De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 22

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Chez Antoine Vitté (p. 321-331).

Chapitre 22


en quelles dispositions doivent estre pour communier souvent, ceux qui ne commettent que des pechez veniels. Où est aussi expliqué l’avis que Monsieur De Geneve donne de communier tous les huit jours.

mais pour revenir à Gennadius, nous avons veu, de quelle sorte ceux qui sont coupables de pechez mortels se doivent purifier, avant que de se presenter à l’eucharistie : et de là je laisse à juger ce que l’on doit croire d’un homme, qui ose asseurer, (...). Il reste maintenant à considerer de quelle sorte il se faut conduire pour ce qui regarde les pechez veniels en la reception de l’eucharistie, qui est l’autre chef de la proposition de Gennadius.

La consideration de l’extréme pureté que la participation de ces saints mysteres desire, fait que cét auteur n’ose conseiller la communion de tous les jours aux ames qui vivent dans la pieté, et qui se trouvent entierement exemptes des playes mortelles ; quoy qu’elles ressentent quelques legeres blessures, et pour dire ainsi, des morsures de ces offenses, pour lesquelles les plus saints frappent tous les jours leurs poitrines, comme Saint Augustin parle ; il se contente de les exhorter à communier tous les dimanches ; et encore avec deux conditions extrémement considerables. L’une, qu’avant que de s’approcher de cette table sacrée, elles s’y purifient de leurs fautes, quoy que legeres, par les prieres et par les larmes. Et l’autre (qui est d’une extréme importance pour la conduite des ames, et qui ruine seule toutes vos maximes) de n’avoir point la volonté engagée dans ces pechez veniels.

Car il y a grande difference, comme Monsieur De Geneve l’enseigne excellemment en sa Philothee, (...) : ce qu’il explique par une comparaison si excellente, que je ne puis m’empescher de rapporter ses propres paroles. (...).

C’est pourquoy encore que les ressentimens de quelques atteintes du peché, n’empeschent pas que l’on ne communie tous les huit jours ; l’on ne le doit pas faire neantmoins, si l’on y a la volonté engagée : (...). Car alors on peut dire, qu’il y a dans l’estomach de l’ame, quoy que d’ailleurs saine, comme une mauvaise humeur qui l’empesche de digerer cette viande sainte.

Ce que Monsieur De Geneve a aussi parfaitement bien compris, ayant estably sur ce passage de Gennadius, la regle qu’il donne de la communion ; et l’ayant exprimée en des termes, lesquels je me crois obligé de rapporter ; parce que beaucoup de personnes s’efforcent d’autoriser leurs déreglemens par sa doctrine ; et separant, à vostre exemple, le conseil qu’il donne de communier toutes les semaines, d’avec les dispositions qu’il y juge necessaires, s’imaginent par un aveuglement déplorable, suivre les maximes de ce saint evesque, en quelque estat qu’ils communient, pourveu qu’ils le fassent souvent : comme les juifs se croyoient tres-religieux observateurs de la loy de Dieu, en observant quelques-uns de ses preceptes, selon la lettre qui tuë, et non selon l’esprit qui donne la vie.

Voicy comme ce saint homme parle ; (...), (c’est à dire, du livre des dogmes ecclesiastiques, qui est souvent cité sous le nom de Saint Augustin) (...). Ce n’est donc qu’à ceux, qui se trouvent dans cette disposition de cœur, et cette pureté de conscience, à qui Monsieur De Geneve conseille la communion de tous les huict jours ; et non pas indifferemment à toutes sortes de personnes, comme vous faites, ne laissant pas au jugement du confesseur d’en disposer autrement, selon l’estat de son malade. Et afin que vous ne croyez pas qu’il ait suivy ce sentiment sans l’avoir bien pesé, il le repete dans la conclusion de ce chapitre, et y establit comme une regle certaine et indubitable ; (...).

Vous voyez que ce saint evesque ne se contente pas, qu’un homme soit exempt de peché mortel, pour le juger en estat de communier tous les dimanches ; au lieu que vous en jugez capables ceux qui commettent de ces pechez en toutes rencontres, pourveu qu’ils s’en confessent aussi souvent qu’ils les commettent : mais qu’il desire outre cela deux conditions comme absolument necessaires, qui ne se rencontrent pas en tant de personnes, qu’il y ait sujet de blasmer d’imprudence, comme vous faites, les confesseurs qui ne permettent pas à tout le monde une si frequente communion.

La premiere est, de n’avoir aucune affection au peché veniel ; ce qui ne consiste pas à se tromper soy-mesme, comme beaucoup de personnes font ; et à rejetter sur nostre fragilité tous les effects de nostre peu de vertu, et de nostre negligence ; mais pour juger sincerement, si nostre cœur est veritablement desgagé de l’affection au peché veniel, il est necessaire que nos propres actions, qui sont les fruicts des affections secrettes que nous nourrissons dans l’ame, nous servent de tesmoignage, qu’autant que nous pouvons, nous évitons ces pechez : que nous fuïons avec soin toutes les occasions qui nous y peuvent porter ; et que nous embrassons toutes celles qui nous donnent moyen de les fuïr. Ce qui consiste principalement à aymer la solitude et la retraicte de sa maison, et peu la compagnie des gens du monde, qu’une telle personne ne doit voir que par necessité et par force, pour s’acquiter des vrays devoirs civils, et non de ceux qui sont superflus, estant impossible, comme Sainte Therese remarque fort bien, (...). Il faut donc ; pour se croire avec raison desgagé de l’affection du peché veniel, eviter l’occasion et la negligence : car enfin la parole de ce mesme saint dans cette mesme introduction, est esgallement vraye pour toutes sortes de pechez, et mortels, et veniels : (...).

