De la baguette divinatoire/Partie 5/Chapitre 3
CHAPITRE III.
303.La tendance au mouvement dans un sens déterminé, effet de l’attention qu’on donne à un certain objet, est la cause première de plusieurs phénomènes qu’on rapporte généralement à l’imitation.
304.Dans le cas où la vue et même l’audition porte notre pensée sur une personne qui bâille, le mouvement musculaire du bâillement en est ordinairement chez nous la conséquence.
Je pourrais en dire autant de la communication du rire, et cet exemple même présente plus que tout autre analogue, une circonstance qui me parait appuyer beaucoup l’interprétation que je donne de ces phénomènes. C’est que le rire, faible d’abord, peut, s’il se prolonge, qu’on me passé l’expression, s’accélérer (comme nous avons vu les oscillations du pendule tenu à la main augmenter d’amplitude sous l’influence de la vue), et le rire s’accélérant, peut aller jusqu’à la convulsion.
305.Je ne doute pas que le spectacle de certaines actions propres à agir fortement sur notre frêle machine, que le récit animé de la voix et du geste de ces mêmes actions, ou, encore, la connaissance que l’on en prend par la simple lecture, ne portent certains individus à ces mêmes actions, par suite d’une tendance au mouvement qui les détermine ainsi machinalement à un acte auquel ils n’auraient jamais pensé sans une circonstance étrangère à leur volonté, et auquel ils n’auraient jamais été conduits par l’instinct.
306.Le grand acteur est celui dont le geste et le mouvement de la physionomie correspondent au mouvement que les sentiments qu’il traduit sur la scène ont dû exciter dans le personnage qu’il représente.
307.Le peintre d’histoire qui a étudié la nature, saisit la position que devaient avoir les originaux des personnages qu’il peint quand ils concouraient à l’action que la toile doit reproduire.
308.Le grand poëte est celui dont les vers éveillent en ceux qui les écoutent, les mouvements correspondants aux faits qu’il chante : tel est le récit d’un morceau de l’Iliade qui porte Alexandre à se jeter sur ses armes.
309.L’imitation conçue comme je viens de le dire par l’acteur, le peintre, le poëte ou, pour parler d’une manière plus générale, par l’écrivain, n’est reproduite fidèlement sur la scène, sur la toile et dans le récit, qu’après une étude approfondie du modèle. Si celui-ci peut, à la rigueur, fournir tous les traits de la copie, celle-ci gagnera aux rapports intimes que l’artiste pourra avoir avec la personnalité du modèle, soit que cette intimité se révèle dans l’œuvre par des traits ajoutés, ou parce que ceux du modèle auront été mieux sentis et plus prononcés pour l’effet que l’artiste s’est proposé de produire.
310.En définitive :
1°. L’explication que je viens de donner avec les développements qui en sont les conséquences, me semblent présenter la connaissance de la physionomie en action ou, en d’autres termes, de la mimique, sous un jour à la fois et plus clair et plus scientifique qu’elle ne Tétait auparavant, précisément à cause de l’étude du principe qui démontre si clairement l’intimité du mouvement des parties de nous-même, avec la pensée qui y est afférente. Toute personne qui désormais voudra l’étudier de ce point de vue, l’envisagera d’une manière et plus claire et plus positive qu’elle ne l’aurait fait du point de vue où on l’a étudiée généralement.
2°. Une action interprétée par d’habiles acteurs, ou même représentée par la peinture et encore exprimée par la parole écrite, peut avoir, indépendamment d’un sens moral dont l’appréciation parfaite n’appartient qu’aux esprits cultivés, un langage moins élevé, plus accessible aux masses, qui pourra avoir des inconvénients plus ou moins graves pour l’individu aussi bien que pour la société.
3°. En descendant de l’effet moral le plus élevé qu’une œuvre d’art peut produire sur les esprits cultivés, aux effets ordinaires que les masses éprouvent, on parvient à s’expliquer l’influence que cette œuvre peut exercer en provoquant des tendances de mouvement en harmonie avec elle ; ces tendances rentrant jusqu’à un certain point dans des effets mécaniques, peuvent avoir des conséquences très-graves.
311.Je développe ailleurs (livre des Beaux-Arts de mon ouvrage inédit sur l’abstraction considérée comme élément des connaissances humaines dans la recherche de la vérité absolue) l’intervention du principe du pendule explorateur dans les effets de la musique.