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De la création de l’âme dans le Timée

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De la création de l’âme dans le Timée
Traduction par Victor Bétolaud.
Librairie Hachette et Cie (4p. 360-405).

DE LA CRÉATION DE L’ÂME
DANS LE TIMÉE.


11. Avant-propos établissant que ce traité doit être utile pour faire comprendre plusieurs endroits des ouvrages de Platon. — Texte de Platon. Diverses manières d’interpréter ce texte.

12. Explications de Xénocrate. — Explications de Crantor.

13 et 4. Opinion des Platoniciens sur l’époque de la création de l’âme universelle. — Les explications précédentes sont contraires aux vrais sentiments de Platon.

15. Opinion de Platon sur le monde et sur Dieu, expliquée par Plutarque. — Exposé de ce qui existait avant la création du monde. — Nature des corps.

16. Nature de l’âme du monde. — Nature de la matière brute et première. — L’origine du monde est inexplicable, si l’on suppose Dieu et la matière séparés et sans aucun mélange. — Origine du bien et du mal, d’après Platon.

17. Développement de l’idée de Platon.

18. L’éternité et la création de l’âme du monde se trouvent conciliées dans les principes de Platon.

19. L’éternité et la création du monde également conciliées dans les mêmes principes.

10. Confirmation de ces explications.

11. Philosophie Platonicienne, touchant les nombres.

12, 13 et 14. Application de cette philosophie aux sens et aux intervalles.

15. Des médiététés.

16. Moyen de les trouver, et d’en faire usage.

17. Du demi-ton.

18, 19 et 20. Différentes dispositions des médiététés.

21. Platon n’admet aucun mélange de la matière avec la substance indivisible. Différence qu’il met entre la génération de l’âme du monde et la génération de la matière.

22. Dans le sens de Possidonius cette âme n’est pas une idée. — Manière dont cette âme forme des jugements.

23. Mélange de l’essence divisible et de l’essence indivisible, de ce qui est « le même » et de ce qui est « l’autre ». 24. Manière de concevoir ce mélange. — Idée précise de ce qu’est « le même » et de ce qu’est « l’autre ».

25 et 26. Partout on reconnaît le mélange de ces deux principes : il en résulte un troisième être.

27. Manière de se figurer ce troisième être. — Ses différentes dénominations.

28. Idée de la puissance universelle d’après ce système. — Preuve du mélange des deux principes, tirée des phénomènes que l’on observe dans l’homme, et aussi des phénomènes célestes.

29. Ce mélange se conçoit à l’aide des nombres et des proportions. Échelle des gradations de l’âme du monde, d’après les expressions de Platon même. Trois questions sur cette gradation.

30. Quantité des nombres qui forment cette échelle.

31. Différentes manières dont elle s’applique aux planètes, à leur grandeur, à leur mouvement. Proportions dans les saisons, d’après les Chaldéens.

32. Rapport égal entre la distance des astres et entre celle des temps, suivant quelques auteurs. Ce rapport est démontré par l’échelle de la musique. — Lyre du monde, telle qu’elle est organisée. — Accord harmonieux dans les êtres sublunaires et dans les êtres supérieurs à la lune.

33. Cet accord harmonieux est reconnu par les philosophes et par les poètes, comme par les anciens théologiens du paganisme. — Principaux effets d’une telle harmonie.


le père d’Autobule et de Plutarque[1] à ses deux fils, Salut.

1. Ce que j’ai souvent dit ou écrit, à intervalles séparés, dans tels ou tels de mes ouvrages où j’exposais, comme je pouvais le comprendre, le système de Platon relatif à la création de l’âme, vous a semblé, chers enfants, valoir la peine d’être recueilli et reproduit spécialement. J’ai donc rédigé le traité que je vous offre. La matière est loin d’en être chose facile ; et comme je me trouve contredire Platon en bien des endroits, j’ai besoin de m’excuser par avance. Je citerai textuellement les passages du philosophe, tels qu’ils se trouvent dans le Timée.

« De la substance indivisible, qui reste toujours la même, et de celle qui, au contraire, réside dans les corps et se trouve être divisible, Dieu composa une troisième espèce de substance, substance intermédiaire, tenant de la nature du principe qui ne change pas et de la nature de l’autre. Les conditions ainsi établies, Dieu plaça cette troisième substance au centre de celle qui dans les corps est indivisible et de celle qui y est divisible. Il prit ensuite ces trois principes, les mêla pour qu’ils ne fissent tous qu’une seule essence ; et comme la nature de l’être changeant ne se plie qu’avec difficulté à un mélange, il dut employer la violence pour faire concourir cette nature à une semblable union. Les ayant donc mêlés, eux et leur essence, et des trois n’en ayant fait qu’un, il partagea ce nouveau tout en autant de subdivisions qu’il convenait. Chacune se trouva contenir du même, du divers, et de la substance intermédiaire. Voici comment il opéra cette division[2]… »

À combien de divergences entre les commentateurs a donné lieu ce premier passage, c’est ce qu’il serait impossible de préciser ici. Vous avez eu occasion de comparer le plus grand nombre des interprétations : il est donc superflu de les énumérer devant vous. Toutefois, comme les philosophes les plus en renom se sont rangés les uns sous la bannière de Xénocrate, qui déclare l’essence de l’âme « un nombre se mouvant de lui-même », et comme les autres se rangent sous celle de Crantor, le Solien, « qui compose l’âme au moyen de la nature intellectuelle et au moyen de la nature que les sens font apprécier », je pense que si je mets bien clairement à découvert ces différents systèmes, je préparerai, pour nos recherches, une sûre entrée en matière.

2. Ce que j’ai à dire sur ces deux théories se réduit à peu de chose. Les partisans de Xénocrate pensent que la naissance seule du nombre résulte du mélange de la substance indivisible et de la substance divisible ; que l’unité est indivisible, que la pluralité est divisible, et que leur combinaison produit le nombre : en ce sens que l’unité borne la pluralité et met des bornes à l’infini, lequel est appelé par eux « dyade infinie ». Zaratas, le maître de Pythagore, appelait cette dyade mère du nombre, comme le un[3] en était appelé par lui le père. Les meilleurs nombres, ajoutait-il, sont tous ceux qui ressemblent à l’unité. Cependant cette dernière n’est pas encore l’âme, attendu qu’il lui manque la propriété de mouvoir et celle d’être mue. Ce fut quand l’être qui est toujours le même et l’être changeant eurent été mêlés, l’un étant le principe du mouvement et du changement, l’autre celui du repos, ce fut alors que se produisit l’âme : laquelle n’est pas moins la faculté de donner la stabilité et de l’avoir qu’elle est celle de mouvoir et d’être mů.

Crantor et ses partisans[4] posent en principe, que l’acte spécial de l’âme, c’est de juger les choses de l’intelligence et les choses sensibles, et de signaler leurs différences et leurs analogies, soit individuelles, soit réciproques. Ils en concluent que l’âme est composée de toutes les choses qui existent, et qu’elle est ainsi composée afin de pouvoir les juger toutes. Or cette universalité, selon eux, se réduit à quatre espèces : la nature intelligible, qui est toujours la même et toujours dans les mêmes conditions ; la nature corporelle, qui est passible et changeante ; la nature de l’être toujours le même ; et enfin la nature de l’être changeant : attendu que les deux premières espèces participent également chacune à la diversité et à l’immutabilité.

3. Mais il y a accord entre tous ces philosophes pour admettre que l’âme n’a pas été créée dans le temps ; qu’elle n’est pas de nature à avoir été créée ; qu’elle possède plusieurs facultés. C’est dans un but purement spéculatif, que, résolvant l’essence de l’âme en ces mêmes facultés, Platon admet, seulement en paroles, qu’elle a été créée et qu’elle est le produit d’un mélange. Ils reconnaissent que l’opinion de ce philosophe touchant le monde était la même ; que, tout en sachant que le monde est éternel et incréé, comme il voyait qu’il est fort difficile de s’en expliquer la composition et l’économie si l’on n’admet pas au préalable qu’il ait été créé et qu’il y ait eu dans le principe un concours d’éléments créateurs, il s’était déterminé à suivre ce procédé de raisonnement[5].

Voilà l’exposé général des deux commentaires. Eudore pense qu’ils ne manquent de probabilité ni l’un ni l’autre. Moi, au contraire, j’estime que tous les deux faussent la doctrine de Platon, si l’on doit prendre pour règle la vraisemblance, et si, au lieu de substituer des opinions personnelles, on veut ne rien dire qui ne se trouve parfaitement en rapport avec les paroles du philosophe. Pour parler de ce qu’on appelle la fusion de l’essence intelligible et de la sensible, il n’est pas du tout démontré clairement que l’âme se produise de cette fusion, plus que ne s’en produirait n’importe quoi. Car ce monde lui-même et chacune de ses parties sont composés de la substance corporelle et de l’essence intelligible : la première ayant fourni la matière et le sujet, la seconde ayant fourni la forme et l’espèce quand exista la matière. La portion de matière qui prend une forme par sa participation et sa ressemblance avec le principe intelligible, devient aussi tangible et visible ; mais quant à l’âme, elle échappe à toute appréciation des sens. Platon n’a jamais dit d’elle, que ce fût un nombre. Il a déclaré qu’elle est un mouvement qui trouve sa cause en soi, qui existe toujours, et qu’elle est la source et le principe de tout mouvement.

Le nombre, la proportion, l’harmonie, sont des perfections au moyen desquelles Platon a orné l’âme, du moment qu’il a fait d’elle un sujet. Il a voulu qu’elle reçût la forme la plus belle : forme que le nombre, la proportion, l’harmonie ne peuvent manquer de réaliser. Mais, selon moi, autre chose est de dire : « l’âme est constituée d’après un nombre », et de dire : « la substance de l’âme est un nombre ». Si l’âme est un composé harmonieux, elle n’est pas pour cela une harmonie. C’est ce que Platon a démontré lui même dans son Traité de l’âme[6]. Il est évident, du reste, que les uns et les autres ont ignoré ce que veut dire Platon quand il parle de l’être qui est toujours le même, et de l’être changeant. Car ils disent que l’un intervient pour donner l’élément, « stabilité », et l’autre, l’élément « motion », quand il s’agit de la création de l’âme. Or Platon lui-même, dans le Sophiste[7], parle en termes précis de l’être pris d’une manière générale, de l’être restant toujours le même, de celui qui change, puis du repos, puis du mouvement. Il présente ces principes comme distincts les uns des autres, comme étant au nombre de cinq ; et il assigne à chacun d’eux une place bien distincte, bien déterminée.

4. Mais il est un passage de sa doctrine que, par crainte et pour trouver grâce, ces deux classes de commentateurs, et en général tous ceux qui pratiquent Platon, s’attachent à forcer de toute manière et à intervertir. Comme ils y voient quelque chose de monstrueux et d’indicible, ils se figurent qu’ils doivent le cacher sous un voile et le désavouer. Je parle du système par lequel notre philosophe explique la création et la composition de l’âme et du monde, par lequel il prétend prouver que le monde et l’âme ne sont pas composés de principes éternels, et qu’ils n’ont pas été de toute infinité dans l’état où ils se trouvent. C’est là un point de la doctrine de Platon, traité par moi dans un discours spécial ; et ici je me contenterai de dire, que les débats et les explications de Platon contre les partisans de l’athéisme, débats et explications que le philosophe avoue lui-même avoir soutenus avec une ardeur au-dessus de son âge, sont des textes où généralement on porte aujourd’hui la confusion. Que dis-je ! On les anéantit entièrement. Si le monde est incréé, dès lors Platon voit disparaître ce grand principe avancé par lui, à savoir que l’âme est antérieure au corps, qu’elle a, dès lors, l’initiative de tout changement, de tout mouvement, qu’elle est constituée guide, et, pour me servir de ses paroles, agent premier. Or qu’est l’âme, qu’est le corps, pour que l’on dise de celle-là qu’elle marche avant celui-ci et qu’elle lui est antérieure ? C’est ce que démontrera la suite de ce discours. Car l’ignorance de cette première thèse semble avoir jeté le plus d’incertitude et d’invraisemblance possible sur la doctrine vraie.

