De la médication arsenicale

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE

DE LA
MÉDICATION ARSENICALE
Par
Eugène TARRIDE

THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE

TOULOUSE
IMPRIMERIE CENTRALE. — E. VIGÉ
43, RUE DES BALANCES, 43
1875




JURY D’EXAMEN
MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
Mauri, Chefs de service.
Bidaud,
Laulaunié,
Laugeron.


――✾oo✾――


PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle
du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.



À MON BON PÈRE — À MA TENDRE MÈRE
RECONNAISSANCE ET AMOUR
À MON ONCLE G. TARRIDE
Aumônier et chanoine honoraire au Couvent des Ursulines, à Condom.
FAIBLE TÉMOIGNAGE DE GRATITUDE ET D’AFFECTION
À TOUS MES PARENTS





À MES PROFESSEURS.

À mes Amis.




INTRODUCTION


De toutes les substances mentionnées dans la nomenclature toxicologique, l’arsenic blanc est, assurément, la plus connue du public et celle dont le nom seul inspire le plus de terreur aux personnes surtout étrangères à la médecine, et qui, partant, ne connaissent pas toutes les propriétés de ce composé, précieux à plus d’un titre. — En général, en effet, on ne connaît cet agent que par ses effets toxiques, par les accidents qu’il a déterminés et par les forfaits qu’il a aidé à commettre ; aussi ne voit-on le plus souvent en lui qu’un poison, et c’est même à ce titre qu’il doit d’être devenu célèbre. Pour toutes ces raisons, on ne devra donc pas être surpris de voir des personnes, parmi celles-là même qui font partie du monde médical, éprouver une certaine répugnance ou bien se refuser tout à fait à admettre les composés arsenicaux au nombre des médicaments. Mais cette aversion, que les générations se sont successivement transmise pendant plusieurs siècles, a été trop longtemps partagée aveuglément par nos pères, et l’heure n’est pas éloignée, je crois, où elle sera ensevelie pour jamais : elle ne pourra résister à un examen sérieux, ni survivre à une analyse minutieuse. À notre époque, en effet, les esprits sont devenus sceptiques ; il ne suffit pas d’accréditer, il faut encore prouver ; et dans ce cas encore, en médecine du moins, on ne se contente pas de quelques faits recueillis çà et là, au hasard, parlant plus ou moins haut en faveur de la cause. Si donc, par exemple, les arsenicaux employés comme agents médicamenteux, et alors qu’ils ont été préparés et administrés comme il convient, ne se montrent pas fidèles dans leurs effets, on en conclura nécessairement, après toutefois les avoir soumis à diverses épreuves, qu’ils doivent être répudiés désormais dans le traitement des affections contre lesquelles ils auront été essayés. Par contre, si, dans la majorité des cas, ils ont procuré une guérison plus ou moins radicale, ou du moins un soulagement marqué, ils seront prônés ou conseillés, suivant leur action dans ces mêmes maladies. — Eh ! bien, l’expérience s’est prononcée en faveur de cette dernière hypothèse ; elle a sanctionné l’efficacité des préparations arsenicales dans un grand nombre d’affections. Personne n’ignore, en effet, combien sont nombreuses les applications qu’a reçues, dans ces derniers temps, le soi-disant poison ; à peu près complétement délaissé, je dirai même oublié, il y a quelque trente ans, il fut réhabilité vers cette époque, à titre de fébrifuge, par le docteur Boudin, et depuis ce moment, il n’a cessé d’être, chaque jour, l’objet de recherches et d’applications nouvelles. Ici, encore, on peut donc voir se confirmer, une fois de plus, le vieux proverbe : « Audaces fortuna juvat. » Néanmoins, cette médication compte encore bon nombre de détracteurs ; parmi eux, les uns se refusent à prescrire l’arsenic parce que, disent-ils, son action ne peut être surveillée, et les résultats heureux de son administration ne sont pas suffisamment prouvés ; les autres, encore imbus des idées d’autrefois, avouent ingénument ne pas oser l’employer, et ils se croient à l’abri de toute critique en prenant pour égide les propriétés toxiques de cette substance.

