De l’enseignement populaire par les affiches

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De l’enseignement populaire par les affiches
Revue pédagogique, second semestre 18806 (p. 33-46).

DE L’ENSEIGNEMENT POPULAIRE
PAR LES AFFICHES



N’avez-vous pas remarqué souvent avec quel soin, je dirais presque avec quel excès de conscience, l’enfant, l’ouvrier et le campagnard lisent tout ce qui se présente à eux sous forme d’affiche ? Voyez-les groupes devant une muraille bariolée de feuilles blanches, roses où jaunes ; ils épellent à demi-voix les noms difficiles à retenir ; ils soulignent du doigt les passages les plus intéressants ; de temps à autre éclate une de ces exclamations du langage populaire qui apprécie d’un seul mot un décret, une profession de foi, un programme, le récit d’un acte de courage.

Le paysan qui n’aurait jamais songé à demander dans une bibliothèque publique un traité d’hygiène et de médecine usuelle, en lira volontiers les prescriptions sur les placards émanés de la mairie ou de la préfecture. L’écolier et l’artisan qui regarderaient comme une tâche pénible de puiser dans un livre quelques notions d’histoire naturelle, de botanique, de physique et de chimie industrielles, ne redouteront nullement de lire cela chaque semaine dans les colonnes du Moniteur des communes, affiche encyclopédique, où les lettrés eux-mêmes trouvent plus d’une note intéressante à transcrire sur leur carnet.

Il y a dans ces dispositions quelque chose à exploiter au profit de l’instruction populaire.

Qui parle ainsi ? De qui émane cette opinion aussi juste que nouvelle ? D’un homme non moins savant que modeste, né en Savoie, mais formé à l’école de Genève, par conséquent ami zélé de l’instruction du peuple, observateur curieux, promoteur ingénieux de toute idée propre à porter la lumière dans les profondeurs des dernières couches de la société, partisan de toute mesure capable d’imprimer le mouvement à leur longue et inerte apathie. Ce savant si bien placé pour cela aux portes de la Suisse, aux confins de l’Allemagne, est M. Louis Revon, naturaliste préparateur, conservateur de la bibliothèque et du beau musée d’Annecy[1], bibliothèque et musée devenus, grâce à ses soins intelligents, un dépôt de collections qu’envieraient bien de nos villes de cinquante et de soixante mille habitants.

Cette idée originale et féconde de l’enseignement populaire par les affiches, M. Revon la tient de la Suisse, sa voisine, de la Suisse, où le génie de la liberté, toujours favorable à l’initiative individuelle, seconde si heureusement le progrès. La machine administrative à haute pression, en passant Ie niveau sur les esprits, n’y tend pas, comme ailleurs, à les jeter tous dans le même moule. Il reste du jeu dans les cerveaux pour l’éclosion d’idées nouvelles. Genève participe de l’esprit anglais : un grain d’excentricité n’effraye personne, et toute proposition qui sort des routes battues, n’y court pas le risque immédiat de passer pour impraticable ou ridicule.

En Suisse donc, on a compris et utilisé depuis longtemps cette attraction de l’affiche. Les autorités genevoises, en particulier, ont fait distribuer dans les mairies et dans Îles écoles quelques instructions rédigées par des hommes spéciaux, en tête desquels figurent des membres de l’institut national genevois. Je citerai surtout deux placards que je voudrais voir répandre par milliers dans nos communes de France, sur la demande, et avec le concours de l’instituteur.

Ce sont d’abord les secours à donner en cas d’accident avant l’arrivée du médecin. On y énumère dans les plus petits détails, sans parade de mots grecs, dans le simple français de M. Jourdain, les soins à donner pour toute espèce de blessures : plaies du crâne, du cou, des membres, morsures d’animaux enragés, piqûres d’insectes, épingles avalées ; — pour les brûlures, convulsions, empoisonnements. Puis viennent les cas de mort apparente, et les secours aux noyés, aux gens frappés de la foudre, gelés, pendus ou asphyxiés ; — et la dernière colonne se termine par l’énumération des appareils de secours qui devraient exister dans toutes les stations et dans tous les villages.

