes les idées qu’on pouvait atteindre par la seule force des facultés natives sont depuis longtemps conquises, et l’originalité dans le sens le plus élevé de ce mot ne peut plus être le prix que des intelligences qui ont subi une laborieuse préparation, et des esprits qui possèdent à fond les résultats obtenus par les devanciers. C’est, je crois, Maurice qui a remarqué qu’aujourd’hui les penseurs les plus originaux sont ceux qui ont connu le plus à fond les idées de leurs prédécesseurs ; désormais il en sera toujours ainsi. Il y a déjà tant de pierres à l’édifice que celui qui veut en placer une à son tour au-dessus des autres doit hisser péniblement ses matériaux à la hauteur où l’œuvre commune est parvenue. Combien y a-t-il de femmes qui aient accompli cette tâche ? Madame Somerville, seule parmi les femmes, connaît peut-être tout ce qu’il faut savoir aujourd’hui en mathématiques pour y faire une découverte considérable : dira-t-on qu’elle est une preuve de l’infériorité des femmes, si elle n’a pas le bonheur d’être l’une des deux ou trois personnes qui, pendant la durée de sa vie, associeront leur nom à quelque progrès remarquable de cette science ? Depuis que l’économie politique est devenue une science, deux femmes en ont su assez pour écrire utilement sur ce sujet : de combien d’hommes, dans l’innombrable quantité d’auteurs qui ont écrit sur ces matières pendant ce temps, est-il possible d’en dire plus sans s’écarter de la vérité ? Si aucune femme n’a encore été un grand historien, quelle femme a donc possédé l’érudition nécessaire pour le devenir ? Si aucune femme n’a encore été un grand philologue, quelle femme a étudié le sanscrit, le slave, le gothique d’Ulphilas, le zend de l’Avesta ? Dans les questions de pratique même, nous voyons ce que vaut l’originalité des génies ignorants. Ils inventent de nouveau sous une forme rudimentaire ce qui a déjà été inventé et perfectionné par une longue succession d’inventeurs. Quand les femmes auront reçu la préparation dont tous les hommes ont besoin pour exceller avec originalité, il sera temps de juger par expérience si elles peuvent ou ne peuvent pas être originales.

Sans doute il arrive souvent qu’une personne qui n’a pas étudié avec soin et à fond les idées que d’autres ont émises sur un sujet a, par l’effet d’une sagacité naturelle, une intuition heureuse qu’elle peut suggérer, mais qu’elle ne peut prouver, et qui pourtant, mûrie, peut donner un accroissement considérable à la science. Dans ce cas même, on ne peut mettre cette intuition à profit ni lui rendre la justice qui lui est due, avant que d’autres personnes pourvues de connaissances préalables s’en emparent, la vérifient, lui donnent une forme pratique ou théorique, et la mettent à la place qui lui appartient parmi les vérités de la philosophie et de la science. Est-ce qu’on suppose qu’il n’arrive pas aux femmes d’avoir de ces heureuses pensées ? Une femme intelligente en a un nombre immense. Le plus souvent elles les perdent faute d’un mari ou d’un ami qui possède l’autre connaissance et puisse estimer ces idées à leur valeur, et les produire dans le monde : et, alors même que cette circonstance heureuse se rencontre, l’idée passe plutôt pour appartenir à celui qui la publie qu’à son auteur véritable. Qui dira jamais combien d’idées originales, mises au jour par des écrivains du sexe masculin, appartiennent à une femme qui les a suggérées, et n’ont reçu d’eux que la vérification et la monture ? Si j’en peux juger par mon propre exemple, il y en a beaucoup.

