De la Réforme pénitentiaire

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De la Réforme Pénitentiaire.

Une des questions les plus graves de notre époque est la réforme pénitentiaire. Des travaux remarquables ont été publiés sur cette question. MM. de Beaumont et Tocqueville, M. Vasselot, M. Bérenger, MM. de Metz et Blouet, l’ont approfondie dans tous les sens. Les conseils-généraux l’ont examinée sur plusieurs points. La presse devra maintenant la discuter. Son rôle est de préciser le système qui paraît le plus conforme au caractère et aux besoins de notre pays.

Dans une question de ce genre, l’opinion publique, livrée à elle-même, pourrait facilement s’égarer. Des préjugés anciens, des habitudes locales, une commisération puérile, un faux instinct de philantropie, protègent encore les innombrables abus qu’il faut détruire. Des esprits étroits et timides repoussent l’idée d’un changement, et encore plus la dépense qu’il peut entraîner : c’est à la presse de prouver que ce changement est nécessaire, que l’intérêt du pays l’exige, et que la réforme, dans tous les cas, ne peut être plus coûteuse que les abus.

Les états modernes, pour la plupart, ont modifié le régime de leurs prisons. La réforme, commencée en Flandre et en Angleterre ; s’est établie d’une manière plus large aux États-Unis. Seuls, parmi les nations que la liberté éclaire et mûrit, nous conservons des usages surannés que la justice et la raison condamnent. Nous commençons cependant à entreprendre l’amélioration matérielle du pays : pourquoi négliger son amélioration morale ? Plus nous sommes libres, plus nous devons songer à purifier les mœurs de la nation. Dans les gouvernemens où l’autorité est faible, et où la religion a peu d’empire sur les ames, c’est aux citoyens à se défendre eux-mêmes contre le flot des mauvaises passions, et à établir des règles rigoureuses, qui soient capables de protéger la société.

Aucun peuple n’a mieux compris cette vérité que les États-Unis. Dans ce gouvernement libre, où la loi politique est faible, la loi morale est forte. C’est dans cette loi que se trouve le véritable frein qui assure l’ordre, et qui a empêché jusqu’ici les révolutions. Aussi, c’est aux États-Unis que la réforme pénitentiaire a été étudiée avec le plus de soin. C’est là que tous les systèmes ont été le mieux éprouvés. L’expérience des États-Unis suffit donc en grande partie pour nous éclairer. Notre tâche sera d’appliquer ses résultats, avec les modifications que réclament nos mœurs et nos lois.

Deux systèmes pénitentiaires sont en balance aux États-Unis, ou plutôt l’un commence à perdre la faveur qu’on lui avait accordée jusqu’ici, c’est le système de Philadelphie. On sait que le système d’Auburn prescrit l’isolement des détenus pendant la nuit, avec travail en commun et en silence pendant le jour. Le système de Philadelphie prescrit l’emprisonnement solitaire jour et nuit, avec travail pendant le jour. Ce dernier système, après avoir appartenu exclusivement à la Pensylvanie, semble au moment d’être adopté par les autres états de l’Union. Le gouvernement anglais vient de se prononcer pour lui. Le motif de cette préférence vient des défauts que l’expérience a signalés dans le système d’Auburn.

La réforme pénitentiaire d’Auburn semblait, dans l’origine, offrir des garanties précieuses. L’isolement de nuit et le travail en silence pendant le jour paraissaient devoir empêcher la corruption. Le rapprochement silencieux des condamnés favorisait l’instruction primaire et l’enseignement industriel. De plus, le condamné était l’objet d’une surveillance perpétuelle, on pouvait facilement apprécier chaque jour par sa conduite la mesure de son repentir, et le changement moral qui s’opérait en lui. Tels étaient les avantages que le système d’Auburn semblait offrir. Mais l’application a prouvé que ce système était vicieux par le bas : le maintien absolu du silence a été reconnu impossible. L’emploi des châtimens corporels, infligés arbitrairement et avec une excessive rigueur, n’a pas même été un moyen infaillible d’obtenir le silence dans l’atelier d’Auburn ; et dès qu’on s’est privé de cette ressource, ainsi qu’on l’a fait à Westersfield, le pénitencier est devenu aussitôt un lieu de licence et de scandale, où la discipline n’a pu se rétablir qu’à coups de fouet. Il a été démontré ensuite que ce silence, obtenu par la terreur ne suffisait pas pour produire l’isolement moral des condamnés. Rapprochés les uns des autres, travaillant quelquefois aux mêmes métiers, forcés de résister sans cesse contre ce besoin de communication, si naturel à l’homme, et rendu si violent par la circonstance ; n’ayant par conséquent qu’une même pensée, celle de maudire leurs gardiens, et de tromper la vigilance qui les menace, tous les détenus, dans l’atelier d’Auburn, se lient par une solidarité de ressentimens et de souffrances ; association dangereuse qui est un germe de révolte dans le présent, et une source de rapports criminels pour l’avenir. Dans cette réunion contagieuse, où les mauvais sentimens sont sans cesse entretenus par les mauvais exemples, il est bien difficile que le cœur du condamné retourne au bien ; et si sa conversion s’opère dans la prison, il est encore plus difficile qu’elle se maintienne dans le monde où se retrouveront, pour le corrompre ou le flétrir, ceux qui ont partagé sa honte avec lui.

