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De l’avenir des États-Unis

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AMÉRIQUE DU NORD

DE L’AVENIR DES ÉTATS-UNIS,


PAR UN CITOYEN DE LA VIRGINIE

LETTRE i.


Richmond, 15 november 1829.

L’accroissement rapide de notre population et sa diffusion sur une vaste surface, éveillent une foule de réflexions relatives à l’avenir politique et moral des États-Unis, et nous présentent un spectacle d’autant plus intéressant, que jusqu’à ce jour l’histoire n’en a point offert de semblable.

Quelque haut que nous remontions dans les annales de la société humaine de l’ancien monde, partout nous sommes forcés de reconnaître que la population ne s’est accrue que d’une manière lente et presque imperceptible. Partout en proportion avec les moyens de subsistance qui d’abord étaient rares et précaires, ce n’est qu’après avoir appris à multiplier ces moyens par le travail et l’économie, et surtout par l’invention des arts usuels, que les hommes ont pu voir leur nombre augmenter sans danger.

Dans l’Amérique du Nord, le cas est tout-à-fait différent : un peuple dès long-temps familiarisé avec tous les fruits d’une vieille civilisation, possède un immense continent, capable de contenir un nombre d’habitans 40 ou 50 fois plus grand que celui qui l’occupe, et ne trouve d’obstacles à l’accroissement de sa population que ceux qui naissent de ses lois ou de ses mœurs.

Il est prouvé, d’après les recensemens successifs qui ont été faits, que la population des États-Unis double en moins de vingt-quatre ans ; mais supposons même qu’elle ne double qu’en vingt-cinq années. Elle est aujourd’hui de dix millions d’ames au moins, à la fin de la première période, elle sera donc de vingt millions, de quarante millions à la fin de la seconde, de quatre-vingt millions à la fin de la troisième, et de cent soixante millions à la fin de la quatrième, qui complétera le siècle. Et cependant, cette incroyable population ne donnera pas plus de soixante-dix individus par mille carré, si nous la tenons renfermée dans les limites actuelles des États-Unis.

On nous objectera, peut-être, que la marche d’un accroissement jusqu’à présent si rapide doit enfin se ralentir au bout de quelque temps, puisque nos vieux états, multipliant leur population comme les nouveaux, auront nécessairement atteint leur maximum les premiers, et avant que la totalité du territoire soit habitée. À cela nous répondrons qu’aussi long-temps que l’émigration d’une des parties de l’Union vers une autre, n’éprouvera point d’empêchement, la population de cette première partie continuera à s’étendre avec une rapidité semblable à celle des nouveaux établissemens. Ainsi, par exemple, quoique la population du Connecticut et du Rhode-Island paraisse maintenant stationnaire, cependant les tableaux annuels des mariages, des naissances et des morts, nous prouvent que la multiplication naturelle n’est pas moins rapide que celle des états voisins qui ont une population moins active ; d’ailleurs, nous trouvons que l’accroissement général de la population des États-Unis a été de 1800 à 1810, comme de 1810 à 1820, dans la même progression que de 1790 à 1800.

Les émigrations de l’étranger, dont la proportion diminue évidemment chaque jour, ne peuvent apporter une grande différence dans nos calculs ; car, en supposant qu’elles augmentent notre population de 200,000 ames en dix ans (et c’est ce que nous apprennent positivement les registres du ministère de l’intérieur), il en résulte que lors même qu’elles cesseraient d’avoir lieu, le doublement n’en continuerait pas moins tous les vingt-cinq ans.

L’accroissement naturel et incontestable de notre population ainsi établi, jetons un coup-d’œil sur ses effets probables, relativement à la condition morale et politique des États-Unis.

La conséquence la plus évidente sera nécessairement l’augmentation de notre force et de notre pouvoir. Encore un autre siècle, et ces républiques confédérées contiendront plus de 100 millions d’ames, et formeront le plus opulent, le plus puissant empire de la terre ; nous posséderons alors de superbes cités embellies par les plus précieuses productions des arts ; des canaux et des routes dont la magnificence sera proportionnée à leur utilité, des académies et des écoles publiques fondées et entretenues par le trésor national, une marine formidable, et un revenu, qui, quoique peu considérable par rapport à la population, s’élèvera cependant à plusieurs centaines de millions…

Mais, n’est-il pas à craindre, dira-t-on, que long-temps avant que nous ayons atteint ce haut degré de grandeur, nous soyons témoins d’un démembrement des états ? que, dans nos institutions politiques, il n’y ait point de liens assez forts pour tenir réunie une si nombreuse population, répartie sur une si vaste surface, qu’enfin la diversité d’opinions, ou seulement l’amour du changement, si naturel aux sociétés comme aux individus, ne renversent l’édifice que nous avons élevé, ou qu’il ne tombe de lui-même, écrasé sous son propre poids ?