Si de la spéculation pure nous revenons à la littérature prise au sens le plus strict du mot, une raison générale nous fait comprendre pourquoi la littérature des femmes est une imitation de celle des hommes dans sa conception générale et dans ses principaux traits. Pourquoi la littérature latine, ainsi que la critique le proclame à satiété, est-elle une imitation de la littérature grecque, au lieu d’être originale ? C’est uniquement parce que les Grecs sont venus les premiers. Si les femmes avaient vécu dans d’autres pays que les hommes et n’avaient jamais lu un seul de leurs écrits, elles auraient eu une littérature propre. Elles n’ont pas créé une littérature parce qu’elles en ont trouvé une toute créée et déjà fort avancée. S’il n’y avait jamais eu d’interruption dans la connaissance de l’antiquité, ou si la renaissance se fût produite avant la construction des cathédrales gothiques, on n’en aurait jamais bâti. Nous voyons qu’en France et en Italie, l’imitation de la littérature ancienne arrêta court le développement d’un art original. Toutes les femmes qui écrivent sont des élèves des grands écrivains de l’autre sexe. Toutes les premières œuvres d’un peintre, fût-il Raphaël, ont identiquement la même manière que celle de son maître. Mozart lui-même ne déploie pas sa puissante originalité dans ses premières œuvres. Quand il faut des années à un individu bien doué, il faut des générations aux masses. Si la littérature des femmes est destinée à avoir dans son ensemble un caractère différent de celui des hommes, correspondant aux points de différence des tendances naturelles de leur sexe avec celles des hommes, il faut beaucoup plus de temps qu’il ne s’en est déjà écoulé avant que cette littérature puisse s’affranchir de l’influence des modèles acceptés, et se diriger selon sa propre impulsion. Mais si, comme je le crois, rien ne vient prouver qu’il y ait dans les femmes aucune tendance naturelle qui distingue leur génie de celui des hommes ; il n’en reste pas moins que chaque femme qui écrit a ses tendances particulières qui, à ce moment, sont encore soumises à l’influence du précédent et de l’exemple, et il faudra que beaucoup de générations passent avant que leur individualité soit suffisamment développée pour faire tête à cette influence.

C’est dans les beaux-arts proprement dits que la présomption contre la faculté d’originalité des femmes paraît la plus forte, puisque (l’on peut le dire), l’opinion ne leur interdit plus de les cultiver, mais les y encourage, et que leur éducation, au lieu de les négliger, leur fait la plus belle part, surtout dans les classes riches. Dans ce genre de production plus que dans les autres, les femmes sont encore plus restées en arrière du degré d’excellence où les hommes sont parvenus. Toutefois cette infériorité n’a pas besoin, pour s’expliquer, d’autre raison que le fait bien connu, plus vrai encore dans les beaux-arts que partout ailleurs, que les personnes du métier sont grandement supérieures aux amateurs. Presque toutes les femmes des classes éclairées étudient plus ou moins quelques branches des beaux-arts, mais non dans l’intention de s’en servir à gagner leur vie ou à acquérir de la renommée. Les femmes artistes sont toutes des amateurs. Les exceptions sont de nature à confirmer la règle. Les femmes apprennent la musique, non pour composer, mais seulement pour exécuter : et aussi n’est-ce que comme compositeurs que les hommes l’emportent sur les femmes, en musique. Le seul des beaux-arts auquel les femmes s’adonnent pour en faire leur profession et leur principale occupation est l’art du théâtre, et elles y sont égales, sinon supérieures aux hommes. Pour faire une comparaison équitable, il faudrait mettre les productions artistiques des femmes en regard de celles des hommes qui ne sont pas artistes de profession. Dans la composition musicale, par exemple, les femmes ont produit assurément autant de bonnes choses que les amateurs de l’autre sexe ont pu en donner. Il y a maintenant peu de femmes, très peu, qui fassent de la peinture par profession, et elles commencent à montrer autant de talent qu’on pouvait l’espérer. Les peintres du sexe masculin (n’en déplaise à M. Ruskin) n’ont pas fait une remarquable figure dans ces derniers siècles, et il se passera beaucoup de temps avant qu’ils en fassent. Si les anciens peintres étaient si supérieurs aux modernes, c’est qu’un grand nombre d’hommes doués d’un esprit de premier ordre s’adonnaient à la peinture. Au quatorzième et au quinzième siècle les peintres italiens étaient les hommes les plus accomplis de leur temps. Les plus grands possédaient des connaissances encyclopédiques et excellaient dans tous les genres de