Tels sont les dangers du système d’Auburn. Celui de Philadelphie présente des garanties plus sûres. La séquestration absolue prévient toute espèce de contagion et de corruption entre les condamnés, pour le présent et pour l’avenir ; elle rend la surveillance plus facile et surtout plus humaine ; elle exclut les châtimens corporels qui nuisent à la réforme morale du condamné en le dégradant. Elle a surtout pour effet de provoquer le retour du condamné sur lui-même, de donner à ses réflexions une pente sérieuse, d’exalter en lui le sentiment du remords, et de lui offrir, dans le travail et dans la religion, des soulagemens nécessaires qu’il s’empresse d’accepter pour guérir son ame. La présence d’un prêtre, d’un inspecteur, d’un gardien, ou de toute autre personne dans la cellule solitaire de Philadelphie, est un bien que le condamné demande avec prière ; c’est une consolation qu’on lui donne. On a soin de la répéter assez souvent pour prévenir le désespoir qui pourrait naître d’une solitude trop longue ; et c’est dans ces entretiens, si ardemment désirés, et obtenus par l’accomplissement du devoir, que s’opèrent de véritables conversions, où la raison du condamné s’éclaire, où son cœur est profondément ému, et où sa persévérance dans le bien est garantie par l’isolement même qui le préserve de tout contact dangereux.

Il est possible que l’instruction primaire et industrielle soit d’une application plus prompte dans le système d’Auburn que dans celui de Pensylvanie, où la ressource de l’enseignement mutuel disparaît : mais il ne faut pas s’exagérer les avantages qu’on peut tirer de cet enseignement dans les prisons par la force des choses, il ne pourra jamais s’adresser qu’à un petit nombre de détenus. D’abord il faut excepter les prévenus et les accusés, dans l’intérêt desquels la séquestration permanente est obligée ; puis, parmi les condamnés eux-mêmes, ceux qui ont une instruction suffisante ou un métier ; ensuite, ceux qui ont des dispositions particulières pour telle étude ou profession, non pour telle autre ; enfin, ceux qui ne savent rien et ne veulent ou ne peuvent rien apprendre. Restent donc ceux qui pourront et qui voudront recevoir une instruction intellectuelle, apprendre le métier qu’on leur donnera, et dont l’emprisonnement sera d’une assez longue durée pour qu’on puisse leur enseigner l’un et l’autre : ceux-là seront toujours peu nombreux dans chaque pénitencier, et il suffira de quelques instructeurs pour répandre dans les cellules un enseignement qui ne sera jamais une charge bien lourde pour le budget.

Il ne faut pas oublier d’ailleurs que le premier objet du pénitencier, après l’expiation judiciaire, qui venge et qui rassure la société, c’est l’instruction morale. Celle-ci passe, selon moi, avant l’enseignement intellectuel et industriel : elle est la source et la garantie de toute réforme. Or, l’instruction morale aura toujours plus d’accès dans la solitude du condamné, livré à l’examen douloureux de sa vie et sous le poids de ses remords, que dans une réunion en masse, où le repentir sera sans cesse comprimé par une fausse honte, où la crainte d’être soupçonnés de lâcheté fera prendre aux plus timides un air de cynisme et d’effronterie, où les exhortations les plus pressantes n’exciteront souvent qu’un rire amer ou une indifférence stupide. Quel succès attendre d’une prédication religieuse dans une réunion d’hommes pour qui la religion a toujours été le sujet d’infâmes plaisanteries ? Portée au contraire dans la solitude des cachots, la parole du prêtre aura une autorité plus grande. Ses accens pourront d’ailleurs varier selon le caractère de ceux qui l’écouteront. Avant d’enseigner les vérités religieuses il pourra enseigner les vérités morales ; ce sera le moyen de préparer ces ames grossières à entendre avec respect, puis avec vénération les noms sacrés qu’elles ont souillés de leurs blasphèmes. Enfin, quand la semence religieuse aura ainsi pénétré dans les cachots par des entretiens individuels, rien n’empêchera que le prêtre ne donne à ses instructions un caractère plus animé et plus pathétique par le moyen des prédications. M. de Metz nous apprend que le système de Pensylvanie n’exclut pas les instructions religieuses en commun. « Un rideau placé, dit-il, au milieu de la galerie permet de laisser toutes les portes des cellules ouvertes, et les détenus, sans se voir, peuvent profiter tous à la fois des instructions du chapelain. » Ce moyen ingénieux concilie tout. Il permet à la parole évangélique de se communiquer à tous, sans troubler, chez les détenus, le recueillement qui est nécessaire pour le recevoir avec fruit.

