De l’industrialisme du moyen-âge

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DE L’INDUSTRIALISME
DU MOYEN-ÂGE

Il est une époque de l’histoire que la plupart des écrivains ont vue avec horreur, et traitée avec injustice c’est le moyen-âge. Là, s’il faut les en croire ; sont venus s’engloutir les arts, les lettres, les sciences, les vertus, tout ce que l’ancien monde avait de puissance et de grandeur. Siècles maudits, sur lesquels pèse l’anathème ; espèce de gouffre obscur, jeté par la Providence entre la civilisation antique et la civilisation moderne. Sur les deux rives opposées, ils vous montrent, d’une part, les républiques grecques et romaines brillantes de gloire ; de l’autre, l’organisation de la société européenne qui surgit tout à coup, sans préparation, sans enfance et sans jeunesse. Le contraste est frappant, l’effet est pittoresque. A ce tableau bizarre il ne manque que la vérité.

Il est faux que la domination romaine ait été aussi brillante, et le moyen-âge aussi déplorable qu’on l’a prétendu. Quand César et Pompée se disputèrent l’empire, déjà Rome avait cessé d’exister par ses vertus ; sa force morale était détruite. Suivez le cours des annales romaines depuis le règne d’Auguste : vous voyez tout se pervertir avec une rapidité effroyable. Les institutions antiques, détournées de leur véritable but, ne sont plus que des instrumens de meurtre, de débauche et de rapine. Le peuple est sans droits et sans espérance ; l’industrie s’éteint ; quelques grands propriétaires s’emparent de tout ; on voit un sénateur posséder des provinces entières, et les spolier à son profit. L’Afrique, avec ses trois cents évêchés, devient le patrimoine de cinq familles. Aux extorsions du fisc, au luxe effréné de la cour, aux dogmes d’une obéissance passive, joignez la misère des prolétaires, les paysans affamés, les citoyens sans patrie, les propriétés sans garantie, le trône à l’encan, la défense de l’État confiée à des mercenaires, qui convoitent le diadème, et l’achètent ou le volent ; l’empire sans armes contre les invasions, les grands sans asile contre la haine du peuple. Dans une telle situation, il fallait que Rome pérît : c’était une proie offerte et déjà corrompue. Les nations barbares, averties par cet instinct qui ne trompe ni les peuples ni les bêtes de proie, fondirent sur elle.

Ici les accusations répétées par tous les historiens sont des calomnies. Vandales et Huns ne détruisirent point les chefs-d’œuvre des arts, n’étouffèrent pas le génie. Bien long-temps avant leur incursion, la force de l’intelligence et de l’ame avait disparu du sein de Rome avilie. Esclaves, rhéteurs, scoliastes, sophistes, avaient succédé à la noble race des Quirites. Les mœurs étaient suspendues entre la superstition et la débauche. Depuis l’époque des Antonins, l’esprit humain, se rapetissant toujours, en était venu aux puérils jeux de la décrépitude. Lisez Claudien : c’est le seul poète remarquable de ces temps sans énergie. Vide et creux, il retentit comme la cloche dans les airs, et ne dit rien à la pensée. Jetez les yeux sur les mauvaises sculptures des dernières années de l’Empiré : quel goût ! quelle absence de tout génie ! Les barbares n’enchaînèrent pas Rome, ils ne conquirent que son cadavre : ce fut pour le régénérer.

Allons plus loin : cette décadence était indispensable ; les antiques sociétés avaient fait leur temps. Basées sur le privilège, c’est-à-dire sur l’injustice, elles devaient finir comme tout ce qui est inique. L’esclavage, véritable fondement de la grandeur antique, devait se trouver aboli par l’excès même d’un si déplorable abus. Quand on vendait les hommes trois drachmes la pièce, ainsi que Plutarque le rapporte, il était impossible que cet état de choses durât long-temps ; Rome, à l’apogée de sa puissance, n’avait été qu’un phénomène peu regrettable. Habitans d’un camp, sous forme de ville, ces guerriers, qui composaient un grand bataillon destiné à l’asservissement du monde, n’avaient inventé qu’une aristocratie de soldats. Rome républicaine a peu de droits à la reconnaissance des hommes ; et cette Rome impériale, dont les vices seuls, sont gigantesques, n’est-elle pas l’effroi de l’histoire ? C’est Messaline couronnée.