Les arguments des premiers sont réfutés par l’expérience de chaque jour ; et nous répondrons aux seconds que, de la grande activité de l’arsenic, il ne faut pas inférer qu’il doive nécessairement être rayé de la liste des médicaments. Où en serions-nous, en effet, s’il fallait renoncer au secours de toutes les substances énergiques ? — Qui songe, par exemple, à laisser de côté la quinine, qui, on le sait, a fait ses preuves depuis longtemps comme substance toxique ? — Est-il besoin de citer encore la strychnine, l’acide cyanhydrique, l’atropine, le bichlorure de mercure, dont la médecine fait tous les jours un si fréquent usage ? Ne sait-on pas que parmi les poisons se trouvent précisément les médicaments héroïques ?… — Nous pouvons donc objecter aux uns et aux autres que tout dépend des doses ; on verra, d’ailleurs, se confirmer dans la suite, pour les composés arsenicaux, cette loi générale de Cl. Bernard : « Toute substance qui, à hautes doses, éteint les propriétés d’un élément organique, les excite à petites doses. » — Les préparations arsenicales sont donc, on le voit, bien diversement appréciées par les praticiens ; considérées par certains comme une des plus précieuses ressources de la thérapeutique, elles sont rejetées par d’autres comme étant d’un usage trop dangereux. Eh ! bien, c’est ce conflit d’opinions qui m’a déterminé à faire de l’arsenic le sujet de ma thèse ; et j’ai opté pour la médication arsenicale : 1o parce que ces composés sont le plus souvent employés à l’intérieur, et sous différentes formes, 2o à cause des nombreux effets thérapeutiques, parfois tout opposés, qui en sont la conséquence ; 3o et enfin, parce que c’est l’action physiologique consécutive à leur absorption qui a fait le sujet de la plupart des controverses. Mais, on peut le pressentir, ce n’est pas seulement le résultat de mes propres observations que je vais rapporter dans les pages qui suivent ; encore sur les bancs de l’enseignement scolastique, je n’ai pu faire, en effet, une application rigoureuse des brillantes théories dont j’ai été doté. J’espère néanmoins que, m’inspirant des meilleurs auteurs qui ont écrit sur ce sujet, rappelant leurs expériences et leurs observations, il me sera possible d’arriver au but que je me propose d’atteindre : attirer plus particulièrement l’attention sur le traitement interne par l’arsenic, trop négligé des praticiens ; faire connaître ses effets thérapeutiques et les modifications qu’il fait subir à l’organisme, et concilier ainsi, en montrant la vérité dans tout son jour, les adversaires les plus opiniâtres et les promoteurs trop enthousiastes de cette médication.

E. T.

DE LA MÉDICATION ARSENICALE


Historique.

L’arsenic n’est pas de découverte récente ; il a été connu, au contraire, dès la plus haute antiquité. Dioscoride et Pline, que l’on pourrait appeler les pères de la matière médicale, paraissent avoir écrit, les premiers, les principales propriétés de cette substance. Néanmoins, s’il faut en croire Geoffroy et Homberg, ce n’est pas à l’Europe que reviendrait l’honneur d’avoir introduit dans la thérapeutique les médicaments arsenicaux ; car, d’après ces auteurs, les Chinois et les Indiens en auraient fait usage dès les temps les plus reculés. Haüy vient d’ailleurs confirmer leur assertion, quand il dit que ces peuples ne se purgeaient guère autrement qu’en buvant de l’eau qui avait séjourné plus ou moins longtemps dans des vases d’arsenic. — Quoi qu’il en soit de l’usage primitif, toujours est-il que Dioscoride a fait le premier traité sur cette matière, il y a plus de dix-huit cents ans ; mais dans son travail il n’est question que du sulfure jaune (orpiment) et du sulfure rouge d’arsenic (réalgar). Le premier est son arsenic proprement dit (ἀρσενικόν), encore appelé arsenic jaune, et il désigne le second sous le nom de sandaraque (σανδαράκη). — De ces composés, tous deux employés à l’extérieur, le réalgar paraît avoir été préféré à l’orpiment et seul admis dans les traitements internes. Les lignes suivantes, extraites d’un passage cité par MM. Trousseau et Pidoux, le prouvent d’ailleurs suffisamment : Arsenicum vim habet septicam,..... (externe)...... Sandaracha easdem habet vires, ac prius,.... (externe)..... Datur quoque (interne) pulmonum suppuratione laborantibus cum mulso. Suffitu etiam, addita resina, administratur adversus tussim inveteratam, vapore ipsius per siphonem ore sucto. Cum melle propinata, vocem clarefacit, et asthmaticis in potione cum resina porrigitur.

Donc, on le voit, la sandaraque était plus employée que l’arsenic jaune, et la médecine grecque avait déjà constaté, à cette époque, l’influence favorable d’arsenicaux sur les suppurations des organes respiratoires, les toux opiniâtres, les affections de la voix, les dyspnées ; elle les faisait en outre parvenir dans l’organisme, tant sous forme de bols que sous celle de fumigations (Dioscoride, liv. V, ch. CXXI et CXXII).

Pline (liv. XXIV, ch. XVIII) a écrit aussi sur l’arsenic. Ce qu’il en dit fait voir que, les Latins reconnaissaient aux arsenicaux les mêmes propriétés que les Grecs, et qu’ils en usaient dans les mêmes conditions. — Puis vinrent Celse, Galien, etc., qui tous, furent l’écho fidèle des opinions émises sur ce point par leurs devanciers.