Une grande simplicité dans les moyens d’exécution, une surveillance facile, point de révoltes à comprimer, point d’évasions à craindre, les associations coupables rendues impossible entre des hommes complètement séparés les uns des autres, la contagion détruite par l’isolement, la nécessité du travail et de la religion, seuls refuges où puissent s’abriter des ames tourmentées par la douleur ou par l’ennui, voilà ce qui recommande à nos yeux le système de Pensylvanie. Quant au système d’Auburn, la nécessité des châtimens corporels rend son adoption impossible pour la France. On peut, il est vrai, changer les châtimens corporels en une détention solitaire dans une cellule ténébreuse : c’était le plan du philantrope Howard, en 1773 ; mais ce système ne supprime pas tous les dangers qui peuvent naître de la communauté tacite des condamnés ; de plus, à la place d’un châtiment, il offre en quelque sorte un moyen de distraction et de repos. Ce qui fait l’horreur salutaire de la cellule de Pensylvanie, c’est que le condamné, en y entrant, sait que la porte en est fermée sur lui jusqu’à l’accomplissement de la peine ; mais pour le détenu qui se lassera de travailler en commun, et qui troublera l’ordre, quelques jours passés dans la cellule obscure, loin de troubler son ame, ne seront qu’une satisfaction donnée à sa paresse et à ses mauvais penchans. Si l’on trouve l’isolement absolu de Pensylvanie trop dur, si l’on craint, malgré les preuves contraires qui nous viennent des États-Unis, que la santé physique et morale des détenus ne résiste pas à une épreuve si forte, ce qu’on peut faire, c’est de l’adoucir en rendant les visites des employés et des étrangers plus fréquentes. Mais ce qu’il faut éviter par dessus tout, c’est l’aveuglement d’une sensibilité puérile, qui dénaturerait le but de la réforme par des concessions imprudentes à l’esprit de philantropie et qui laisserait ainsi subsister la moitié des abus dont nous souffrons.

La réforme doit être complète pour être sûre. Elle doit embrasser une foule de points que la raison publique, appuyée des résultats d’études profondes, aura bientôt résolus. C’est un scandale, dans notre siècle, que de voir le régime actuel de nos prisons. Le peuple le plus humain et le plus civilisé de la terre est celui qui renferme de ce côté le plus de fléaux. C’est un fait connu de tout le monde que nos prisons, malgré des améliorations récentes, n’engendrent que l’impunité, la corruption et l’expérience désastreuse du crime. Lisez le rapport de M. Bérenger, vous verrez que le nombre annuel des récidives monte à près de 9,000 ; il a doublé depuis six ans ; 110,000 individus, de tout âge et de tout sexe, entrent annuellement dans les prisons ; 40,000 libérés, soumis à la surveillance de la haute police, menacent notre ordre social, tandis que 40,000 autres individus, voleurs ou assassins de profession, cachent leurs crimes dans l’ombre, et réussissent à déjouer toutes les poursuites. Ajoutez 75,000 mendians, et au-delà de 1,830,000 indigens, que la misère livre sans défense aux séductions criminelles qui les entourent ; voilà la plaie qui dévore notre société. Pour lutter contre ce péril imminent, nous avons un système pénitentiaire qui l’aggrave de jour en jour. Point de séparation entre les détenus ; tous sont confondus pêle-mêle, nuit et jour, innocens ou coupables, accusés, prévenus ou condamnés, enfans ou vieillards, quelquefois même sans distinction de sexe ; dans le plus grand nombre des prisons, le travail est nul ; dans d’autres, les deux tiers du produit d’un travail machinal et presque libre sont absorbés en coupables dépenses par les prévenus. À Brest, les forçats travaillent jusqu’à midi ; ils boivent et se reposent jusqu’au soir, en jouant aux cartes. Les cantines, les pistoles, le denier de poche, le pécule, sont devenus des sources d’abus révoltans. Par suite de ces abus, une singulière inégalité s’est introduite dans la répression. L’absence du travail dans les maisons d’arrêt et de justice, prisons plus mal entretenues que toutes les autres, et destinées principalement aux accusés et aux prévenus, fait que ces derniers, privés du pécule et du denier de poche, sont plus à plaindre, quand ils sont pauvres, que les condamnés des maisons centrales, qui dépensent une partie de ce qu’ils gagnent ; et ceux-ci, à leur tour, sont moins favorisés que les forçats des bagnes qui travaillent en plein air, et qui trouvent dans leur existence plus de mouvement. Ainsi, plus on avance dans le crime, plus notre régime pénitentiaire s’adoucit. Il n’est pas besoin de dire que l’influence de la religion n’est comptée pour rien dans ces repaires affreux ; et l’enseignement intellectuel n’y pénètre pas plus que l’instruction morale,