Pour cette question si importante des premiers soins à donner en cas d’accident, il existe, il est vrai, en France, des instructions rédigées par le corps des ponts et chaussées ; mais c’est à peine si on les voit cloués dans quelques chantiers.

Faire comprendre au public français, au gros publie, surtout à l’habitant des campagnes, défiant et gouailleur, l’utilité de semblables affiches, c’est là, je l’avoue, une assez grosse difficulté. Quelle innovation, en effet, quelle dérogation aux. usages, à la routine ! Pendant si longtemps on s’est si peu — occupé du paysan autrement que pour l’exploiter, pour percevoir sur lui l’impôt du sang ou de la terre ! Quoi d’étonnant qu’il se montre quelque peu sceptique et rebelle aux nouveautés ? Je ne conseillerais donc pas de tenter l’essai de nos affiches en commençant par quelques-uns de nos départements situés au delà de la Loire, où il n’est pas encore fort aisé de faire comprendre, même aux instituteurs, même à plus d’un directeur d’école normale ou inspecteur primaire, l’utilité des musées scolaires et de leur organisation. Ils écoutent d’un air distrait ce que l’on en peut dire, et il est facile de voir que, malgré les conférences et l’Exposition, malgré toutes les choses dites ou publiées sur cette matière, l’idée du musée scolaire, si répandue en Autriche, n’a pas encore gagné beaucoup de terrain parmi nous, et que cette idée n’a pas pénétré, ni dans l’esprit du plus grand nombre de nos maîtres, ni même dans celui de beaucoup de leurs supérieurs immédiats. Peut-être, sil s’agissait de la découverte d’un nouveau genre de proposition incidente ou circonstancielle, les uns se montreraient-ils plus curieux, les autres moins rebelles à la persuasion.

Mais si, pour l’adoption de la nouveauté qui nous occupe, nous convenons qu’il n’y a pas absolument à compter sur les populations de la France centrale ou méridionale, je suis persuadé qu’il pourrait en être autrement au nord, à l’est et dans les départements qui avoisinent Paris. Là, il n’y a pas de raison de croire que l’on fût moins prompt qu’en Suisse à comprendre l’utilité des affiches en matière d’instruction populaire : d’autant plus, soyons justes, que même sur d’autres points du territoire l’administration a spontanément commencé d’en faire usage. Dans plusieurs départements du centre j’ai vu affichée, dans les gares des chemins de fer et ailleurs, une instruction sur les moyens de combattre l’invasion du doryphora. Cette instruction était accompagnée d’un excellent tableau colorié représentant les tiges de la pomme de terre en fleur, et sur ces tiges la reproduction de l’insecte aux différentes phases de son existence : œufs, larves, insectes adultes. Dans le département de l’Allier, la préfecture avait également répandu sur les murailles une affiche contenant une instruction détaillée sur les moyens à employer pour prévenir la contagion de la rage. Mais, si cette affiche figurait avantageusement sur les murailles de la ville de Moulins, il ne semble pas qu’elle eût été également répandue dans les villages où hameaux où elle était surtout nécessaire, privés qu’ils sont le plus souvent de médecins et surtout de pharmaciens. En un mot, cette affiche ne paraissait pas destinée à sortir de l’enceinte des villes ; mais qu’est-ce que la population des villes comparée à celle des campagnes ? Ce sont les campagnes qu’il faut attaquer, ce sont les campagnes qu’il s’agit d’atteindre.

Il y a quelques années, la préfecture de la Haute-Savoie avait aussi fait répandre, mais cette fois dans Les villages, une instruction ayant pour titre : Mesures à adopter dans toutes les communes dans l’intérét de l’hygiène et de la santé publique.

L’affiche est petite, mais si toutes ses prescriptions étaient exécutées, nos départements n’auraient rien à envier aux fermes suisses et hollandaises[2].

Déjà donc il y a, même en France, quelque chose de fait. L’impulsion est donnée ; le terrain a reçu un commencement de préparation. Un pas de plus, et l’enseignement populaire au moyen des affiches sera passé à l’état d’institution.

