De l’immobilité étudiée au point de vue de la pathologie

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DE L’IMMOBILITÉ


ÉTUDIÉ


AU POINT DE VUE DE LA PATHOLOGIE


PAR


Joseph-Félix VEDEL


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE


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À MON PÈRE, A MA MÈRE


Faible témoignage de reconnaissance et d’amour filial



À MON FRÈRE


Gage d’affection



À MES PARENTS



À MES PROFESSEURS



À TOUS CEUX QUE J’AIME

F.V.


DE L’IMMOBILITÉ




Dans le langage vétérinaire, on désigne sous le nom d’Immobilité une maladie particulière à l’espèce chevaline, ayant son siège dans les centres nerveux, dont la nature n’est pas bien connue, et qui, presque toujours, est incurable. Elle se caractérise surtout par la tendance qu’a l’animal à rester immobile dans de certaines attitudes forcées, vicieuses et même instables, par la diminution de sa sensibilité et par la difficulté ou même l’impossibilité qu’il éprouve pour exécuter les mouvements en arrière.

Par cette définition, on voit que l’immobilité est considérée comme une maladie véritable, comme une entité morbide.

De nos jours cependant, les études anatomo-pathologiques permettent de se faire une nouvelle idée de cette affection, et de ne plus la regarder que comme un groupe de symptômes pouvant appartenir à des maladies, à des lésions très différentes par leur siège et leur nature ; un épanchement dans les ventricules cérébraux, des concrétions des plexus choroïdes, des tumeurs diverses siégeant dans le crâne, etc., peuvent en effet se traduire par les caractères de cette affection.

Le mot immobilité, servant à désigner les affections du système nerveux, a donc une signification aussi vague que le mot colique appliqué aux maladies qui ont pour siège les divers organes de la cavité abdominale. Ces deux expressions ne s’appliquent point en effet à un état pathologique bien défini quant à sa nature, mais seulement à un ensemble de symptômes qui ne sont que la manifestation d’altérations très diverses.

Dans nos auteurs de pathologie vétérinaire, l’immobilité est ordinairement classée parmi les névroses, classe qui comprend toutes les maladies incurables dont la nature est inconnue. Mais les études pathologiques, aidées de la physiologie expérimentale, se perfectionnant avec toutes les autres sciences, on est arrivé à trouver la lumière sur la nature de quelques unes de ces affections ; leur nombre diminue chaque jour, aussi cette classe tend-elle aujourd’hui à disparaître. L’immobilité est une de celles sur lesquelles l’investigation des vétérinaires de nos jours se soit le plus porté, aussi ne doit-elle plus compter aujourd’hui parmi les névroses. C’est ce que nous allons tâcher de prouver ici par le développement des nouvelles opinions émises sur son anatomie pathologique et sa nature, après avoir dit quelques mots sur sa symptomatologie, et nous terminerons par quelques considérations sur son étiologie.


SYMPTOMATOLOGIE




Les symptômes de l’immobilité sont variables et surtout très nombreux, aussi il est fort rare de les trouver tous réunis sur un même animal ; le plus souvent on n’en trouve que quelques-uns ; néanmoins cette affection est toujours suffisamment caractérisée pour qu’il ne soit pas permis de la confondre avec aucune autre. Pour nous en faire une idée exacte, nous commencerons d’abord par en donner une description type, en supposant que tous les symptômes soient réunis sur le même sujet ; et, pour cela nous examinerons l’animal pendant le repos, pendant le repas et pendant le travail, parce que c’est dans ces moments-là qu’on peut constater les principaux signes, ensuite nous décrirons quelques-unes des principales formes sous lesquelles l’immobilité se présente le plus ordinairement.

Pendant le repos. — L’animal considéré dans la station debout, à l’écurie, a le faciès triste et sans expression, la tête est tenue basse, le plus souvent portée sur la mangeoire, les oreilles sont pendantes, la queue est moins rigide. Les lois de l’équilibre dans la station sont détruites, les membres sont rapprochés du centre de gravité, il n’y a généralement que deux membres en diagonale à l’appui, les autres sont relâchés.

On remarque de temps en temps dans ces cas un abaissement de la hanche et de l’épaule.

Il semble indifférent à tout ce qui l’entoure, les mouvements qu’exécutent autour de lui les hommes et les chevaux ne peuvent le réveiller.

Lorsqu’on le commande par la parole, il n’obéit pas ; et même quelquefois un coup frappé avec la main ne semble pas avoir été perçu par l’animal, car il reste toujours dans un état somnolent. Mais si l’excitation est plus forte et qu’elle soit exécutée avec un aiguillon, par exemple, il sort de son état léthargique comme en sursaut, et se livre alors à des mouvements désordonnés.

La distribution des fourrages ne paraît pas non plus l’éveiller ; il est toujours dans un état complet d’hébétude.

Si on le pousse d’un côté dans sa stalle, il déplace ses membres avec beaucoup de difficulté, et n’effectue encore ce déplacement que par les membres postérieurs ; les antérieurs commencent bien aussi le mouvement, mais ils restent croisés, ce qui provient de ce que un seul membre a changé de place. L’animal reste dans cette position jusqu’à ce que la fatigue ne lui permette plus de se maintenir en équilibre, et il ne revient à sa position normale que par des mouvements mal coordonnés.

Toutes ces attitudes que l’animal prend de lui même, on peut les lui donner. Ainsi, on peut lui mettre les membres dans des positions très vicieuses, croiser, par exemple, ceux de devant ; l’animal reste toujours dans l’attitude où il a été placé.

Il en est de même de la tête, on peut la lui soulever, l’infléchir à gauche, à droite, comme on peut le faire avec un automate, l’animal reste dans cette position pendant un temps assez long et ne la quitte que lorsqu’il y est déterminé par la sensation qu’il perçoit à la longue de la fatigue de ses muscles, mais d’une manière lente, qui dénote que ce n’est pas par sa propre volonté, mais seulement par la rétraction insensible des muscles distendus.


Pendant le repas. — Ce que nous venons de constater pour les muscles destinés à mouvoir l’animal, nous le voyons encore se reproduire dans d’autres muscles qui jouent un rôle important dans les besoins les plus impérieux de la vie ; nous voulons parler de ceux destinés à la mastication.

Lorsqu’on met du fourrage dans le râtelier, l’animal ne peut pas relever la tête pour l’y saisir ; il faut au contraire le mettre dans la crèche afin qu’il puisse le prendre facilement sans avoir besoin de la contraction de ses muscles.

Il le prend alors, le mâche fort lentement et avec beaucoup d’irrégularité. Parfois il oublie les aliments dans sa bouche, laisse pendre du foin à l’une des commissures des lèvres, et on dit alors que l’animal fume la pipe.

C’est bien de l’animal immobile que l’on peut dire : graminis immemor ; car les excitations produites par la vue, l’odeur, le goût des aliments, ne durent pas assez pour le déterminer à triturer complètement les portions de fourrages introduites dans la cavité buccale, et qui ont commencé à subir l’action des mâchoires.

Lorsqu’on lui présente à boire dans un vase quelconque placé à terre, l’animal ne pouvant pas généralement baisser la tête pour atteindre la surface du liquide, s’en tient à une certaine distance et fait exécuter à ses lèvres les mouvements de humer. Ce cas se présente quelquefois, mais le plus souvent l’animal plonge la tête dans le liquide, jusqu’à ce que celui-ci dépasse la commissure supérieure des naseaux, et il reste dans cette position aussi long-temps que le permet l’arrêt de la respiration.

C’est brusquement et d’une manière désordonnée qu’il retire la tête lorsque la suffocation arrive.

Notre professeur, M. Lafosse, cite un cheval immobile qui opérait avec la bouche et la langue des mouvements de succion comme le nourrisson qui prend la mamelle.