Le seul remède est un changement complet, absolu, qui attaque le mal à sa racine, et qui le suive jusque dans ses derniers développemens.

On a demandé quels étaient les moyens d’arrêter la démoralisation de ces classes abjectes qui forment la lie des grandes villes, et que la corruption et la détresse tiennent toujours prêtes pour seconder tout attentat contre l’ordre social. Il faut s’occuper de résoudre cette question, la première de toutes. La misère dépravée est la source la plus féconde du crime ; il faut chercher les moyens de la tarir.

Dans ce but, une des premières réformes à introduire, c’est celle des maisons de correction, destinées à réprimer les égaremens d’une jeunesse vicieuse, et à la remettre dans le droit chemin. Ces maisons ne sont aujourd’hui que des écoles de crime. Quiconque en franchit le seuil est perdu pour la société. Les juges craignent d’y envoyer les enfans coupables ; et les parens n’osent user de ce moyen, qui est dans leur droit, pour purifier leur famille des membres qui la corrompent. La dépravation, si grande qu’elle soit, est toujours moins forte au dehors de ces prisons qu’au dedans. Les États-Unis offrent à cet égard l’exemple admirable de leurs maisons de refuge. Quelques hommes vertueux ont déjà mis chez nous, pour leur propre compte, cet exemple en pratique : c’est au gouvernement de développer leur œuvre, et de l’organiser sur tous les points.

La translation des détenus a déjà éveillé le zèle de l’administration. Le service des chaînes est supprimé. La France ne verra plus ces expositions lentes, qui outrageaient la pudeur publique par le cynisme le plus révoltant. Le ministre de l’intérieur, M. de Montalivet, dont le nom se rattache à tant de réformes utiles dans l’administration, a adopté pour le transport des forçats le système cellulaire. Il est à désirer que ce système s’applique à toutes les autres catégories de détenus.

Il est important aussi de fixer le sort des prévenus et des accusés dans les prisons. Nous l’avons dit, les maisons qui les renferment sont celles où les abus sont le plus à déplorer. Tout le monde comprendra que l’isolement absolu doit être adopté pour les prévenus et pour les accusés sans restriction. Des conseils-généraux ont prétendu que cet isolement serait une peine qu’on n’avait pas le droit de leur infliger. Cet isolement, loin d’être une peine, est une protection pour eux. Il défend leurs mœurs et leur innocence présumée contre toute communication corruptrice. Du reste, leur cellule ne peut être soumise à une règle sévère. On pourra y introduire les soulagemens que l’ordre et la garantie de la justice ne repousseront pas.

Quant aux condamnés, tout ce que nous avons dit sur la réforme pénitentiaire les concerne principalement. Que l’on adopte le régime d’Auburn ou celui de Pensylvanie, les principes désormais établis seront : la séparation complète des détenus pendant la nuit, leur isolement, au moins moral, pendant le jour, le travail, l’instruction morale et religieuse. Ces principales réformes en amènent d’autres, qui s’enchaînent étroitement avec elles. Ainsi, le système cellulaire rend les classifications inutiles, et entraîne l’uniformité des peines, qui ne différeront que par la durée. Le système de Pensylvanie aurait surtout l’avantage de faciliter les rapprochemens des crimes et des âges les plus différens dans une même prison. Comme la séparation serait permanente, ce rapprochement n’offrirait point de dangers.