Plus tard, les Arabes ayant hérité des doctrines et des pratiques du galénisme, firent à leur tour de la médecine grecque et romaine ; mais ils usèrent plus particulièrement des préparations arsenicales dans les affections de poitrine, en fumigations et en potions ; c’est du moins ce qui résulte des textes de Rhazès (De re medica, lib. III, cap. XXXIII) et d’Avicenne (Canon, lib. II, cap. XLIX), publiés plusieurs siècles après. Ce dernier auteur conseille l’arsenic en lavements contre les hémorroïdes ; mais ce mode d’administration, préconisé bien avant par Cœlius Aurelianus contre les vers intestinaux, fut abandonné cependant depuis par les modernes, et seul, je crois, parmi les contemporains, le Dr  Boudin a chargé les clystères de porter les arsenicaux dans le gros intestin.

Néanmoins, l’arsenic perdit peu à peu de la faveur dont il avait joui dans l’école des arabistes, de sorte que, vers la fin du moyen-âge, il n’entrait guère que dans les arcanes de quelques charlatans. Puis vint cette époque célèbre, si féconde en hommes de génie, qui imprima une si grande impulsion aux lettres, aux sciences et aux arts, et que, pour ce motif, on a nommée la Renaissance. Eh ! bien, contrairement à ce que l’on serait en droit d’espérer, l’arsenic ne reçut aucun rayon de ce demi-siècle de lumières, et il dut rester dans l’ombre. Enfin apparut Paracelse qui, pour un instant du moins, retira ce médicament de l’oubli dans lequel il était tombé depuis longtemps déjà.

En voyant ce réformateur proclamer partout l’héroïsme des propriétés de cette substance, on aurait pu s’attendre à voir cet agent énergique éclairé d’un jour nouveau et décelés enfin les véritables avantages de son administration ; il n’en fut rien cependant ; tous les efforts furent vains, et la plus complète désuétude ne cessa de peser sur l’arsenic.

Il faut arriver jusqu’au XVIIIe siècle pour voir la médication arsenicale reprendre dans la thérapeutique la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Toutefois, ce ne fut pas sans peine et sans difficulté que les défenseurs de cette doctrine parvinrent à opérer sa réhabilitation ; ils avaient affaire, en effet, à rude partie. Ainsi l’on voyait figurer, du côté de l’opposition, Lemery, Wepfer, Stœrck, Stahl Linnœus, Thilenius, Horn, Van Helmont même, lui qui en conseillait l’usage externe. Mais en face de ces nombreux détracteurs nous avons à placer des écrivains non moins célèbres dans la science ; parmi eux se distinguèrent Slévogt, Melchior Frick, Keil, J. G. Gmelin, Donald Monro, Plencitz, père et fils, Thomas Fowler, Robert Willan, Richard Pearson. — Outre les objections sérieuses qui leur furent posées, ces chaleureux partisans de l’emploi interne de l’arsenic eurent encore à combattre les préventions sans nombre qui s’élevèrent contre eux et contre la médication qu’ils défendaient. Trop souvent, en effet, leurs adversaires se plurent à frapper les esprits en exagérant les effets toxiques de l’arsenic. Ce poison, disaient-ils, agit d’une manière sûre ; son action, rapide ou lente suivant la dose, n’en conduit pas moins toujours à une mort certaine. Or, on sait combien, d’ordinaire, sauf le grossissement ou les modifications que chacun se réserve ensuite d’y apporter, le monde est favorablement disposé à accueillir les bruits qui courent, ceux-là surtout qui concernent notre propre personne ; aussi l’on comprend aisément l’écho que devaient trouver dans l’opinion publique ces assertions, erronées il est vrai, mais provenant de source médicale, et relatives à une substance dont l’activité ne saurait être méconnue. — De tels obstacles ne purent résister cependant à la masse de preuves que ces éminents défenseurs apportèrent à l’appui de l’efficacité des préparations arsenicales, et leur utilité ne put plus dès lors être niée.

En 1811 apparut une monographie de Harles, qui agrandit encore le cadre des états morbides dans lesquels le traitement arsenical pourrait être utilement employé. Enfin, la France, en retard cette fois sur l’Allemagne et l’Angleterre, reconnut également les avantages de cette médication : Fodéré, Biett, parlèrent hautement en sa faveur, et après eux, MM. Cazenave, Gibert, Devergie, Duparcque, Millet (de Tours), Wahu, etc., ont aussi fait connaître le résultat heureux de leurs observations sur les propriétés curatives de l’arsenic blanc. Mais, de tous les auteurs précités, aucun n’a inscrit son nom à la hauteur de celui de M. Boudin, sur la question de l’utilité de ce médicament comme antipériodique et fébrifuge surtout ; aucun non plus, on peut le dire, n’a suscité tant que lui de recherches sur les préparations arsenicales. Toutefois, c’est parce que l’usage de l’arsenic m’a semblé ne pas être suffisamment répandu, même de nos jours, que j’ai cru bon de consigner ici les expériences et les opinions des personnes qui font le plus autorité dans la science. Les vétérinaires, d’ailleurs, n’ont reconnu l’efficacité de l’emploi interne des arsenicaux que depuis 50 ans environ, s’il faut en juger du moins par ce qui est relaté dans les annales. Depuis lors, de nouveaux faits sont venus s’ajouter aux premiers, et la médecine vétérinaire, à l’instar de sa sœur ainée, s’est vue enrichie d’un médicament quasi-nouveau. — Je ne puis croire encore, cependant, que l’arsenic ait dit son dernier mot ; les résultats variés obtenus en médecine humaine, depuis quelques années surtout, me sont garants, au contraire, que l’on découvrira en lui, au fur et à mesure qu’on lui demandera des services nouveaux, des aptitudes qui en feront l’un des plus précieux agents de l’art de guérir. — Telle est ma conviction ; à l’avenir de la justifier.