Ces prédictions de démembrement nous affligent d’autant plus qu’elles tendent à saper nos espérances, et menacent nos plus chères affections et notre bonheur. L’histoire de tous les peuples et de tous les temps nous apprend que les suites naturelles de la désunion sont les querelles intestines, les guerres fréquentes, les taxes énormes, les armées permanentes, le despotisme, et enfin la mort de la liberté civile. Examinons donc sérieusement la question, afin de paralyser autant que possible les suites funestes de cet événement, s’il doit arriver un jour, ou, dans le cas contraire, nous affranchir de craintes plus dangereuses que le mal même, puisqu’elles peuvent jeter nos conseils publics dans de fausses directions.

Ceux qui prédisent la dissolution des états s’appuient en général sur les dispositions qu’ils prêtent aux peuples qui habitent l’ouest des Allegany. Ils présument qu’éloignés comme ils le sont du siége du gouvernement fédéral, et séparés des états atlantiques autant par leurs intérêts commerciaux que par leur situation topographique, ils se retireront de la confédération dès que l’accroissement de leur population leur aura assuré la prépondérance ; ils établiraient alors un gouvernement particulier composé de districts semblablement situés, et ayant adopté la même politique, soit intérieure, soit étrangère.

S’il était vrai qu’il y eût entre les états atlantiques et ceux de l’ouest une permanente et irréconciliable opposition d’intérêts, il ne faudrait point espérer de les tenir réunis par aucun lien politique. Certainement ce ne serait point par l’influence de notre gouvernement, dont la principale vertu est d’être fort pour défendre les intérêts de ses administrés, et trop faible pour pouvoir jamais les blesser. Mais s’il est vrai que tous les états ont un intérêt direct à maintenir l’intégrité de la fédération, cette vérité est encore plus palpable pour les états situés à l’ouest des Allegany.

Le Mississipi sera toujours le principal canal par lequel les peuples de l’ouest entretiendront leurs relations commerciales avec les autres pays. Possesseurs, en grande partie, du terrain le plus fertile des zones tempérées, ils auront sans cesse un excédant considérable de produits qu’ils ne pourront envoyer dans les marchés éloignés, par une autre route, sans d’énormes frais de transports. Grâce à la navigation du Mississipi, cette surabondance de produits peut être expédiée rapidement aux Indes occidentales, ou même en Europe. Si leur commerce d’importation ne s’est pas d’abord effectué par le même canal, ce n’est point à cause de la difficulté de la navigation remontante, mais bien à raison de la supériorité temporaire des marchés de l’Atlantique sur celui de la Nouvelle-Orléans. Maintenant que la navigation remontante est rendue plus facile par la vapeur, le Mississipi devient la seule voie de transport pour les marchandises que l’on expédie aux états de l’Ouest.

On ne doit pas craindre que l’importance de cette navigation ne soit que passagère. Quand les contrées fertiles de l’ouest seront remplies par la nombreuse population qu’elles sont capables de nourrir, et que les millions de bras qui ne pourront s’occuper d’agriculture chercheront leur subsistance dans les manufactures, alors le commerce du Mississipi sera encore plus actif et plus étendu.

Mais, pour assurer cette navigation, il faut nécessairement qu’elle soit protégée par une force navale. Sans ces moyens de défense, les nations maritimes de l’Europe pourraient, en plaçant une petite flotte à l’embouchure du fleuve, empêcher toutes les relations avec l’étranger. Les états de l’ouest, cependant, ne sont point en état de fournir cette sorte de protection armée. Ils peuvent, il est vrai, construire et équiper des vaisseaux de guerre, mais ils ne peuvent les garnir de ces hardis matelots qui en sont l’ame ; ce n’est qu’une nation maritime qui peut fournir de tels hommes. Il n’a jamais existé de bonne marine militaire sans une marine marchande pour la préparer et l’entretenir ; l’expérience a depuis long-temps démontré que la valeur de l’une est toujours en raison des ressources qu’offre l’autre. Ainsi, les Carthaginois, les Athéniens, les Vénitiens, les Génois, les Hollandais, les Anglais, se sont successivement distingués par leur courage sur mer, autant que par leur esprit d’entreprise commerciale.

