De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Observations particulières

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Observations particulieres.



SUr la fin du mois d’Août de l’année 1699. je fus appellé chez M… pour voir une petite Demoiselle malade d’épilepsie depuis six mois. Son mal, selon ce que me raconterent ses Parens, étoit venu d’une peur qu’on luy avoit faite. Aprés avoir tout examiné, je crûs que l’unique moyen de la guérir étoit de luy donner contre les vers, & je mis par écrit ce qu’il falloit faire pour cela. Ce sentiment étonna d’abord les Parens, qui trouverent bizarre que j’ordonnasse un remede contre les vers, pour guerir un mal, dont la peur étoit la cause. Un Charlatan, qui avoit promis de guerir la malade, ne manqua pas de déclamer contre ce procedé, & persuada aux Parens de mener leur enfant à la Campagne avec luy ; mais comme l’enfant s’y trouva plus mal, on congedia le Charlatan, & on s’avisa de faire mon remede, plutôt sans doute, pour n’avoir rien à se reprocher, que par aucune esperance qu’on en eût. La malade, aprés l’avoir pris, rendit beaucoup de vers, plusieurs jours se passerent sans accés d’épilepsie ; le Pere m’écrivit une Lettre, ou il me marquoit son étonnement, qu’une maladie de peur eut été causée par des vers : Je luy en écrivis une autre en réponse, où je luy faisois voir que ce n’étoit pas une chose sans exemples. Comme ces deux Lettres confirment un fait important, dont la connoissance me paroît d’une tres-grande utilité dans la Pratique, j’ay crû à propos de les inserer icy. Au reste, j’avertis que l’enfant est guery à present, & n’a eu besoin d’aucun autre remede.




Lettre à l’Auteur.



JE ne sçay, Monsieur, si je dois crier victoire, mais depuis le breuvage pris, voila six jours sans accés. Vous sçavez que cela a chassé beaucoup de vers ; j’ay fait saigner mon enfant dans le tems que vous avez marqué, puis j’ay regardé au Soleil dans un verre quelques goutes de la serosité de son sang, comme vous nous aviez dit de faire, & nous y avons trouvé de petits vers, mais presque imperceptibles. Tout cela me passe, je vous l’avouë, & je ne comprends pas comment un effet de peur peut être une maladie de vers. J’ay congédié mon Charlatan, il avoit raison de dire que je connoîtrois à la fin qu’il avoit un beau secret ; car s’il n’en a point eu pour guerir ma fille, je puis dire qu’il en a eu un bon, pour tirer bien de l’argent de moy. Mandez-nous qu’elle conduite il faut que nous tenions à present, pour n’avoir pas une courte joye. Nous executerons de point en point vôtre ordonnance.

Une Dame de nos amies, qui a quelques secrets qui luy ont été donnez, m’a dit que si ma fille venoit à retomber, il n’y avoit qu’à prendre un arrierefaix, le faire sécher, le pulveriser, & en donner à l’enfant un gros, que cela luy feroit sortir du corps tous les vers, elle m’a dit ce secret comme une chose singuliere & inconnuë ; faites-moy la grâce de m’écrire ce que vous en pensez, je ne feray que ce que vous me direz. L’Apoticaire, chez qui j’envoye querir ce qu’il faut, m’a fait dire que si l’on ajoûtoit de l’eau de chardon benit dans le breuvage que vous avez ordonné, le remede en auroit peut être plus de force, & qu’il ne croit pas que vous le désaprouviez. Au surplus, depuis trois ou quatre jours, il me semble que mon asthme me veut reprendre ; on m’a conseillé une goute d’esprit de vin le matin dans un peu d’eau, pour me subtiliser le sang & les humeurs ; on m’a conseillé aussi d’éviter le sel, & toutes les choses salées, parce qu’on dit que le sel épaissit le sang, & l’empêche de circuler.