production, comme les grands hommes de la Grèce. À cette époque les beaux-arts étaient aux yeux des hommes presque la plus noble chose où un homme pût exceller ; les beaux-arts donnaient alors les distinctions qu’on n’acquiert aujourd’hui que par la politique ou la guerre ; par eux on gagnait l’amitié des princes, et l’on se mettait sur le pied d’égalité avec la plus haute noblesse. Aujourd’hui les hommes de la première valeur trouvent à faire quelque chose de plus important, pour leur propre renommée et les besoins du monde moderne, que la peinture, et on ne trouve guère rarement un Reynolds ou un Turner (dont je ne prétends pas déterminer le rang parmi les hommes éminents) qui s’adonnent à cet art. La musique est d’un ordre tout différent, elle n’exige pas la même puissance d’esprit, et semble dépendre davantage d’un don naturel ; aussi peut-on s’étonner que nul des grands compositeurs n’ait été une femme ; mais pourtant ce don naturel ne rend pas capable de grandes créations sans des études qui absorbent toute la vie. Les seuls pays qui aient produit des compositeurs de premier ordre dans le sexe masculin même sont l’Allemagne et l’Italie, deux pays où les femmes sont restées bien en arrière de la France et de l’Angleterre pour la culture intellectuelle générale et spéciale : elles y reçoivent pour la plupart peu d’instruction, et rarement on y cultive les facultés supérieures de leur esprit. Dans ces pays on compte par centaines, et probablement par milliers, les hommes qui connaissent les principes de la composition musicale, et les femmes seulement par dizaines. En sorte que, d’après les proportions, nous ne pouvons demander avec raison qu’une femme éminente pour cent hommes de cette valeur ; et les trois derniers siècles n’ont pas produit cinquante grands compositeurs du sexe masculin, tant en Allemagne qu’en Italie.

Outre les raisons que nous avons données, il y en a d’autres qui permettent d’expliquer pourquoi les femmes restent en arrière des hommes dans les carrières qui s’ouvrent aux deux sexes. D’abord très peu de femmes ont le temps de s’y livrer sérieusement : ceci peut sembler paradoxal ; c’est un fait social incontestable. Les détails de la vie réclament avant tout une grande partie du temps et de l’esprit des femmes. D’abord c’est la direction du ménage, la dépense de la maison qui occupe au moins une femme par famille, et généralement celle qui est arrivée à l’âge mûr et qui a de l’expérience, à moins que la famille soit assez riche pour abandonner ce soin à un domestique et supporter le gaspillage et les malversations inséparables de ce mode d’administration. La direction d’un ménage, lors même qu’elle n’exige pas beaucoup de travail, est extrêmement lourde pour l’esprit ; elle réclame une vigilance incessante, un œil auquel rien n’échappe, et présente à toute heure du jour à examiner et à résoudre des questions prévues ou imprévues que la personne responsable peut difficilement bannir de son esprit. Quand une femme appartient à un rang, ou se trouve dans un état qui lui permet de se soustraire à ces obligations, il lui reste encore à diriger tous les rapports de la famille avec ce qu’on appelle la société. Moins les premiers devoirs lui prennent de temps, plus les autres en absorbent ; ce sont les dîners, les concerts, les soirées, les visites, la correspondance et tout ce qui s’ensuit. Tout ceci est en sus du devoir suprême que la société impose aux femmes avant tout, celui de se rendre charmantes. Dans les rangs élevés de la société, une femme distinguée trouve presque l’emploi de tout son esprit à cultiver les grâces de ses manières et l’art de la conversation. En outre, en regardant ces obligations à un autre point de vue, l’effort intense et prolongé de pensée que toutes les femmes qui tiennent à se bien mettre consacrent à leur toilette (je ne parle pas de celles qui s’habillent à grands frais, mais de celles qui le font avec goût et avec le sens des convenances naturelles et artificielles), et peut-être aussi à celle de leurs filles, cet effort de pensée appliqué à quelque étude sérieuse les rapprocherait beaucoup du point où l’esprit peut produire des œuvres remarquables dans les arts, les sciences et la littérature ; il dévore une grande partie du temps et de la force d’esprit que la femme aurait pu garder pour un autre usage[2]. Pour que cette masse de petits intérêts, qu’on a rendus importants pour elles, leur laissassent assez de loisirs, assez d’énergie et de liberté d’esprit pour cultiver les sciences et les arts, il faudrait qu’elles eussent à leur disposition une richesse bien plus grande de facultés actives que la plupart des hommes. Mais ce n’est pas tout. Indépendamment