5. Premièrement donc j’exposerai quelle est mon opinion sur cette matière, en me guidant sur la vraisemblance et en me faisant pardonner, autant que possible, ce qu’il y aura de nouveau et d’étrange en apparence dans mes paroles. Ensuite je prendrai le texte lui-même, et j’y appliquerai mon commentaire et mes démonstrations. Voici, au moins à mon sens, le véritable état des choses. « Ce monde que vous avez sous les yeux, dit Héraclite, n’est l’ouvrage ni d’aucun dieu, ni d’aucun homme. » On dirait qu’Héraclite a craint, que si nous n’y voulions pas reconnaître la main d’un dieu, nous ne vinssions à soupçonner que le monde fût l’œuvre d’un homme. Il vaut donc mieux croire Platon. Il vaut mieux dire et proclamer[8] avec lui que le monde est la création d’un dieu, puisque le monde est la plus belle chose qui existe, et que Dieu est le plus excellent des créateurs ; il vaut mieux dire avec Platon, que la substance, la matière dont ce même monde se compose, n’a pas été engendrée ; que toujours soumise à l’immortel ouvrier, celui-ci l’a disposée, l’a réglée, l’a façonnée à sa propre ressemblance, autant qu’elle en était susceptible. Car ce n’est pas du néant que s’est produite la création du monde, mais du désordre et de l’imperfection, comme il arrive pour une maison, pour un vêtement, pour une statue. Tout n’était que confusion avant la création du monde ; et qui dit confusion, ne dit pas absence de corps, de mouvement, d’âme. Dans un pareil état, ce qui était corps manquait de forme et de consistance ; ce qui était destiné à imprimer le mouvement était frappé de paralysie et d’irréflexion. C’était le désordre de l’âme privée de raison. Car Dieu n’a pas fait corps ce qui est incorporel, ni âme ce qui est inanimé. Mais comme nous demandons à un homme habile dans la science de l’harmonie et du rhythme non pas qu’il crée les voix ni les mouvements, mais qu’il assujettisse seulement les voix à l’harmonie et les mouvements au rhythme ; de même Dieu n’a pas fait que les corps fussent tangibles et résistants, que l’âme eût la faculté d’imaginer et celle d’imprimer le mouvement. Il a pris ces deux principes, l’un, à savoir le corps, quand il était obscur et ténébreux, l’autre, à savoir l’âme, quand elle était livrée au trouble et à la déraison. Il leur manquait le complément nécessaire, ils étaient indéterminés. Dieu y porta la régularité, l’ordre, l’harmonie, et il en a composé l’être vivant le plus beau et le plus parfait qui existe. De sorte que la substance du corps n’est rien autre chose que ce que notre philosophe appelle la nature, centre commun de tout, base, élément nourricier de ce qui est engendré.

6. Quant à la substance de l’âme, Platon dans le Philèbe l’appelle une infinité, un manque de nombre et de mesure, état qui n’a en soi nul terme, nulle mesure de défaut ou d’excès, de différence et de dissemblance. Quand il est dit dans le Timée, que cette substance mêlée à la nature indivisible devient divisible dans les corps, il ne faut pas entendre par là qu’il s’agisse de longueur et de largeur : ce qui convient à des corps plutôt qu’à l’âme. Il faut comprendre qu’il est question de ce principe désordonné et infini, mais en même temps tirant de soi son mouvement et le communiquant au dehors, principe qu’en plusieurs endroits Platon appelle nécessité, et auquel dans ses Lois il donne ouvertement le nom d’âme déréglée et malfaisante. L’âme était, en effet, telle de sa nature ; mais elle reçut une part de sens, de raisonnement, d’harmonie intelligente, de manière à devenir l’âme du monde[9].

Ce vaste ensemble qui comprend tout, cette matière avait la grandeur, l’étendue, l’espace ; mais la beauté, la forme, la symétrie des figures lui manquaient. Il y fut pourvu, afin que la terre, le ciel, les astres, les plantes, les animaux, enfin les corps et les agents de toute espèce, se trouvassent organisés. Ceux qui attribuent à la matière et non pas à l’âme ce que dans le Timée Platon appelle « nécessité », et ce que dans le Philèbe il nomme « infinité et incommensurabilité de plus et de moins, d’excès et de défaut », ceux-là, comment s’accommoderont-ils de ces paroles que répète sans cesse le philosophe : « La matière est sans forme, sans figure, dénuée de toute qualité, de toute puissance : elle ressemble aux huiles sans odeur que les parfumeurs emploient pour les teintures » ? Car il n’est pas possible que Platon pose en principe que ce qui est de soi sans qualité, sans action, sans détermination aucune, puisse être une cause ou un principe de mal, et qu’en même temps il appelle cela une infinité honteuse et malfaisante, puis, encore, une nécessité souvent rebelle à Dieu dont elle rejette le frein.

Examinons un peu cette nécessité, cette concupiscence innée qui, comme il est dit dans le Politique de Platon, « bouleverse le ciel et le retourne en sens contraire ». Examinons cet état de la nature primitive, de la nature d’autrefois, laquelle était livrée au plus grand désordre avant d’être devenue le monde d’aujourd’hui. Eh bien, cette nécessité, cette concupiscence, cette confusion, comment se sont-elles trouvées être contenues dans les choses, si le sujet sur qui elles avaient à s’exercer était une matière sans qualité, dénuée de toute cause efficiente, en même temps que l’ouvrier était bon, en même temps qu’il voulait le plus possible rendre tout semblable à soi-même ? Car en dehors de ces deux principes, il n’y a point de place pour un troisième. Voilà les impossibilités stoïciennes qui nous saisissent, si nous introduisons le mal en le faisant naître du néant, c’est à-dire sans cause et sans création. En effet, des deux principes qui existent il n’est pas possible que ni celui qui est bon, ni celui qui est privé de toute qualité, aient déterminé l’existence et la naissance de quelque chose de mal. Platon ne s’est pas placé dans la position où se sont mis ses successeurs. Il n’a pas, comme eux, négligé de reconnaître un troisième principe, un troisième pouvoir intermédiaire entre la matière et Dieu. Dès lors il n’a pas été obligé d’admettre la plus absurde des conséquences, d’après laquelle, je ne sais comment, la nature des maux provient du hasard et d’un accident. Ces gens-là n’accordent pas à Épicure la moindre déclinaison d’un seul atome, sous prétexte qu’Épicure introduit du néant un mouvement qui n’a pas de cause première ; et eux-mêmes, quand ils constatent combien il y a de méchanceté et de misère, quelles innombrables imperfections, quelles difficultés, sont d’ailleurs inhérentes au corps sans qu’aucun des principes de leur philosophie en explique la cause, eux-mêmes n’en prétendent pas moins que ces imperfections résultent d’un enchaînement mutuel.

7. Or Platon ne pense pas ainsi. Enlevant à la matière toute possibilité de subir des modifications qui la diversifient, et reculant bien loin de Dieu toutes sortes de maux, voici ce qu’il a écrit touchant le monde dans le Politique[10] : « De la main souveraine qui l’a composé, le monde a reçu tout ce qu’il a de beau. Mais c’est de son état antérieur que ce même monde a apporté tout ce qu’il se trouve y avoir de fâcheux et d’injuste dans le ciel, et il en communique l’effet aux êtres animés. » Puis un peu plus loin : « À mesure que le temps s’avance, dit-il, et que l’oubli gagne, on sent que plus de force revient à l’antique élément de désordre ; et il est très-possible que le monde, venant à se désorganiser, s’anéantisse de nouveau dans l’abîme immense de son irrégularité première. » Or on ne saurait comprendre qu’il y ait irrégularité dans la matière, si elle n’a ni qualités, ni différences. Pour avoir avec plusieurs autres méconnu cette vérité, Eudème se permet à l’égard de Platon le gage de l’ironie : « Quoi ! lui dit-il, après avoir si souvent donné à la matière le nom de mère et de nourrice, vous la déclarez cause ! » Sans doute Platon donne à la matière ces noms de mère et de nourrice ; mais que désigne-t-il comme étant cause du mal ? Il désigne la force qui donne le mouvement à la matière, et qui se répartit sur les corps. Ce mouvement est sans ordre et sans raison, à la vérité, mais il n’est pas sans âme ; et dans ses Lois Platon, comme il a été dit, l’appelle « mouvement réfractaire et rebelle à l’âme, laquelle est le principe du bien ». Car si le mouvement a son principe et sa cause dans l’âme, l’entendement à son tour est la cause de la régularité et de l’harmonie avec laquelle s’opère le mouvement. Dieu n’a pas constitué une matière qui fût sans activité ; mais cette matière était livrée à l’action désorganisatrice d’une cause qui ne raisonnait pas. Ce n’est pas lui qui a donné à la nature les changements et les affections qu’elle devait éprouver ; mais comme ces changements et ces affections étaient aussi multipliés que confus, Dieu en fit disparaître l’indécision et le désordre, en employant à cela, comme de véritables instruments, l’harmonie, la proportion et le nombre. Or l’effet de ces sortes d’instruments consiste, non pas à susciter dans les substances, au moyen du changement et du mouvement, les affections et les vicissitudes de l’être changeant, mais plutôt à rendre ces substances fixes, stables, et à leur communiquer les affections de la substance qui est toujours la même et toujours semblable. Telle est là, du moins à mon avis, la pensée de Platon.

8. La première preuve que j’en donne, c’est que dès lors il n’existe plus rien de la prétendue contradiction, de la prétendue incompatibilité que l’on reproche à son système. On n’oserait pas, même à un sophiste égaré par les fumées du vin, (comment l’oser à l’égard de Platon ?) imputer un désordre et une confusion aussi étranges touchant une théorie qui a été l’objet des méditations les plus sérieuses de notre philosophe. Quoi ! il aurait prétendu que la même nature est à la fois incréée et engendrée ! Il aurait dit dans le Phèdre : « L’âme ne saurait être créée », puis dans le Timée on lirait : « L’âme a été créée » ! Tout le monde, pour ainsi dire, a dans la bouche le passage de Phèdre qui prouve que par cela même qu’elle n’a pas été engendrée l’âme ne saurait périr, et que par cela même qu’elle tient d’elle-seule son mouvement elle n’a pas été engendrée. Voici comment s’exprime Timée[11] : « Parlons de l’âme. Bien que nous essayions de prouver maintenant qu’elle a paru la dernière, ce n’est pas une raison pour que Dieu ait voulu qu’elle fût plus jeune : car il n’aurait pas permis que dans l’association le plus jeune dominât le plus ancien. Mais quoi ! en raison de l’imprévu et du fortuit qui se rencontre à chaque instant dans notre vie, il s’en glisse également dans nos manières de parler. Dieu a voulu que l’âme, par sa génération non moins que par sa vertu, eût la priorité sur le corps, comme le souverain et le chef sur celui qui doit obéir. » Plus loin[12], après avoir dit : « L’âme, en roulant sur elle-même, a inauguré le commencement divin d’une vie qui ne finira jamais et qui est présidée par la raison », Platon ajoute : « Le corps du ciel a été fait visible, à la vérité ; mais invisible est restée l’âme, qui participe au raisonnement et à l’harmonie, l’âme, la plus excellente des substances qu’ait créées le plus excellent des êtres intelligibles et toujours subsistants. » Quand Platon appelle ici Dieu « le plus excellent des êtres toujours subsistants, » et l’âme a la plus excellente des substances créées », par cette différence et par ce contraste même il enlève à l’âme le caractère d’éternelle et d’incréée.

9. Et quel autre moyen de donner à ce passage sa véritable signification, sinon de faire usage du moyen proposé par Platon même à ceux qui voudront l’accepter ? Il tient pour incréée une âme qui avant la naissance du monde remuait toutes choses avec indifférence et sans régularité ; mais il déclare créée, et susceptible de l’avoir été, une âme que Dieu a faite de cette première âme, de cette substance éternelle et excellente. À la nouvelle âme Dieu a donné la raison, la régularité. Il en a fait une espèce de forme. De sa substance personnelle il a détaché l’entendement pour le combiner avec ce qui n’avait que la faculté sensible ; il a détaché l’ordre pour en doter ce qui ne savait qu’imprimer un mouvement, et c’est cette nouvelle âme qu’il a constituée directrice de l’univers.