Les cantines et les pistoles sont des abus qu’il faut bannir de toutes les prisons où se trouvent des condamnés. L’inégalité de la répression pour les mêmes délits ou les mêmes crimes est contre le vœu de la loi. Il en est de même du denier de poche, et, selon nous, du pécule. Le travail du condamné est dû à la société, comme réparation du tort qu’il lui a causé et comme indemnité des charges qu’il lui coûte. Tout ce que peut faire la société, tant que le détenu est en prison, c’est de lui commander un travail utile qui lui assure pour l’avenir la connaissance d’une profession ou d’un métier.

Mais il y a un autre devoir pour la société. Un des plus grands dangers qu’elle puisse courir est la résolution que prend le condamné libéré à sa sortie de prison. La surveillance de la police a été jusqu’ici le seul moyen dont elle se soit servie pour garantir sa propre sécurité ; mais ce moyen est peut-être contraire au but qu’on veut atteindre. Il inquiète et il flétrit le libéré ; il le gêne dans les efforts qu’il fait pour se créer une existence nouvelle. Des associations de bienfaisance, telles que les colonies agricoles, et des sociétés de patronage, dirigées par le gouvernement, seraient nécessaires pour aider les premiers pas du libéré à son retour dans le monde. Ce serait offrir à la société un gage de repos, et au malheureux qu’elle rappelle dans son sein un moyen de rendre sa réforme complète.

Voilà les différens points sur lesquels la réforme pénitentiaire doit insister. Tels sont les moyens de lutter contre le crime, depuis sa première apparition dans le cœur du coupable jusqu’à ses plus affreux développemens. Par l’emploi de ces diverses mesures, le nombre des récidives diminuerait ; et la société, délivrée d’un de ses fléaux les plus terribles, marcherait plus librement dans les voies de civilisation politique, morale et matérielle, où elle est entrée.

Une des conséquences naturelles de la réforme pénitentiaire serait de modifier quelques-unes de nos lois pénales : d’abord les mesures flétrissantes devraient disparaître complètement. On conçoit en effet que toute peine infamante est inconciliable avec un système qui se propose la réforme morale du condamné. Tout être dégradé, à ses propres yeux, comme à ceux du monde, ne voit plus de refuge dans la vertu. Les bonnes mœurs, le travail, le repentir sincère, ne peuvent effacer le crime, que si le crime n’a pas laissé dans l’ame ou sur le corps du coupable le sceau de l’infamie. Ce qui de plus, en France, ferait nécessairement de toute réforme pénitentiaire une cause d’adoucissement dans nos lois criminelles ; c’est que le système à introduire dans nos prisons aurait principalement pour but d’en rendre la discipline plus sévère. À un régime sans force, qui encourage le crime et qui consacre l’impunité, nous devons substituer un régime assez rigoureux pour jeter un effroi salutaire dans les consciences. Par-là, quelques dispositions de la loi doivent changer : les rigueurs de la prison devront diminuer quelques rigueurs inutiles du code. La durée de l’emprisonnement devra être abrégée ; ce sera le moyen de rétablir l’équilibre dans la justice ; ce sera aussi le moyen de rendre les conversions plus utiles à la société. Mais, on ne saurait trop le répéter, ce qu’il faut le plus éviter dans ces changemens, c’est de suivre les conseils d’une fausse philantropie.

Telle est, dans son ensemble, une des réformes que les besoins actuels du pays exigent le plus impérieusement. L’administration, nous en sommes sûrs, a les yeux fixés sur elle ; la question sera sans doute soulevée dans la session. Remarquons toutefois que le devoir du gouvernement, dans cette question, n’est pas de présenter aux chambres un système détaillé, complet, dont tous les points soient arrêtés, dont toutes les difficultés soient résolues d’avance : l’expérience joue ici un grand rôle, et la pratique seule peut déterminer la valeur des moyens qu’on emploiera. C’est donc aux chambres de laisser sur cette question une certaine latitude au gouvernement. Elles ne doivent pas voter les yeux fermés ; mais elles peuvent, en donnant les crédits nécessaires, exiger que le gouvernement présente les points généraux de réforme, et plusieurs bases d’après lesquelles il agira sous sa propre responsabilité. Il n’y a pas d’autre marche à suivre pour rendre la réforme possible, praticable, sur tous les points de la France, et pour l’éclairer de plus en plus des lumières de l’expérience et de la raison.