Madame… est résolue de suivre vôtre avis, & de ne point laisser toucher à son sein ; ce qu’elle a appris au sujet de feuë Madame Le… fait qu’elle craint les Charlatans plus que jamais. On m’a dit une chose que je ne sçavois pas, qui est que cette femme, qui avoit entrepris M… voulut aprés cela l’obliger à luy payer une somme considerable, luy soûtenant qu’elle l’avoit guerie, & qu’alors Madame Le R… pour se délivrer de la poursuite de cette Charlatane, fut obligée de vous demander une attestation de l’état pitoyable où cette femme l’avoit reduit. J’ay oüy dire qu’auparavant un certain Avocat, qui manquoit de cause apparemment, luy avoit fait des remedes, & que c’est cet Avocat qui avoit le premier fait ouvrir le sein ; si vous sçavez les noms de l’un & de l’autre, vous me ferez plaisir de me les mander, j’ay des raisons pour les sçavoir. Je vous envoye cy incluse* une ordonnance qu’un Medecin a donnée pour les vers à un de mes amis, cette ordonnance m’a été envoyée comme un secret. On m’a dit icy que le fils de Monsieur le M… Avocat au Parlement, étoit mort de vers, que vous y aviez été appellé en consultation quelques jours avant sa mort, & qu’un remede que vous luy aviez ordonné sur le champ, luy avoit fait rendre un grand nombre de vers, mais que vous n’y aviez pas été appellé assez-tôt. Mr de… a été bien touché de cette mort, veu qu’elle luy a enlevé un homme de bien, dont il faisoit beaucoup d’estime. Je suis, Monsieur, &c.


* Poudre contre les vers dans l’épilepsie du petits enfans.

℟ Rheub. & agar. un gros. Esula préparé, un scrupule ; diagrede, un demy scrupule ; coralline, corne de cerf brûlée, de chacun demy once ; myrrhe, zedoire, fleurs de tanacet, de chacun un scrupule ; sel d’absynthe & sel de tartre, de chacun un demy gros, reduire le tout en poudre subtile, & y ajoûter un peu de sucre. La dose est depuis un scrupule jusqu’à un gros, selon les âges.




Réponse de l’Auteur.



J’Ay une extrême joye, Monsieur, que le remede ait bien réüssi, il faut le réïterer dés le lendemain du jour que vous aurez reçû cette Lettre ; on laissera ensuite passer trois jours, après quoy on recommencera. Il est important de continuer le regime ordinaire, & sur tout d’empêcher qu’on ne fasse peur à la malade. On croit par ces frayeurs tenir en bride les enfans, & on leur fait un tort extrême, & pour le corps & pour l’esprit ; car si en les intimidant de la sorte on ne leur cause pas toûjours des maladies, on leur gâte infailliblement la raison ; il faut outre cela laisser jouer Mademoiselle vôtre fille, avertir sa Gouvernante de ne la point tant menacer quand elle aura fait quelque faute en lisant, mais de la traiter alors avec douceur, de la reprendre sans emportement, de rire même quelquefois de ses fautes, sur tout d’interrompre ses petites Leçons par quelques relâches, lorsqu’elle s’ennuyera, & puis de l’y ramener insensiblement, en un mot de luy faire un jeu de ses devoirs. Avec cette adresse on anime les enfans, & on les instruit sans les attrister. Si vous avez soin, Monsieur, que la petite malade soit ainsi gouvernée, vous ne devez point douter que nos remedes ne la guerissent absolument.

La surprise où vous êtes qu’un mal, dont l’occasion vient de peur, ait pû être causé par des vers, est bien fondée, si vous cherchez comment cela peut arriver ; car la raison n’en est pas facile à trouver ; mais si vous n’êtes surpris de la chose que parce que vous la croyez sans exemple, il faut revenir de vôtre surprise.

Thomas Cornelius, de la Ville de Consence en Calabre, homme tres-docte, rapporte[1] avoir vû une petite fille, qui aprés un saisissement de peur, dont elle pensa mourir sur l’heure, tomba insensiblement en langueur, prit un teint pâle, devint sujette à des douleurs dans la poitrine, fut ensuite attaquée de fréquent accès d’épilepsie, & mourut aprés avoir cruellement souffert ; il raconte qu’on ouvrit le corps de cette fille, & qu’aprés avoir bien cherché, l’on n’y découvrit d’autre cause de sa mort que des vers qui luy avoient rongé les vaisseaux du cœur. Cet Auteur remarque que la peur produit dans les animaux le même effet. Un étourneau que l’on nourrissoit dans une basse cour, que des enfans effarouchoient sans cesse en courant aprés, devint sujet à des convulsions, qui le firent tomber du haut mal. Thomas Cornelius dit qu’il eut la curiosité d’ouvrir cet oiseau, & qu’il y trouva la base du cœur toute entrelassé de vers. Il ajoûte que cela le porta à essayer si en épouventant souvent des poules, il se produiroit aussi des vers dans ces animaux, & il dit qu’il se mit à en effaroucher plusieurs pendant quelques jours, qu’il les ouvrit ensuite, & qu’il leur trouva dans chacune de grands vers à la region du cœur.