CHAPITRE Ier

Pharmacodynamie.

Les préparations arsenicales sont susceptibles de déterminer dans l’organisme des effets qui varient suivant la dose, le mode d’administration, et suivant aussi les conditions dans lesquelles se trouve le sujet soumis à son action. Mais notre but n’étant pas d’aider aux recherches médico-légales, nous nous abstiendrons de parler des effets toxiques de l’arsenic ; à peine effleurerons-nous la question qui a trait à cet état particulier appelé arsenicisme. C’est assez dire que nous laisserons de côté le poison pour n’interroger que le médicament ; et, d’abord, disons que le métalloïde arsenic est inusité ; l’acide arsénieux, au contraire, est, de tous les composés arsenicaux, celui qui est le plus employé ; en outre, il imprime aux combinaisons dont il fait partie un cachet pharmacodynamique qui les fait participer toujours à ses propriétés spéciales ; par conséquent, c’est lui surtout que nous aurons en vue en traitant des effets de l’arsenic.

Introduites dans l’organisme, les préparations arsenicales déterminent, quand elles sont données à petites doses, des effets tout à fait avantageux qui les ont fait considérer comme des toniques fidèles et énergiques ; les arsenicophages nous en sont une preuve. Mais les arsenicaux n’ont pas seulement cette propriété, leur action peut être encore, en effet, hyposthénisante, excitante, névrosthénique, altérante, etc., suivant l’état du sujet, les doses, etc. Par conséquent, on ne peut admettre l’opinion de certains pharmacologistes qui attribuent à l’arsenic l’une de ces vertus à l’exclusion de toutes les autres ; car, si dans un cas il relève les forces, active la nutrition et mérite ainsi le titre de tonique, dans un autre il doit être appelé hyposthénisant, parce qu’il calme et déprime ; de même, ici, il excitera un mouvement fébrile, et là, il le fera cesser. — Donc, on le voit, l’arsenic est une arme à plusieurs tranchants, assez difficile à manier, il est vrai, mais qui cependant peut devenir, entre des mains habiles, un moyen précieux de défense, et être tournée avantageusement contre les maladies les plus diverses.

Mais avant d’aller plus loin, examinons le degré de puissance de l’acide arsénieux à l’état solide et à l’état liquide. — Depuis longtemps déjà, il était reconnu que le médicament dont il s’agit avait une action beaucoup moindre donné en poudre que dissous dans l’eau ; mais le degré de cette différence d’activité était encore ignoré de tous, quand Rognetta, vers le milieu de ce siècle, vint fixer ce rapport, chez le cheval, du moins, d’une manière exacte. Cet expérimentateur observa, en effet, que l’activité de l’acide arsénieux en dissolution était vingt fois plus forte que celle du même agent en poudre, c’est-à-dire que deux grammes, sous le premier état, suffisaient le plus souvent pour faire périr un cheval, tandis que le même résultat n’était obtenu que par l’administration de 45 grammes sous le second. On n’a pas expérimenté encore sur les autres animaux, mais il est probable que le rapport sus indiqué doit rester le même. — Cette différence dans le mode d’action de l’arsenic doit être attribuée à l’absorption plus rapide des molécules arsenicales à l’état de solution, par suite de leur extrême ténuité, et à leur dissémination plus facile dans toutes les parties de l’organisme ; car, une quantité d’arsenic étant donnée, ses effets seront d’autant plus marqués que le véhicule qui a servi à le dissoudre a été plus abondant.