Que l’on admire les vertus de Rome, mais que l’on sache juger ses crimes. Les tyrans du globe vivaient par le travail des esclaves ; la richesse du Capitole était alimentée par l’univers appauvri. En dépit de ces chefs-d’œuvre d’imagination et de goût que Rome et la Grèce nous ont légués, la civilisation était peu avancée encore. On avait trop de mépris pour les arts utiles. La science se composait d’erreurs poétiques, et la morale d’exagérations sublimes ; l’égalité des devoirs et des droits entre les membres de la famille humaine était ignorée. Au milieu des jouissances du luxe et des recherches de la volupté, le bien-être manquait à la vie. Quand la civilisation ancienne eut porté ses fruits, et que, fatiguée par ses efforts et ses fautes, elle tomba de lassitude, les barbares vinrent briser le moule de ces institutions vieillies : le monde changea de face.

C’est cette période de convulsion et de régénération qui, sous le nom de moyen-âge, a été en butte à des accusations si légères. Orage fertile, tempête nécessaire, qui bouleversa tous les élémens sociaux, pour les classer et les animer d’une vie nouvelle. Vous diriez la fournaise ardente, où tout se trouve en fusion. C’est là que se prépare la société moderne. On crée, on essaie, on invente ; les futiles occupations des rhéteurs sont étouffées par l’urgence d’une telle époque. Toutes les découvertes auxquelles nous devons notre supériorité incontestable datent de ces dix siècles, taxés de barbarie et d’ignorance. Une vigueur extraordinaire s’empare de tous les membres du corps social, naguère paralysé. Un nouveau sang circule dans les veines du vieil Éson. A la voluptueuse lâcheté des habitans de l’Empire succède la farouche humeur des conquérans. Instrumens aveugles d’une rénovation nécessaire, ils portent le fer et le feu dans ces plaies profondes que la corruption a gangrenées. Ils arrêtent ainsi la lente dissolution qui dévorait l’espèce humaine.

Alors toutes les relations sociales changent ; les propriétés sont morcelées ; la vassalité, espèce de servitude adoucie, prépare l’abolition de l’esclavage. Malgré l’oppression inhérente à la conquête, le nouveau mode de justice et d’organisation sociale développe avec plus d’énergie les facultés humaines. L’esprit d’association, spécialement propre aux Germains, se répand dans le peuplé vaincu. Dans les villes abandonnées par les grands propriétaires se forment les corporations. Une classe d’hommes livrée à des travaux industriels acquiert et mérite son indépendance. La bourgeoisie naît ; elle oppose une barrière puissante aux usurpations de la propriété territoriale. Aldermen de Londres, magistrats des républiques italiennes, se rangent parmi les puissans de la terre ; quelques-uns déploient des vertus héroïques. Vous reconnaissez déjà tous les germes de la liberté, de l’industrie modernes. Hardiesse, vigueur, témérité, sont les caractères de l’époque. Que de personnages extraordinaires ! que d’actions sublimes ! Les rois sont dignes du trône ; les hommes d’État ne se contentent pas d’intrigues obscures : ce sont des guerriers et des savans. Charlemagne, Philippe-Auguste et saint Louis ; les monarques saxons, Alfred et Canut ; Richard Cœur-de-Lion et le Prince-Noir ; Gerbert et Hildebrand : quels noms ! quels hommes. !

Les calamités de cette époque orageuse furent fertiles en bienfaits que l’avenir a recueillis. L’Orient, avec lequel l’Europe eut des relations fréquentes, nous enrichit d’une foule de découvertes que nous avons perfectionnées. Le génie de l’homme, se dévouant à la recherche des moyens d’avancer l’industrie, produisit toutes les inventions qui ont changé le monde. Le nombre de ces inventions est surprenant ; leur berceau n’est pas moins merveilleux. Tantôt, elles traversent les mers, et, des rives du Gange, arrivent jusqu’à nous ; tantôt elles éclosent dans les murs de quelque obscur monastère. On profite d’elles en oubliant leur origine ; et tandis que le nom du plus mauvais poète se perpétue, grâce aux commentateurs, et aux savans, le nom de l’utile inventeur du papier reste plongé dans une obscurité profonde.