C’est ainsi que Platon explique encore comment l’âme du monde est en partie incréée, en partie créée. Ses propres paroles sont celles-ci : « Tout ce qui était visible, tout ce qui n’était pas en repos, mais se mouvait confusément, Dieu le prit et le régularisa. » Quand il dit ailleurs : « Les quatre éléments, le feu, l’eau, la terre et l’air, avant que l’univers eût été formé de leur combinaison, portaient l’ébranlement dans la matière, et étaient à leur tour agités par elle en raison de cette incohérence, » quand, dis-je, Platon parle ainsi, il pose en fait que les corps étaient créés et subsistaient sous un certain état avant la naissance du monde. D’un autre côté, quand il dit : « Le corps existe de date plus récente que l’âme. Le monde a été créé puisqu’il est visible, tangible, puisqu’il a un corps ; et il est évident que de telles substances sont nées et devaient naître », ces paroles interdisent à qui que ce soit de douter que Platon ne donne une génération à la nature corporelle. Mais il s’en faut bien qu’il se contredise et se démente lui-même d’une manière aussi formelle sur les points les plus importants. Il ne dit pas que ce soit de la même manière, ni que ce soit le même corps qui soit sorti de la main de Dieu et qui ait existé avant d’être né. Ce serait le langage effronté d’un vendeur d’orviétan. Mais il a soin de nous enseigner lui même ce qu’il entend par génération : « Dans le principe, dit-il, tout cela était sans raison et sans mesure. Mais quand Dieu entreprit de régulariser l’univers, il commença par le feu. Puis il continua successivement par l’eau, par la terre, par l’air : éléments qui offraient bien quelques traces de ce qu’ils sont aujourd’hui, mais qui étaient entièrement dans la disposition où doivent être toutes choses quand Dieu réside loin d’une d’elles. Les éléments se trouvaient donc en cet état, lorsque pour la première fois Dieu les distingua en leur assignant des figures et des nombres. » Encore précédemment Platon avait dit : « Ce n’était pas l’affaire d’une seule proportion : il en fallait deux pour enchaîner la masse entière du monde, en raison de sa solidité et de sa profondeur. » Après avoir expliqué comment c’était en plaçant l’eau et l’air au milieu de la terre que Dieu avait attaché et constitué le ciel, le philosophe ajoute ensuite : « De ces substances, au nombre de quatre, fut engendré le corps du monde, qui se trouva en parfait accord, grâce à leur analogie. Par suite d’un tel concours, les différentes parties de ce monde sympathisèrent entre elles. Elles ne formèrent plus qu’un même tout, que d’autres puissances ne sauraient détruire, si ce n’est celle qui l’a organisé. » Est-il possible d’enseigner d’une façon plus claire, que non pas simplement le corps, non pas simplement la masse et la matière, mais encore la symétrie, la beauté de tout ce qui est corps, et sa ressemblance avec son auteur, sont l’ouvrage de Dieu, père et créateur souverain ? Il faut en penser autant pour ce qui regarde l’âme. Non, l’âme primitive[13] n’est ni une création de Dieu, ni l’âme du monde. Cette dernière est la faculté qui résulte d’un certain essor, d’un certain élan de fantaisie et d’imagination, étranger à toute raison, à toute régularité ; et cette faculté ne doit qu’à elle la spontanéité et la perpétuité de son mouvement. Pour l’âme primitive, Dieu, qui l’a disposée d’après les chiffres et les proportions convenables, a voulu, quand il l’eut engendrée, qu’elle présidât à la direction du monde, lequel à son tour fut engendré.

10. Oui, telle a été la conviction profonde de Platon à cet égard. Ce n’est pas simplement pour produire une théorie, qu’après avoir déclaré le monde et l’âme incréés tous les deux, il a néanmoins admis leur naissance et leur composition. Une preuve[14], entre plusieurs autres, de la parfaite concordance du philosophe avec lui-même, c’est qu’il dit, et nous l’avons déjà fait observer : « L’âme ne saurait avoir été engendrée », puis : « L’âme a été engendrée ». Mais quand il parle du monde, il dit toujours : « Le monde a été créé et devait l’être ». Jamais il ne dit : « Le monde est incréé, le monde est immortel. »

Est-il nécessaire de reproduire ce qu’il dit dans son Timée ? L’ouvrage tout entier, depuis le commencement jusqu’à la fin, roule sur la génération du monde. Ouvrons ses autres traités. Dans l’Atlantique Timée, faisant sa prière, implore « le Dieu qui exista de toute éternité par ses actes, et qui existe aujourd’hui par la raison[15]. » Dans le Politique, l’hôte de Parménide s’exprime ainsi : « Le monde, qui est la composition de Dieu, renferme beaucoup de bien. Il peut s’y trouver des imperfections et du mal, mais cet alliage n’est qu’un reste de son état primitif de confusion et de dérèglement. » Dans la République enfin, à l’endroit où il est question du nombre appelé par quelques-uns « mariage[16] », Socrate commence ainsi : « Il y a pour le Dieu engendré une révolution régulière qui est comprise dans un nombre parfait. » Par ce « Dieu engendré » Socrate ne désigne autre chose que le monde.

11[17]… La première combinaison de ce nombre est formée de 1 et de 2 ; la deuxième de 3 et de 4 ; la troisième de 5 et de 6 ; et aucune de ces trois combinaisons, ni par elle-même, ni unie aux autres, ne donne un nombre divisible par 4[18] ; la quatrième est de 7 et de 8, et, ajoutée avec les trois premières, elle donne 36[19], divisible par 4. Mais le quaternaire[20] résultant des nombres posés par Platon présente une génération plus complète : les nombres pairs y étant multipliés par des intervalles pairs, et les nombres impairs par des intervalles impairs. Ce quaternaire contient l’unité, principe commun des nombres pairs et des nombres impairs. Puis, au-dessous de l’unité, il contient : 2 et 3, qui sont les premiers nombres plans[21] ; 4 et 9, qui sont les premiers carrés ; 8 et 27, qui sont les premiers cubes en arithmétique, abstraction faite de l’unité. Évidemment Platon veut, non pas que tous ces nombres soient placés sur une seule ligne droite, mais qu’alternativement et sur deux lignes séparées on mette ensemble les pairs, ensemble les impairs, comme l’indique la figure suivante[22] :

Triangle afichant les 3 premiers cubes de 2 et de 3

De cette manière les combinaisons des nombres semblables se trouveront rapprochées, et produiront des nombres plans soit par voie d’addition, soit par voie de multiplication.

12. Par voie d’addition, le 2 d’une des obliques et le 3 de l’autre, donnent 5 ; le 4 et le 9 donnent 13 ; le 8 et le 27 donnent 35. Chez les Pythagoriciens ces nombres ont leur désignation. Ils appellent le 5 « trophe », ce qui équivaut à son, parce qu’ils pensent qu’entre les intervalles de ton la quinte est la première qui se fasse entendre. Au nombre 13 ils donnent le nom de limma, qui veut dire « insuffisance » : parce que, comme Platon, ils désespèrent de pouvoir partager le ton en parties égales. Au nombre 35 ils donnent le nom d’ « harmonie », parce qu’il se compose des deux premiers cubes, c’est-à-dire du cube du premier nombre pair et de celui du premier nombre impair[23]. En outre, 35 est formé de l’addition des quatre nombres 6, 8, 9, 12, qui constituent une proportion au point de vue des nombres et au point de vue de l’harmonie. Ces effets seront encore plus visibles au moyen d’une figure.

Soit le rectangle[24] ABCD.

Rectangle ABCD divisé en 5 fois 7

Le côté AB est divisé en cinq, et le côté AD en sept. Soit le plus petit côté coupé en deux segments inégaux[25] AK, KB, et le plus grand en deux segments aussi AL, LD. Que de ces points de sections on mène des lignes qui se coupent réciproquement, KMN, LMO. Le rectangle partiel AKML comprendra six carrés, le rectangle KBOM en contiendra neuf ; le rectangle LMDN, en contiendra huit ; le rectangle MOCN, douze. Tout le grand rectangle est divisé en trente-cinq parties, et dans les nombres des surfaces partielles qui le divisent il contient les proportions des premières consonnances musicales. Car de 6 à 8 on a la proportion épitrite, ou sesquitierce[26], qui est l’accord de la quarte. De 6 à 9 on a la proportion double, qui est le diapason ou l’octave. Enfin la proportion du ton qui est sesquioctave s’y trouve : c’est celle de 8 à 9. Voilà pourquoi les Pythagoriciens ont appelé « harmonie » le nombre 35 qui contient toutes ces proportions. Ce nombre répété 6 fois produit 210, qui est la totalité des jours dans lesquels les enfants nés à sept mois ont acquis, à ce qu’on assure, toute leur perfection.

13. On peut encore partir d’un autre début, par voie de multiplication : 2 fois 3 font 6 ; 4 fois 9 font 36 ; 8 fois 27 font 216. Examinons ces trois produits[27]. Le nombre 6 est un nombre parfait[28], parce qu’il est égal au produit de ses deux facteurs. On l’appelle encore « mariage », comme étant le produit du premier nombre pair et du premier nombre impair. En outre il est composé de 1, la première de toutes les unités, le 2, le premier pair, et de 3, le premier impair. Prenons maintenant 36. C’est le premier nombre qui soit à la fois un carré et un triangle : il est le carré de 6 et le triangle de 8[29]. Il est encore, par multiplication, le produit des deux premiers carrés[30] 4 ⨯ 9, et par addition, la somme des trois premiers cubes 1 + 8 + 27 qui, additionnés, donnent en effet ce nombre. Le même nombre 36 constitue deux parallélogrammes rectangulaires d’inégale longueur dans leurs deux côtés respectifs : l’un de ces parallélogrammes étant de 12 répété 3 fois, et l’autre de 9 répété 4 fois. Maintenant, si l’on prend les nombres des côtés de toutes ces figures, à savoir le 6 du carré, le 8 du triangle, le 9 d’un des parallélogrammes et le 12 de l’autre, on aura les proportions des consonnances. Celle de la quarte sera exprimée par le rapport de 12 à 9, qui est le rapport de la nète[31] à la paramèse ; celle de la quinte, par le rapport de 12 à 8, qui est le rapport de la nète à la mèse ; celle du diapason, par le rapport de 12 à 6, qui est le rapport de la nète à l’hypate. Enfin, 216, le dernier des trois produits dont il est question plus haut, est le cube de 6, et il est égal à son périmètre.

14. Maintenant que nous avons exposé les propriétés de ces nombres, disons que le dernier 27[32] a cela de particulier, qu’il est égal à tous les autres pris ensemble. C’est le nombre des jours dans lesquels la lune accomplit son mois périodique[33]. C’est encore à ce nombre qu’entre les intervalles harmoniques les pythagoriciens attachent le ton. C’est pourquoi ils appellent le nombre 13 limma « défectuosité, » en ce sens qu’il lui manque l’unité pour être la moitié d’un nombre[34]. Ces nombres contiennent aussi les proportions des consonnances musicales, comme il est facile de s’en convaincre. En effet, entre 2 et 1 la proportion est double, c’est le diapason ; entre 2 et 3 c’est la proportion sesquialtère, ou la quinte ; entre 3 et 4 la proportion sesquitierce, ou la quarte ; entre 3 et 9 la proportion triple, ou l’octave avec la quinte ; entre 2 et 8 la proportion quadruple, ou le double diapason ; enfin, de 8 à 9 la proportion sesquioctave, qui est celle du ton. Maintenant si l’on prend l’unité, qui est commune aux nombres pairs et aux nombres impairs et qu’on ajoute cette unité à la série naturelle des pairs et des impairs, on aura la somme des dix premiers chiffres, qui est 55[35].