La posologie de l’arsenic doit donc varier chez les divers animaux, avec l’état sous lequel on veut l’administrer. Voici, d’ailleurs, les doses prescrites par M. Tabourin (Mat. méd., 2e  édit., t. II, p. 147), dans l’un et l’autre cas :

1o SOLIDE 2o LIQUIDE
Grands herbivores 
 2 à 8 gr.
Petits ruminants 
 1 à 2 »
Porcs 
 0 gr. 25, 0,50 à 1 »
Carnivores 
 1 à 5 c.
Grands herbivores 
 50 cent. à 1 gr.
Petits ruminants 
 10 à 20 cent.
Porcs 
 5 à 10 »
Carnivores 
 1/2 à 1 »

Telle est la quantité d’arsenic que l’on peut administrer d’emblée aux animaux sans s’exposer à des accidents. Néanmoins, le praticien devra toujours habituer peu à peu l’organisme à l’action du médicament ; à cet effet, il ne donnera, dès le commencement, que les plus petites doses. C’est ainsi que l’on agit dans la médecine de l’homme, où l’acide arsénieux en poudre se dose par milligrammes, et même par fraction de milligrammes. On a remarqué, en effet, que certaines constitutions sont susceptibles de se laisser impressionner par des quantités infimes de cette substance ; mais le plus souvent il y a tolérance jusqu’à 1, 2, 3 centigr. ; on donne rarement 5 centigr. d’arsenic blanc en un seul jour.

L’administration des préparations arsenicales devra, en général, reposer aussi sur les mêmes principes, c’est-à-dire que la quantité prescrite devra contenir à peu près la dose d’arsenic que nous savons pouvoir être tolérée, soit à l’état solide, soit à l’état liquide. C’est en agissant de cette façon que l’on verra se manifester les effets purement physiologiques que nous allons maintenant examiner. Dans leur exposé, nous interrogerons d’abord, un à un, tous les appareils, et puis, dans un coup d’œil d’ensemble, nous embrasserons les effets produits sur toute l’économie.

Organes digestifs. — Administré à des doses convenables, l’arsenic détermine du côté des organes digestifs des effets sensiblement favorables à leurs fonctions : sous son influence, l’appétit devient meilleur, la soif augmente, les digestions sont plus actives, et, par suite, on peut voir une tendance plus marquée à l’expulsion des fèces. Un léger sentiment d’ardeur à la gorge, le long de l’œsophage jusque dans l’estomac, a été signalé en médecine humaine ; il est probable qu’il se produit aussi chez nos animaux domestiques ; peut-être même pourrait-on trouver là une explication de cette soif très vive, presque insatiable, qui a été observée parfois : les nausées, les vomissements abondants chez le chien ; la salivation chez cet animal et chez le cheval, effets constatés par Delafond (Thérap. générale, vol. II, p. 437), pourraient être dus aux mêmes causes. Mais ces derniers phénomènes s’observent principalement quand le médicament a été administré en quantité un peu élevée ou ingéré pendant longtemps sans interruption. Dans ce cas, en effet, des symptômes de coliques se manifestent ; l’animal perd l’appétit ; la digestion ne se fait qu’incomplétement ; les urines sont plus abondantes et arsenicales, et bientôt survient une diarrhée séreuse, parfois sanguinolente, d’une grande fétidité ; c’est là un des signes les plus certains de l’intolérance arsenicale. Ce cortége de légers accidents ne doit pas cependant effrayer, car la suspension du traitement pendant cinq à six jours suffit pour que tout rentre dans l’ordre.

Organes de la circulation. — La manière d’agir de l’arsenic sur l’appareil circulatoire a été interprétée bien différemment par les divers auteurs qui s’en sont occupés. Cette divergence d’opinions doit être attribuée surtout à la variété des doctrines ; car, naturellement, chacun s’est cru obligé de donner une explication du mode d’action de ce médicament, en rapport avec les idées de l’école dont il faisait partie. C’est ainsi que, pour les contre-stimulistes, Brown et Razori en tête, l’arsenic est toujours un hyposthénisant qui diminue le nombre et l’intensité des mouvements du cœur, abaisse la température normale du corps, produit des sueurs froides et détermine une prostration des forces. Une opinion émise tout récemment par M. Sée semble permettre de rendre compte de tous ces phénomènes : cet auteur admet, en effet, que l’arsenic se combine directement avec les globules sanguins, qu’il y prend toujours la place de l’oxygène et qu’il s’oppose ainsi à l’oxydation des tissus. D’après cette théorie, on expliquerait, par une sorte d’appauvrissement du sang, et la dépression des pulsations cardiaques et artérielles, et la diminution de température que M. Lolliot dit avoir vu atteindre parfois 1°, mais varier d’ordinaire entre 3/10 et 8/10 de degré. La propriété de produire des sueurs froides et de diminuer les forces ne serait qu’une conséquence de ce qui précède. J’en dirai autant pour la moindre quantité d’urée éliminée par les urines, constatée par Schmitt, Brettschneider, et, après eux, par MM. Sée et Lolliot ; je puis même y ajouter les conclusions que ces observateurs ont tirées de leurs expériences, c’est-à-dire que les arsenicaux diminuent l’exhalation d’acide carbonique par le poumon en modérant la combustion des tissus, celle de la graisse notamment ; c’est pour cette raison que les derniers de ces expérimentateurs ont décerné à l’arsenic le titre de médicament d’épargne.