des devoirs ordinaires de la vie qui sont le partage des femmes, on exige qu’elles tiennent leur temps et leur esprit à la disposition de tout le monde. Si un homme a une profession qui le mette à l’abri de ces prétentions, ou même une occupation, il n’offense personne en y consacrant son temps ; il peut s’y retrancher pour s’excuser de ne pas répondre à toutes les exigences des étrangers. Est-ce que les occupations d’une femme, surtout celles qu’elle choisit volontairement, sont regardées comme des excuses qui dispensent des devoirs de société ? C’est à peine si leurs devoirs les plus nécessaires et les plus reconnus les en exemptent. Il ne faut pas moins qu’une maladie dans la famille ou toute autre chose d’extraordinaire pour les autoriser à faire passer leurs propres affaires avant les plaisirs d’autrui. La femme est toujours aux ordres de quelqu’un, et en général de tout le monde. Si elle s’occupe d’une étude, il faut qu’elle y consacre les courts instants qu’elle a le bonheur de saisir au vol. Une femme illustre remarque dans un livre qui sera publié quelque jour, je l’espère, que tout ce qu’une femme fait se fait à temps perdu. Est-il donc étonnant qu’elle n’arrive pas au plus haut degré de perfection dans les choses qui demandent une attention soutenue et dont il faut faire le principal intérêt de sa vie ? La philosophie est une de ces choses, l’art en est une aussi, l’art surtout qui exige qu’on lui dévoue non seulement toutes ses pensées et tous ses sentiments, mais qu’on s’entretienne la main par un exercice continu afin d’acquérir une adresse supérieure.

Il y a encore une considération à ajouter. Dans les divers arts et les diverses occupations de l’esprit, il y a un degré de force qu’il faut atteindre pour vivre de l’art ; il y en a un supérieur où il faut monter pour créer les œuvres qui immortalisent un nom. Ceux qui entrent dans une carrière ont tous des motifs suffisants pour arriver au premier ; l’autre est difficilement atteint par les personnes qui n’ont pas, ou qui n’ont pas eu, à un moment de leur vie, un ardent désir de célébrité. D’ordinaire, il ne faut pas moins que ce stimulant pour faire entreprendre et soutenir le rude labeur que doivent nécessairement s’imposer les personnes les mieux douées pour s’élever à un rang distingué dans des genres où nous possédons déjà de si belles œuvres des plus grands génies. Or, soit par une cause artificielle, soit par une cause naturelle, les femmes ont rarement cette soif de renommée. Leur ambition se circonscrit généralement dans des bornes plus étroites. L’influence qu’elles cherchent ne s’étend pas au-delà du cercle qui les entoure. Ce qu’elles veulent, c’est plaire à ceux qu’elles voient de leurs yeux, c’est en être aimées et admirées, et elles se contentent presque toujours des talents, des arts et des connaissances qui y suffisent. C’est un trait de caractère dont il faut nécessairement tenir compte, quand on juge les femmes telles qu’elles sont. Je ne crois pas du tout qu’il tienne à leur nature ; je pense que ce n’est qu’un résultat régulier des circonstances. L’amour de la renommée chez les hommes reçoit des encouragements et des récompenses : « mépriser le plaisir et vivre dans le labeur pour l’amour de la renommée, c’est, dit-on, le lot des nobles esprits », peut-être leur « dernière faiblesse », et on y est poussé parce que la renommée ouvre l’accès à tous les objets d’ambition, y compris la faveur des femmes ; tandis qu’aux femmes tous ces objets sont toujours interdits, et le désir de la renommée passe chez elles pour de l’effronterie. En outre, comment pourrait-il se faire que tous les intérêts de la femme ne se concentrassent pas sur les personnes qui forment le tissu de sa vie de tous les jours, quand la société a prescrit que tous ses devoirs les auraient pour objets, et pris des mesures pour que tout le bonheur de la femme en dépendît ? Le désir naturel d’obtenir la considération de nos semblables est aussi fort chez la femme que chez l’homme, mais la société a arrangé les choses de sorte que la femme ne peut, dans les cas ordinaires, arriver à la considération que par celle de son mari ou de ses parents du sexe masculin, et la femme s’expose à la perdre quand elle se met personnellement en vue, ou se montre dans un autre rôle que celui d’accessoire de l’homme. Quiconque est le moins du monde capable d’apprécier l’influence qu’exercent sur l’esprit d’une personne sa position dans la famille et dans la société et toutes les habitudes de la vie, doit y trouver sans peine l’explication de presque toutes les différences apparentes entre les femmes et les hommes, en y comprenant celles qui supposent une faiblesse quelconque.