Pendant le travail. — Mais ce n’est pas seulement à l’état de repos que l’animal semble avoir perdu toutes ses facultés intellectuelles et la coordination de ses mouvements ; c’est surtout pendant le travail que les phénomènes insolites se font remarquer. Si on met l’animal en mouvement, et si l’immobilité est fortement accusée chez lui, il peut ne rien présenter d’anormal dans ses allures au début de l’exercice, mais le plus souvent on voit que ses mouvements se font sans souplesse, le jeu des membres semble difficile. Ces symptômes s’accusent beaucoup plus à mesure que l’exercice se prolonge et que la respiration et la circulation s’accélèrent ; alors l’animal est lourd et maladroit dans ses déplacements, il avance tête basse et relève fortement ses membres, comme s’il marchait dans l’eau ou s’il était aveugle ; il butte souvent ou se heurte inconsciemment aux obstacles qu’il rencontre, quelquefois il s’arrête tout court et il devient alors impossible au cavalier de le faire avancer d’un seul pas ; on a beau le fouetter, il ne remue pas, il reste immobile.

D’autres fois, l’animal refusant d’avancer se cabre ou se jette par côté ; on ne réussit à le faire partir qu’après un certain temps de repos ; il arrive même qu’il s’emporte et perd complètement l’instinct du danger, se précipitant contre tout ce qui lui fait obstacle. On voit donc par là que l’animal obéit passivement à des impulsions auxquelles il ne peut résister.

Mais à part les symptômes déjà signalés il en existe un autre qui est surtout caractéristique de l’immobilité, c’est le mouvement du recul. À l’état physiologique, ce mouvement est difficile à effectuer, car les membres postérieurs, qui sont dans les allures ordinaires des organes d’impulsion, deviennent au contraire, dans le recul, des organes de soutien. Les membres antérieurs ont aussi leur fonction intervertie dans ce mouvement, et ces organes n’étant pas construits pour cela, on comprend facilement qu’il faut que l’animal agisse avec une grande impulsion pour l’effectuer, celle-ci étant amoindrie ou détruite dans l’immobilité, le recul ne peut pas avoir lieu.

On peut constater ce symptôme dans deux conditions principales : quand le cheval est monté par un cavalier, ou bien quand il est attelé. Dans le premier cas, lorsque l’action des rênes se fait sentir, l’animal porte la tête au vent ou bien il l’encapuchonne, ensuite il engage les membres postérieurs sous le corps en les arc-boutant ; les membres antérieurs au contraire sont tendus en avant, et d’autant plus que le centre de gravité est plus reporté en arrière. Les pieds ne quittent pas le sol, ils restent à la place qu’ils occupaient avant. Si l’action des rênes continue à se faire sentir, l’animal sort de son état de tension, soit par un mouvement brusque de côté et revient ainsi dans un état d’équilibre plus stable, soit encore en se jetant violemment en arrière et en se renversant le plus souvent sous le cavalier. Quelquefois cependant on réussit à lui faire exécuter un pas de recul, et cela en creusant un sillon avec les sabots antérieurs, qui ne quittent jamais le sol pendant ce mouvement. Il ne tarde pas à s’arrêter le plus souvent après un seul pas, reprend alors l’attitude arc-boutée que nous lui connaissons déjà, et oppose de nouvelles résistances.

Lorsque le cheval est attelé à une charrette, sous l’action des rênes, il porte encore la tête au vent ou il l’encapuchonne et s’arc-boute de la même manière que lorsqu’il est monté. L’action des rênes continuant à se faire sentir, l’animal porte de plus en plus son centre de gravité en arrière, et il arrive un moment où l’équilibre est tellement instable, que l’animal est obligé d’exécuter un mouvement de recul pour ne pas se laisser tomber, en creusant toujours un sillon avec les pieds antérieurs. D’autres fois, au lieu de rétablir son équilibre en faisant un pas de recul, il se jette par côté ou bien il se laisse tomber entre les brancards.

Il lui est presque aussi difficile de tourner sur lui-même que de reculer ; lorsqu’on le force à effectuer ce mouvement, ses membres s’enchevêtrent souvent, ne peuvent plus arriver au secours de son centre de gravité, si bien qu’une chute aurait lieu si l’on ne cessait d’exiger le mouvement de rotation.

Phénomènes consécutifs. — La sensibilité est considérablement diminuée ou émoussée. Si l’on excite la surface de la peau d’un animal immobile il réagit moins que dans l’état normal, aussi il ne se défend pas contre les insectes qui l’incommodent pendant la belle saison. On peut lui introduire le doigt dans les oreilles sans qu’il cherche à s’en débarrasser ; la correction qu’on lui inflige aussi parfois le laisse impassible. On rencontre pourtant quelquefois des animaux immobiles dont la sensibilité n’est pas seulement émoussée, mais parfois exagérée, de façon que ceux-ci s’effrayent au moindre cri d’appel, ainsi qu’aux attouchements brusques.

Ce n’est pas seulement la sensibilité générale qui est modifiée chez les chevaux immobiles, mais encore les sensations spéciales. En effet, leurs divers sens sont complètement émoussés, c’est ce que nous avons vu du reste pour l’ouïe, l’odorat et le goût.

Ainsi, s’ils n’obéissent pas aux commandements qu’on leur donne, c’est probablement parce qu’ils ne les ont pas entendus. S’ils oublient les aliments dans leur bouche, c’est aussi parce que les excitations produites par l’odorat et le goût ne sont pas suffisantes pour les déterminer à achever la mastication. La vue dans quelque cas est aussi atteinte, on constate alors la proéminence des yeux, la dilatation de la pupille, tous symptômes de l’amaurose, qui provient sans aucun doute de la compression exercée par des corps de diverses natures sur les couches optiques.

Quand l’immobilité se présente avec les symptômes que nous avons signalés, l’état général est mauvais, parce que, depuis longtemps, la mastication étant très irrégulière, les aliments peu mâchés ne peuvent pas suffire aux besoins de la nutrition ; il s’en suit que l’animal maigrit considérablement, les digestions sont en outre devenues difficiles, les excréments sont petits, durs souvent, peu colorés et rejetés en petite quantité.

La respiration est aussi modifiée, elle devient lente, parfois même elle s’arrête ; il y a un tremblement pendant, l’expiration et l’inspiration, surtout pendant cette dernière.

Les battements du cœur ainsi que le pouls deviennent faibles, irréguliers et souvent intermittents.

Marche. — Les symptômes de l’immobilité ne se présentent pas toujours avec la même intensité ; ainsi on a remarqué que des chevaux exécutaient assez facilement les mouvements de mastication et de recul lorsqu’ils s’étaient reposés, à tel point qu’on pouvait se tromper sur leur état et croire qu’ils étaient en parfaite santé. Mais quand on les a fait travailler pendant quelque temps, et surtout lorsqu’ils ont été exposés au soleil, les symptômes de l’immobilité s’accentuent beaucoup, et ils s’aggravent même tellement quelquefois qu’on ne peut plus rien faire des animaux.

On a cherché à s’expliquer comment agissait le travail comme cause aggravante de l’immobilité, et on est arrivé à cette interprétation par l’accélération de la respiration et de la circulation pendant l’exercice, qui fait que la tension dans le système circulatoire cérébral a augmenté, et détermine ainsi une plus grande compression sur la substance cérébrale elle-même.

Les mêmes phénomènes se reproduisent encore quand on considère les animaux malades pendant les diverses saisons ; ainsi en hiver, les symptômes de l’immobilité échappent le plus souvent à l’œil de l’observateur, et ces animaux peuvent alors servir aux divers usages auxquels ils sont destinés ; mais en été, les symptômes s’accentuent à tel point qu’on ne peut utiliser l’animal pour aucun service. Cela s’explique encore par l’accélération de la circulation, car en été l’air étant plus chaud, il est dilaté et renferme une petite quantité d’oxygène sous un grand volume, et pour que l’hématose se fasse convenablement, il faut que la respiration s’accélère, ce qui amène inévitablement l’accélération de la circulation.

Si la cause des paroxysmes est connue dans les cas que nous venons d’examiner, il est d’autres circonstances où des accès se développent sans qu’on puisse s’expliquer comment ils ont pu être provoqués.