D’un autre côté, la série des nombres pairs[36] 1, 2, 4, 8, donne 15 ; celle des nombres impairs[37] donne 40, par l’addition de 13 et de 27, et c’est par ces deux nombres que les mathématiciens mesurent précisément les intervalles de son qu’ils appellent l’un le dièse, l’autre le ton. Ce nombre 40 est encore le produit de la multiplication du quaternaire. Car si vous prenez quatre fois chacun des quatre premiers nombres, vous obtiendrez pour produits successifs 4, 8, 12 et 16, dont la somme totale est 40. Or 40 contient toutes les proportions des consonnances musicales. En effet de 16 à 12, c’est la proportion sesquitierce ; de 16 à 8, la proportion double ; de 16 à 4, la quadruple ; de 12 à 8, la sesquialtère ; de 12 à 4, la triple : proportions qui donnent les accords de la quarte, de la quinte, du diapason (ou octave), et du double diapason. Le même nombre 40 se compose des deux premiers carrés 1 et 4, ajoutés aux deux premiers cubes 8 et 27. D’où il suit, que le quaternaire de Platon se trouve être beaucoup plus parfait et beaucoup plus riche que le quaternaire de Pythagore.

15. Mais attendu que les nombres posés par nous ne donnent point place aux médiététés, comme on les appelle, il a fallu prendre des termes plus étendus en conservant les mêmes proportions. C’est le moment de dire quels sont ces termes. Parlons d’abord des médiététés. La première est celle dans laquelle étant posés trois termes, le moyen surpasse un des deux extrêmes d’une quantité égale à celle dont il est surpassé par l’autre extrême : c’est la médiétété arithmétique. La médiétété sous-contraire est celle où, étant posé le même nombre de termes, il y a la même proportion entre les deux extrêmes. Les termes de la médiétété arithmétique sont 6, 9 et 12 : où l’on voit que 9 dépasse 6 de la même quantité qu’il est lui-même dépassé par 12. Les termes de la médiétété sous-contraire sont 6, 8, 12, où 8 dépasse 6 de 2, et est dépassé par 12 de 4. Or 2 est le tiers de 6, comme 4 est le tiers de 12. Ainsi, dans la médiétété arithmétique le moyen terme excède un des extrêmes et est excédé par l’autre d’une même quantité. Dans la sous-contraire ce terme moyen surpasse un des extrêmes et est surpassé par l’autre d’une même portion des extrêmes. En effet, dans les exemples donnés, 3 est le tiers du terme moyen pour le premier groupe de chiffres, et pour le second groupe 2 et 4 sont les tiers des deux extrêmes : c’est pourquoi on donne à cette médiétété le nom de sous-contraire. Elle s’appelle aussi harmonique, parce qu’elle renferme dans ses termes les premières consonnances. Du plus grand extrême au plus petit, c’est le diapason. Du plus grand extrême au moyen, c’est la quinte. Du moyen au plus petit extrême, c’est la quarte. De telle sorte que si le plus grand extrême est placé sur la nète et le plus petit sur l’hypate, le moyen sera sur la mèse, laquelle, combinée avec le plus grand extrême, produira la quinte, et avec le plus petit, la quarte. Ainsi 8 répondra à la mèse, 12 à la nète, et 6 à l’hypate.

16. Le procédé pour obtenir les dites médiététés est fourni d’une manière aussi simple que claire par Eudore. Voyons d’abord pour la médiétété arithmétique. Après avoir posé les extrêmes, si l’on prend la moitié de chacun d’eux et que l’on additionne ensemble ces deux moitiés, le total sera le moyen cherché, aussi bien si la proportion des extrêmes est triple que si elle est double. Voyons maintenant la médiétété sous-contraire. Si les proportions sont doubles, on posera les extrêmes, on prendra le tiers du plus petit extrême, la moitié du plus grand extrême, et le total que donne l’addition de ce tiers avec cette moitié sera le terme moyen cherché. Si les proportions sont triples, on procède à l’inverse. Il faut prendre la moitié du plus petit extrême et le tiers du plus grand : le total donnera le moyen terme. Exemple : Soit, dans une proportion triple, 6 le plus petit extrême et 18 le plus grand. Prenez la moitié de 6, qui est 3, le tiers de 18, qui est 6, additionnez, et vous aurez 9, qui surpasse l’un des extrêmes et est surpassé par l’autre dans la même proportion[38]. Tel est le moyen d’obtenir les médiététés. Restait à les introduire dans les nombres précédemment posés, et à compléter les intervalles qui se trouvent entre les doubles et les triples. Or, de ces nombres les uns n’ont absolument aucun espace moyen, les autres n’en ont pas un qui soit suffisant. En conséquence on les augmente en leur laissant les mêmes proportions, et ils donnent des espaces capables de contenir ces médiététés. Premièrement, pour le moindre terme au lieu de l’unité on pose 6, parce que 6 est le premier nombre divisible par 2 et par 3. On multiplie par 6 tous les nombres suivants, et, comme on le voit par le tableau ci-dessous, ces nombres reçoivent les deux espèces de médiététés dans les intervalles doubles et dans les intervalles triples[39] :

12 2 3 118
24 4 6 9 154
48 8 27 162

Platon dit[40] : « Comme les intervalles étaient sesquialtères, sesquitierces, sesquioctaves, Dieu, au moyen de ces liens qui existaient dans les distances précédentes, compléta par la sesquioctave tous les intervalles triples, leur laissant à chacun une portion ; et si cette portion laissée est prise nombre à nombre, elle se trouve avoir pour termes 256 et 243. » En raison de ces paroles on était forcé de rendre ces nombres encore plus grands et de les augmenter. Il fallait tout d’abord en avoir deux consécutifs qui fussent en proportion sesquioctave. Or le nombre 6 n’est pas divisible par 8 ; et d’autre part, si on le divisait en fractions d’unité, l’explication deviendrait difficile à comprendre. La conjoncture même indiqua qu’il y avait à procéder par voie de multiplication, comme il se fait en musique pour les muances[41], où il faut augmenter tout le registre si l’on élève le premier des nombres. Eudore donc, ayant suivi les indications de Crantor, posa pour premier nombre 384, qui est le produit de la multiplication de 6 par 64. Ce nombre 64 a déterminé la préférence de ces deux philosophes, parce qu’il est en proportion sesquioctave avec 72, et ce dernier[42], à son tour, est en proportion sesquioctave avec 81. Mais pour s’accorder avec ce que dit Platon, il est mieux de prendre la moitié de 384 ; car le limma sera en proportion sesquioctave avec les nombres qu’a pris Platon, à savoir 256 et 243, si nous prenons d’abord le chiffre 192. Mais si l’on prend le double de ce dernier nombre, à savoir 384, le limma conservera la première proportion. Seulement le nombre sera doublé dans la proportion de 512 à 486[43]. Car comme il y a proportion sesquitierce entre 512 et 384, de même cette proportion existe entre 256 et 192. La réduction à ce nombre n’est pas dénuée de raison, et même elle justifie l’opinion de Crantor. Car 64 est le cube formé par le premier carré, comme il est le carré formé par le premier cube. Multiplié par 3, qui est le premier nombre impair, le premier nombre triangulaire, le premier nombre parfait, le premier nombre sesquialtère, multiplié, dis-je, par 3, ce même nombre 64 donne pour produit 192, qui a également son sesquioctave, comme nous le démontrerons.

17. Mais auparavant revenons sur le limma, revenons sur la pensée de Platon. Vous me comprendrez mieux l’un et l’autre, si vous voulez permettre qu’en peu de mots je rappelle à votre mémoire ce qui a coutume de se dire dans les écoles des Pythagoriciens. En matière de chant, l’intervalle est tout espace compris entre deux sons qui diffèrent d’intensité. Or parmi les intervalles, il y en a un appelé ton : c’est celui qui mesure l’excès de la quinte sur la quarte. Les musiciens pensent que divisé en deux il fait deux intervalles, dont chacun est appelé par eux demi-ton. Mais les Pythagoriciens ont désespéré de sa section en deux parties égales ; et les deux divisions qu’ils obtiennent étant inégales, ils donnent à la plus petite le nom de limma (défectuosité)[44], parce qu’elle ne représente pas la moitié de l’intervalle. Voilà pourquoi les uns forment l’accord de la quarte au moyen de deux tons et d’un demi-ton, les autres au moyen de deux tons et d’un limma. Ce qui semble déterminer les musiciens, c’est le témoignage du sens de l’ouïe ; les mathématiciens se déterminent par la démonstration, et en voici le procédé. C’est un fait acquis, et vérifié par les instruments, que le diapason est en proportion double, la quinte en proportion sesquialtère, la quarte en proportion sesquitierce, enfin le ton en proportion sesquioctave. On peut incontinent vérifier l’exactitude de cette observation, soit en suspendant des poids inégaux[45] à deux cordes, soit en prenant deux flûtes de même diamètre et dont l’une aura le double de la longueur de l’autre[46]. Dans les flûtes, la plus grande rendra un son plus grave, avec le rapport de l’hypate à la nète. Dans les cordes, celle qui sera tendue par un poids double rendra un son plus aigu que l’autre en ce qui est du rapport de la nète à l’hypate : c’est l’accord du diapason[47]. Pareillement, trois longueurs, trois poids comparés avec deux feront la quinte ; quatre avec trois, la quarte : l’une présentant la proportion sesquitierce, et l’autre la sesquialtère. Si c’est de neuf à huit qu’il y a inégalité entre les poids ou les longueurs, cette inégalité donnera l’intervalle tonique, qui n’est pas un accord, mais qui est pour ainsi dire un abrégé d’harmonie : en ce sens que les sons, s’ils se trouvent touchés l’un après l’autre, parlent à l’oreille d’une manière agréable et douce, et que s’ils se trouvent touchés ensemble, ils la déchirent et la blessent. Quant aux consonnances, soit qu’elles se produisent ensemble, soit qu’elles se produisent successivement, c’est toujours avec plaisir que l’oreille reçoit leur accord.

Du reste, c’est un fait que l’on démontre aussi par le raisonnement. Comme dans l’harmonie le diapason est formé de la quinte et de la quarte, de même dans les nombres la proportion double est formée de la sesquialtère et de la sesquitierce : car 12 est à 9 en proportion sesquitierce, à 8 en proportion sesquialtère, à 6 en pro portion double. Ainsi la proportion double se compose de la sesquialtère et de la sesquitierce, comme le diapason de la quinte et de la quarte. Mais comme en musique la quinte a un ton de plus que la quarte, de même en arithmétique, la proportion sesquialtère surpasse de la sesquioctave la sesquitierce. Il est donc évident que le diapason est en proportion double, la quinte en proportion sesquialtère, la quarte en sesquitierce, et le ton en sesquioctave.

18. Cela étant démontré, examinons si la proportion sesquioctave est de nature à pouvoir être divisée en deux parties égales. Si elle ne le peut, la même impossibilité existera pour le ton. Puisque les premiers nombres qui forment la proportion sesquioctave, 8 et 9, ne laissent pas de distance entre eux, et que, si on les double l’un et l’autre, le nombre qui se trouve alors entre eux forme deux intervalles, il est clair que si les intervalles sont égaux la proportion sesquioctave sera divisible en deux parties égales. Or le double de 9 est 18, le double de 8 est 16, et le nombre intermédiaire est 17. Il se trouve que des deux intervalles l’un est plus grand, l’autre plus petit, puisque le premier est de 18 à 17 et le second de 17 à 16. La proportion sesquioctave se divise donc en sections inégales, et, cela étant, le ton se divise aussi en sections inégales. Ainsi, ni l’une ni l’autre des divisions du ton ne produit le demi-ton, et les mathématiciens ont eu raison d’employer le mot limma (défectuosité). C’est ce que dit Platon[48] : « Dieu, en complétant les sesquitierces par les sesquioctaves, a laissé une partie de chacun de ces intervalles, partie dont la proportion est de 256 à 243. » En effet, que l’on prenne une quarte en deux nombres qui soient entre eux en proportion sesquitierce, comme 256 et 192[49] ; que le plus petit de ces nombres, 192, soit placé sur la note la plus basse du tétrachorde, et le plus grand, 256, sur la note la plus haute : il faut démontrer que si cet espace est rempli par deux sesquioctaves, il reste un intervalle, un limma, aussi grand qu’entre les deux nombres 256 et 243. Car si la note la plus basse est haussée d’un ton, ce qui fait la proportion sesquioctave, on a 216 ; et si on l’élève encore d’un ton, on a 243, nombre qui surpasse 216 de 27, comme 216 surpasse 192 de 24. Or 27 est le sesquioctave de 216, et 24 celui de 192. Ainsi, de ces trois nombres le plus grand est sesquioctave du moyen, et le moyen est sesquioctave du plus petit. Quant à la distance du plus petit au plus grand, c’est-à-dire de 192 à 243, elle est de deux tons, que nous remplaçons par deux sesquioctaves ; et cette distance étant supprimée, il ne reste de l’espace entier que la distance entre 243 et 256, à savoir 13. Voilà pourquoi on appelait ce nombre limma. Je crois que la théorie de Platon est très-nettement exposée par ces nombres.