J’ai eu l’occasion en Savoie de m’’entretenir sur ce sujet avec M. Revon, de lui entendre exprimer ses vœux et en même temps ses regrets si patriotiques. J’ai gardé le souvenir de cette conversation d’un homme de bien ; et c’est le sentiment qu’il y a une occasion à saisir, un service à rendre, qui me porte aujourd’hui à faire cet essai de propagande en faveur de l’idée de M. Revon. Je voudrais pour cela commencer par attirer, sur cette question de l’enseignement populaire par les affiches, attention de l’administration de l’instruction primaire. On est sûr de la trouver toujours prête à donner son concours à la propagation de toute idée utile, et son action serait certainement ici de la plus grande efficacité ! Il faudrait commencer par signaler cette idée aux divers fonctionnaires de l’instruction primaire, leur demander leur concours, et engager les inspecteurs à mettre la question à l’ordre du jour dans les conférences pédagogiques, lesquelles sont maintenant presque partout organisées dans les cantons. L’idée ferait ainsi rapidement son chemin.

Il n’est pas inutile de faire connaître en même temps que M. Revon, joignant à la théorie les moyens de la mettre sur-le-champ en pratique, s’est lui-même occupé du soin de composer et de faire imprimer quelques-unes de ces utiles affiches ; de sorte qu’un éditeur qui aurait foi dans l’avenir de ce genre d’enseignement et qui voudrait l’exploiter, pourrait entrer immédiatement en rapport d’affaires avec lui. Nos lecteurs nous sauront gré de compléter cet article en donnant tout à l’heure, par quelques échantillons, l’idée de ce que contiennent les affiches de M. Revon, en fait d’observations utiles, agréablement rédigées, et rigoureusement scientifiques. Mais il est bon de prévenir qu’il ne s’agit pas de ce qui a été fait d’analogue, au moyen des tableaux coloriés de la maison Bouasse-Lebel, que l’on voit exposés dans beaucoup de nos écoles primaires. Il s’agit, non pas de figures coloriées, mais d’un texte convenablement développé.

En parcourant les villages si coquets et si propres du canton de Genève, on aime à trouver sur les portes des granges, dans les mairies, dans les écoles, un autre placard également publié par l’Institut genevois : Instruction sur l’utilité des oiseaux en agriculture. L’œuvre ayant été appréciée, les autorités genevoises en ont répandu à profusion une nouvelle édition avec quelques variantes : Instruction sur l’utilité des oiseaux pour la protection des récoltes. Cette instruction n’avait pas échappé au regretté M. Bonjean, originaire du département de l’Ain, lorsque, à la grande surprise de la Chambre et du public, pour qui c’était une grande nouveauté, on le vit en 1867 prendre la parole au Sénat pour demander la protection de la loi en faveur des petits oiseaux. — Dans quatre colonnes pleines d’observations curieuses, l’affiche en question nous décrit l’organisation, les mœurs et les ravages des insectes. Après le dénombrement de l’armée ennemie arrive l’énumération de nos auxiliaires. De charmants petits oiseaux. auxquels on fait une guerre stupide, trouvent ici d’éloquents défenseurs.

Aussi parcourez la Suisse, et vous verrez comme les réflexions des habitants sont plus sensées, comme ils sont mieux informés, comme leurs idées sont supérieures aux nôtres sous ce rapport.

de crois que M. Revon (et il faut s’en féliciter) s’est beaucoup servi de cette notice dans la composition de son affiche intitulée : les Oiseaux utiles. Il conseille toutefois de consulter, dans le même but, des ouvrages plus récents, tels que : F. de Tschudi, les Insectes nuisibles et les oiseaux ; Mouchet, Lectures familières sur les insectes nuisibles et quelques animaux insectivores ; Carl Vogt, Leçons sur les animaux utiles et nuisibles, les bêtes calomniées et mal jugées ; Joigneaux, au commencement du Jardin potager, et tant d’autres œuvres que peu de personnes lisent contenues dans un in-8° ou un in-12, et que tout le monde lirait analysées dans un placard collé contre une porte de ferme.

Seulement, pour ces affiches qui s’adressent à la masse ignorante ct prévenue du gros public, aux simples villageois, aux élèves des écoles primaires, M. Revon demande avec infiniment de raison un style clair, simple, dépouillé des termes scientifiques, dont on fait (je suppose sans le savoir} un abus si fâcheux dans les publications françaises soi-disant populaires. Pour des œuvres de cette nature, M. Revon veut ce qu’il appelle le style bonhomme, ce style dont l’auteur du Jardin potager, M. Joigneaux déjà nommé, fait un si charmant usage dans ses causeries agricoles.