Le peuple de l’ouest ne deviendra jamais marin. Ses marchands pourront peut-être s’engager dans un trafic étranger, actif et étendu ; mais, alors même, les matelots qu’ils emploieront seront tirés d’un autre pays. La plus grande partie des états atlantiques, au contraire, est empreinte d’un caractère commercial et maritime bien prononcé. Leurs habitans, en proportion de leur nombre, fournissent plus de matelots que quelque nation que ce soit. La grande quantité de fleuves navigables et de ports faciles et sûrs, l’entière liberté d’industrie, l’absence de vexations ou de restrictions, l’esprit d’entreprise, qui distingue surtout la république des États-Unis : tout, en un mot, se réunit pour favoriser et développer le commerce de ces contrées. Aussi, est-ce sous cette influence de tant de circonstances heureuses, que l’on voit le négociant américain poursuivre la fortune sur toutes les côtes et dans toutes les parties connues du globe. Familiarisés avec chaque port de l’Europe, depuis la mer Baltique jusqu’à la Méditerranée, ses vaisseaux entretiennent encore des communications suivies avec la Chine, les Indes, et les îles nombreuses de l’Océan indien. Ils ont exploité toutes les rives occidentales de ce continent, depuis les îles de Falkland jusqu’au Kamtschatka. Sans doute, les mêmes causes qui ont propagé si prodigieusement la navigation des états atlantiques doivent aussi la perpétuer et l’augmenter. Riches en matelots, ces états pourront toujours, quand ils le voudront, créer une marine capable de défendre leurs côtes et de protéger le commerce extérieur des états de l’ouest, situés au milieu des terres. C’est donc à ces derniers qu’il appartient de décider s’il leur est plus avantageux de recourir à une protection étrangère, que de voir la tranquille jouissance de leur commerce, assurée par une nation puissante dont ils font eux-mêmes partie essentielle, et dans les conseils de laquelle ils ont une si grande influence.

Il n’y a donc pas à hésiter. S’ils veulent recourir à la protection d’un pouvoir étranger, ils seront obligés de l’acheter par le sacrifice de quelques avantages commerciaux ou politiques car, d’une façon ou de l’autre, il faut la payer. Si cet allié n’a point une marine prépondérante, il ne pourra leur assurer une protection complète ; et même, dans le cas contraire, ils ne pourront que souffrir des querelles où il se trouvera engagé. D’ailleurs cette prépondérance peut changer. Les exploits de notre petite marine à l’époque de la dernière guerre, ainsi que notre nouvelle politique, nous sont un sûr présage que la Grande-Bretagne verra bientôt passer entre les mains d’une autre nation la puissance dont elle a tant abusé.

D’un autre côté, les états atlantiques, qui, au moment d’une scission, deviendraient les plus dangereux adversaires des états du Mississipi, ne peuvent qu’être leurs plus utiles auxiliaires et leurs meilleurs amis, tant que l’Union subsistera. De cette manière, les états du Mississipi auront une protection maritime sans être obligés de l’acheter au prix d’une portion de leur indépendance, et par leur prodigieuse influence pourront surveiller et diriger la marche du gouvernement fédéral, au gré de leurs besoins. Ainsi donc, si, comme on n’en peut douter, la marine américaine arrive à la supériorité dans ces mers, la véritable question pour les états de l’Ouest est de savoir s’ils préféreront l’Union, avec la navigation du Mississipi sans entraves ; ou bien la Séparation, sans cette liberté de navigation.

On supposerait vainement que leur commerce pourra trouver un chemin assuré par les lacs du Nord et le Saint-Laurent d’un côté, et de l’autre par les canaux qui uniront un jour les mers de l’Occident à celles de l’Orient. Ils ne peuvent jouir de la navigation du Saint-Laurent, sans que celle du Mississipi soit assurée ; et quant à la création des grandes communications intérieures, elles ne feront certainement que resserrer plus intimement l’union des diverses parties de la fédération.