Les différences morales, si par ce mot on entend celles qui tiennent aux facultés affectives pour les distinguer des intellectuelles, sont, selon l’opinion générale, à l’avantage des femmes. On affirme qu’elles valent mieux que les hommes ; vaine formule de politesse qui doit appeler un sourire amer sur les lèvres de toute femme de cœur, puisque sa situation est la seule au monde où l’on considère comme naturel et convenable un ordre de choses qui asservit le meilleur au pire. Si ces sottises sont bonnes à quelque chose, c’est à montrer que les hommes reconnaissent l’influence corruptive du pouvoir, c’est la seule vérité que la supériorité morale des femmes, si elle existe, prouve et mette en lumière. Je conviens que la servitude corrompt moins l’esclave que le maître, excepté quand elle est poussée jusqu’à l’abrutissement. Il vaut mieux pour un être moral subir un joug, fût-ce celui d’un pouvoir arbitraire, que d’exercer ce pouvoir sans contrôle. Les femmes, dit-on, tombent plus rarement sous les coups de la loi pénale et tiennent moins de place dans la statistique du crime que les hommes. Je ne doute pas qu’on n’en puisse dire autant avec vérité des esclaves nègres. Ceux qui sont sous l’autorité d’autrui ne peuvent pas commettre souvent des crimes, si ce n’est sur le commandement et pour le service de leurs maîtres. Je ne connais pas d’exemple plus frappant de l’aveuglement avec lequel le monde, et je n’excepte pas la majorité des hommes d’étude, dédaigne et néglige les influences des circonstances sociales, que ce rabaissement niais des facultés intellectuelles et ce sot panégyrique de la nature morale de la femme.

Le compliment qu’on fait aux femmes en vantant leur bonté morale peut aller de pair avec le reproche de céder facilement à l’inclination de leur cœur. On dit que les femmes ne sont pas capables de résister à leur partialité personnelle ; que, dans les graves affaires, leurs sympathies et leurs antipathies faussent leur jugement. Admettons la vérité de l’accusation, il faudrait encore prouver que les femmes sont plus souvent égarées par leurs sentiments personnels que les hommes par leur intérêt personnel. La principale différence entre l’homme et la femme, ce serait que l’homme est détourné du devoir et de l’intérêt public par l’attention qu’il a pour lui-même, et que la femme, à qui on ne reconnaît aucun intérêt qui lui soit propre, en est détournée par l’attention qu’elle a pour quelque autre personne. Il faut aussi considérer que toute l’éducation que les femmes reçoivent de la société leur inculque le sentiment que les individus auxquels elles sont liées sont les seuls envers qui elles aient des devoirs, les seuls dont elles soient tenues de soigner les intérêts, tandis que leur éducation les laisse étrangères aux idées les plus élémentaires qu’il faut posséder pour comprendre les grands intérêts et les grands objets de la morale. Le reproche revient à dire que les femmes remplissent trop fidèlement l’unique devoir qu’on leur a enseigné, et le seul à peu près qu’on leur permette de pratiquer.

