De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 01

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DE LA
GENERATION
DES VERS
DANS LE CORPS
DE L’HOMME.


Chapitre premier.

Ce que c’est que Ver.



Comme le Ver est dans le genre des insectes, il est à propos, pour faire entendre ce que c’est que Ver, d’expliquer auparavant ce que c’est qu’Insecte. L’Insecte est un animal complet entrecoupé de plusieurs incisions faites en forme de cercles & d’anneaux par le moyen desquelles il respire, & d’où il a tiré le nom d’Insecte. Tels sont le scorpion, la fourmi, la mouche, la chenille & une infinité d’autres. De ces Insectes les uns ont les incisions sous le ventre, les autres sur le dos, les autres à l’un & à l’autre tout ensemble : aux uns il s’en trouve plus, aux autres moins, & tout cela selon la diversité des espèces. On en remarque douze à la fourmi, sept au scorpion, autant au ver à soye, seize & quelquefois davantage à la chenille, &c.

Je dis que l’Insecte respire, ce qui est contre le sentiment de plusieurs anciens Philosophes qui ont crû que la pluspart des Insectes ne respiroient pas, parce qu’ils s’imaginoient que ces animaux n’avoient pas de poûmons ; au lieu que les observations des modernes sur ce sujet, celles entre-autres du celebre M. Malpighi nous font voir que les Insectes bien loin de manquer de poûmons, en ont un plus grand nombre que les autres animaux. D’ailleurs comme le remarque Pline, quand ils n’en auroient point, ce ne seroit pas une conséquence qu’ils ne respirassent pas, puisqu’il ne paroît pas plus possible de vivre sans respiration, que de respirer sans poûmons. [1]Nec video cur magis possint non trabere animam & vivere, quàm spirare sine visceribus. Ces mêmes Philosophes ont écrit que la pluspart des Insectes n’avoient point de sang, parce qu’on ne trouve dans le corps de plusieurs aucune liqueur rouge, mais ils se sont encore fort trompez là dessus, l’humeur que nous appellons sang n’étant point telle par sa couleur, mais par son usage ; ce qui fait dire à Pline que quelle que soit l’humeur vitale qui anime l’Insecte, cette humeur est le sang de l’Insecte, [2]sic & insectis quisquis est vitalis humor, hic erit & sanguis. Or comme il n’y a point d’Insecte qui n’ait en soy une humeur principale qui l’anime, il n’y a point aussi d’Insecte qui n’ait du sang. Une autre cause de l’erreur des Anciens sur ce sujet, est la pensée où ils étoient qu’il n’y avoit point de cœur en plusieurs insectes, mais on sçait aujourd’hui par les decouvertes qui ont été faites avec le secours des Microscopes, que si quelques Insectes ont plusieurs poûmons, ils ont aussi plusieurs cœurs, & qu’il y en a, comme par exemple les vers à soye, dans lesquels il s’en trouve un si grand nombre, que ce n’est presque qu’une chaine de cœurs, depuis la teste jusqu’à l’extremité du corps. C’est selon quelques-uns ce nombre de cœurs & de poûmons qui fait que les Insectes separez en plusieurs parties donnent pendant si long-tems des marques de vie, mais ce n’en est pas la seule cause, comme on le void dans la grenoüille, qui vit si long-temps aprés qu’on luy a ôté le cœur.

Ces observations nous convainquent que les Insectes ne sont point des ébauches de la nature, ni des animaux incomplets, comme se le sont imaginez quelques Philosophes, puisque bien loin de manquer de parties, il s’en trouve qui en ont plus que les autres animaux, ainsi qu’on le peut voir encore dans l’araignée vulgaire qui a huit yeux, dans la mouche qui a une trompe comme un Elephant, six jambes distinguées chacune en quatre membres dont les extrémitez se divisent encore en plusieurs parties, & sont armées de deux pinces entre lesquelles on apperçoit de petites pointes par le moyen de quoy cet animal s’attache aux moindres inégalitez des corps les plus polis ; dans la puce où l’on découvre encore six jambes, ayant chacune trois jointures diversement articulées, & un petit ressort très-délié qui la fait sauter en l’air deux cens fois la hauteur de son corps, ainsi que le remarque Monsieur Hooch en sa Micrographie. Dans la chenille qui a seize pieds, six devant, huit au milieu, & deux derriere, sans parler de plusieurs autres parties qu’on découvre sur le corps de cet animal, tels que sont deux especes de bouquets de plume noire situez autour de la teste, deux petits avirons rangez de chaque côté, dont les filets ressemblent à ceux des plumes, une peau parsemée de petits poils bruns séparez les uns des autres, entre lesquels ou voit plusieurs petites plumes : Toutes parties sans doute dont chacune a son usage quoique nous ne le connoissions pas. On peut dire cependant que le grand nombre de parties, qui composent un animal, n’est pas ce qui en fait la perfection ; car pourveu que cet animal ait celles qui luy sont necessaires, pour être complet dans son espece, & qu’il les ait placées selon la situation qui leur est propre, il est parfait. Le serpent, qui n’a point de pieds, est parfait, & le limaçon, qui jette ses excremens par le cou, qui respire par là, & qui a dans ce même endroit les parties destinées à la generation, est un animal parfait.