Dès les premières années du moyen-âge on voit s’élever des hôpitaux, des asiles pour les enfans trouvés et les vieillards, des maisons de retraite[1] pour les pauvres, établissemens qui, sous l’influence du christianisme, devinrent bientôt communs à tous les peuples civilisés. Quelques coutumes des barbares, adoptées par les vaincus, ajoutent au luxe et aux jouissances de la vie : tel est l’usage des pelleteries et des fourrures[2], que les Romains ignoraient. Les anciens montaient à cheval sans étriers et sans selle[3] ; cet usage date du cinquième siècle. On n’avait employé, jusqu’au huitième siècle, que le parchemin, le papyrus et les tablettes enduites de cire pour y inscrire ses pensées. Un nommé Amru, de la Mecque, imagine, vers l’année 706 de notre ère, de piler le carton pour en faire du papier[4]. Le papier de chiffons est inventé vers 1250 ; l’érudit Montfaucon a vainement essayé de remonter à la véritable origine de cette invention si précieuse[5]. Pendant le cours du dixième siècle, au sein de la barbarie la plus profonde, des moines oisifs inventent les horloges. Auparavant on se servait de clepsydres, de sabliers et de gnomons[6]. Vers le onzième siècle, les bénédictins élèvent les premiers moulins à vent dans leurs domaines[7]. Un bourgeois de Middlebourg invente les lunettes, et fournit à Copernic et à Newton les instrumens de leurs conquêtes. L’invention de la boussole, ou plutôt la découverte de la polarité de l’aimant se perd dans les ténèbres du onzième siècle. Les Arabes, cent ans plus tard, nous donnent l’alun, le sel ammoniac et l’eau forte[8], substance dont l’emploi à créer tant de nouvelles industries. Les juifs établissent en Orient de vastes fabriques de teinture. L’industrie enrichit Venise, les villes libres des Pays-Bas, et prépare la grandeur de Florence. Linné prétend que la plupart des végétaux qui servent à notre nourriture ont été apportés par les Goths en Europe, et cultivés par les moines : il cite le houblon, les épinards, l’artichaut, parmi ces nouveaux alimens[9]. Les signaux employés dans la tactique navale datent de l’empire grec[10]. L’éclairage et le pavage des rues remontent à la même origine[11]. Les premières cheminées furent construite à Venise, ou, selon Villani[12], à Florence, au treizième siècle. La poudre à canon, dont les Indiens connaissaient le secret[13], fut communiquée aux Arabes par ces derniers, et aux Européens par les Arabes, vers le commencement du quatorzième siècle. L’imprimerie et la gravure, qui ont une commune origine, et dont la découverte fut préparée de longue main par l’habitude de graver sur bois des légendes et des images, appartiennent à la même époque[14]. L’invention de la peinture à l’huile, faussement attribué à Van-Eyck, remonte un siècle plus loin ; un tableau de Jean de Mutina, peint à l’huile sur bois, porte la date de 1280[15]. L’art de fabriquer des miroirs de verre, en interceptant les rayons solaires, au moyen d’une couche de vif-argent, n’était point connu avant le quatorzième siècle[16]. A la même époque, on commença à soumettre le commerce à un code spécial ; les lettres-de-change furent inventées. Barcelone eut son Code maritime[17], qui servit de modèle à toutes les lois commerciales portées dans la suite sur le même sujet. Le tricot et la dentelle furent inventés en Italie. Si nous voulions descendre jusqu’aux plus vulgaires détails, nous ne craindrions pas de citer plusieurs usages domestiques, regardés aujourd’hui comme indispensables, et qui furent mis en vogue par les Italiens du moyen-âge : tel est l’usage des fourchettes[18] et celui du tournebroche[19]. Je ne parle pas des résultats si nombreux de la grande découverte de Colomb : la cochenille, la canne à sucre, une multitude de substances utiles et nouvelles sont dues à la même cause, qui se rapporte elle-même à l’invention, de la boussole.

Que l’on me cite un espace de dix siècles, qui ait produit des résultats plus positifs, et contribué d’une manière plus évidente à l’amélioration et au bien-être des hommes. Si l’on dédaigne de fixer son attention sur cette foule de découvertes dont je n’ai pu donner qu’une liste incomplète, du moins voudra-t-on reconnaître l’influence de trois inventions que j’ai signalées. La polarité de l’aimant, obscurément connue dès le onzième siècle, a soumis à la puissance de l’homme l’élément le plus rebelle, ouvert un nouveau monde à notre industrie, multiplié nos jouissances et agrandi la sphère de nos idées. L’invention de la poudre à canon a changé en géométrie savante la lutte brutale des forces physiques, garanti à jamais les peuples civilisés de l’invasion des barbares, et rendu impossible à l’avenir l’établissement de la féodalité. L’imprimerie, en multipliant les témoignages connaissances humaines, a préparé la liberté d’examen. Tribune élevée au milieu de l’Europe, elle a convoqué toutes les nations à ses leçons, à ses jugemens et à ses fêtes. La pensée de l’homme s’est empreinte d’immortalité. L’ignorance à jamais bannie ; le passé, le présent et l’avenir, unis par une chaîne électrique ; les documens de la science conservés dans leur intégrité : ces bienfaits immenses émanent d’une découverte simple en elle-même, lentement élaborée pendant le moyen-âge, et née des pratiques de la superstition la plus crédule.