Mais il y a encore bien d’autres considérations importantes qui feront repousser cette séparation qui semble désirée par la folie ou la dépravation de quelques-uns. Si les états de l’Ouest des Allegany se séparaient des états de l’Est, il est plus que probable que les premiers ne resteraient pas long-temps sans se subdiviser. Quelle qu’ait été la force des argumens en faveur du premier démembrement, on en trouverait de plus forts encore pour justifier le second. La différence des habitudes, des mœurs, des besoins parmi les diverses sections de la nouvelle fédération de l’Ouest, serait alors aussi grande que celle qui existe maintenant entre les états de l’Ouest et les états atlantiques. Une partie voudrait des esclaves, une autre n’en voudrait pas. Ici, les exportations consisteraient en sucre, en coton ; là, en grains et en bestiaux. Tel état aurait besoin de commerce étranger, tel autre voudrait s’en tenir au commerce intérieur. Les rivalités et les dissentions qui s’élèveraient entre ces différentes républiques seraient soigneusement accrues et perpétuées par des voisins jaloux de leur prospérité et de leur puissance. D’ailleurs la répugnance qu’inspire maintenant l’idée d’un démembrement, serait affaiblie par le souvenir du premier pas déjà fait.

Imaginons un instant la confédération de l’Ouest ainsi subdivisée : voyons qu’elles en seraient les conséquences naturelles et inévitables. Les états de l’intérieur ne seraient que plus gênés dans leur commerce ; car non seulement ils seraient frappés indirectement par les guerres et les blocus des nations maritimes, mais encore ils seraient immédiatement exposés aux vexations de tous les états situés sur les bords et à l’embouchure du Mississipi. Ainsi entraînés à la guerre et exposés à ses vicissitudes, il est probable qu’ils ne conserveraient pas long-temps leur indépendance et leur intégrité. Dans ces luttes pour acquérir ou pour conserver, à quelqu’état que le sort accordât l’avantage, le pouvoir finirait par se concentrer dans les mains d’un seul, et ce pouvoir se tournant ensuite tôt ou tard contre lui-même, aurait pour résultat de réduire les conquérans à la servitude.

Toutes ces réflexions qui ne sont point nouvelles pour nos concitoyens de l’Ouest, et que le temps finira sans doute par faire considérer comme des vérités incontestables, ne laissent plus aucune raison solide pour appui à cette opinion trop répandue, que ces états seront les premiers à demander le démembrement. Je crois au contraire qu’il serait à craindre que les états Atlantiques jaloux de leur ascendant, ne demandassent la séparation, s’ils n’avaient la conviction que par la faculté qui leur est donnée de détruire le commerce des autres pendant la guerre, et de le protéger pendant la paix, ils font un contre-poids à leur puissance.

Si l’on examine qu’une dissolution de l’Union nous exposerait à la guerre et à tous les dangers qu’elle traîne à sa suite ; qu’elle arrêterait l’accroissement de notre prospérité nationale ; qu’elle porterait atteinte à notre organisation sociale, et détruirait peut-être nos libertés civiles ; soyons sûrs que tous les membres de toutes les parties de l’Union resteront groupés avec confiance autour de l’édifice politique que nous avons élevé, et, s’il vient à tomber, sa chute ne sera que l’ouvrage d’événemens que la sagesse humaine ne peut ni prévoir ni empêcher.

Ces divers argumens, qui s’appuient sur les limites actuelles des États-Unis, ne perdent nullement de leur force, en supposant que notre population et notre gouvernement s’étendent jusqu’à ce que leur développement soit arrêté au sud par les frontières du Mexique, et à l’ouest par la mer Pacifique. Car il n’est pas facile de prouver les inconvéniens du continuel agrandissement d’un empire fédératif dans lequel le gouvernement, sagement restreint dans ses rapports avec les nations étrangères, laisse aux républiques particulières qui le composent le droit de créer et de faire exécuter les lois municipales, leur abandonne les détails de toutes les fonctions qui se trouvent en contact immédiat avec les citoyens, et dont la puissance ne peut être dirigée que contre les hostilités de l’étranger.

En supposant donc, comme nous l’espérons, que nous demeurions tous réunis en un seul corps de nation, il nous reste à examiner les conséquences de notre prodigieux accroissement en nombre et en étendue. Un tel examen peut être non-seulement intéressant, mais encore utile, en nous indiquant les moyens d’adapter notre politique actuelle à notre situation future.