Il nous semble que M. Revon n’a pas mal réussi lui-même à prendre ce langage dans sa très intéressante affiche sur les Oiseaux utiles, à laquelle nous faisions tout à l’heure allusion :

« Habitants des campagnes, n’est-il pas vrai que vous feriez bon accueil à celui qui viendrait vous dire : Je me charge de débarrasser chaque année vos greniers et vos champs des souris et des mulots, vos blés des charançons, vos jardins des fourmis, des chenilles et des limaces, vos bois des insectes qui les percent, vos hameaux des cadavres d’animaux en décomposition. Assurément, vous ne recevriez pas cet homme à coups de fusil, et personne n’aurait l’idée de fixer son portrait à l’endroit le plus apparent de la ferme pour exciter contre lui la colère des ignorants. Voilà pourtant ce que vous faites envers d’autres bienfaiteurs qui veulent vous rendre les mêmes services. Vous clouez à la porte de la grange les buses et les chouettes, vous tuez sans pitié les cailles, les moineaux, les becs-fins, les pies et les corneilles.

« Rappelez-vous ceci : les oiseaux en grande majorité sont utiles, surtout ceux dont les nombreuses couvées vous procurent une légion d’auxiliaires dévoués ; — une très petite quantité d’espèces sont réellement nuisibles ; — enfin, la plupart des oiseaux que vous accusez toujours de manger le bon grain, les fruits ou les animaux de basse-cour, commettent ces méfaits bien plus rarement que vous ne croyez et onze mois sur douze ils travaillent dans votre intérêt. »

Après cet appel à l’attention des villageois, M. Revon passe à la démonstration par les faits de ce qu’il annonce dans le titre de son affiche, c’est-à-dire aux services (entendez-vous bien ?) aux services que retire le cultivateur de la collaboration des oiseaux :

« C’est parmi les oiseaux de proie que se groupent la plupart des espèces nuisibles : presque tous les grands aigles, l’autour des pigeons, l’épervier et le grand-duc sont de mauvais drôles, et encore vous verrez que plusieurs ont de bons moments ; nous en reparlerons tout à l’heure. Mais à côté d’eux, que de bons serviteurs !

» Les faucons mangent beaucoup d’insectes, surtout des grillons et des sauterelles, et rachètent ainsi le mal qu’ils peuvent faire, en s’attaquant parfois aux petits oiseaux. La cresserelle doit même être classée franchement parmi nos alliés : sur 18 estomacs de cresserelle que nous avons examinés, de janvier à décembre, nous avons trouvé une seule fois un oiseau, et dans les 17 autres cas c’étaient des souris, couleuvres, lézards, courtilières, chenilles, vers, grillons. Une cresserelle avait l’estomac bondé de 45 grillons, 5 chenilles et 1 serpent ; or, comme elle doit faire au moins deux de ces repas par jour, jugez quelle quantité d’insectes, de serpents, elle peut détruire dans une année ! Après cela, contmuercz-vous à elouer à la porte de vos granges ce volatile que pourtant, par une contradiction bizarre, vous appelez le bon oiseau ?

» Dans plusieurs contrées, les gouvernements encouragent encore la destruction de la pie, parce qu’elle s’attaque aux nichées de petits oiseaux. Elle en détruit, en effet, mais uniquement pour élever sa couvée et jamais pour son propre usage ; et l’on oublie qu’en dehors de cette courte période elle consacre au moins 340 journées à absorber avec la plus grande voracité une quantité d’animaux nuisibles : dans les estomacs de pies nous avons constaté d’ordinaire un mélange compact de hannetons (jusqu’à 25 à la fois), d’escargots, de limaces, de charançons, de vers de terre, de grillons, beaucoup de peaux de chenilles, et même assez souvent des souris et des campagnols. Comptez tout le mal que ces ennemis auraient fait à vos champs et à vos jardins, ct convenez que la pic devrait être épargnée. — Le geai est inoffensif avec sa nourriture habituelle de glands et de graines sauvages, et il offre sa part de bonne volonté en chassant aussi les insectes. — Un bel oiseau d’un jaune vif, le loriot, se jette avec avidité sur les hannetons, les chenilles et les sauterelles. — L’étourneau (sansonnet) croque sans relâche les courtilières, les grillons, les fourmis et leurs œufs, les chenilles, les vers, les mille-pattes ; c’est cc que nous avons constamment découvert dans l’estomac de cet : animal utile ; on a tort de le poursuivre : pourquoi ne pas lui permettre de manger un peu de raisins et de cerises, quand il les paie avec usure en détruisant à lui seul une armée de bêtes malfaisantes ? Nous pouvons bien lui accorder une petite remise : il sauve nos récoltes.