Les symptômes que l’on constate alors ressemblent beaucoup à ceux du vertige, car, en effet, les animaux étant à l’écurie poussent au mur avec violence et peuvent même s’excorier la peau du front et des orbites. Dans d’autres cas, ils tirent sur la longe ou bien même se cabrent et peuvent rester longtemps sur leur train postérieur, les membres antérieurs reposant sur la crèche ou entre les barreaux du râtelier. Quelquefois, en tirant sur leur longe, ils parviennent à se renverser ; ils essaient alors de se relever, mais ils ne peuvent le faire et se livrent à des mouvements désordonnés.

Lorsque ces paroxysmes se montrent pendant que l’animal est au travail, il devient immaîtrisable. Tantôt il se porte en avant, tantôt par côté, tantôt enfin il se cabre et donne à penser qu’il devient rétif.

Quand ces paroxysmes se montrent sur les animaux, ils peuvent persister pendant plusieurs jours, et dans ce cas les symptômes se montrent de plus en plus graves ; il leur est bientôt impossible de pouvoir faire un seul mouvement ; la mastication devient encore plus difficile, les animaux ne mangent plus, ils maigrissent, tombent bientôt dans le marasme et la mort ne tarde pas à survenir.

Voilà en peu de mots quels sont les principaux symptômes qui se présentent dans l’immobilité, comme on le voit, le diagnostic de cette affection est assez facile, et il n’est pas possible de pouvoir la confondre avec aucune autre affectant l’encéphale. Mais l’immobilité ne se présente pas toujours avec tous les caractères que nous avons signalés ; on peut même dire que c’est là l’exception, et elle prend des formes diverses dont nous allons maintenant décrire les principales.

Variétés de formes de l’immobilité. — Dans l’une des formes les plus fréquentes de l’immobilité, l’automatisme de l’animal est peu prononcé ; il possède encore une certaine dose de volonté et de sensibilité, ce qui pourrait faire croire que l’animal n’est pas immobile, car, en effet, lorsqu’on lui fait prendre des attitudes vicieuses, il ne les conserve pas et revient à sa position naturelle avec une certaine rapidité. Cependant, il existe toujours quelques signes qui peuvent attirer l’attention du vétérinaire. Ainsi, l’état d’hébétude si caractéristique de l’immobilité est constant dans cette variété. Alors il suffit de ne pas faire un examen trop superficiel de l’animal, et il est assez facile d’arriver au diagnostic de cette affection. Pour cela il faut soumettre l’animal à l’influence des causes qui peuvent aggraver son état, nous voulons parler de l’exercice ; on le poursuit jusqu’à ce que les symptômes qu’on cherche à obtenir se manifestent. Le jeu des membres, qui se faisait avec une certaine facilité avant l’exercice, ne tarde pas à se faire avec difficulté ; si l’animal est réellement immobile, et à mesure qu’il se prolonge, ce symptôme s’aggrave et la plupart des autres ne tardent pas à être mis au jour. Mais il y a beaucoup de variantes ; il est des chevaux chez lesquels les symptômes se montrent après un certain temps d’exercice, chez d’autres, au contraire, il faut le continuer jusqu’à la fatigue. Enfin, il en est d’autres qui ne présentent aucun symptôme de l’immobilité après cet exercice momentané, et il faut quelquefois le continuer pendant plusieurs jours, en donnant à l’animal une nourriture substantielle qui pousse à la pléthore. Ce n’est quelquefois qu’après avoir employé tous ces moyens qu’on peut faire apparaître une série de symptômes suffisants pour assurer que l’immobilité existe.

Cette forme d’immobilité, quoique assez commune, n’est pas la seule qui puisse exister, et on en trouve une dont la manifestation est tout à fait inverse à celle-là.

Ainsi, l’état d’hébétude peut complètement manquer, et lorsqu’on entre dans l’écurie de l’animal suspect d’immobilité, on est tout étonné de ne pas le trouver dans cet état somnolent qui existe ordinairement dans cette affection, car l’animal, au contraire, a l’air gai, il semble faire attention à tout ce qui se passe autour de lui. Il peut arriver que cette forme coïncide avec une tête très bien conformée, ce qui est un indice de plus pour se déclarer sur la non existence de l’immobilité ; cependant, il importe beaucoup d’employer tous les moyens possibles, surtout lorsque le diagnostic formulé par le vétérinaire devra être la base de la décision de la justice.

Or cette forme caractérise une immobilité peu accentuée, c’est-à-dire que les lésions existant dans le cerveau ne sont pas suffisantes pour faire perdre à l’animal ses facultés pour toujours, car, en effet, il y a des moments où n’étant pas sous l’influence des causes excitantes, il doit présenter l’état d’hébétude, et pour le constater il ne suffit le plus souvent que d’entrer seul dans l’écurie, d’en fermer les portes et d’y rester en faisant le moins de bruit possible. L’animal n’étant plus distrait, ne tarde pas à reprendre l’état de somnolence qu’il n’avait perdu que momentanément. Une fois ce symptôme aperçu, il ne suffit pas à lui seul pour déclarer l’existence de l’immobilité, et il faut au moins constater l’automatisme, mais on ne tardera pas à le faire produire en soumettant l’animal à l’influence des causes aggravantes que nous connaissons déjà.





ANATOMIE PATHOLOGIQUE




Comme nous venons de le voir par l’exposé qui vient d’être fait, la symptomatologie de l’immobilité est parfaitement connue, et tous les auteurs sont d’accord sur ce point ; mais il n’en est pas de même de l’anatomie pathologique, car il règne à ce sujet les opinions les plus opposées. Il est vrai que les lésions qu’on a trouvées sur les autopsies de chevaux immobiles sont très diverses, et qui au premier abord semblent ne pas avoir de rapports entre elles. Cependant, nous verrons que toutes n’ont qu’une action principale, c’est la compression de la substance encéphalique, compression exercée insensiblement et d’une manière constante.

Nous allons examiner ces diverses lésions, et nous commencerons par celle qui se présente le plus fréquemment : l’hydrocéphale chronique.

L’hydrocéphale est une affection du cerveau ayant pour résultat final une accumulation anormale de sérosité dans les ventricules cérébraux ; c’est pour cela qu’on l’a encore appelée hydropisie des ventricules du cerveau. Elle peut se présenter sous le type chronique ou sous le type aigu. Les symptômes de celui-ci se confondant avec ceux de la méningo-encéphalite aiguë, nous n’avons pas à nous en occuper ; cependant ce type peut passer à l’état chronique et se manifester par les symptômes de l’immobilité. Mais l’état chronique peut être primitif et il se manifeste toujours par les mêmes symptômes.

À l’état physiologique on trouve constamment dans les ventricules du cerveau une quantité de sérosité plus ou moins grande, mais tant qu’elle n’existe qu’en petite quantité, elle ne produit pas de troubles morbides dans l’économie. Ce n’est que lorsqu’elle est suffisante pour comprimer la substance cérébrale que les phénomènes morbides se manifestent.

Les causes de cette maladie ne sont pas encore parfaitement connues, cependant on sait qu’elle peut se développer à la suite de la méningo-encéphalite aiguë ou chronique, mais le plus souvent elle coexiste avec l’hydropisie des autres grandes séreuses, comme celles du péritoine et des plèvres, et particulièrement de celles-ci. Or, comme on ne les rencontre que sur des animaux vieux, usés et dans un état d’anémie ou d’hydrohémie très avancée, due le plus souvent à un travail excessif, il faut en conclure que cet état contribue aussi au développement de l’hydrocéphale et par conséquent de l’immobilité. Elle peut encore être due à un ralentissement de la circulation cérébrale produit par un obstacle quelconque.

Les lésions de cette affection sont : grande accumulation de sérosité claire et limpide dans les ventricules latéraux du cerveau, dans l’aqueduc de sylvius et dans le quatrième ventricule, cavités qui communiquent toutes ensemble mais qui sont séparées de la cavité arachnoïdienne, cérébro-spinal chez les animaux, seulement par la valvule de Renault, du nom de l’anatomiste qui l’a découverte et décrite le premier.