Mais la théorie de M. Sée, outre qu’elle est battue en brèche par la théorie chimique de la chaleur, pèche encore, je crois, par sa base. J’essaierai, en effet, de démontrer plus loin que cette sorte de déglobulisation du sang est elle-même le résultat de l’action directe du médicament sur les nerfs vaso-moteurs. — De même, la dernière opinion sur la combustion graisseuse est sans doute erronée, car nous verrons plus tard que, donné en petite quantité, l’arsenic favorise la nutrition, le développement du corps, mais que la graisse ne participe que peu ou point à ces acquisitions ; nous verrons aussi que, administré à doses un peu trop élevées, il détermine la maigreur. Ces idées sont également contradictoires avec les observations de M. Devergie, qui a plusieurs fois donné avec quelques succès les préparations arsenicales pour obtenir la résolution de certaines tumeurs adipeuses.

Orfila, sans nier les effets débilitants de l’arsenic, attribuait à ce poison des propriétés irritantes pour le système circulatoire ; il le croyait même capable de provoquer, à la longue ou à fortes doses, des phénomènes fébriles. Cette accélération des mouvements du cœur à la suite de la médication arsenicale avait été observée aussi par Harles, qui l’avait vue revêtir le type rémittent, mais jamais régulier. Biett, et les dermatologistes de son école, reconnurent en outre à l’arsenic la propriété d’augmenter la chaleur du corps ; cette augmentation, dit M. Cazenave (Dict. de méd., par MM. Adelon, Béclard, etc., 2e éd., art. Arsenic, p. 21), est plus ou moins sensible, suivant la dose de l’arsenic. Mais Biett a vu se manifester chez l’homme, dans quelques circonstances, une sorte de périodicité dans les changements du pouls. Partant de là, Hahnemann et ses adeptes, toujours fidèles à leur axiome homœopathique (similia similibus curantur), ont fait de l’arsenic un médicament pyrétogène et l’ont employé contre les fièvres intermittentes. — On sait encore combien, dans ces derniers temps surtout, Boudin en tête, les alléopathes (contraria contrariis curantur) et les partisans de l’éclectisme médical ont vanté les propriétés fébrifuges de l’acide arsénieux. M. A. Millet dit enfin que ce composé, administré à doses considérables ou pendant longtemps, active la circulation jusqu’à produire la fièvre ; ses idées sur ce point sont donc en rapport avec celles d’Orfila.

Que conclure de tout ce qui précède ? Rien autre chose que, donné en petite quantité, l’arsenic n’a pas, en général, une influence marquée sur la circulation ni sur la température ; mais que, dans des circonstances particulières, il peut cependant provoquer, soit une certaine réaction fébrile, soit une certaine sensation de froid[1] ; c’est ce qui s’observe principalement lorsque l’économie éprouve une certaine intolérance, une sorte de saturation arsenicale.

Organes de la respiration. — L’arsenic exerce sur les fonctions respiratoires une influence qui ne peut être contestée ; les propriétés antidyspnéiques de ce médicament sont connues depuis longtemps déjà, puisque nous avons vu Dioscoride en recommander l’usage, à ce titre, dès le premier siècle de notre ère.

L’asthme de l’homme, la pousse de nos solipèdes, trouvent aujourd’hui, dans les arsenicaux, un soulagement prompt et durable, et bien souvent la guérison. Les faits sont là pour témoigner, de la manière la plus irréfragable, de la véracité de cette assertion ; nous verrons bientôt, d’ailleurs, les effets qu’il produit sur la respiration, chez les paysans de la Styrie et de la basse Autriche qui sont arsenicophages. Qu’il nous suffise de savoir, dès maintenant, que cette substance possède à un haut degré la propriété de faciliter la respiration, d’en régulariser les mouvements, de la rendre plus ample et de favoriser ainsi l’hématose. — En outre, M. Ch. Martin (Rec. 1862, p. 307) a constaté parfois, dans l’air expiré par les animaux soumis au traitement arsenical, une odeur alliacée : elle appartient en propre, on le sait, aux produits de combustion de l’arsenic.

Peau. — Aucune des parties constituantes de l’organisme n’échappe à l’action des arsenicaux ; leurs molécules sont tellement ténues qu’elles s’insinuent dans tous les organes, traversent tous les tissus et vont partout exercer leur influence ; la membrane cutanée ne peut donc s’y soustraire et doit en ressentir les effets. Cependant, les opinions ont varié à ce sujet ; ainsi, les dermatologistes ont mis à profit l’activité de la circulation capillaire par l’arsenic pour combattre les éruptions chroniques du tégument externe. D’après MM. Trousseau et Pidoux, celui-ci resterait ordinairement sec quand l’arsenic agit comme diurétique ; M. Millet prétend, de son côté, que ce médicament peut agir à la manière des diaphorétiques.

