De l’influence des femmes sur la littérature française comme protectrices des lettres et comme auteurs/Mademoiselle Bernard

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Mademoiselle Bernard, amie de Fontenelle, a fait quelques romans, loués à l’excès par Fontenelle ; le meilleur est Éléonore d’Yvrée. Mademoiselle Bernard fit jouer Laodamie, sa première tragédie, pièce très-foible d’invention et de style, mais qui eut cependant vingt représentations. Mademoiselle Bernard montra beaucoup plus de talent dans Brutus, sa seconde tragédie, qui eut vingt-cinq représentations. Il y a dans cette pièce, comme dans le Brutus de Voltaire, un envoyé de Tarquin, qui parle dans le sénat avec beaucoup de hardiesse et de noblesse ; cette tirade finit ainsi :

Les Romains sont en proie à leur aveuglement,
Ils ne consultent plus les lois, ni la justice,
Un caprice détruit ce qu’a fait un caprice.
Le peuple, en ne suivant que sa légèreté,
Se flatte d’exercer sa fausse liberté,
Et par cette cette licence impunément soufferte,
Triomphe de pouvoir travailler à sa perte.

Le plus grand mérite de cette pièce est d’avoir donné à Voltaire l’idée d’en faire une sur le même sujet. Brutus est peut-être la meilleure tragédie de ce grand poëte, qui n’a pas dédaigné de prendre dans la tragédie de mademoiselle Bernard, un mot d’une très-grande beauté. Voici les deux passages :

BRUTUS.

… N’achève pas ; dans l’horreur qui m’accable,

Ah ! laisse encor douter à mon esprit confus,
S’il me demeure an fils, ou si je n’en ai plus.

TITUS.

Non, vous n’en avez point……

Dans la pièce de Voltaire, Brutus dit :

De deux fils que j’aimois les dieux m’avoient fait père,
J’ai perdu l’un ; que dis-je ? ah ! malheureux Titus !

TITUS.

Non, vous n’en avez plus.

Mademoiselle Bernard a laissé beaucoup de jolies pièces fugitives en vers ; on cite entr’autres celle qui a pour titre : L’Imagination et le Bonheur.