Voilà, Monsieur, de quoy faire bien des reflexions, & en même tems de quoy vous consoler, puisque ces observations sont un grand préjugé, que la maladie de Mademoiselle vôtre fille est venuë de vers, & qu’ainsi nous avons été à la cause du mal : ce qui doit vous donner lieu d’esperer une entiere guerison.

Pour ce qui est de ce remede, qu’une Dame de vos amies vous a enseigné, ce n’est point un secret si particulier, il est dans plusieurs Auteurs, mais ils y ajoutent de l’aloës, & mettent une condition, qui est que l’arrierefaix doit être d’un premier accouchement ; je ne sçay point par moy-même si cela réüssit, car je ne l’ay jamais essayé ; mais je sçay bien que[2] Luc Tozzi, aujourd’huy Medecin du Pape, assûre avoir guery par-là un jeune homme, & luy avoir fait rendre un ver plat fort long. Le remede est bien facile, & nous pourrons l’essayer s’il est necessaire ; mais je ne crois pas que nous en ayions besoin, cependant je ne veux rien décider de huit jours d’icy.

Quant à ce que dit vôtre Apoticaire, je n’ay autre chose à vous répondre, sinon que vous vous gardiez bien de mêler de l’eau de chardon benit avec celle qui entre dans nôtre breuvage contre les vers. Il est vray que ces deux eaux se rapportent assez en vertus, mais deux choses qui ont une même qualité étant seules, la perdent quelquefois étant mêlées. L’huile de vitriol & l’huile de tartre, qui sont chacune fort acides & fort piquantes, ne sont pas plutôt ensemble, qu’elles perdent toute leur pointe, & font une liqueur insipide. Voilà comme les mélanges changent tout quelquefois ; c’est à quoy les plus habiles Médecins ont toujours eu beaucoup d’égard, & Boetius de Boot[3], Medecin de Rudolphe II. étoit si soigneux là-dessus, qu’avec huit grains de besoard, & une once d’eau d’ozeille, qu’il avoit coûtume de donner contre les fiévres malignes, il n’osoit mêler aucune autre eau, quelle qu’elle fut ; il ne souffroit pas même qu’aprés ce remede on donnât au malade, avant l’espace d’une heure, aucune chose à boire, de peur qu’une autre sorte de breuvage, quand même il auroit eu la même vertu, n’empêchât ou n’affoiblit l’action du premier ; car enfin, ajoûte-t-il, il y a quelquefois dans les choses des contrariétez secretes qui nous passent, & qui sont cause que des remedes, qui tout seuls auroient eu l’effet qu’on en attendoit, ne font plus rien dés qu’on les a mêlez.

Vous me mandez qu’on vous conseille l’esprit de vin pour vôtre asthme, parce, dit on, que l’esprit devin subtilise le sang & les humeurs, je ne sçay, Monsieur, qui vous a donné ce beau conseil, mais si c’est un homme qui se mêle de Medecine, vous voulez bien que je vous dise qu’il se mêle d’un métier qu’il n’entend pas. L’esprit devin subtilise si bien le sang, que si vous en syringuez seulement deux onces dans la vene jugulaire d’un chien, vous luy trouverez un moment aprés, les poûmons remplis de grumeaux de sang coagulé. L’esprit de vin épaissit la glaire d’œuf. Si l’on en tient quelques goutes dans la bouche, il coagule la salive, & la fait devenir comme en cole. Voilà comme il subtilise les humeurs. Gardez-vous donc bien, Monsieur, de prendre de l’esprit de vin pour vôtre asthme, qui ne vient que d’une viscosité qui se trouve dans vos poumons. L’usage de l’esprit de vin & de l’eau de vie est bon à ceux qui fatiguent beaucoup, parce que comme ils dissipent aussi beaucoup, l’esprit de vin empêche l’excés de cette dissipation en épaississant les humeurs.