La quantité de sérosité accumulée dans ces ventricules varie beaucoup, et, d’après Renault, qui s’est beaucoup occupé de cette question, les ventricules pourraient en être remplis aux deux tiers sans qu’il y eût pour cela manifestation de phénomènes morbides. Mais quand elle dépasse cette quantité, les symptômes de l’immobilité commencent à se développer. Cette sérosité peut encore exister en plus grande quantité, alors elle comprime les parois des ventricules, ceux-ci sont considérablement agrandis, de sorte que sous cette pression constante la substance cérébrale se résorbe, le cerveau et le cervelet sont dans certains cas déprimés, pàles et diffluents. Mais les parties du cerveau qui sont le plus comprimées sont sans contredit les corps striés et les couches optiques ; il résulte de cela un fait qu’il est maintenant facile de s’expliquer, c’est la paralysie des nerfs optiques qui entraîne la cécité, phénomène qui est caractérisé comme nous l’avons déjà vu par la proéminence des orbites et une extrême dilatation de la pupille.

Le liquide peut encore distendre considérablement le lobule olfactif, car on sait, en effet, que ces organes sont creusés d’une cavité qui communique avec les ventricules latéraux au moyen d’une étroite ouverture.

Les autres lésions matérielles qu’on trouve dans le cas d’hydrocéphale sont quelquefois la rupture du septum-lucidum, les deux ventricules latéraux communiquent alors ensemble.

L’épendyme est toujours épaissi et présente quelquefois des nodules résistants de la grosseur d’une graine de pavot. Quand on examine le cerveau intact et par ses surfaces, il parait gonflé, tuméfié en quelque sorte, de façon que les circonvolutions sont comprimées, aplaties et comme effacées. La substance cérébrale elle-même est imprégnée de sérosité ; elle est molle, mais il arrive quelquefois que son imprégnation est normale et qu’elle présente encore une certaine consistance.

Les méninges cérébrales sont aussi le plus souvent pâles, et il n’est pas rare de voir à leur intérieur une accumulation de sérosité, mais alors elle existe sur toute l’étendue des méninges, même dans les rachidiennes, ce qui constitue l’hydrocéphale externe, nom donné pour la différentier de l’hydropisie des ventricules, qu’on appelle quelquefois hydrocéphale interne.

Le premier auteur qui ait signalé l’existence de l’hydrocéphale dans des cas d’immobilité, c’est Chabert, mais ce n’est pas la seule lésion qu’il a trouvée, et nous ne pouvons mieux faire que de rappeler ce qu’en a dit cet auteur : « Dans les chevaux qui périssent de cette maladie, dit-il, on trouve la substance cérébrale sans consistance, les grands ventricules remplis d’eau, les plexus choroïdes tuméfiés et souvent remplis de concrétions d’un volume plus ou moins considérable, la glande pituitaire engorgée, la moelle allongée dans la laxité, la dure et la pie mère infiltrées par la présence d’une eau surabondante renfermée entre les deux membranes, la gaîne qui enveloppe les nerfs à leur sortie de l’épine, ainsi que celle qui tapisse l’intérieur du tube vertébral très jaune et très fluide. Dans quelques sujets on trouve les chairs blafardes et sans consistance, le poumon gonflé, le foie engorgé et décoloré, le canal intestinal macéré et rempli d’air, souvent aussi on le voit farci de vers de toute espèce. »

Renault a plusieurs fois aussi constaté l’hydrocéphale chronique sur des autopsies de chevaux immobiles, mais il a observé en même temps que cette accumulation de sérosité dans les ventricules, une diminution du fluide céphalo-rachidien, aussi en conclut-il que l’on ne pourrait regarder l’immobilité comme étant produite par un excès de sérosité dans le canal rachidien, puisque dans les cas d’immobilité qu’il a constatés, cette quantité de liquide était moindre que dans l’état normal. Mais nous pensons que cela ne fait pas grand chose au résultat final, car, en effet, Renault, dans les observations qu’il a faites, peut avoir trouvé la quantité de liquide céphalo-rachidien diminuée, mais l’hydrocéphale interne suffisait à elle seule pour expliquer l’immobilité, tandis que dans la plupart des cas cette affection est la suite d’une inflammation générale de l’encéphale, inflammation qui peut se terminer par une accumulation de liquide dans les ventricules et en même temps dans les cavités formées par les méninges cérébro-spinales.

Depuis Renault, presque tous les vétérinaires qui ont fait des autopsies ont eu occasion de trouver une accumulation de sérosité dans les ventricules du cerveau dans des cas d’immobilité, ce qui permet d’assurer que cela est aussi fréquent que l’emphysème pulmonaire dans la pousse. M. Roll, sur ce point, est très affirmatif, et il prétend même que dans la majorité des cas, l’hydropisie cérébrale est cause de l’immobilité. Dans les cas d’hydropisie aiguë, le liquide, d’après M. Roll, est clair ou troublé, ou ressemble au pus par la présence des cellules qu’il tient en suspension.

Ce n’est pas seulement après la mort qu’on a trouvé l’hydrocéphale ventriculaire sur des chevaux immobiles, mais encore pendant la vie. M. Colin, après avoir trépané le crâne au niveau des sinus frontaux, introduisait un trocart très fin dans le cerveau, de manière à arriver dans les ventricules latéraux, et chez tous les animaux immobiles qu’il a ainsi opérés, il a obtenu un écoulement de sérosité en quantité plus grande qu’à l’état normal.

M. Mauri a aussi constaté des cas d’hydrocéphale chronique sur des chevaux immobiles, mais il a fait la contre expérience. Sur des chevaux parfaitement sains, il a injecté dans les ventricules latéraux du cerveau, après avoir opéré comme l’avait fait M. Colin, de l’eau à la température moyenne du corps de l’animal, et dans ces cas il a réussi à faire toujours développer les symptômes de l’immobilité.

D’après toutes ces observations ou ces expériences faites par des auteurs plus recommandables les uns que les autres, on est nécessairement amené à conclure que dans la majorité des cas, l’immobilité est produite par l’hydrocéphale chronique, qu’elle se soit développée sous l’influence d’une cause ou d’une autre. Mais cette lésion n’est pas constante et on en trouve beaucoup d’autres dont nous allons maintenant donner la description.

Nous ne quitterons pas les ventricules latéraux et nous verrons d’abord celles qui ont pour siège les plexus choroïdes.

Les plexus choroïdes sont souvent le siège de tumeurs très diverses quant à leur nature et à leur volume. Fürstemberg désigna ces tumeurs du nom général de cholestéatômes, qui vient de deux mots grecs signifiant tumeurs formées par la cholestérine, car en effet il croyait que toutes les tumeurs des plexus choroïdes étaient formées par une trame albumineuse, à l’intérieur de laquelle seraient déposées des cellules infiltrées par de la cholestérine. Il donna ainsi la description anatomique de ces tumeurs, mais il ne se borna pas là et chercha encore par l’analyse chimique leur composition. Il trouva, en effet, d’après un grand nombre d’analyses, que ces tumeurs renfermaient en moyenne de 38 à 50 p. 100 de cholestérine, 28 à 40 p. 100 de cellules et de membranes, 12 à 18 p. 100 de phosphate de chaux, et 3 à 9 p. 100 de carbonate de chaux.