En médecine humaine, on a constaté parfois, sur le visage principalement, une certaine coloration du derme rappelant assez celle produite par le nitrate d’argent ; la couleur brune que l’on remarque souvent à la place des éruptions squameuses traitées par l’arsenic, et que M. Devergie considère comme une garantie de guérison, doit être attribuée sans doute aux mêmes causes. — De telles modifications pigmentaires n’ont pas été observées, que je sache, en médecine vétérinaire. — Mais si l’arsenic est donné à des doses trop élevées ou trop longtemps soutenues, l’excitation devient une véritable irritation, et il n’est pas rare de voir apparaître des éruptions, de forme, de nature et d’aspect très variables, sur lesquelles M. Imbert-Gourbeyre a particulièrement attiré l’attention (Hist. des éruptions arsenicales ; Mon. des Hôp., 1857).

Système nerveux. — Le système nerveux est vivement impressionné par l’administration d’un médicament aussi énergique que l’arsenic ; mais il est digne de remarque que les arsenicaux vont surtout exercer leur action sur la partie du système dévolue aux fonctions de la vie organique. Nous avons vu en effet que, sous leur influence, les fonctions digestives sont plus complètes et se font plus rapidement, la respiration est avantageusement modifiée dans son rhythme, et nous verrons bientôt que les fonctions d’assimilation et de sécrétion reçoivent également une impulsion favorable, etc.

Est-ce à dire cependant que les nerfs de la vie animale ne se ressentent nullement du contact des particules arsenicales ? Assurément non ; pour n’en être que plus rares, les excitations cérébrales, par exemple, n’en existent pas moins, dans certaines circonstances ; elles vont même jusqu’à l’insomnie, paraît-il, chez certains sujets. MM. Trousseau et Pidoux, M. Millet, disent en effet les avoir ressenties sur eux-mêmes ; les premiers comparent volontiers cette action de l’arsenic à celle du café ; le dernier dit avoir éprouvé, outre les phénomènes sus-nommés, une céphalalgie intense. — Après de telles assertions, on n’oserait, certainement, révoquer en doute les particularités dont il s’agit ; d’ailleurs, nous donnerons bientôt une preuve certaine, plus souvent constatable, de l’influence qu’exerce l’arsenic sur les nerfs de la vie de relation ; je veux parler de cette excitation particulière qui semble se concentrer dans la dernière portion de la moelle, et dont le résultat est une contractilité musculaire plus énergique, une plus grande résistance à la fatigue.

Les arsenicaux peuvent donc être stimulants dans certaines circonstances, mais il est bon de ne pas ignorer qu’ils sont susceptibles de produire aussi, dans bien des cas, des effets tout opposés ; c’est ce qui arrive surtout, alors que la médicamentation s’est prolongée outre mesure ou bien qu’elle n’a pu être tolérée. Dans l’un et l’autre cas, on constate un affaiblissement marqué de l’innervation, qui se traduit par un abaissement de température, des frissons, la dépression des forces, tous phénomènes qui confinent à l’intoxication et que suivent parfois des paralysies musculaires, voire même génitales.

L’influence qu’exerce l’arsenic sur les organes de la reproduction offrant à l’étude quelques points intéressants, nous allons nous y arrêter un instant.

Organes génitaux. — Ici encore apparaît cette diversité d’opinions que nous avons déjà vue se renouveler plusieurs fois sur le mode d’action des préparations arsenicales ; et c’est toujours à la question des doses que ces dissidences doivent être attribuées. Pour les uns, l’arsenic agirait sur le sens génital à la manière des excitants ; pour les autres, au contraire, il serait un véritable calmant, un modérateur des ardeurs génésiques. — Tout opposées que paraissent d’abord ces opinions, elles ne sont pas si disparates pourtant, qu’on ne puisse les rallier sous un même chef. Je crois en effet que les résultats variés qui ont servi de base à chacune d’elles sont dus à une même cause (à l’excitation), et que celle-ci n’a été modifiée que dans son intensité ; car on ne doit accorder au système nerveux la faculté de réagir avec une force proportionnelle à l’impression qu’il a reçue que jusqu’au point où l’excitation est poussée à une certaine limite qu’on ne peut préciser ; arrivée à ce degré, elle détermine, non plus une réaction proprement dite, mais une sorte de stupeur, d’anesthésie momentanée, susceptible de produire, quand elle se continue, la paralysie complète des organes dans lesquels se distribuent les nerfs irrités. C’est donc par un simple changement d’état du système nerveux que l’on peut expliquer les divers effets de la médication arsenicale sur les organes génitaux. Mais comment ceux-ci, plutôt que d’autres, sont-ils influencés par l’arsenic ? À cette question, les partisans de la doctrine de Gall, remontant de l’effet à la cause, répondront assurément : « Par une électivité particulière d’action sur le cervelet » (on sait en effet que ce phrénologiste a fait, de cette partie de l’encéphale, le siége du penchant à l’amour physique) ; mais des exceptions trop nombreuses sont venues saper leurs théories pour qu’il soit possible de les adopter sans restriction. J’ignore si l’on a répondu autrement à la question posée, mais je crois que, dans l’état actuel de la science, une solution quelconque ne peut être donnée d’une manière absolue.