» Il n’existe pas de plus acharnés destructeurs d’insectes que les grimpeurs. Oh ! dans cette catégorie-là nous n’avons que l’embarras du choix pour aligner de gros chiffres, plus éloquents que les longues démonstrations. Ouvrez l’estomac d’un pic vert, vous serez sûr d’y trouver des fourmis en quantité innombrable ; dans l’un nous avons compté 560 fourmis, dans d’autres 600, puis 700, enfin 800 ! Cette nourriture étant légère et vite digérée, un pie vert doit consommer au moins 2,000 fourmis par jour, c’est-à-dire plus de 700,000 par an, ce qui fait, pour une seule famille de pics, entre deux et trois millions ! Le pic-noir st aussi glouton ! nous avons trouvé jusqu’à 900 grandes fourmis mêlées de gros vers blancs dans son gésier. Le pic épeiche (pie noir et blanc) et les autres espèces ont la même alimentation, et prennent aussi des gerces, des chenilles, beaucoup de vers blancs destructeurs du bois. Le torcol partage les habitudes des pics, et malgré sa petite taille il trouve le moyen d’engloutir 200 fourmis dans un repas. — Il est faux de dire que les pics et les torcols creusent les bois sains et contribuent à les faire pourrir. Puisque leur seule préoccupation est de chercher les insectes et les vers, il est au contraire naturel qu’ils s’adressent de préférence aux troncs déjà percés, pour en retirer les animaux qui menacent les arbres d’une ruine complète. Il n’est donc pas nécessaire de déclarer ici que ce serait une vraie folie de nuire à ces gardiens vigilants des forêts et des vergers.

» En abordant l’ordre des gallinacés, nous vous engageons fort à noter ceci : la caille, dont on fait un massacre général pour le plaisir des gourmets, devrait être conservée avec soin dans les champs. N’écoutez pas ceux qui disent qu’elle ruine le campagnard en mangeant beaucoup de blé ; d’abord, elle en consomme bien moins qu’on ne le croit, et se contente du grain tombé pendant la moisson, et qui serait également perdu ; d’ailleurs, elle aurai ! le droit de prélever ce faible impôt comme récompense de services continuels. Nous avons examiné l’estomac d’une cinquantaine de cailles, depuis avril jusqu’à novembre. Eh bien, presque toujours il contenait des insectes ; en mai ceux-ci figuraient seuls, en très grande quantité à la fois : les chenilles avec ou sans poils abondaient, puis venaient les sauterelles, les insectes rongeurs du blé et diverses espèces de coléoptères. En octobre il y avait moins d’insectes, mais des centaines de mauvaises graines.Comptez-vous pour rien ce sarclage gratuit des champs ? E£ puis, pour cet oiseau, comme pour beaucoup d’autres, tenez compte de la quantité d’engrais qu’il dépose sur la terre : nous avons eu la curiosité de peser la fiente d’une caille élevée en cage ; elle en donnait de 12 à 15 grammes par semaine, de sorte qu’une famille de cailles fournit au moins 10 kilos d’excellent guano dans l’espace d’une année. Regardez-vous encore comme un ennemi un oiseau qui détruit par milliers les insectes rongeurs, dépose de l’engrais sur vos terres ct les nettoie des plantes parasites ? »