Fürstemberg publia ses résultats en 1851, mais d’autres avant lui, et particulièrement Lassaigne, qui a fait un grand nombre d’analyses de ces tumeurs, trouva dans celles qu’il étudia en 1829 et en 1856, à peu près la même composition que dans celles de Fürstemberg. Cela nous prouve que ces tumeurs sont souvent formées par de la cholestérine, et elles méritent bien alors le nom de cholestéatômes. Mais, est-ce à dire pour cela qu’elles ont toujours la même composition ? Certainement non, car l’expérience nous prouve en effet le contraire. Dupuy, dans son ouvrage sur l’affection tuberculeuse, publié en 1817, cite un grand nombre de cas de chevaux morveux sur lesquels il a trouvé des tumeurs dans les plexus choroïdes formés par un dépôt de matière dure, résistante, qu’il a appelée tubercule. Mais n’est-ce pas là l’exagération d’une idée qui consistait à voir des tubercules partout ? Il est probable que non, car, plus tard, en 1827, Lassaigne analysait des tumeurs trouvées par Renault, à l’autopsie de chevaux morveux, et il vit qu’elles étaient composées d’une matière alumineuse, d’une petite quantité de matières grasses et d’une assez grande proportion de phosphate de chaux et de magnésie, composition qui est identique à celle du tubercule morveux. On voit donc eu résumé que les produits trouvés jusqu’à cette époque sont de deux sortes : les uns formés de cholestérine et de matières organiques, les autres de la nature des tubercules calcaires.

Quoiqu’il en soit de leur composition et de leur nature, ces tumeurs peuvent varier beaucoup quant à leur volume. Elles peuvent atteindre celui d’un grain de millet, d’un haricot, d’une noisette, d’une noix et même celui d’un œuf de poule. Il serait important de savoir quel est le poids normal moyen de la partie flottante des plexus choroïdes pour pouvoir le comparer à celui qu’elle peut acquérir dans l’état pathologique. Ce travail n’a été fait, à moins que nous ne sachions, que par M. Goubaux, qui en a donné le résultat dans un rapport lu à la Société centrale de médecine vétérinaire dans sa séance du 13 octobre 1853. Mais on ne peut pas se baser sur ces expériences, car les résultats obtenus sont très variables. Quand ces tumeurs n’atteignent pas un volume suffisant pour comprimer la substance cérébrale, elles ne déterminent pas de phénomènes morbides dans l’économie, mais quand elles atteignent un grand volume, elles finissent presque toujours par amener des désordres dans les parties situées à leur voisinage ; elles peuvent gêner les fonctions de certaines parties du cerveau, les comprimer, diminuer leur volume, avec ou sans altération de leur substance. Dans ces différentes circonstances, on a vu, en effet, les corps striés, atrophiés et entamés souvent à leur surface, la diminution de volume des cornes d’ammon et des couches optiques, toutes lésions qui se caractérisent à l’extérieur par des symptômes de corna et d’immobilité, quand elles se développent lentement, et par celles du vertige quand elles se forment avec rapidité.

Les observations qui prouvent qu’il en est ainsi sont nombreuses ; il nous suffira de citer celles de Dupuy, de Schaak, de MM. Leblanc, Bruyant, Mauri et celle toute récente de M. H. Bouley, pour nous prouver que les tumeurs des plexus choroïdes peuvent faire développer les symptômes de l’immobilité.

Nous ne parlerons pas des premières, car elles ont été livrées à la publicité depuis longtemps, et peuvent être connues de tout le monde ; nous nous restreindrons à celles de MM. Mauri et H. Bouley.

Le 3 janvier 1874 on conduisit à l’école de Toulouse un cheval de six ans sans race bien déterminée ; cet animal, soumis à l’examen clinique, présenta les symptômes suivants : station défectueuse, les membres sont rapprochés du centre de gravité, de façon à ce que la base de sustentation soit fortement rétrécie ; difficulté pour exécuter les mouvements de tourner, impossibilité du recul, tête basse, sensibilité émoussée, proéminence des yeux, dilatation de la pupille, amaurose. Lorsqu’on offre du foin à l’animal, on voit que la mastication est très irrégulière et souvent interrompue ; les aliments s’accumulent à l’intérieur de la bouche, il fume la pipe. À l’examen de la bouche on trouva la table dentaire dans un parfait état, ce qui signifiait au moins que la gêne de la mastication ne provenait pas d’une irrégularité des dents. Se basant sur l’ensemble des symptômes et surtout sur la cécité, on diagnostiqua une hydrocéphale ventriculaire. Pour traitement, on administra de la noix vomique à l’intérieur, on fit des frictions d’eau sédative sur la colonne vertébrale, et à l’encolure ou plaça deux sétons animés avec de l’essence de térébenthine.

Après quelques jours de traitement, l’état de l’animal sembla s’améliorer un peu, il mangea plus facilement et avait l’air moins hébété, l’amélioration continuait de jour en jour ; on le croyait guéri, lorsque le 16, à la visite du matin, l’état de l’animal s’était manifestement aggravé ; on redoubla de soins, mais l’amélioration ne revenait point. Enfin, dans la nuit du 18 au 19, l’animal s’est laissé tomber dans sa stalle, en arrière, et comme il était attaché avec un collier, il s’est asphyxié.

À l’autopsie qui fut faite dans la journée du 19, on trouva le liquide céphalo-rachidien sanguinolent, mais sa quantité n’avait pas sensiblement augmenté, car on n’en trouva que 300 grammes, quantité qu’on trouve ordinairement à l’état physiologique. Le liquide ventriculaire était rougeâtre aussi, et sa quantité était à peu près la même qu’à l’état normal. Mais on trouva dans les ventricules latéraux du cerveau Deux tumeurs, une de chaque côté, du volume et de la forme d’un œuf de poule. Elles ont été considérées comme les plexus choroïdes hypertrophiés, car elles n’adhéraient pas à la substance cérébrale et ne lui étaient attachées que par quelques tractus vasculaires et filamenteux, dépendances des plexus choroïdes. Quelques-uns de ces tractus semblaient être attachés par une de leurs extrémités à la surface de ces tumeurs et étaient flottants par l’autre. Les corps striés, ainsi que les couches optiques étaient atrophiés, ils formaient une excavation dans leur substance qui servait à loger la base de ces tumeurs. Celles-ci étaient grisâtres, de la consistance de l’encéphaloïde, elles étaient imprégnées par la sérosité existant dans les ventricules.

L’examen microscopique de ces tumeurs fut faite par MM. Arloing et Mauri ; pour cela, elles furent placées dans l’alcool absolu pendant quelques jours, ce qui les fit durcir un peu et permit de faire des coupes aussi fines que possible. Une coupe étant faite, elle fut traitée par le picro-carminate d’ammoniaque et ensuite placée sous une plaque de verre, après l’avoir préalablement imbibée d’une goutte de glycérine.

Cette préparation ainsi faite fut placée sous le microscope, et on vit alors qu’elle était formée par des fibrilles de tissu conjonctif ; celles-ci forment un grand nombre d’entrecroisement ; il en résulte ainsi un réseau à mailles très nombreuses. Dans quelques-uns des points d’entrecroisement, on constate la présence de noyaux de cellules, ce qu’on a appelé en anatomie pathologique des nœuds vrais, pour les différentier des autres points d’entrecroisement et qui ne contiennent pas de noyaux, qu’on a appelé des nœuds faux.

Les alvéoles formées par ces fi brilles sont remplies par des cellules embryonnaires qui sont en quantité très considérable.

Ils en concluent que ces tumeurs sont formées par du tissu conjonctif de nouvelle formation, ayant la plus grande analogie avec les lymphadénômes.

On voit donc que les tubercules et les cholestéatômes ne sont pas les seules tumeurs qui puissent exister dans les plexus choroïdes et être la cause de l’immobilité. Mais la nature des tumeurs ne modifie en rien la manifestation des symptômes ; elles n’agissent que par leur présence, c’est-à-dire d’une manière purement mécanique, en produisant des délabrements dans la substance cérébrale elle-même.

M. H. Bouley a présenté à la séance du 8 mars 1877 de la Société centrale de médecine vétérinaire, un nouveau cas d’immobilité produite par des tumeurs dont la nature est inconnue.

Il s’agit d’un cheval atteint d’immobilité intermittente et livré à la boucherie de Paris, probablement parce que le propriétaire ne pouvait pas en retirer le service qu’il en attendait. À l’autopsie faite par M. Foucher, inspecteur vétérinaire des abattoirs, on trouva deux tumeurs dans les ventricules latéraux du cerveau ; elles avaient manifestement subi un commencement de calcification et s’étaient développées dans les plexus choroïdes. Dans ce cas il est incontestable que l’immobilité est due à la présence de ces tumeurs dans la substance cérébrale ; ne trouvant pas d’ailleurs autre chose à l’autopsie, on est évidemment forcé d’admettre que ce sont elles qui ont fait développer l’immobilité.