19. D’autres posent pour limites à la quarte, dans les sons aigus le nombre 288, dans les sons graves le nombre 216 ; et ils achèvent le reste du raisonnement au moyen de proportions analogues, si ce n’est qu’ils admettent le limma dans les deux tons intermédiaires. En effet, le son le plus grave étant monté d’un ton donne 243 ; le plus aigu étant baissé à son tour de la même quantité donne 256 ; or 243 est à 216 en proportion sesquioctave, comme 288 l’est à 256 : de sorte que de part et d’autre il y a l’intervalle d’un ton, et il reste la distance qu’il y a de 243 à 256, ce qui ne fait déjà plus un demi-ton, mais quelque chose de moins. Car 288 dépasse 256 de 32 ; 243 dépasse 316 de 27 ; 256 est plus grand que 243 de 13 ; et 13 est plus petit que la moitié de chacun des deux excédants 32 et 27. Ainsi, l’on trouve que la quarte se compose de deux tons et du limma, et non pas de deux tons et demi. Ce qui fait que la démonstration est fournie. De plus, d’après ce qui a été dit plus haut, il n’est nullement difficile de comprendre quelle a été la pensée de Platon quand, après avoir dit qu’il y a des intervalles sesquialtères, sesquitierces, sesquioctaves, obtenus en complétant les sesquitierces par les sesquioctaves, il n’a pas fait mention des sesquialtères et les a laissées de côté. C’est que en ajoutant la sesquitierce à la sesquioctave, on complète la sesquialtère.

20. Ces propositions étant démontrées, il s’agit de compléter les intervalles et d’insérer les médiététés. Si personne jusqu’ici ne se trouvait avoir réalisé ce travail, je vous en aurais laissé l’accomplissement comme exercice. Mais beaucoup d’esprits éminents l’ont effectué, notamment Crantor, Cléarque et Théodore, tous trois Soliens. Il y a entre les explications données par chacun d’eux quelques petites différences, qu’il n’est pas inutile de signaler. Théodore ne dresse point, comme Crantor et Cléarque, deux lignes de nombres. Sur une seule droite il place la série des doubles et des triples. Il commence par s’appuyer sur cette division de la substance, dite division en longueur, qui fait deux parties au moyen d’un tout, non pas quatre au moyen de deux. Ensuite il dit que l’insertion des médiététés doit se réaliser convenablement par ce procédé, qu’autrement il y aura trouble et confusion : si, par exemple, on saute aussitôt du premier double au premier triple quand il faudrait remplir ce qui doit les compléter l’un et l’autre[50]… Ce qui milite en faveur de Crantor, c’est la manière dont il pose les chiffres, les nombres plans avec les nombres plans, les carrés avec les carrés, les cubes avec les cubes, les combinant par voie d’oppositions, et non pas par séries consécutives. Ainsi il prend tour à tour les pairs avec les impairs[51]

21. … Il n’y a là qu’une seule et même chose, comme la forme et l’espèce. Ce qui est divisible dans les corps, c’est le sujet et la matière : le mélange des deux constitue l’ouvrage complet. Quant à la substance indivisible, qui est toujours la même, toujours semblable, il ne faut pas croire que ce soit par sa petitesse, comme les corps les plus imperceptibles, qu’elle échappe à toute division. C’est parce qu’elle est simple, impassible, pure, uniforme, qu’on la dit chose indivise et indivisible. Voilà pourquoi, si d’une manière ou d’une autre elle touche les substances composées, divisibles et variées, elle en fait cesser le caractère multiple pour leur donner celui de l’unité en leur imprimant sa ressemblance. Si, en parlant de la substance qui est divisible dans les corps on veut lui donner le nom de matière, comme étant soumise à la substance primitive et partageant la nature de cette substance, cet emploi du même mot ne jettera point de confusion. Mais ceux qui veulent que la matière soit confondue avec ce qui est indivisible, sont dans une erreur complète. D’abord Platon ne se sert dans cet endroit d’aucun des noms qui représentent cette matière. Il a coutume de la nommer toujours « récipient », « réservoir commun », « nourrice » : Il répète que la matière n’est pas divisible dans les corps, ou plutôt que c’est le corps séparé lui-même en individus distincts. Ensuite, quelle différence y aura-t-il entre la création du monde et celle de l’âme, si la composition de l’un et de l’autre est un mélange de la matière et des choses intelligibles ? Platon lui-même, comme pour repousser bien loin cette hypothèse que l’âme ait pu naître d’un corps, dit que au dedans de l’âme Dieu a placé l’élément corporel, qui ensuite a été du dehors recouvert par elle. Ce n’est que quand le philosophe a complétement exposé ce qu’il avait à dire sur l’âme, qu’il produit ultérieurement ses hypothèses relatives à la matière. Il n’avait en effet aucun besoin d’en parler auparavant, lorsqu’il s’occupait de la création de l’âme, puisqu’il proclamait celle-ci née indépendamment de la matière.

22. On peut réfuter par des arguments semblables la théorie des partisans de Possidonius. Celui-ci n’est pas bien éloigné d’introduire la matière. Il accepte ce que dit Platon ; mais il l’accepte à ce point de vue : à savoir, que la substance des extrémités est dite divisible dans les corps. Puis l’ayant mêlée avec la substance intelligible, il déclare que l’âme est l’idée de ce qui réunit toutes les dimensions, constituée suivant des nombres harmoniques : « attendu, ajoute-t-il, que les notions mathématiques sont placées entre les premières substances intelligibles et les premières substances sensibles, et que l’âme ayant comme les intelligibles l’éternité, comme les sensibles la passibilité, il est convenable que sa substance se trouve au milieu. Une chose a échappé aussi à Possidonius : c’est que l’âme étant déjà créée, Dieu employa ultérieurement les extrémités des corps pour donner une forme à la matière. À cette occasion il borna ce qu’il y avait en elle de flottant et de désuni, en l’entourant des surfaces de triangles combinés en semble. Il est encore plus absurde de faire de l’âme une idée, puisque l’âme est essentiellement mobile et que l’idée est immuable, puisque l’idée ne saurait s’unir par voie de mélange avec les choses sensibles, et que l’âme est emprisonnée dans le corps. En outre, Dieu est à l’égard de l’idée un imitateur qui reproduit un modèle ; à l’égard de l’âme, c’est un créateur qui produit son œuvre. Du reste Platon ne suppose pas non plus que l’essence de l’âme soit un nombre : il admet seulement qu’elle est réglée par des nombres, comme nous l’avons dit précédemment.

23. Mais aux deux philosophes il y a une objection à faire, qui leur est commune : c’est que ni dans les extrémités des corps, ni dans les nombres, n’existe aucune trace de cette puissance, que l’âme possède naturellement, de juger des choses sensibles. Ce qui constitue l’intelligence de l’âme et sa faculté de s’en servir, c’est sa participation au principe intelligible. Mais les opinions, les persuasions, les imaginations et les affections produites par les qualités inhérentes aux corps ne sauraient, dans l’opinion de personne, être tout simplement produites par des lignes ni par des surfaces. Et du reste, ce ne sont pas seulement les âmes mortelles qui ont la faculté de juger les choses sensibles. « L’âme du monde aussi, dit Platon[52], lorsqu’en faisant sa révolution circulaire sur elle-même elle vient à toucher quelque chose dont la substance est de nature à se dissiper, et pareillement quelque chose dont la nature est indivisible, l’âme du monde dit clairement, en se mouvant tout entière d’elle-même, à quoi cette chose est identique, de quoi elle est le contraire ; elle dit d’après quelle loi, par où, comment cette chose se trouve, selon les circonstances, être affectée et modifiée par une autre. » À ce propos, Platon donne en même temps un aperçu de ses dix catégories ; et ce qu’il ajoute rend encore sa pensée plus claire : « Quand la raison vraie, dit-il[53], s’exerce sur les choses sensibles, et que le cercle de l’être changeant s’avançant en ligne droite porte dans toute l’âme la notion de ces choses sensibles, il se forme des opinions, des persuasions solides et vraies. Mais quand l’âme est en rapport avec ce qui tient à l’intelligence et que c’est le cercle de l’être toujours le même qui dans ses révolutions lui découvre les choses de cet ordre, alors de toute nécessité la science atteint à sa perfection. Quant à vouloir que l’être, quel qu’il soit, dans lequel ces deux espèces de connaissances se trouvent l’une et l’autre, vouloir que cet être soit appelé autrement qu’âme, c’est dire tout plutôt que la vérité. »

Mais d’où l’âme tient-elle ce mouvement qui la met à même de percevoir les objets sensibles, d’avoir une opinion, et qui, pourtant, diffère de cet autre mouvement intelligible dont le résultat est la science ? C’est ce qui sera bien difficile à dire, si nous ne posons pas solidement en principe, qu’ici ce n’est pas simplement l’âme, mais bien l’âme du monde, que Platon compose de subjectifs, à savoir de la substance plus parfaite et indivisible, et de la substance moins bonne, par lui qualifiée de divisible dans les corps. Cette dernière n’est rien autre chose que le mouvement à la suite duquel se produisent les opinions, les imaginations, et les sympathies pour tout ce qui tient aux sens : mouvement qui n’a pas été engendré, mais qui subsiste de toute éternité comme l’autre. Car notre nature, qui a reçu la faculté de comprendre, a reçu également celle de se former des opinions. Seulement la première de ces deux facultés est immuable, étrangère à toute affection ; elle a son siége dans l’essence qui demeure toujours. La seconde au contraire est divisible, errante, attendu qu’elle se rattache à une chose essentiellement mobile et de division très aisée : je veux dire la matière. Car le règne sensible[54] n’avait pas, dans le principe, été destiné à la régularité. Il était informe, indéterminé. L’intelligence qui lui est inhérente n’avait pas, non plus, d’opinions distinctes. Tous les mouvements n’en étaient pas réglés. C’étaient, pour la plupart, des espèces de rêves incohérents qui troublaient l’élément corporel toutes les fois que le hasard ne les faisait pas se rencontrer avec la faculté la plus parfaite. En effet cette intelligence se trouvait placée entre deux natures, et avait avec elles de la sympathie et une affinité d’origine : en ce sens que par sa faculté de percevoir au moyen des sens, elle tient à la matière, et par sa faculté de juger, aux choses intelligibles.

24. C’est ainsi que Platon s’en explique clairement lui-même dans les termes que voici[55] : « Faut-il formuler sommairement l’opinion que je me suis faite à cet égard ? C’est que ces trois éléments, l’être, l’espace et la génération, existaient même avant que le ciel fût créé. » Il donne à la matière le nom d’espace, pour indiquer que c’est une base, et, comme il le dit quelquefois, un récipient. L’être, c’est la substance intelligible. Quant à la génération antérieure, quant à l’existence du monde, ce n’est autre chose que la substance, laquelle, considérée au point de vue de ses changements et de ses mouvements, est placée entre ce qui imprime la forme et ce qui la reçoit ; et elle transmet ici les images de là bas. C’est pour cela que la génération a été dite susceptible de division, et aussi parce qu’il est de toute nécessité qu’aux choses sensibles soit attribuée et rattachée la faculté qui s’exerce par les sens, de même qu’aux objets de l’imagination doit être attribuée la faculté imaginative. Car le mouvement sensible, la faculté sensible, qui est propre à l’âme, se porte vers les objets sensibles, au dehors ; mais l’entendement est de lui-même durable et immobile. Placé dans l’âme, où il domine, il se retourne sur lui-même et il y accomplit le mouvement circulaire, effleurant d’une manière plus spéciale ce qui dans la série des êtres reste toujours le même.