Je ne cite point icy l’exemple de la Taupe, que quelques-uns croyent qui est sans yeux, car elle a un crystallin, & tout ce qu’il faut pour voir.

Nous pouvons observer en passant qu’il n’est pas étonnant que quelques Philosophes ayent regardé les Insectes comme des animaux imparfaits, puisqu’il s’en est trouvé qui se sont égarez jusqu’au point d’avancer que le corps de la femme étoit un ouvrage imparfait, une ébauche formée contre l’intention de la nature ; comme si un corps parfaitement proportionné, où l’on ne remarque aucune irregularité, qui ne manque d’aucune partie nécessaire, qui n’en renferme aucune superfluë, & qui l’emporte même en cela sur celuy de l’homme, où l’on en trouve en quelque façon d’inutiles comme sont les mammelles, pouvoit être un corps imparfait ; & comme si d’ailleurs un sexe si nécessaire pour la generation de l’homme, & dont la nature se sert, pour se conserver elle-même, voit être contre l’intention de la nature ; Il faut avoüer icy avec[3]Ciceron que c’est une chose étonnante qu’il n’y ait point d’absurdité si étrange, qui n’ait été soutenuë par quelque Philosophe. En voilà bien assez pour donner une idée generale de ce que c’est que l’Insecte, voyons à present ce que c’est que le Ver.

Les insectes se divisent en grands & en petits ; les premiers sont compris sous le nom général de grands Insectes, comme la couleuvre, l’aspic, la vipere, le scorpion, la grenoüille, &c. les autres le sont sous le nom particulier de vers, comme la mouche, la chenille, le papillon, la fourmi, la puce, le limaçon, les lumbrics de terre, les animaux étrangers qui s’engendrent dans le corps de l’homme, dans celuy des autres animaux, dans les fruits, dans les plantes, dans le bois, dans les étoffes, dans les liqueurs, & dans tous les differens mixtes.

Des vers qui s’engendrent dans les animaux, il y en a qui deviennent fort gros & fort longs, & qui ressemblent à de grands insectes, mais ce qui les distingue, est qu’ils sont toûjours plus menus que les grands Insectes ausquels ils ressemblent ; comme ce Ver par exemple dont nous donnons icy la figure, lequel est plus long qu’un serpent ordinaire, mais qui est beaucoup plus mince & plus délié. Les petits Insectes meurent presque tous sur la fin de l’automne, mais ils laissent une infinité d’œufs qui se conservent pendant l’hyver, & qui, aux approches du printemps, s’ouvrent en foule, & font éclorre les petits animaux qu’ils renferment. La naissance du petit Insecte à ces premieres chaleurs du printemps est ce qui l’a fait nommer en Latin Vermis, comme qui diroit vere micans, & en François Ver du mot Latin qui signifie Printems.

De ces Vers les uns sont reptiles, c’est-à-dire, se traînent sur le ventre comme les Vers de terre & la plûpart de ceux qui s’engendrent dans les intestins, ou qui se trouvent dans les fruits. Les autres non reptiles, comme la mouche, le haneton, la fourmi, l’escarbot, la cigale, le cloporte, &c. Les reptiles Vers se meuvent autrement que ne sont les autres reptiles ; ces derniers, comme les serpens, par exemple, se meuvent par des fibres spirales dont les anterieures s’écartent & font étendre le corps de l’Insecte, tandis que les posterieures s’approchent les unes des autres, & par cette contraction racourcissent le corps qu’elles ramassent en un plus petit volume, aprés quoy ce qui a été accourci s’étend à son tour par l’écart de ces mêmes fibres qui viennent de se contracter, & donne par ce moyen au corps de l’insecte ce mouvement progressif qui le porte d’un lieu à un autre.

Les reptiles Vers se meuvent par des fibres spirales, comme les autres reptiles, mais avec cette difference que les fibres tant anterieures que posterieures se racourcissent, & font faire par cette contraction generale une petite voûte au corps du Ver, après quoy elles s’écartent, & les parties qui composent cette voute étant tirées s’étendent du côté où elles sont tirées & font ainsi mouvoir le Ver par un mouvement d’ondulation.

Peu de personnes, soit saines ou malades, sont exemptes de Vers, ainsi que le remarque Platerus, & que l’experience le fait voir souvent, lors qu’on ouvre des corps morts ; le point est de sçavoir comment ces Vers se peuvent engendrer dans le corps de l’homme, c’est ce que nous allons examiner.



  1. Plin. Hist. Nat. lib. II. cap. 3
  2. Plin. ibid.
  3. Nescio quomodo nihil tam absurdè dici potest quod non dicatur ut ab aliquo Philosophorum. Cicer. lib. I. de Divin.