Mais si dans quelques cas les tumeurs des plexus choroïdes font développer les symptômes de l’immobilité, il en est d’autres chez lesquelles elles ne semblent pas gêner l’animal qui les porte, car en effet rien n’est changé dans ses mouvements, ses habitudes, etc. Mais, est-ce parce que les tumeurs n’étaient pas assez volumineuses pour comprimer suffisamment la substance cérébrale et finalement produire des phénomènes morbides ?

A-t-on bien examiné les circonstances dans lesquelles se trouvaient ces animaux ? N’y aurait-il pas de différence à ce sujet ? Quoiqu’il en soit, il n’en est pas des phénomènes vitaux comme des phénomènes physiques ; dans un cas, on peut très facilement, d’un principe connu, en déduire toutes les conséquences ; dans l’autre, il est impossible de le faire, attendu que beaucoup de phénomènes échappent aujourd’hui, et sans doute échapperont encore longtemps à l’analyse.

Jusqu’ici nous n’avons examiné que les lésions qui agissent par une compression, s’effectuant de dedans en dehors, mais ce ne sont pas là les seules, et il en existe qui agissent en comprimant de dehors en dedans. Elles sont moins nombreuses que les précédentes, se rencontrent moins souvent, et leur nature aussi est toujours la même, car elles sont formées par du tissu osseux provenant d’exostoses des parois internes du crâne. Renault a observé un cas d’immobilité produite par deux protubérances osseuses qui s’étaient développées, la paroi frontale de la cavité crânienne. « Ces protubérances, dit-il, représentaient, par la forme et leur volume, la moitié d’un œuf de pigeon ; elles étaient situées à la partie antérieure et interne du crâne, un peu en dessous des lames criblées de l’ethmoïde et de chaque côté de la créte longitudinale. Elles étaient formées par la lame interne et anfractueuse qui sépare l’intérieur de la cavité crânienne des sinus frontaux, et paraissaient avoir été déterminées par l’accumulation dans ces sinus, d’un liquide clair, filant et comme glaireux qui les remplissait. La lame osseuse qui constituait ces éminences était si mince à leur sommet, qu’elle était transparente et qu’il suffisait d’une légère pression avec le doigt pour la briser. La membrane des sinus avait une épaisseur et une couleur normales. »

Renault ne parle pas des lésions produites par ces protubérances sur la masse en céphalique, car croyant réellement avoir à faire à une hydrocéphale, d’après les symptômes qu’il avait observés, il s’occupa d’abord de rechercher cette lésion, et pour cela il détruisit la portion supérieure de l’encéphale. Il fut très désappointé quand il trouva les ventricules dans leur état normal et que le liquide qu’ils contenaient n’avait pas augmenté en quantité.

Néanmoins il poussa ses investigations plus loin, chercha d’autres lésions, et il trouva, en effet, les protubérances osseuses, mais quant aux lésions qu’elles avaient produites, il était trop tard pour les étudier, car le cerveau avait été détruit.

Depuis que cette observation a été publiée par Renault, un grand nombre d’auteurs, et notamment Valisnieri, Leblanc, Damoiseau, MM. Goubaux, Colin et Lafosse, ont trouvé des tumeurs osseuses de la face interne des parois crâniennes sur des autopsies des chevaux qui avaient présenté les symptômes de l’immobilité pendant leur vie. Cependant M. Lafosse dit que les cas qu’il a trouvés coïncidaient toujours avec une mémingo encéphalite chronique.

Le siège de ces tumeurs variait beaucoup, mais dans tous les cas elles déprimaient le cerveau avec ou sans perte de substance, aux points où elles s’étaient développées.

Outre ces lésions, qui sont toutes indépendantes de l’encéphale, il en est qui sont inhérentes au cerveau lui–même ou bien aux membranes qui l’enveloppent ; nous voulons parler, en ce qui concerne celles-ci, des épaississements de la dure-mère, des exsudats, de la pie-mère, des fausses membranes de l’arachnoïde ; et en ce qui concerne la substance cérébrale elle-même, on a signalé son ramollissement, des exsudations séreuses ou sanguines, ou purulentes dans sa trame, toutes lésions qui peuvent en effet exister dans la méningo encéphalite chronique. Il ne faut pas ignorer que les symptômes de cette dernière affection ont une grande analogie avec ceux de l’immobilité, et que si dans quelques cas de vertige chronique on trouve des paralysies consécutives, très souvent et même dans la majorité des circonstances, ces paralysies n’existent pas et ses symptômes sont alors exactement les mêmes que ceux de l’immobilité, avec des accès qui sont en tout semblables dans l’un et l’autre cas.

Nous avons soigné, au mois de juillet 1875, un cheval atteint de méningo encéphalite aiguë ; cet animal semblait parfaitement guéri, mais dans le courant de l’année 1876, il fut plusieurs fois conduit à la clinique, et tous ceux qui ne connaissaient pas les antécédents de l’animal le déclaraient immobile. Ce n’est que lorsque le propriétaire avoua qu’on l’avait soigné pour un vertige l’année précédente, qu’on supposa que la méningo encéphalite aiguë était passée à l’état chronique ; mais on ne trouva aucun autre signe qui put différentier le vertige chronique de l’immobilité.

Il arrive quelquefois, quoique assez rarement cependant, qu’à l’autopsie de chevaux reconnus parfaitement immobiles pendant la vie, on ne trouve rien dans le cerveau ni dans ses dépendances, et alors on se demande qu’est-ce qui a pu faire développer les symptômes observés. Ne se pourrait-il pas, comme le fait remarquer M. H. Bouley, que l’état d’immobilité soit le résultat d’un défaut de développement des organes encéphaliques, comme on le remarque dans l’espèce humaine sur les idiots ?

Mais dans l’espèce humaine, dit M. H. Bouley, le développement imparfait de l’encéphale provient de l’étroitesse des cavités qui le contiennent, étroitesse qui se caractérise par un développement excessif de la face, aux dépens de la partie crânienne, qui est alors très étroite, conformation qui amène un angle facial très petit et par conséquent un front fuyant. Il est du reste parfaitement démontré en médecine humaine, que dans les cas d’idiotie, où on ne trouve pas des lésions à l’autopsie, elles proviennent d’un défaut de développement de l’encéphale. Ne pourrait-il pas en être de même en médecine vétérinaire ? C’est une étude qui n’a pas encore été faite, à moins que nous ne sachions, et qui, faite dans toutes les conditions désirables, pourrait avoir son importance. Pour cela, il y aurait d’abord à rechercher : 1° si l’étroitesse de la cavité crânienne existe, étroitesse qui se caractérise, comme dans l’espèce humaine, par un développement outre mesure de la partie faciale de la tête et un chanfrein long et busqué ; 2° quand les chevaux présentent cette conformation, il y aurait à rechercher sur un grand nombre d’observations, si le poids du cerveau, comparé à celui du corps tout entier, ne serait pas sensiblement au-dessous de la moyenne normale ; mais il faudrait tenir compte aussi de la quantité de substance nerveuse propre contenue dans un cerveau, et ne pas la confondre avec le tissu conjonctif qui entre dans sa composition, ce qui n’est pas une chose bien facile. Du reste, quand on n’a rien trouvé à l’examen microscopique, on s’est toujours borné à une dissection ordinaire, sans recourir aux moyens plus approfondis d’investigation dont la science dispose aujourd’hui. Qui nous dit que par l’examen microscopique ou ne trouvera pas des lésions suffisantes pour nous expliquer les symptômes produits. On pourra peut-être par ce moyen reconnaître des faits qui ont pu échapper à l’investigation des observateurs dans les conditions imparfaites ou insuffisantes où ils étaient placés.