Voilà encore pourquoi le mélange des deux substances fut difficile à réaliser. Il s’agissait de combiner ce qui est divisible avec ce qui est indivisible, ce qui ne se meut dans aucun sens avec ce qui est emporté dans toutes les directions ; il fallait contraindre l’être changeant à s’unir avec l’être toujours le même. Or l’être changeant n’était pas le mouvement, pas plus que l’être toujours le même n’était la stabilité. Ils étaient le principe de la diversité et de la dissemblance[56], attendu qu’ils procèdent tous les deux d’un principe contraire : l’être toujours le même procède de l’unité, l’être changeant procède de la dyade. Quand ils se sont mélangés pour la première fois, c’est ici bas, dans l’âme, dans laquelle ils se trouvent liés l’un à l’autre par des nombres, par des proportions, par des médiététés harmoniques. L’être changeant, combiné avec l’être toujours le même, produit la diversité. L’être toujours le même, combiné avec l’être changeant, produit l’ordre : comme on le voit clairement dans les premières facultés de l’âme, qui sont la faculté de juger et celle d’imprimer du mouvement. Le mouvement peut tout aussitôt, si nous regardons le ciel, nous faire voir la diversité dans l’identité par le mouvement qu’opèrent les étoiles fixes, et l’identité dans la diversité par l’ordre assigné aux planètes. Dans les étoiles fixes domine l’être toujours le même : dans les astres qui roulent autour de la terre domine l’être changeant. Pour le jugement, il a deux principes : d’abord l’entendement, qui procède de l’être toujours le même, lorsqu’il s’agit des choses générales ; ensuite les sens, qui procèdent de l’être changeant, lorsqu’il s’agit des choses examinées séparément. Le mélange des deux constitue la raison. Elle est l’intelligence par rapport aux choses intelligibles, et l’opinion par rapport aux sensibles. Les instruments qu’emploie la raison tiennent également des deux : c’est l’imagination et le souvenir, dont la première fait agir l’être changeant sur l’être toujours le même, et le second l’être toujours le même sur l’être changeant. Car l’intelligence c’est le mouvement du principe intellectuel autour de ce qui est stable, et l’opinion, c’est l’état stationnaire de la faculté sensible autour de ce qui se meut. Quant à l’imagination, qui est l’alliance de l’opinion avec l’appréciation fournie par les sens, l’être toujours le même la place dans la mémoire. Au contraire, l’être changeant la met en mouvement en lui faisant saisir la différence du passé et du présent, et en se mettant en contact à la fois avec la diversité et avec l’identité.

25. Mais il faut prendre la constitution du corps du monde, tel qu’il existe, pour exemple et pour image de la proportion dans laquelle Dieu a composé si harmonieusement l’âme. Dans le monde, à ses extrémités, il y avait le feu et la terre, dont les natures réciproques ne pouvaient se combiner que difficilement, ou plutôt étaient tout à fait incompatibles entre elles et se refusaient à toute alliance. Aussi, ayant placé au milieu d’eux l’air avant le feu, l’eau avant la terre, Dieu mêla d’abord ensemble ces deux derniers éléments ; puis par leur moyen il unit et combina les deux autres, soit avec ceux-ci, soit entre eux. Dans l’âme, d’un autre côté, il joignit l’être toujours le même et l’être changeant, puissances opposées, extrêmes, contraires. Il n’associa pas ces deux êtres immédiatement et par eux-mêmes, mais par l’interposition de deux autres éléments. Ces deux éléments furent l’indivisible, qu’il rapprocha de l’être toujours le même, et le divisible, qu’il rapprocha de l’être changeant, chacun par l’endroit qui présentait le plus d’affinité. Ensuite ayant confondu ce mélange avec le premier, Dieu se trouva avoir formé l’âme tout entière, en produisant, autant que possible, au moyen de principes différents un tout qui se ressemblait, au moyen de principes nombreux un tout unique.

C’est à tort, selon quelques-uns, que Platon a prononcé que la nature de l’être changeant se prête difficilement au mélange, puisque loin d’être incapable de recevoir le changement, elle l’aime au contraire. C’est plutôt, disent-ils, la nature de l’être toujours le même, nature stable et difficile à changer, qui accepte peu volontiers le mélange, qui le repousse, qui le fuit : tant elle désire rester simple, pure et sans altération ! Mais ceux qui accusent ainsi Platon ignorent que l’être toujours le même est l’idée des choses qui restent constamment ce qu’elles ont été, que l’être changeant est l’idée de celles qui sont susceptibles de variation. L’effet produit par l’être changeant, c’est que tout ce qu’il touche se désunisse, devienne autre, devienne multiple. L’effet produit par l’être toujours le même, c’est de réunir, d’agréger plusieurs substances, et, par similitude, de n’en faire qu’une seule forme, qu’une seule faculté.

26. Telles sont donc les facultés de l’âme de l’univers. Dès qu’elles ont passé, elles qui sont impérissables, dans des organes mortels, passibles, appartenant à des corps périssables, ces organes révèlent d’une manière plus évidente le pouvoir[57] de la dyade et de la partie indéterminée, tandis que la puissance simple et unique devient obscure, s’enfonce et disparaît. Néanmoins on concevrait difficilement chez un homme une passion qui fût tout à fait dépourvue de raisonnement, comme aussi un mouvement de son intelligence où ne se trouvât mêlé un sentiment de désir, d’ambition, de joie ou de douleur. Voilà pourquoi, entre les philosophes, les uns veulent que les passions soient des espèces de raisons, et pourquoi dans tout désir, tout chagrin, toute colère, ils prétendent voir autant de jugements, tandis que d’autres déclarent que les vertus sont des résultats de passions. Le courage, disent ces derniers, se passionne pour triompher de ce qui est attrayant ; la modération, pour triompher du plaisir ; la justice, pour triompher du gain illicite. Or, comme l’âme est à la fois contemplative et active, comme elle considère les choses générales et les choses particulières, comme elle paraît percevoir les premières par l’intelligence, les secondes par les sens, il s’ensuit que la raison, qui est commune aux deux facultés, et qui rencontre constamment l’être toujours le même dans l’être changeant et l’être changeant dans l’être toujours le même, il s’ensuit, dis-je, que la raison s’efforce, au moyen de limites et de divisions, de séparer ce qui est un de ce qui est multiple, ce qui est indivisible de ce qui est divisible. Toutefois elle ne peut jamais exister parfaitement pure dans l’un et dans l’autre principe, parce que dès l’origine ils sont naturellement engagés et confondus ensemble.

Voilà pourquoi la substance qui est composée de l’essence indivisible et de la divisible a été, par la volonté de Dieu, constituée récipient de l’être toujours le même et de l’être changeant, afin qu’il y eût de l’ordre dans la diversité. Car c’était là ce qui constituait le fait de naître. Sans cela, l’être toujours le même n’aurait pas eu de différence, ni par conséquent de mouvement et de génération ; et l’être changeant n’aurait pas eu d’ordre, ni par conséquent de consistance et de génération. Car si à l’être toujours le même il était arrivé d’être dissemblable comme l’être changeant, et, d’autre part, si à l’être changeant il était arrivé de rester en soi comme l’être toujours le même, cette participation mutuelle de l’un à l’autre n’aurait rien produit qui pût déterminer la génération. Il fallait un troisième élément, il fallait une sorte de matière qui pût les réunir ensemble et recevoir de leur influence sa disposition. C’est cette matière que Dieu constitua en premier lieu, lorsqu’il termina par la stabilité de la substance intelligible ce qu’il y a d’indéfini dans la mobilité des corps.

27. Mais comme il y a une voix privée de sens, inarticulée, et que la parole est l’énonciation d’une autre voix qui exprime la pensée, comme l’harmonie se compose de sons et d’intervalles, comme le son est un et toujours le même, et l’intervalle une variété et une différence de sons, comme enfin c’est la combinaison des sons et des intervalles qui produit le chant et la mélodie ; de même, la partie passible de l’âme était d’abord indéterminée et instable. Ensuite elle fut déterminée, quand des limites et une forme eurent été assignées à la divisibilité et à la multiplicité de son mouvement. L’être toujours le même et l’être changeant se trouvant ainsi rapprochés par suite des ressemblances et des dissemblances de nombres qui de la diversité firent naître l’accord, il se produisit la vie de l’univers : vie toute pleine d’intelligence et d’harmonie, raison qui fait manœuvrer la persuasion et la nécessité mêlées ensemble. À cette dernière le plus grand nombre des philosophes donne le nom de fatalité. Quant aux deux principes, Empédocle leur donne le nom d’  » amitié » et de « discordance », Héraclite les appelle « harmonie du monde par contraste », comme il en est pour une lyre et pour un arc. Parménide dit que c’est « la lumière et les ténèbres » ; Anaxagore, « l’intelligence et l’infini » ; Zoroastre, « un Dieu et un démon » : le premier étant Oromase, le second Arimane. C’est à tort qu’Euripide, au lieu de la particule conjonctive, emploie la disjonctive :

Jupiter ! que tu sois l’intelligence humaine,
Ou la nécessité…

En effet cette puissance qui pénètre partout est à la fois nécessité et intelligence. C’est ce que les Égyptiens donnent à comprendre sous le voile de leurs allusions mythologiques, quand ils disent que Horus ayant été condamné, son esprit et son sang furent donnés à son père, et à sa mère sa chair et sa graisse. Dans l’âme il n’y a rien qui reste pur, sans mélange et séparé du reste. « Une harmonie invisible est meilleure qu’une visible », dit Héraclite, parce que Dieu a caché, a enfoui, les différences et les diversités en les mêlant. Néanmoins dans la partie brute de l’âme on voit des mouvements désordonnés, comme dans sa partie raisonnable on voit de la régularité, dans sa partie sensitive la nécessité, dans sa partie intelligente le pouvoir d’être maîtresse de soi. Au contraire la faculté qui termine se porte de préférence, en raison de son affinité, vers les substances universelles et indivisibles ; tandis que la faculté qui divise tend, par ce qu’elle a de visible, vers les choses particulières ; et l’ensemble entier se réjouit du changement que l’être toujours le même éprouve quand il en a besoin, et de sa transformation en l’être toujours changeant. La diversité des mouvements qui nous portent vers ce qui est beau et vers ce qui est honteux, vers ce qui est agréable et vers ce qui est affligeant, les transports des amants, leurs désespoirs, les combats de l’honneur contre le libertinage, sont autant de preuves, que l’âme est le composé d’une substance divine, impassible, en même temps que d’une portion périssable et soumise par le corps à l’action des sens. Platon appelle l’une « un désir de plaisirs inné en nous », l’autre « une opinion venue du dehors qui nous porte vers ce qui est bien ». Car d’elle-même l’âme produit la passibilité, mais l’intelligence lui vient du dehors, et elle émane du principe qui est le meilleur de tous.

28. La communauté d’un double principe n’est pas une chose qui soit même étrangère à la nature du ciel. Cette nature, obéissant à des impulsions diverses, est tantôt dirigée dans la droite voie par la révolution de l’être toujours le même qui est la plus forte, et alors elle gouverne le monde. D’autres fois, et c’est ce qui arrivera comme c’est déjà souvent arrivé, d’autres fois le principe intelligent s’hébète, s’endort, et il oublie ce qui est conforme à son essence. Alors le principe qui, dès l’origine, est lié d’habitude et de sympathie avec le corps, détermine l’entraînement. Ce principe pèse sur l’ensemble, et il détourne en sens contraire la marche de l’univers qui se portait à droite. Toutefois il ne peut briser complétement cette marche. Le principe meilleur reprend encore le dessus, et il se règle sur le divin modèle, qui le remet dans sa voie et qui le redresse.

Ainsi par une foule de preuves il nous est démontré que l’âme n’est pas tout entière un ouvrage divin, et que naturellement elle recèle en elle-même sa part du mal. Mais Dieu a réglé les choses. L’infinité de l’âme est bornée par son unité même, et l’âme devient une substance susceptible d’être limitée. Par la force de l’être toujours le même, et par celle de l’être changeant, Dieu y entretient à la fois l’ordre et le changement, la diversité et la ressemblance ; et grâce à toutes ces combinaisons, il a établi autant que possible entre ces divers éléments l’accord qui résulte des nombres et de l’harmonie.

