De la colère (trad. Baillard, 1860)/Avant-propos

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De la colère (trad. Baillard, 1860)
Traduction par Baillard, du Bozoir.
Œuvres de Sénèque le philosopheGarnier Frères (p. 245-246).
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AVANT-PROPOS

Le traité de la Colère fut composé tout au commencement dû règne de Claude, et le lendemain, pour ainsi dire, de la mort de Caligula : on le voit aux nombreuses allusions dont ce traité est rempli sur les excès de ce prince ; Sénèque s’y montre encore tout préoccupé de la tyrannie qui venait de finir. Ce traité sur la Colère, « est dédié à un homme fort doux, observe Diderot, à Annæus Novatus, celui des frères de Sénèque qui prit, dans la suite, le nom de Junius Gallion. » Cet ouvrage l’un des plus beaux, et certainement des plus philosophiques de l’auteur, est une éloquente protestation contre ces passions brutales et ces haines cruelles qu’encourageait, à tous les degrés de l’ordre social, la souveraine licence des maîtres sur les esclaves : et combien cette passion de la colère apparaissait plus terrible sous des règnes tels que ceux des Caligula et des Néron ! La colère était, avec la soif des voluptés monstrueuses, le vice dominant des Romains, et il n’est pas étonnant que Sénèque, voulant débuter avec éclat dans la carrière philosophique, ait cherché cette thèse, en quelque sorte, de circonstance. Son ouvrage est le manifeste de ces idées généreuses que concevaient quelques nobles âmes, auxiliaires et contemporaines du christianisme, et dont Sénèque s’était fait l’organe. Il y règne généralement une morale élevée, revêtue d’un style élégant et nerveux, qui rappelle Massillon et J. J. Rousseau ; on y remarque des théories aussi justes que profondes sur l’éducation. Si quelquefois à des traits trop subtils, à certaines opinions hasardées, on reconnaît la jeunesse de l’écrivain (ce traité est, on le croit, le premier de Sénèque) et cette ferveur, disons mieux, cette exagération de philosophie stoïcienne que l’âge devait tempérer dans l’auteur, le plus souvent on y admire la force et le nouveauté de la pensée et cet art de rajeunir par l’expression, de mettre en relief des idées qui, pour être souvent du domaine commun, n’en sont par cela même que plus précieuses, puisqu’après tout elles forment le fonds impérissable sur lequel a vécu et vivra éternellement l’humanité.

C.