NATURE


Si nous cherchons maintenant à interpréter les symptômes par lesquels l’immobilité se caractérise, nous verrons que c’est surtout par l’abolition des facultés intellectuelles et sensuelles ; car en effet l’impossibilité dans laquelle l’animal se trouve d’exécuter certains mouvements, indique qu’il n’a plus la volonté de faire ce qu’il veut ; la désobéissance aux commandements, alors qu’autrefois il faisait tout ce qu’on lui ordonnait, prouve qu’il a perdu le jugement parce qu’il ne comprend plus ce qu’on lui dit de faire ; il a eu un mal, perdu l’intelligence. Les heurts qu’il éprouve contre les obstacles qu’il n’a pas su éviter indique encore qu’il a perdu l’instinct de la conservation ; l’arrêt de la mastication et son état de somnolence, les facultés sensionnelles. En résumé, nous voyons donc que l’immobilité n’est produite que par l’abolition ou la diminution de la mémoire, de l’intelligence, de l’instinct et des sensations, facultés qui font du cheval l’être le plus indispensable au point de vue des services qu’il peut rendre à l’homme, services qu’il ne peut plus effectuer quand il a perdu ses facultés. Or, toutes les fois que ces facultés ne se manifesteront pas dans leur état physiologique, il faudra rechercher quelle est la cause qui a produit cette aberration, et c’est ce que nous allons tâcher de faire ; mais avant il faut rechercher quel est le siège de leur élaboration. C’est, du reste, ce que les plus grands physiologistes de nos jours ont cherché et cherchent encore.

Pour cela, Flourens, en expérimentant sur des pigeons et des poules, a enlevé le cerveau couche par couche à ces animaux, et il a réussi à faire développer une immobilité artificielle. En effet, les animaux qui avaient été ainsi mutilés restaient dans la position où on les mettait et ne cherchaient pas à en prendre une meilleure ou moins fatigante. Les sensations spéciales étaient émoussées, car si on plaçait l’animal sur un tas de blé, il ne cherchait pas à manger. Lorsqu’on lui introduisait du grain dans la bouche, il ne l’avalait pas, et ce n’est que lorsqu’on le plaçait dans l’arrière bouche qu’il était dégluti, par suite d’un mouvement réflexe, qui se produisait par l’excitation de l’aliment sur la muqueuse du pharynx, excitation qui était transmise par l’intermédiaire des nerfs sensitifs à la moelle, sur laquelle elle se réfléchissait, se changeait en motrice et se transmettait, par l’intermédiaire des nerfs moteurs, aux muscles du pharynx et de l’œsophage, qui se contractaient péristaltiquement, mais sans l’intermédiaire de la volonté. Ce qui prouve bien que les sens de l’olfaction et de la gustation n’y prenaient aucune part, c’est que si on mettait des cailloux à la place du grain, les mêmes phénomènes se reproduiraient.

Ces expériences, faites par Flourens sur de petits animaux, ont été répétées par M. Colin sur des ruminants, des chevaux et des ânes. Il leur enlevait les hémisphères cérébraux ; ceux qui n’en mouraient pas présentaient les symptômes suivants, quand la douleur produite par cette opération avait complètement disparu : étant debout et au repos, ces animaux restaient dans un état stationnaire et ne remuaient pas, mais les positions qu’ils prenaient étaient vicieuses. Les sensations étaient comme éteintes, car si on les commandait, ils n’obéissaient pas et restaient toujours dans un état complet d’immobilité. Quand on les excitait, soit par des piqûres ou des coups portés sur les oreilles, ils se mettaient en marche, les mouvements qu’ils exécutaient étaient mal coordonnés et se faisaient d’une manière automatique. Ils se dirigeaient toujours suivant une ligne droite, sans se soucier des obstacles qu’ils pouvaient rencontrer sur leur route ; ils buttaient souvent, se heurtaient contre eux, tombaient à terre et n’exécutaient pas le moindre mouvement pour se relever. Ils étaient constamment plongés dans un état de somnolence.

Comme nous venons de le voir, Flourens et Colin, et avec eux un grand nombre d’autres physiologistes, ont obtenu, par l’ablation totale ou partielle des hémisphères cérébraux, des symptômes qui sont identiques avec ceux que l’on rencontre dans l’immobilité. En effet, ces animaux ainsi mutilés ont la volonté, l’instinct, l’intelligence et les sensations complètement abolies ou diminuées dans leur manifestation, toutes choses que l’on rencontre, comme nous l’avons déjà vu, dans l’immobilité.

Nous devons donc conclure de cela que l’immobilité est une affection qui a pour siège le cerveau ; maintenant il ne nous reste plus qu’à rechercher quelles sont les lésions qui peuvent altérer cet organe. Il est évident que nous n’allons pas examiner toutes ces lésions, et nous nous bornerons à celles qu’on trouve généralement à l’autopsie des chevaux immobiles, c’est-à-dire de celles que nous avons énumérées à l’article Anatomie pathologique.

Nous verrons tout naturellement en premier lieu l’hydrocéphale. Certains auteurs, parmi lesquels se range Magendié, admettent que l’hydrocéphale peut faire développer les symptômes de l’immobilité, parce qu’ils regardent les corps striés comme l’organe élaborateur des mouvements du recul. Dès lors, l’accumulation de sérosité dans les ventricules comprimerait ces organes, les paralyserait, et la difficulté du recul, qui est, comme on le sait, un des symptômes les plus caractéristiques de l’immobilité, serait produite de cette manière. Mais cette explication de la nature de cette affection ne nous paraît guère plausible, car, en effet, Magendié n’explique ainsi qu’un seul symptôme et ne s’est pas assez occupé des facultés intellectuelles qui sont atteintes dans cette affection. Il est bien plus rationnel de mettre ces mouvements sous la dépendance d’une impulsion produite par le cerveau, et alors on pourra non-seulement s’expliquer leur difficulté, mais encore tous les symptômes qui apparaissent dans l’immobilité. C’est, du reste, ce que nous prouvent les expériences que nous avons mentionnées plus haut, de Flourens, Longet et Colin.

Les partisans de la doctrine de Gall, qui localisent chacune des facultés dans une des circonvolutions cérébrales, se demandent comment il peut se faire que l’accumulation de sérosité dans les ventricules, qui n’exerce qu’une destruction partielle du cerveau, puisse faire perdre toutes les facultés à l’animal qui en est atteint. Aussi ils n’admettent pas que l’hydrocéphale puisse faire développer tous les symptômes de l’immobilité ; tout au plus si elle pourrait en produire quelques uns, qui ne seraient autres que l’abolition des facultés propres aux circonvolutions détruites par la compression. Mais cette prétendue science de la phrénologie n’a jamais existé que dans le cerveau de ceux qui l’ont inventée ; les expériences de Flourens et de Colin prouvent qu’elle n’existe pas ; elle n’est, du reste, admise aujourd’hui par aucun physiologiste. Si par l’expérimentation on exerce une seule circonvolution, on ne détruit pas une seule faculté, mais toutes s’affaiblissent.

Il en est de même lorsqu’on exerce le cerveau à la surface seulement. Toutes les facultés s’affaiblissent de plus en plus à mesure que la quantité de substance enlevée est plus grande ; elles disparaissent complètement quand le cerveau est détruit en entier. Il est fort probable que ce que l’on obtient par l’expérimentation se produise aussi dans l’état pathologique, et l’accumulation de sérosité dans les ventricules du cerveau, qui comprime la substance cérébrale, amène sans doute la paralysie de celle-ci, et par suite la perte des facultés qui lui sont propres. Maintenant il nous sera facile de comprendre que la compression exercée sur les parois des ventricules peut amener la diminution de toutes les facultés intellectuelles, diminution qui sera proportionnelle à la compression, c’est-à-dire à la quantité de substance cérébrale paralysée.

Pour ce qui est des diverses tumeurs siégeant dans les plexus choroïdes, elles produisent les mêmes résultats que l’hydropisie ventriculaire, car leur nature influe bien peu sur la manifestation des symptômes elles n’agissent encore que par la compression qu’elles exercent sur la substance encéphalique.