Quand les possesseurs d’un privilège font des concessions à ceux qui en sont privés, c’est rarement pour une autre cause que parce que ces derniers acquièrent la puissance de les extorquer. Il est probable que les arguments contre les prérogatives d’un sexe attireront peu l’attention générale, tant qu’on pourra se dire que les femmes ne se plaignent pas. Certainement ce fait permet à l’homme de conserver plus longtemps un privilège injuste ; mais cela ne le rend pas moins injuste. On peut dire exactement la même chose des femmes enfermées dans les harems des Orientaux, elles ne se plaignent pas de ne pas jouir de la liberté des femmes d’Europe. Elles trouvent nos femmes horriblement effrontées. Qu’il est rare que les hommes mêmes se plaignent de l’état général de la société, et combien ces plaintes seraient plus rares s’ils ignoraient qu’il y a ailleurs un autre état ! Les femmes ne se plaignent pas du sort de leur sexe, ou plutôt elles s’en plaignent, car les élégies plaintives sont très communes dans les écrits des femmes, et l’étaient bien davantage quand on ne pouvait soupçonner leurs plaintes d’avoir en vue un changement dans la condition de leur sexe. Leurs plaintes sont comme celles que les hommes font des désagréments de la vie ; elles n’ont pas la portée d’un blâme, et ne réclament pas un changement. Mais si les femmes ne se plaignent pas du pouvoir des maris, chacune se plaint de son mari, ou des maris de ses amies. Il en est de même dans toutes les autres servitudes, au moins au début du mouvement d’émancipation. Les serfs ne se plaignirent pas d’abord du pouvoir de leurs seigneurs, mais seulement de leur tyrannie. Les communes commencèrent par réclamer un petit nombre de privilèges municipaux ; plus tard elles exigèrent d’être exemptées de toutes les taxes qu’elles n’auraient pas consenties ; mais à ce moment même, elles auraient cru faire un acte d’une présomption inouïe, si elles avaient prétendu partager l’autorité souveraine du roi. Les femmes sont aujourd’hui les seules personnes pour qui la révolte contre les règles établies est regardée du même œil qu’auparavant la prétention d’un sujet au droit d’insurrection contre son roi. Une femme qui s’unit à un mouvement quelconque que son mari désapprouve se fait martyre sans pouvoir être apôtre, car le mari peut mettre légalement fin à l’apostolat. On ne peut pas attendre que les femmes se dévouent à l’émancipation de leur sexe, tant que les hommes, et en grand nombre, ne seront pas préparés à se joindre à elles pour l’entreprendre.



  1. Cette remarque devient encore plus vraie, si nous étendons nos observations à l’Asie aussi bien qu’à l’Europe. Quand une principauté de l’Inde est gouvernée avec vigueur, vigilance et économie, quand l’ordre y règne sans oppression, quand la culture des terres y devient plus étendue et le peuple plus heureux, c’est trois fois sur quatre qu’une femme y règne. Ce fait, que j’étais loin de prévoir, m’a été révélé par une longue pratique des affaires de l’Inde. Il y en a beaucoup d’exemples ; car, bien que les institutions hindoues excluent les femmes du trône, elles leur donnent la régence pendant la minorité de l’héritier ; et les minorités sont fréquentes dans un pays où les princes périssent prématurément victimes de l’oisiveté et de leurs débauches. Si nous songeons que ces princesses n’ont jamais paru en public, qu’elles n’ont jamais parlé à un homme qui ne fût pas de leur famille, si ce n’est cachées par un rideau, qu’elles ne lisent pas, et que, si elles lisaient, elles ne trouveraient pas dans leur langue un livre capable de leur donner la plus faible notion des affaires publiques ; nous resterons convaincus qu’elles présentent un exemple saisissant de l’aptitude naturelle des femmes pour le gouvernement.
  2. Il semble que ce soit la même qualité d’esprit qui rend un homme capable d’acquérir la vérité, ou l’idée juste de ce qui est bien, dans les ornements, et aussi dans les principes plus fixes de l’art. C’est encore la même idée de la perfection dans un plus petit cercle. Donnons pour exemple la mode des habillements où l’on sait qu’il y a un bon et un mauvais goût. Les parties de l’habillement changent continuellement de grandeur, de grandes elles deviennent petites, de courtes longues, mais, au fond, elles conservent leur forme ; c’est toujours le même habillement avec un type relativement fixe sur des bases étroites ; mais c’est là-dessus que la mode doit s’appuyer. Celui qui invente avec le plus de succès, ou habille avec le meilleur goût, aurait probablement, s’il eût consacré la même sagacité à des objets plus élevés, révélé une égale dextérité ou acquis le même goût exquis, dans les plus nobles travaux de l’art. — Sir Joshua Reynold’s Discourses, Disc. VII.