Tout cela est véritablement charmant et dicté par un profond sentiment de la nature. Et comme c’est neuf ! Qui s’est avisé jusqu’ici de formuler de pareils avis ? Personne. D’ailleurs, obligé de choisir, nous avons nécessairement passé sous silence bien des détails intéressants. Ainsi, nous aurions voulu citer ce que nous dit M. Revon de la musaraigne, du hérisson, de la taupe, du crapaud. Oui, M. Revon s’intéresse au pauvre crapaud, et par d’excellentes raisons. « Parce qu’il est laid, on se croit en droit de le martyriser ; et pourtant cette bête, incapable de faire du mal, met tous ses soins à nettoyer les jardins ; dans ses chasses nocturnes, il prend les charançons, les larves, les mille-pattes, les limaces. En France et en Angleterre, des jardiniers intelligents achètent les crapauds à deux et trois francs la douzaine, et les déposent dans leurs carrés de légumes. »

Mais il suffit de ces extraits pour faire comprendre aux lecteurs de la Revue l’utilité certaine d’affiches du genre de celle de M. Revon ; combien elles sont propres à détruire de faux ce funestes préjugés, en leur substituant les saines notions de la science. Peut-être alors verrait-on de moins en moins se produire un fait dont nous avons été souvent témoins : de stupides faucheurs détruisant tous les œufs d’une couvée de perdrix pour en faire une détestable omelette. — Ce : serait déjà quelque chose ; mais il est probable que de tels essais amèneraient un résultat beaucoup plus important, c’est à savoir : de faire comprendre la somme d’enseignement que l’on pourrait tirer de semblables affiches en les variant : car il n’est nullement nécessaire de borner l’enseignement par les affiches à l’agriculture ou à l’histoire naturelle. Dans les écoles urbaines, ajoute M. Revon, on pourrait rédiger pour les jeunes filles des tableaux-affiches d’économie domestique, de comptabilité du ménage, de petites recettes ; pour ce dernier sujet, on consulterait avec fruit la Chimie des dames de M. Michaud.

« Dans les écoles de garçons : l’histoire, la géographie, l’histoire naturelle, la cosmographie, et pourquoi pas même un peu d’archéologie ? En France, cette proposition fera hausser les épaules à plus d’une personne ; en Allemagne et en Suisse on en juge autrement : dans le canton de Zurich, on a rédigé spécialement pour les écoles un petit manuel d’archéologie, qui traite surtout la question si intéressante des habitations lacustres. Si l’on avait songé plus tôt à placarder quelque chose d’analogue dans les écoles, nous n’entendrions pas chaque jour des hommes qui passent pour instruits faire les méprises les plus grossières en se promenant dans un musée, devant les étalages des magasins d’objets d’art et d’antiquité, ou dans les galeries des expositions rétrospectives. »

Nous l’avons dit, l’affiche captive l’ouvrier. Eh bien, couvrons d’affiches instructives les ateliers et les usines, les locaux destinés aux réunions des sociétés de secours mutuels, des corporations, des associations ouvrières, des cours d’adultes. En attendant l’heure de la séance, l’ouvrier jettera un coup d’œil sur les affiches, et retiendra quelques bonnes notions sur le système métrique, la physique et la météorologie, la mécanique, la médecine usuelle, les chemins de fer, la biographie des Grands inventeurs, l’économie politique, les sociétés coopératives, les caisses d’épargne. Le travail est pour ainsi dire tout préparé pour cette série ; il suffit d’opérer un changement de format et de convertir en affiches, avec quelques modifications, la plupart des petits volumes édités par différentes maisons de Paris, et de bons extraits des conférences faites à propos de l’Exposition universelle.

L. Baret,
Inspecteur général de l’Instruction publique.

  1. M. Revon a obtenu une des deux croix de la Légion d’honneur, attribuées aux représentants des Sociétés savantes de France, dans leur réunion à la Sorbonne du mois d’avril dernier.
  2. Combien les idées en Suisse sont plus avancées à cet égard ! En 1861, l’Institut genevois, que je me plais toujours à citer, avait fait afficher une circulaire sur quelques plantes à essayer ou à propager dans le canton de Genève. Le dernier paysan pouvait y lire le nom, la description, l’usage et le rendement d’un certain nombre de plantes nouvelles dont en France les lettrés seuls connaissaient alors le nom et les propriétés.