29. Bien que vous ayez souvent, à propos de cette doctrine, entendu nombre de dissertations et lu beaucoup de traités, il n’est pas mauvais que je m’en explique moi-même en peu de mots. Je citerai d’abord le texte même de Platon[58] : « Dieu commença par séparer de tout l’univers une portion distincte. Après celle-là, il en ôta une qui était double de la première, puis une troisième, sesquialtère de la seconde et triple de la première ; une quatrième, double de la seconde ; une cinquième, triple de la troisième ; une sixième, huit fois plus grande que la première ; enfin une septième, vingt sept fois plus grande que cette même première. Après cela il remplit les intervalles doubles et les intervalles triples, en enlevant encore d’autres portions qu’il plaça de manière à ce que dans chaque intervalle se trouvassent deux médiététés, l’une surpassant un de ses deux extrêmes d’une certaine quantité, et étant de la même quantité surpassée par le second extrême, l’autre médiétété surpassant et étant surpassée de la même portion des extrêmes. Les intervalles se trouvèrent sesquialtères, sesquitierces, sesquioctaves. Alors au moyen des liaisons que Dieu avait faites dans les intervalles précédents, il remplit par l’intervalle sesquioctave tous les intervalles triples, laissant une portion de chacun ; et l’intervalle de cette portion laissée, pris de nombre à nombre, eut pour termes 256 et 243. » En étudiant ce passage on se demande d’abord quelle est la quantité des nombres en question, ensuite quel est leur ordre, en troisième lieu quelle est leur valeur. À propos de leur quantité, on veut savoir quels sont les nombres que Platon prend en intervalles doubles et en intervalles triples. À propos de leur ordre, on se demande s’il faut les exposer tous sur une seule ligne, comme fait Théodore, ou bien plutôt, comme Crantor, sur deux lignes à angle aigu, figurant un A : le premier nombre étant placé au sommet, puis d’un côté les doubles, d’un autre côté les triples étant rangés séparément sur chacune des lignes. Enfin, à propos de leur utilité et de leur valeur, on veut savoir ce qu’ils produisent quand ils sont appliqués à la composition de l’âme.

30. Pour ce qui est de la première question, nous repousserons l’avis de ceux qui disent que dans les proportions mêmes il suffit d’examiner la nature des intervalles et celle des médiététés introduites, et qui justifient cette opinion en ajoutant, que quels que soient les nombres posés, du moment qu’ils ont des espaces capables de recevoir les proportions dont il est parlé ici la démonstration s’en fait également. Car, même si ce que ces premiers argumentateurs soutiennent est vrai, la démonstration en reste obscure parce qu’elle n’est appuyée sur le secours d’aucun exemple. De plus elle nous éloigne d’une autre manière d’envisager les choses, laquelle n’est pas sans un véritable intérêt philosophique. Si donc, ayant commencé par l’unité, nous posons d’un côté les nombres doubles et de l’autre les triples, comme Platon nous indique de le faire, nous aurons pour une série, 2, 4, 8, pour l’autre, 3, 9, 27, et en tout sept nombres[59], si nous prenons l’unité commune aux deux séries et que nous poussions la multiplication jusqu’à 4. Car ce n’est pas ici seulement, mais souvent ailleurs que devient évidente la sympathie du nombre 4[60], avec le nombre 7. Or ce nombre quaternaire, vanté par les Pythagoriciens, à savoir le nombre 36, semble avoir ceci d’admirable, qu’il est composé des quatre premiers nombres pairs et des quatre premiers nombres impairs, et qu’il est la quatrième connexion des nombres mis ainsi en ordre. En effet, la première connexion est celle de 1 et de 2 ; la seconde, celle des nombres impairs 1 et 3[61]. Notre philosophe place en premier l’unité, comme appartenant à la fois aux impairs et aux pairs. Ensuite il prend 8, puis 27. C’est nous faire voir aussi complétement que possible quel espace il accorde à l’un et l’autre genre. Sur ce point-là, je laisse à d’autres le soin d’entrer dans de plus grands détails ; mais ce qui me reste à dire se rapporte exclusivement au sujet que nous nous sommes proposé de traiter.

31. Ce n’est pas pour faire montre de ses connaissances en mathématiques que Platon, dans une question de physique qui semble ne demander rien de semblable, a introduit des médiététés arithmétiques et des médiététés harmoniques. Il a parlé de ces dernières parce que nul autre mode de démonstration ne convenait mieux pour expliquer comment est composée l’âme.

Les proportions dont nous avons parlé, certains les cherchent dans les vitesses des sphères planétaires ; quelques-uns, dans les dimensions des astres ; ceux enfin qui semblent se piquer d’une parfaite exactitude veulent les trouver dans les diamètres des épicycles. Ne dirait-on pas que, pour faire usage de ces proportions, le Créateur souverain eût combiné l’âme avec les corps célestes, après l’avoir divisée en sept parties ? Plusieurs vont même jusqu’à transporter ici la méthode des Pythagoriciens, en triplant depuis le milieu la distance des corps. Or pour cela il faut attribuer au feu l’unité, à l’Antichthone (ou terre opposée à la nôtre), le nombre 3, à notre globe 9, à la lune 27, à Mercure 81, à Lucifer[62] 243, au soleil lui-même 729. Ce dernier nombre est 3 à la fois un carré et un cube ; et pour cela, on appelle le soleil tantôt carré, tantôt cube. C’est en triplant ainsi les nombres que les Pythagoriciens réduisent en proportion les autres astres. Mais ils sont loin de la vérité, si les démonstrations géométriques servent à quelque chose ; et ils prouvent qu’il faut ajouter bien plus de confiance à ceux qui, partant de ces démonstrations mêmes, ne sont pas arrivés, il est vrai, à des résultats complétement exacts, mais en ont fort approché.

Écoutons, en effet, ce que disent ces derniers. Le diamètre du soleil est à celui de la terre[63] dans le rapport de 12 à 1. D’un autre côté, le diamètre de la terre est à celui de la lune dans le rapport de 3 à 1[64]. L’étoile fixe qui nous apparaît la plus petite n’a pas un diamètre moindre que le tiers de celui de la terre[65]. La sphère totale de la terre est à celle de la lune, comme 27 est à 1[66]. Les diamètres de Lucifer et de la terre sont comme 1 est à 2, et leurs sphères, comme 1 est à 8[67]. L’espace de l’ombre de la terre par laquelle sont produites les éclipses de lune est triple du diamètre de la lune. La largeur dont la lune s’écarte du diamètre du Zodiaque, dans un sens comme dans l’autre, est une douzième partie. Les positions de la lune à l’égard du soleil, à des distances triangulaires et quadrangulaires, donnent à la lune son premier quartier et sa forme bossue. Quand elle a parcouru six constellations du Zodiaque, elle devient pleine-lune, comme s’il se formait un accord de diapason formé de six tons. Les mouvements du soleil sont moins sensibles près des solstices et plus accélérés aux équinoxes, car ce que le soleil ôte au jour s’ajoute à la nuit, et réciproquement. Voici, du reste, les proportions. Dans les trente premiers jours après le solstice d’hiver, le soleil ajoute au jour la sixième partie de l’excès que la plus grande nuit a sur la journée la plus courte ; dans les trente jours suivants, le soleil y ajoute la troisième partie. Enfin, il ajoute la moitié dans les autres jours qui suivent, jusqu’à l’équinoxe : de manière à compenser ainsi par des intervalles sextuples et triples l’inégalité du temps.

Les Chaldéens disent que le printemps est avec l’automne dans le rapport de la quarte, avec l’hiver dans celui de la quinte, avec l’été dans celui du diapason. Mais si les limites fixées par Euripide sont exactes, quand il dit qu’il y a quatre mois égaux d’hiver et quatre mois d’été, tous de la même longueur :

Puis deux mois pour l’automne, et deux pour le printemps,

si, dis-je, ces limites sont exactes, les saisons sont entre elles dans le rapport du diapason. Quelques-uns assignent à la terre la place qu’occupe dans la lyre la note formée par la corde supplémentaire. Ils donnent à la lune celle de l’hypate, à Mercure[68] et à Lucifer celle du diatonos et du lichanos[69]. Quant au soleil même, ils croient devoir le placer sur la mèse, comme tenant le milieu du diapason, parce qu’il est éloigné de la terre à la distance d’une quinte, et des étoiles fixes à la distance d’une quarte.

32. Mais ni les élégantes hypothèses des uns n’atteignent le moins du monde à la vérité, ni les calculs des seconds ne sont exacts. Ceux donc à qui il ne semble pas que ces considérations se rattachent à la pensée de Platon, reconnaîtront du moins qu’elles s’accordent avec les proportions musicales. Comme il y a cinq tétracordes, celui des hypates, celui des mèses, celui des conjointes, celui des disjointes, celui des suprêmes, ils disent que les planètes sont placées à cinq distances différentes, dont la première est depuis la lune jusqu’au soleil et aux deux planètes qui l’accompagnent dans sa course, Stilbon et Lucifer[70], la deuxième depuis ces trois planètes jusqu’à la constellation de Mars, dite l’enflammée, la troisième depuis Mars jusqu’à Phaéthon[71] ; la suivante depuis Phaéthon jusqu’à Phénon[72], et enfin la cinquième depuis Phénon jusqu’au groupe des étoiles fixes : en sorte que les sons qui déterminent l’étendue de tous les tétracordes ont les mêmes proportions que les intervalles des planètes.

Nous savons, de plus, que les anciens avaient dans leurs tétracordes deux hypates, trois nètes, une mèse et une paramèse. C’est dire, que le nombre de leurs notes égalait celui des sept planètes. Les modernes en ajoutant la proslambanomène, qui est d’un ton plus basse que l’hypate, ont renfermé tout l’ensemble du système musical dans un double diapason ; mais ils n’ont pas maintenu l’ordre des accords tel qu’il se produit naturellement : car la quinte se produit avant la quarte, en ajoutant à l’hypate un ton grave. Au contraire, il est évident que Platon l’ajoutait dans la note aiguë. En effet, il dit dans sa République[73] : « que chacune des sept sphères accomplit sa révolution en portant montée sur elle une Sirène ; que toutes ces Sirènes émettent un ton, et que l’ensemble de ces tons constitue une harmonie unique. » Abandonnées à leurs inspirations, ces Sirènes chantent les merveilles de Dieu, et en exécutant leurs évolutions et leur danse sacrée elles s’accompagnent de la douce mélodie des huit cordes. En effet « huit » était le nombre des premiers termes pour les proportions doubles et pour les proportions triples, l’unité étant ajoutée dans chacune des deux séries de nombres. Les anciens nous ont également transmis neuf muses, dont huit, comme l’enseigne Platon, s’occupent des phénomènes célestes. Pour la neuvième, elle appelle à soi les choses de la terre. Elle les adoucit, elle leur enlève cette instabilité et cette dissimilitude qui amènent le trouble et la confusion.

33. Demandez-vous, mes amis, si le ciel avec ce qu’il contient n’est pas dirigé par l’âme, autour de laquelle il accomplit ses harmonieuses révolutions. L’âme est souverainement sensée, souverainement juste. Elle doit cette perfection aux proportions harmoniques, dont les images, emblèmes de l’incorporel, se trouvent empreintes sur les parties qui sont visibles et que l’on voit, je veux dire sur les corps du monde. Mais la première, la souveraine force de ces proportions est imprimée visiblement sur l’âme. Celle-ci se présente constamment d’accord avec elle-même, constamment soumise, par suite de l’accord qui règne entre tout le reste et la partie la meilleure et la plus divine. En effet le Créateur souverain ayant pris l’âme au milieu du désordre et de la négligence, lorsque, privée d’harmonie et de raison, elle obéissait à des mouvements qui la mettaient en contradiction avec elle-même, le Créateur souverain, dis-je, a établi des limites et des distances entre certaines choses, tandis qu’il en rapprochait et en combinait d’autres ; et pour y parvenir il a employé les harmonies et les nombres. Grâce à ce procédé les corps même les plus insensibles, la pierre, le bois, l’écorce des arbres, les nerfs des animaux[74], en se rapprochant, en se mêlant, produisent des figures admirables, des statues, des parfums merveilleux et des instruments d’une harmonie délicieuse.