Lorsque cette vaste région qu’arrosent et fécondent les eaux du Mississipi sera couverte de la population qu’elle doit nourrir un jour, la majorité dans l’assemblée nationale, appartenant aux états de l’ouest des Allegany, il est probable que l’opinion de cette portion de l’Union prévaudra souvent. Le choix du siége du gouvernement fédéral sera, pour tous les états, d’un intérêt local ; envisagée sous le rapport commercial, cette question est tout-à-fait insignifiante. Dans la balance de l’influence politique, elle pourrait être de quelque poids ; mais c’est à la satisfaction de l’orgueil national qu’elle doit sa principale importance. Nous voyons que, par l’influence de ces sentimens de localité, à mesure que la population des divers états s’étendait vers l’ouest, et que le siége du gouvernement cessait d’être central, il a été changé par la puissance croissante de cette portion de l’ouest. C’est ainsi qu’on l’a vu passer de New-York à Albany, de Philadelphie à Harrisbourg, de Williamsbourg à Richmond, et de Charleston à Colombie. On ne doit point supposer que le changement du siége du gouvernement fédéral paraisse moins essentiel aux diverses républiques que le changement du siége d’un état particulier ne le paraît aux divers comtés qui le composent. Ainsi, de même que les capitales de ces états ont été changées, pour rester au centre de la population ; de même, la capitale de l’Union changera, lorsque cette mutation conviendra au plus grand nombre.

Quand l’accroissement général de la population de tout ce continent, ou du moins de ses régions tempérées, aura mis des bornes à l’émigration des points les plus habités ; quand cette contrée fertile, qui se compose de l’Ohio, du Kentucky, de West-Tenésée, etc., aura acquis tous les citoyens qu’elle est en état de nourrir, on y verra s’établir nécessairement l’industrie manufacturière : car le grand nombre de bras qui alors ne pourront plus être employés à l’agriculture, ne trouveront pas d’autres moyens d’existence que ceux que leur offrira le travail des fabriques. Lorsqu’un seul homme peut pourvoir aux besoins de vingt, comme cela est facile dans ces contrées, et lorsque les dix-neuf autres se trouvent sans propriété territoriale, ceux-ci ne peuvent suffire à leurs besoins qu’en changeant les produits de leur travail contre ceux de l’agriculture. Telle est, en général, l’origine des manufactures qui se trouvent ordinairement en proportion avec la population, comme la population est en proportion avec la fécondité du sol.

L’Europe et l’Angleterre, surtout, ressentiront aussi les effets que nous venons d’indiquer. Tant que nous aurons des terres à défricher, la masse des habitans sera occupée d’agriculture. Les manufactures se développeront et s’amélioreront sans doute ; mais tant que le prix du travail sera élevé en comparaison du bon marché des terres, elles ne pourront soutenir avantageusement la concurrence avec les fabriques européennes qui, par conséquent, devront satisfaire à nos besoins toujours croissans. La même relation qui existe entre une grande ville et la campagne qui l’environne, existera encore long-temps entre l’Europe et l’Amérique du nord. La première est comme une ville à l’égard de la dernière ; elle lui fournit des objets manufacturés en échange des produits bruts qu’elle en retire. M. Gallatin, dans un de ses premiers rapports comme secrétaire du trésor, paraît n’avoir pas été assez frappé de cette relation des États-Unis avec l’Europe. Lorsqu’il estime le montant futur des taxes, il paraît ne pas admettre un accroissement progressif et continuel ; et lorsqu’avec raison, il détermine la somme de nos importations par celle de nos exportations, il considère à tort celles-ci comme stationnaires, parce qu’il ne présume pas que les demandes étrangères, d’après lesquelles il les évalue, puissent augmenter. Cependant, il est facile de concevoir que, plus nous tirerons sur les manufactures européennes, plus celles-ci, à leur tour, tireront sur nos produits pour s’alimenter. Mais lorsque, dans la suite des temps, le complément de notre population aura donné naissance à un nombre suffisant de manufactures pour employer le surplus de ces produits, alors les fabriques étrangères ne pouvant plus s’alimenter chez nous comme auparavant, seront nécessairement frappées d’une stagnation, si ce n’est d’une ruine, dont le contre-coup se fera long-temps sentir en Europe.

Si nous n’étions point arrêtés dans l’examen de cette question par les bornes resserrées d’une lettre, nous pourrions indiquer encore d’autres résultats probables de l’accroissement de notre population, du développement progressif de notre empire et de ses hautes destinées.

Nous réserverons pour une autre lettre le tableau de notre situation présente.

I…