Dans les cas de protubérances osseuses de la face interne du crâne, il en est de même, car ces tumeurs, en comprimant les hémisphères cérébraux, ont pour effet d’amoindrir leur activité comme organes des sensations, de l’intelligence, de la volonté, de l’instinct et du mouvement.

Ces effets se traduisent par les symptômes de l’immobilité, de la même manière que ceux qui résultent de la destruction artificielle, portant sur la même région de l’encéphale.

Ce que nous avons dit pour l’hydrocéphale, les tumeurs des plexus choroïdes, les protubérances osseuses, nous pouvons le dire pour toutes les tumeurs qui peuvent se développer dans n’importe quelle autre région du crâne. Elles produisent le même effet, pourvu qu’elles aient une marche lente, chronique en quelque sorte, car si elles avaient une marche rapide dans leur développement, elles irriteraient fortement la substance cérébrale, l’enflammeraient et se traduiraient alors par les symptômes de la méningo encéphalite aiguë.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à examiner les lésions de la méningo encéphalite chronique qui, comme nous l’avons déjà dit, lorsqu’elle ne se termine pas par des paralysies, se manifeste par les mêmes symptômes que l’immobilité. L’épaississement de la dure-mère, les exsudats de la pie-mère, les fausses membranes de l’arachnoïde, le ramollissement de la substance cérébrale et les exsudats divers qui se trouvent dans celles-ci, sont autant de lésions de la méningo encéphalite chronique, qui emmènent toujours suffisamment des désordres dans le cerveau pour expliquer les symptômes de l’immobilité.

Nous concluons donc que l’immobilité est due le plus souvent à la destruction d’une plus ou moins grande quantité de substance encéphalique produite par des lésions très diverses.

Cependant on a dit avoir vu des chevaux qui ne présentaient aucun des symptômes de l’immobilité pendant leur vie, et à l’autopsie desquels on a trouvé soit des lésions de l’hydrocéphale, soit encore des tumeurs des plexus choroïdes. On en a conclu que ces lésions ne pouvaient pas être regardées comme cause de l’immobilité. Cela ne prouve absolument rien, car il peut fort bien se faire que ces lésions existent et qu’elles n’aient pas produit des délabrements suffisants dans la substance encéphalique, pour faire développer les symptômes de cette affection. Les auteurs qui ont fait ces observations restent muets à l’endroit des lésions produites sur l’encéphale par ces processus morbides, c’est probablement parce qu’il n’y en avait pas.

Enfin il arrive quelquefois qu’à l’autopsie de chevaux immobiles, on ne trouve rien qui puisse expliquer l’existence de cette affection. Mais, comme nous l’avons déjà dit, ce peut être dû au défaut de développement des organes encéphaliques, et la substance cérébrale serait alors comprimée par ses parois propres. Il serait important que les vétérinaires observateurs, qui rencontrent des cas pareils, donnent une description exacte de la conformation du sujet, afin qu’on puisse faire disparaître l’immobilité de cette classe des névroses, qui, à proprement parler, n’en est pas une, puisqu’elle contient des maladies dont la nature est inconnue et différant beaucoup entre elles. L’immobilité, comme nous venons de le voir par l’examen de ses symptômes et de son anatomie pathologique, pourrait être regardée au moins comme étant très analogue à l’idiotisme de l’homme, si elle ne lui est pas identique.

Cette maladie, qui était autrefois classée, en médecine humaine, parmi les névroses, en a été retranchée aujourd’hui par suite des études plus approfondies qui ont été faites sur elles.


PRONOSTIC


Considérée d’une manière générale, l’immobilité est d’une gravité extrême, et il est bien rare que l’animal qui en a présenté les symptômes revienne à son état normal. On peut même assurer qu’un cheval immobile l’est pour toute sa vie. Néanmoins, les symptômes par lesquels elle se manifeste n’ont pas toujours le même degré d’intensité ; cela dépend de certaines influences, qui sont : les saisons, le régime, le travail, et aussi de la maladie qui peut s’exagérer et donner lieu à des phénomènes de plus en plus accusés. Mais ceci n’a lieu que pour les cas d’immobilité produits par l’hydrocéphale et les tumeurs externes ou internes.

Celle qui est produite par la méningo encéphalite chronique peut guérir, car dans ce cas la résorption des exsudats peut avoir lieu, et si la compression que ceux-ci exerçaient n’a pas eu pour conséquence une altération définitive de la substance de l’encéphale, l’immobilité peut disparaître avec la cause qui l’avait produite. Malgré cela, on devra toujours se tenir sur une extrême réserve quand on sera consulté pour formuler un jugement sur la gravité de cet état morbide.

Au point de vue économique, les différentes manifestations de l’immobilité présentent des différences bien grandes. Ainsi, quand elle se traduit avec toute la série des symptômes que nous avons énumérés, le cheval immobile, véritable automate, qui n’a conscience ni de ses actions, ni de ses mouvements, et qui n’est plus dirigé par sa volonté, ne peut être utilisé pour aucun service, car son emploi devient dangereux, et il vaut mieux, dans ce cas, le faire abattre.

Mais lorsque la condition organique, d’où dépend leur mal, ne produit que des effets modérés, et que les mouvements ne sont pas encore bien gênés, ils peuvent être utilisés, mais pour de services spéciaux seulement, comme, par exemple, le service du pas dans les campagnes, car dans les grandes villes le bruit, les excitations des conducteurs, sont autant de conditions qui peuvent donner lieu à des manifestations symptomatiques exagérées.


ÉTIOLOGIE


Les causes qui peuvent faire développer les symptômes de l’immobilité ne sont pas connu d’une manière très exacte. Les divers auteurs ont réuni jusqu’ici toutes les observations qui ont été publié ou qu’ils ont vues eux-mêmes, ainsi que toutes les conditions dans lesquelles se trouvaient ces animaux. Ils en ont fait ainsi une étiologie de l’immobilité, de sorte que ceux qui ont considéré cette affection comme une maladie toujours identique à elle-même, quant à sa manifestation et à sa nature, ont aussi considéré comme pouvant la faire développer, des causes qui sont très disparate, et n’ayant pas le moindre rapport entre elles.

Ainsi, on a considéré comme cause prédominante à l’immobilité, la tête busquée, parce que cela amène une étroitesse du crâne, par conséquent elle ne pourrait se développer d’après cela que chez les chevaux normands, les danois, etc. ; mais on sait fort bien qu’on peut la rencontrer aussi chez des chevaux anglais et des bretons qui présentent une belle conformation de la tête. C’est ce qui prouve qu’on ne doit pas considérer la conformation busquée de la tête comme une cause générale de l’immobilité, mais comme une cause spéciale, ne pouvant probablement faire développer que cette immobilité, qui ne présente pas de lésions à l’autopsie.

L’immobilité de chevaux à tête bien conformée coïncide avec une des lésions que nous avons signalées, car en effet la conformation de la tête n’exerce pas une influence marquée sur la production de la méningo encéphalite aiguë ou chronique, pas plus que sur les diverses tumeurs du crâne, qui peuvent plutôt être considérées comme étant sous l’influence d’une diathèse.

L’âge a aussi été indiqué comme étant une cause prédisposante, et on prétend avoir vu l’immobilité se produire principalement dans la période de l’âge adulte, mais on ne sait pas comment il agit. Nous ne discuterons pas que l’immobilité se manifeste plus souvent dans la période adulte que dans n’importe qu’elle autre que ce soit, mais nous pouvons affirmer qu’elle se présente souvent aussi dans la vieillesse.

Comme on le voit, on ne peut pas faire un exposé général des causes qui peuvent provoquer l’immobilité, et il vaudrait mieux, à ce que nous pensons, prendre en considération l’affection elle-même qui fait développer les symptômes de l’immobilité. Alors toutes ces causes si disparates entre elles pourraient fort bien être interprétées, car ces affections étant elles-mêmes fort diverses, les causes qui les font développer doivent l’être aussi.

Toulouse, le 1er juin 1877.


F.VEDEL.