On vous a conseillé outre cela, dites-vous, d’éviter le sel comme une chose qui épaissit le sang. Autre ignorance encore. Il est si peu vray que le sel épaisisse le sang, qu’un des moyens d’empêcher le sang de se figer lorsqu’il est tiré, c’est d’y jetter du sel : C’est pour cela qu’on met du sel dans la bouche de ceux qui sont en apoplexie, le sang est salé de luy-même, & ce n’est que par-là qu’il se conserve fluide dans les vaisseaux du corps, c’est ce qui fait que quand il est hors de l’animal, il se caille aussitôt, parce que ces esprits salins s’évaporent. Quand on fait la dissection de quelque animal vivant, & qu’on approche la bougie un peu de prés, ces sels, qui s’évaporent en foule, font quelquefois pétiller la flamme de la bougie, comme si on jettoit du sel marin dessus. C’est ce que j’ay vû arriver plusieurs fois, & c’est ce que Georges Baglivi, Professeur d’Anatomie à Rome, dit avoir aussi remarqué en disséquant un chien de chasse : Pour moy je me souviens de l’avoir quelquefois observé en voyant saigner des malades, cela arrive lorsqu’on tient la chandelle tout à fait au dessus des palettes, parce qu’alors la fumée du sang rencontre plus facilement la flamme de la chandelle. Sitôt que ce sel est exhalé le sang se caille, & n’a plus le goût salé : au lieu que tandis qu’il est fluide, on le sent salé sur la langue. Ainsi, Monsieur, de toute manière vous voyez que le sel entretient le sang dans sa fluidité. Quiconque donc, pour vous prouver que le sel ne vous est pas bon, comme en effet il ne vous l’est pas, vous allegue que c’est qu’il épaissit le sang, est un homme qui ne sçait pas beaucoup ce qu’il avance.

Je me réjoüis que Madame… soit enfin résoluë de ne point laisser toucher à son cancer & que le sort de Madame de… luy ait fait un peu de peur, ce qu’on vous a dit de cet Avocat, & de cette femme, qui ont traité Madame… est comme elle vous l’a dit. Quant à l’attestation, dont je fus requis, je ne m’en tins pas à mon jugement, j’appellay en consultation M. Berger, alors Doyen de nôtre Faculté, lequel ne fut pas moins étonné que moy, de voir qu’on voulust faire passer pour guery un sein tout ulceré, & qu’on avoit mis absolument hors d’état de guerison. Nous fimes l’un & l’autre nôtre rapport par un écrit signé de nôtre main.

Pour ce qui est du fils de M. le… Avocat au Parlement, on vous a mal informé ; il est mort d’une hydropisie, j’y fus appellé en consultation le 13. d’Août avec Messieurs Marteau & Daval, Docteurs celebres de nôtre Faculté ; mais ni ces Messieurs ni moy n’eumes point le ridicule soupçon que cette maladie vint de vers, elle se declaroit assez d’elle-même, pour nous empêcher d’être en peine là-dessus. Quant aux vers qu’on vous a dit que le malade avoit rendus par le moyen de certains remedes que je luy avois fait prendre sur le champ, c’est une fable qu’on vous a faite, le malade n’a rendu aucun ver, & je ne luy ordonnay aucun remede. Je trouvay la conduite de Messieurs Marteau & Daval, qui avoient traité le malade, si sage & si prudente, que j’aurois été temeraire d’y vouloir rien ou ajoûter ou changer. Les personnes qui m’attribuent ainsi des merveilles, que je n’ay point faites, ne m’obligent point, & je me défendray toûjours du bien qu’ils diront de moy, quand il ne se trouvera pas conforme à la verité.

J’ay vu l’ordonnance qu’on vous a donnée ; j’admire que les gens, pour se faire valoir, fassent ainsi des secrets de choses qui se trouvent ailleurs. Vous pouvez faire sçavoir à ce Medecin que son remede est tout entier dans un Auteur, nommé Mathias Untzerus, lequel a fait un Traité exprés de l’épilepsie, & qu’il l’y trouvera mot à mot au Chapitre quinziéme du Livre second, no. 3. Je ne prétends pas diminuer par-là l’estime qu’on doit faire de ce remede, qui est excellent contre les vers ; mais c’est que je ne puis souffrir qu’on fasse des secrets de choses communes. Je vois bien, Monsieur, que la crainte où vous êtes que nôtre malade ne retombe, vous fait ramasser toutes les receptes, dont vous entendez parler ; mais si l’enfant passe encore huit jours sans accés, comme je me le promets bien, assurez-vous qu’il n’y a rien à craindre. Au reste je vous félicite d’avoir sçû vous débarasser de tous les Charlatans, car c’est une vermine encore plus difficile à chasser que celle contre quoy la Medecine ordonne des remedes. Je suis,

MONSIEUR,


Vôtre tres-humble & tres-
obéïssant Serviteur,
Andry.



  1. Thomæ Cornelij Consetini, progymn. de nutricat. prog. 6.
  2. Lucæ Tozzi Neapolitani in Hip. Aphor. comm. lib. 2. Aphor. 21.
  3. Boetius de Boot de Lapid. & gemm. lib. 2. cap. 193.