De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 11

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Chez Antoine Vitté (p. 266-273).

Chapitre 11


sentimens de Saint Cyprien touchant la penitence et la frequente communion.

si vous aviez quelque connoissance de l’antiquité, vous n’allegueriez pas ce livre de la cene du seigneur, comme un ouvrage de Saint Cyprien ; quoy qu’il ne contienne rien, qui ne vous condamne : et le nom seul de ce grand saint, vous feroit trembler en parlant de cette matiere : n’y ayant point de pere, qui soit plus propre à vous faire voir la difference que l’on doit mettre entre la communion des justes et innocens , et celle de ceux qui veulent revivre, apres avoir fait mourir leurs ames, par quelque offence mortelle : c’est à dire des penitens .

Il faudroit transcrire une grande partie de ses ouvrages, pour vous monstrer, avec quelque vehemence et quelle sainte cholere il parle contre ceux, qui estans tombez durant la persecution, vouloient estre admis à l’eucharistie, avant que d’avoir fleschi la misericorde de Dieu par une longue, et serieuse penitence, par des gemissemens continuels, par des larmes inépuisables, par les veilles, par les cilices, par les prieres, par les jeusnes, par les aumosnes, et par toutes sortes de bonnes œuvres.

Je n’en rapporteray que trois ou quatre endroits pour vous donner sujet de reconnoistre, ou devant les hommes, ou devant Dieu, avec combien d’indiscretion vous avez osé appuyer vostre mauvaise doctrine sur celle de ce grand saint. Voicy quelques-unes de ses paroles du traitté qu’il a faict de ceux qui estoient tombez durant la persecution. (...).

Si vous n’estes convaincu de ces paroles, et si apres les avoir ouïes, vous voulez encore abuser les ames par une fausse douceur ; ce saint vous pourra reprocher, comme il fait en cét endroit à ceux qui vous ressembloient : (...).

Et si vous n’estes satisfait ; il adjoustera ce qu’il dit dans son epistre dixiesme : (...).

Que si vous pensez vous eschapper en disant, qu’il ne parle que des idolatres ; il vous repliquera au mesme endroict : (...).

Et de peur que vous ne croyez, que cela luy soit eschappé, il repete la mesme chose dans son epistre douxiesme, et en termes encore plus forts ; (...).

Et en fin pour vous oster toute sorte de replique, il vous soustiendra dans l’epistre à Antonien, (...). Apres cela, je doute, qu’il vous prenne plus envie de vouloir faire passer ce saint evesque, et ce saint martyr pour partisan de vostre doctrine.

Mais si je vous monstre, qu’à l’endroit mesme que vous citez, il vous condamne formellement, que vous restera-il pour vostre deffence ? Escoutez donc, je vous prie, les propres paroles de vostre texte, que vous avez horriblement corrompu, en y retranchant tout ce qui ruinoit vostre dessein. (...).

N’est-il pas clair par ces termes, que Saint Cyprien ne conseille en façon quelconque de communier souvent ; mais qu’il dit seulement, que ceux qui sont, qui demeurent, et qui vivent en Jesus-Christ, et qui reçoivent tous les jours l’eucharistie, prient Dieu de les preserver des grands pechez, (qui sont les pechez mortels) pour lesquels ils seroient separez du corps de Jesus-Christ : ce qu’il explique encore un peu plus bas en ces termes : (...). C’est ce qu’il avoit appris de Tertullien, qui dans le traité de la priere explique la mesme chose en ce peu de mots : (...).

Et c’est aussi ce que Saint Augustin n’a point faict de difficulté d’imiter, lors que dans son homelie 42 expliquant le mesme endroit de l’oraison dominicale, il semble avoir pris plaisir de declarer plus au long le sens de Saint Cyprien, comme ceux qui sont versez en la lecture de ses ouvrages, sçavent qu’il a faict en beaucoup d’autres endroits : (...).

Ne voyez-vous pas, que ces deux grands saints establissent la perseverance dans la pieté, dans la vertu, dans la foy, dans la bonne vie, dans les bonnes œuvres, comme une condition absolument necessaire pour n’estre point retranché de l’eucharistie ? Et vous au contraire enseignez, que tous les crimes et toutes les abominations du monde, n’empeschent pas qu’aussi-tost qu’un homme s’en est confessé ; c’est à dire, aussi-tost qu’il a donné une demy-heure à Dieu, pour des vingt années qu’il aura données au diable, il ne doive sans aucune crainte se presenter à son juge : et non seulement vous poussez les ames à cette presomption ; mais vous condemnez, comme temeraires , ceux qui par la frayeur des jugemens de Dieu voudroient prendre quelque temps pour fleschir sa misericorde par l’exercice des bonnes œuvres, avant que de prendre la hardiesse de se nourrir de son propre corps.