Telles sont les bases sur lesquelles s’est élevée la grandeur des sociétés modernes. C’est au fond du moyen-âge qu’il faut les chercher. Si nous avons dépassé les peuples anciens, ce n’est qu’en suivant le sillon tracé par nos pères. Leur scolastique a frayé la route à nos sciences morales ; leur astrologie à notre astronomie, leur alchimie à notre chimie. Que serions-nous si le Nouveau-Monde n’était pas découvert ; si l’imprimerie n’était pas inventée ; si l’esclavage n’était pas aboli ; si la guerre se faisait encore à coups de frondes et de flèches ; si les instrumens d’optique avaient manqué aux astronomes ? Ne flétrissons pas la mémoire des hommes qui ont préparé nos jouissances, notre gloire et notre orgueil. Ils manquaient de goût sans doute, et, jetés dans une époque sanglante, et confuse, ils n’ont pas égalé, dans les arts d’imagination, les peuples heureux qui les précédèrent. Cependant sous ce rapport ils ont leurs titres à faire valoir. Qui s’est promené sous les voûtes de la cathédrale de Cologne, sous les arceaux de Westminster à Londres, sans rester pénétré d’admiration pour le génie qui disposa ces masses et tailla ces forêts de pierre ? Jamais l’architecture ne sut frapper les hommes d’un sentiment plus profond de terreur sacrée. C’est l’élégance dans l’originalité, c’est le sublime dans tout ce qu’il a de plus ; grandiose et de mystérieux. Le monde réel, la vie positive s’effacent sous ces longs pilastres, sous ces voûtes immenses. Vous avez quitté la terre ; un monde religieux vous environne.

Dix siècles, féconds en intelligences hautes, en ames fières et ardentes, devaient avoir leur poésie. Sans parler des bardes et des scaldes, qui appartiennent à l’époque antérieure, tout le génie poétique du moyen-âge s’est concentré dans le poème du Dante. Je ne cite ni les troubadours, ni les minnessinger dont la renommée peut être contestée. Égarés par une malheureuse imitation des sophistes grecs, les scolastiques épuisèrent dans des investigations sans limites l’incroyable subtilité de leur esprit ; Alcuin, Bède, Thomas d’Aquin, Scot, une foule d’autres, ont eu peu de rivaux en fait de sagacité dialectique, de pénétration, de profondeur métaphysique. Citons seulement l’admirable Roger Bacon, qui devina du fond de sa cellule les plus grands problèmes de la mécanique, annonça la possibilité de traverser les airs au moyen d’un gaz plus léger que l’atmosphère, et prévit quelques-unes des merveilles que l’emploi de la vapeur devait opérer dix siècles plus tard.

Si les études étaient alors mal dirigées, si la science était confuse et étroite, on suppléait à ce défaut par l’étude des hommes. Les relations entre les différens peuples étaient fréquentes et favorisaient les communications des lumières. Tout le monde voyageait ; chevaliers, marchands, artisans, femmes même, pélerins et pélerines, allaient sans cesse d’une ville à l’autre, et couraient les châteaux ; l’échange des idées, des mœurs et des doctrines était universel. Ainsi s’accomplissait l’éducation européenne ; et quand les croisades eurent ajouté à ce grand mouvement une foule de richesse nouvelle, de documens et de connaissances empruntés à l’Asie ; quand la découverte du Nouveau-Monde eut grossi ce trésor ; quand toutes les sectes opposés eurent remué jusque dans leurs dernières profondeurs les questions métaphysiques ; quand la formation des milices et l’usage des armes à feu eurent détruit l’organisation féodale, tout fut préparé, la nouvelle Europe naquit.

Qui voudra juger le moyen-âge sous un rapport purement littéraire trouvera plus d’un motif de le rabaisser. Grégoire de Tours opposé à Tite-Live, l’auteur de la Philippéide comparé à Virgile, offriront à l’écrivain superficiel des ressources d’épigrammes faciles et injustes. Il ne faut pas non plus apprécier le moyen-âge d’après les maux que le genre humain a éprouvés pendant ces dix siècles. Une fièvre ardente le consumait : c’était le chaos sur lequel l’esprit de Dieu planait.