La seconde disposition que ce saint evesque demande, c’est d’avoir un grand desir de communier : par où il nous remarque deux choses extremément importantes : l’une que pour exhorter un homme à communier, mesme les dimanches, il faut avoir grand esgard au mouvement particulier qui le porte à desirer d’avoir part à ce saint banquet, parce que cette sorte de conduite et de grace particuliere est comme le temperament de chaque fidelle, qui doit regler sa nourriture ordinaire. L’autre que pour cette communion de tous les huict jours, il faut avoir l’ame en une grande santé : parce que ce grand desir de communier dont Monsieur De Geneve parle, et que Saint Bonaventure appelle (...) ; n’est autre chose, que l’effect de la santé de l’ame, comme l’appetit est l’effect de la bonne disposition du corps : ce qui fait dire à Saint Augustin, (...), dont la reception temporelle de l’eucharistie nous donne les arres et les premices, (...).

Mais, parce qu’il y a deux sortes de faim , comme ce mesme bien-heureux remarque fort bien dans ses lettres, (...) ; il faut bien prendre garde que ce grand desir de communier, qu’il juge necessaire pour le faire toutes les semaines, soit une veritable faim de la nourriture spirituelle procedante de la chaleur de l’ame embrasée d’amour ; (d’où Saint Thomas nous apprend que ce desir doit naistre) et non pas une faim trompeuse, et apparente, née de quelque cause estrangere, ou de quelque qualité vicieuse : comme celle qu’un ancien docteur tesmoigne se rencontrer quelquefois dans des personnes mal-vivantes, qui n’ont aucun soin de garder les commandemens de Dieu ; qu’il attribuë avec raison à l’impression du diable, et à la chaleur du demon de midy, pour me servir de ses termes ; et non pas à celle du Saint Esprit. Or pour juger si nostre faim spirituelle est bonne, ou mauvaise, il ne faut que considerer, que comme la faim corporelle naist asseurêment de quelque indisposition, lors que le corps ne profite point de la nourriture qu’il prend : ainsi tous les desirs de communier les plus ardens sont suspects de fausseté, lors que l’ame ne s’engraisse point de ce pain du ciel, dont l’eglise chante, (...), c’est à dire, qui comble de ravissement les ames vrayement royales. Car alors c’est un signe manifeste, que l’ame n’ayant pas assez de chaleur divine pour digerer cette sainte viande, la trop grande nourriture estouffe plûtost le peu qu’elle en a, qu’elle ne l’accroist. Et de là l’on peut aisément comprendre, d’où vient, que tant de personnes, qui mesme ont quelque vertu, s’approchent si souvent de l’eucharistie, sans que l’on puisse reconnoistre aucun profit de tant de communions.

Voila les regles de Monsieur De Geneve pour la communion de tous les dimanches, apres lesquelles il n’en faut point chercher de plus asseurées, ny de plus saintes, parce qu’elles ne sont point autres, que celles des peres de l’eglise. C’est par elles que je conjure toutes les personnes, que vous poussez indifferemment à cette communion, de se juger elles-mesmes. Qu’elles se donnent un peu la peine de considerer, si elles sont dans les dispositions que ce saint evesque demande. Je ne les renvoye point à d’autres juges, qu’à leur propre conscience : qu’elles escoutent cette voix, qui ne trompe gueres que ceux, qui se veulent tromper eux-mesmes : qu’elles s’examinent avec cét oeil, qui est plus clair-voiant, selon la parole de l’escriture, que sept sentinelles. Qu’elles sondent sincerement le fonds de leur cœur ; et si elles le trouvent mort à toutes les affections du peché, mesme veniel ; dans le détachement de toutes les choses, qui pourroient desplaire à Dieu ; dans la ferme volonté de se conduire en tout, selon ses divines loix ; dans l’ardeur du Saint Esprit, d’où doit naistre ce grand desir de communier ; à la bonne-heure, qu’elles approchent souvent de cette table sacrée ; qu’elles s’efforcent de s’y purifier de toutes les imperfections, qu’elles detestent dans leur cœur ; qu’elles y recherchent la guerison de toutes les maladies, qui nous affligent sans cesse durant cette vie mortelle : et enfin que la charité de Jesus-Christ qui les presse les fasse souvent recourir à luy, comme à l’unique consolateur dans toutes leurs afflictions, l’unique liberateur dans leurs miseres, l’unique soustien dans leurs foiblesses.

C’est ainsi que ce saint auteur exhorte sa Philothée à communier souvent ; la presupposant, comme il dit, dans une disposition encore plus excellente, que celle que Gennadius demande, (l’ayant cité sous le nom de S Augustin) c’est à dire, dans un estat ferme, et permanent d’une vie veritablement chrestienne : dans une disposition de cœur, non seulement entierement esloigné de toute sorte de peché mortel ; mais destaché mesme de toute affection au peché veniel. De sorte que c’est abuser indignement de sa doctrine (je le repete encore, et le repeterois volontiers incessamment pour le faire mieux comprendre) que d’appliquer aux personnes les plus imparfaites et les plus foibles, pour ne dire pas vicieuses, les conseils, que cét homme de Dieu n’a donnez, qu’à celles, qui se trouvent avoir acquis une tres-grande pureté par la bonne vie, et avoir estably de tres-solides fondemens d’une vertu non commune.