Voilà aussi pourquoi Zénon de Citium engageait les jeunes gens à aller voir les joueurs de flûte, afin d’apprendre quelle voix émettent de simples morceaux de cornes, des fragments de bois, des tiges de roseaux, des os, auxquels on applique des proportions et des accords. Car cet aphorisme des Pythagoriciens, « que tout ressemble à des nombres », a besoin d’explication. Toutefois il y a un fait incontestable : c’est que les substances qui, d’incompatibles et dissemblables, sont devenues unies et sympathiques ont dû cet effet à la modération et à l’ordre mis en elles par les proportions et les nombres harmoniques. Les poëtes eux-mêmes ne l’ignorent point, puisqu’ils disent des choses aimables et douces qu’elles sont d’accord » et qu’ils disent qu’entre ennemis privés, entre ennemis de guerre « il y a discordance. » N’est-ce pas là déclarer que la haine est un défaut d’harmonie[75] ? Le poëte qui a composé l’éloge funèbre de Pindare a dit de lui :

Il savait s’accorder avec les étrangers,
Aussi bien qu’avec ceux de sa ville…,

et ce poëte regarde évidemment une vertu si aimable comme le résultat d’un vif sentiment de l’harmonie. Pindare lui même nous montre Cadmus

Sous un dieu se formant à l’art de la musique.

Les théologiens d’autrefois, qui sont les plus anciens des philosophes, plaçaient des instruments de musique dans les mains des statues des Dieux. Non pas qu’ils crussent que les Dieux manient la lyre et la flûte ; mais ils pensaient que les Dieux ne peuvent rien faire qui ne soit harmonie et accord. Ainsi donc, de même que si l’on cherchait des proportions sesquitierces, sesquialtères, ou doubles, dans le corps, dans le manche, dans les clefs d’une lyre on serait évidemment ridicule, attendu que si ces parties de l’instrument ont besoin d’être proportionnées entre elles sous le rapport de la longueur et de l’épaisseur, ce n’est que dans les sons qu’il faut regarder l’harmonie ; de même, selon toute apparence, les corps des astres, les distances de leurs orbites, la rapidité de leurs évolutions, rappellent les instruments de musique. Tout y est bien monté, et les diverses parties concourent parfaitement à l’effet général, quoique pourtant la mesure et la quantité des proportions nous échappent. Ce n’en est pas moins à ces proportions employées par le fabricateur souverain, ce n’en est pas moins à ces nombres, qu’il faut attribuer l’accord et l’harmonie de l’âme elle-même. C’est parce qu’elle est douée d’une semblable harmonie, que l’âme a pris possession du ciel et l’a remplie d’une infinité de merveilles ; qu’elle a pris possession de la terre ; qu’elle y a ménagé les saisons et les changements avec tant de mesure ; qu’elle y veille avec une sollicitude si précieuse et si belle à la naissance et à la conservation de tout ce qui a été créé.


  1. Ce père est notre Plutarque lui-même.
  2. Timée, (Édit. Didot, Vol. II, p. 207, et traduction de M. Cousin, vol. XII, page 125 et suivantes).
  3. Autrement dit : « le nombre 1. »
  4. Le texte dit seulement : « les partisans de Crantor. »
  5. Autrement dit, Platon s’était déterminé à supposer que l’âme et le monde avaient été créés ; et il leur appliquait les mots qui représentent ce genre d’idées, à savoir les mots création, naissance, etc.
  6. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu ; mais dans le Phédon, auquel M. Cousin a donné pour second titre, « ou de l’âme », ch. XLII (Éd. Didot, vol. I, p. 74.) Simnias soutient que la nature de l’âme consiste dans l’harmonie, et Socrate le réfute.
  7. Le Sophiste, chap. XLI. Éd. Didot, vol. I, p. 192.
  8. Le texte dit : « chanter. »
  9. Platon, ainsi qu’on le voit, suppose un chaos primitif, au moral comme au physique.
  10. Chap. xvi. (Éd. Didot, vol. I, p. 586 ; Traduction de M. Cousin, vol. XI, p. 37 et suiv.)
  11. Éd. Did. Vol. II, p. 207 ; Traduction de M. Cousin, Vol. XII, p. 125.
  12. Endroits cités, page 208 ; page 128.
  13. Le texte dit simplement : « l’âme ».
  14. Le texte dit simplement : « entr’autres preuves. »
  15. Cette remarquable expression ne se trouve pas dans ce qui a été conservé de l’Atlantique.
  16. Voyez p. 377 au numéro 13, la raison de ce mot.
  17. Il y ici une lacune considérable.
  18. Ricard traduit : « Ne donne un nombre quarré. »
  19. En effet (1 + 2) + (3 + 4) + (5 + 6) + (7 + 8) = 36.
  20. On entend par « quaternaire » ou simplement le nombre quatre, ou bien un nombre divisible par quatre.
  21. Les nombres plans sont ceux qui représentent la surface, quand on applique les nombres à la géométrie.
  22. Elle n’est tracée dans le texte d’aucune de nos éditions grecques. On la trouve dans l’édition d’Amyot imprimée par Vascosan.
  23. Le cube de 2, premier nombre pair, est 8 ; celui de 3, premier nombre impair, est 27. Or 8 et 27 valent 35.
  24. Cette figure manque aussi dans les textes grecs.
  25. Nous ajoutons cet adjectif.
  26. On entend par sesquitierce d’un nombre ce qui contient ce nombre, plus le tiers. Exemple : 8 = 6 + . Sesquialtère, c’est le nombre, plus sa moitié. Exemple : 9 = 6 + . Enfin sesquioctave, c’est le nombre, plus son huitième. Exemple : 9 = 8 + = 8 + 1. Ainsi donc 8 est le sesquitierce de 6 ; 9 est le sesquialtère de 6 ; 9 est le sesquioctave de 8.
  27. Cette petite phrase n’est pas dans le texte.
  28. « Il a auparavant attribué cela au cinq. » Note d’Amyot.
  29. C’est-à-dire qu’il est obtenu en prenant dans la suite naturelle des nombres les huit premiers, 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8 = 36.
  30. Le texte dit simplement : « de deux carrés. »
  31. La nète était la quatrième corde, ou la plus aiguë. Ce mot signifie dernière, inférieure. La paramèse tenait le milieu entre la nète et la mèse ; l’hypate était la plus basse corde.
  32. Il faut se reporter, page 375, à la figure.
  33. Le temps de sa révolution autour de la terre.
  34. Il est bien entendu que c’est la moitié d’un « nombre pair. » Le texte dit seulement : « pour être la moitié. » Cette phrase se comprendra mieux si l’on se reporte page 375, chapitre XII : « Au nombre 13, ils donnent, etc. » — Amyot, et après lui Ricard, traduisent : « il s’en faut d’une unité que ce ne soit la moitié de 27. » Nous ne pouvons nous résoudre à reproduire une semblable inexactitude.
  35. Pour ajouter à l’embarras de ce passage, il y a ici une lacune.
  36. Voir encore le triangle du no 11, et en prendre le côté gauche.
  37. Voir le côté droit de ce même triangle.
  38. C’est-à-dire de moitié. Car 9, le moyen trouvé, dépasse le plus petit terme de 3, qui est la moitié de ce petit terme ; et, par le plus grand terme 18 il est dépassé de 9, qui est pareillement la moitié de ce grand terme.
  39. Ce tableau ne figure dans aucune des éditions grecques. L’Amyot de Vascosan y supplée par celui que nous plaçons ici. Seulement dans Amyot, là où nous mettons 6, il y a 1 : ce qui est une faute manifeste. Tous les chiffres de gauche représentent les intervalles doubles ; ceux de droite, les intervalles triples.
  40. Timée. (Édit. Didot, vol. II, p. 208 ; trad. de M. Cousin, vol. XII, p. 127.)
  41. On entend par muance le changement d’une note en une autre, pour aller au delà des six anciennes notes de musique, soit en montant, soit en descendant. De puis l’adoption de la note si, qui complète la gamme, on ne se sert plus de muances. Dictionnaire de l’Académie.
  42. Le membre de phrase : « et ce dernier, etc., » manque au texte grec. Il se trouve dans la traduction latine seulement.
  43. Amyot et Ricard posent 484.
  44. C’est vraiment constater à satiété la cause de cette dénomination limma.
  45. L’exactitude voudrait que Plutarque eût caractérisé en quoi consiste l’inégalité de ces deux poids, et qu’il eût dit : « deux poids doubles l’un de l’autre. »
  46. L’explication monstre que le double se doibt prendre à la concavité, et non pas à la longueur. » Note d’Amyot.
  47. Il est entendu que nous traduisons toujours littéralement par « diapason » ce qui en français se dit « octave ».
  48. Timée (éd. Didot, vol. II, p. 208 ; traduction de M. Cousin, vol. XII, p. 127).
  49. Le nombre 256 est en proportion sesquitierce avec 192, parce qu’il est formé de ce nombre, plus du tiers de ce dernier nombre, qui est 64.
  50. Le texte est mutilé en cet endroit.
  51. Il y a encore ici une lacune, et elle est considérable. Ce devait être sans doute le complément de l’exposition du système de Crantor, et celle du système de Cléarque. Après quoi Plutarque traitait de nouveau la création de l’âme, pour amener ses raisonnements au point où commence le numéro qui suit, à savoir le numéro 21.
  52. Timée (éd. Didot, vol. II, p. 208, 209 ; traduction de M. Cousin, vol. XII, p. 128, 129).
  53. Ibidem.
  54. Nous nous risquons à dire : « Le règne sensible », comme on dit « le règne animal, le règne végétal ». Nous entendons par là l’ensemble de ce qui tombe sous les sens.
  55. Timée (éd. Didot, vol. II, p. 220 ; traduction de M. Cousin, vol. II, p. 159.)
  56. Amyot et Ricard : « de l’identité », sans que rien dans le grec semble autoriser à traduire autrement que par « dissemblance » ; et ni Reiske, ni Wyttembach ne signalent ici de variantes.
  57. Mot à mot « la forme. »
  58. Timée, éd. Didot, vol. II, p. 207 ; M. Cousin, vol.  XII, p. 126.
  59. Il faut se reporter à la figure triangulaire tracée dans le numéro 11, page 375.
  60. Ricard dit 3. Ce ne peut être qu’une faute typographique de l’édition qui est entre nos mains.
  61. Le texte dit seulement « des nombres impairs ». Ici, du reste, il y a lacune et mutilation.
  62. Amyot, et après lui Ricard : « Vénus ».
  63. Il est démontré que ce rapport est celui de 113 à 1.
  64. Le vrai rapport est de 4 à 1.
  65. Le diamètre réel de certaines étoiles est incalculable, à cause de leur grande distance qui fait seulement présumer avec raison qu’elles sont prodigieusement grosses. Il est réellement reconnu que Sirius, une de celles qui se rapprochent le plus de nous, est cent mille fois plus éloignée de la terre que n’est le soleil. (Bailly, Astronomie moderne).
  66. C’est de 49 à 1.
  67. L’exactitude, c’est de 1 à 1 ; et de 4 à 5.
  68. Le texte dit « Stilbon. »
  69. Amyot développe singulièrement ces deux phrases : « Les autres donnent à la terre la place de la note proslambanomenos, qui est A re, et à la lune celle de l’hypate, qui est B mi, à Mercure et à Vénus celles de diatonos et de lichanos, qui seraient comme C fa ut, et D sol re. Ils mettent le soleil sur la mėse, etc. ».
  70. Selon d’autres, « Mercure et Vénus ».
  71. Ou Jupiter.
  72. Ou Saturne.
  73. Livre X (éd. Didot, vol. II, p. 192 ; M. Cousin, vol. X, p. 286.)
  74. Le texte en cet endroit est tout à fait incertain.
  75. En lisant ce passage, on se rappelle involontairement les paroles du maître de musique dans le Bourgeois gentilhomme. La justesse des arguments est à peu près la même de part et d’autre.