Jugez-le par ses résultats. Comptez ces découvertes qui ont agrandi le cercle de nos connaissances. Mesurez ces matériaux entassés par lui pour le bénéfice des nations futures. La liberté politique, à laquelle nous attachons tant d’importance, émane du Wittenagemot, de l’esprit d’association germanique, des droits de la bourgeoisie, de la grande Charte arrachée au roi Jean. Notre industrie doit tout aux inventions que j’ai indiquées plus haut. Les facultés humaines se sont réveillées depuis que la classe moyenne a pris son rang entre les seigneurs et les serfs ; l’esclavage aboli a conduit pas à pas le genre humain vers cette grande doctrine de l’égalité entre les hommes. Long-temps esclaves, les femmes ont pris part aux mouvemens de la société, et jeté dans le monde moral ces germes de délicatesse, d’honneur, de grâce et de bon goût, qui ont donné aux peuples modernes un caractère et des nuances si remarquables par leur romanesque nouveauté.

Tel fut ce moyen-âge, avant-scène bizarre du drame compliqué de la société moderne, époque où devaient se confondre le paganisme mourant et le christianisme à sa naissance ; où les derniers soupirs des sociétés anciennes devaient se mêler aux premiers efforts et aux mouvemens confus d’une nouvelle organisation. Dans l’histoire des progrès de l’espèce humaine, point d’époque plus intéressante ; elle est grande par elle-même, sublime par ses résultats. Nous l’avons montrée, non sous le rapport poétique, mais sous un point de vue positif : nous avons prouvé que les vieilles institutions étaient anéanties, que leur régénération ne pouvait avoir lieu que par une secousse violente. Nous avons indiqué les bienfaits qui du sein de cette convulsion terrible se sont répandus sur l’avenir ; nous avons indiqué ces dix siècles de barbarie comme le berceau de nos institutions, de nos industries et de nos lois.

Pourquoi cette justice n’a-t-elle pas été rendue aux temps dont je viens de m’occuper ? C’est qu’on écrit l’histoire pour amuser les hommes et « qu’elle, amuse toujours, dit Cicéron, de quelque manière qu’on l’écrive : » aussi les annales de l’humanité ne sont-elles guère qu’un roman accrédité. Parcourez les six cents premières années de Rome républicaine ; tout y est prodige ; en vain les érudits ont-ils dévoué leurs veilles à l’éclaircissement du texte. Admettant les témoignages sans les peser, et les traditions sans les juger, ils-ont traité l’histoire comme la mythologie. Amadis de Gaule est aussi véridique que le premier volume de Tite-Live. Jusqu’à ces dernières années, où l’allemand Niebhur est venu déchirer ce grand voile de fictions, à peine quelques bons esprits avaient-ils soupçonné le mensonge. L’histoire tout entière n’est-elle donc qu’une vaste légende ?

Ph. Chasles.
  1. Sous Constantin. Voy. l’Histoire Byzantine.
  2. Vie de Charlemagne, par Eginhart.
  3. Voy. le Code Théodosien, livre 8, titre vii.
  4. Voy. Casiri, Bibliothèque arabico-espagnole, tom. ii, p. 9.
  5. Annal. Benedict. de Montfaucon.
  6. Le premier document authentique où il soit question de l’invention des horloges est une Vie de Guillaume, abbé d’Hirsau, par un anonyme (publiée à Vienne, par Stengel, en 1611)
  7. Annal. Benedict.
  8. Geber. De Inventione veritatis
  9. Amœnitates litterar. et academ., l. III, p. 88
  10. Voy. la Tactique de l’empereur Léon.
  11. Œuvres de Julien l’Apostat, Misopogon.
  12. Livre VII, chap. 121.
  13. Foster, Remarques sur Sakontala.
  14. Meerman. Recherches sur l’origine de l’imprimerie.
  15. Ce tableau fait partie de la galerie de Vienne. (V. Beeman, Inventions et Découvertes.)
  16. John Peckbram. Perspectiva communis.
  17. Le Consulat de la Mer. (Voy. Capmany. Memorias historicas, etc.)
  18. John Coryate’s Crudities.
  19. Voyez le curieux ouvrage de maître Barthélémy Scappi, Cuisinier secret de Pie V. (Opera di M. B. Scappi., Cuoco secreto, etc., Rome.)