Pris à petites doses, les arsenicaux sont de véritables aphrodisiaques ; depuis longtemps, en effet, on a constaté qu’ils déterminent dès le commencement du traitement, et cela dans bon nombre de cas, une sorte d’éréthisme dans les organes génitaux. Ainsi, M. Delioux de Salignac a vu se produire le chatouillement de l’urètre avec tendance à l’érection, sous l’influence de 2 à 3 milligr. d’acide arsénieux par jour. Les mêmes phénomènes se produisent chez les mangeurs d’arsenic ; on peut en juger, du reste, par le chiffre vraiment exceptionnel qu’atteignent les naissances illégitimes, dans les contrées où l’usage de cette substance est répandu ; d’après M. Maclagan, il ne s’élèverait pas, en effet, à moins de 60 pour 100. — On ne peut donc refuser à l’arsenic la propriété d’exciter les désirs vénériens.

Examinons maintenant la même substance, au point de vue de ses facultés dépressives ; et d’abord, avouons, avant de commencer, que l’anaphrodisie a été constatée assez rarement à la suite du traitement arsenical. — Quelle en est la cause ? — On peut la trouver, je crois, dans les conditions que nécessitent, pour s’effectuer, de semblables phénomènes. L’arsenic, en effet, devient anaphrodisiaque alors seulement qu’il a produit cet affaiblissement particulier de l’organisme, que tout le monde considère comme l’avant-coureur d’une intoxication prochaine. Il est donc aisé de comprendre combien cette saturation arsenicale doit être rarement le résultat de doses médicamenteuses, et, partant, combien sont rares aussi les surexcitations des organes génitaux. Les exemples suivants suffiront d’ailleurs pour donner une idée des circonstances qu’exigent, pour se développer, les effets dont nous parlons. Ainsi, MM. Cazenave (loc. cit.) et Imbert-Gourbeyre (Action de l’arsenic sur les parties génit. ext., in Gaz. méd., 1864) rapportent une observation de Biett relative à un jeune homme de 24 ans, qui vit ses facultés viriles anéanties pendant plusieurs mois pour avoir pris imprudemment 60 gouttes de liqueur de Fowler par jour, dans le but de se guérir d’une lèpre vulgaire ; M. Rayer a vu de même se produire la paralysie des organes génitaux dans un cas d’arsenicisme chronique ; M. Charcot a également constaté deux fois l’anaphrodisie consécutive à un usage trop prolongé de l’arsenic. — Ce n’est donc que, poussée à son extrême limite, que la médication arsenicale est susceptible de déterminer l’anesthésie génitale.

La seule conséquence que l’on a tirée jusqu’à présent de la connaissance de ces faits est l’indication de suspendre le traitement quand surviennent quelques symptômes d’atonie du côté des organes générateurs. Est-ce à dire cependant que l’arsenic, à titre d’anaphrodisiaque, doive être nécessairement rayé de la thérapeutique ? — Telle n’est pas notre opinion ; nous sommes porté à croire, au contraire, que cette substance est appelée à rendre des services, en médecine vétérinaire notamment, dans le traitement de la nymphomanie et du satyriasis. Les femelles domestiques atteintes de cette maladie ne sont guère bonnes que pour la boucherie, car, outre qu’elles sont dangereuses, les juments surtout, elles ne peuvent être utilisées, pas même pour la reproduction ; par conséquent, on peut les soumettre, sans risquer une forte somme, au régime arsenical habilement dirigé. — On appelle vulgairement taurelières les vaches atteintes d’hystéromanie ; les juments sont dites pisseuses. Je ne parle pas des mâles, car la castration est un moyen radical qui fait disparaître à jamais chez eux les ardeurs génésiques. Cette opération peut se pratiquer aussi, il est vrai, sur nos grandes femelles et être suivie du même résultat, mais elle expose bien davantage les sujets, ceux principalement qui font partie des équidés.

En médecine humaine, il en est tout autrement ; aussi n’est-il pas étonnant que l’on n’ose avoir recours à des moyens aussi énergiques que l’arsenic, quand même ils auraient donné des preuves de leur efficacité, dans quelque circonstance ; il est, en effet, un certain degré de la médication où le moindre écart peut déterminer des accidents irrémédiables. Il ne serait pas impossible cependant que l’on parvînt à préciser la quantité d’arsenic nécessaire pour faire disparaître les affections dont nous parlons, soit chez l’homme, soit chez la femme ; mais les expériences étant de beaucoup plus faciles en médecine vétérinaire, il est probable que nos animaux bénéficieront les premiers des effets de la médication que nous proposons, si toutefois les résultats répondent à nos espérances. En conséquence, nous ne pouvons qu’engager fortement les praticiens et les expérimentateurs à faire des recherches dans la voie que nous indiquons. Si le succès répond à la théorie, nul doute que l’arsenic soit désormais employé comme anaphrodisiaque ; si, au contraire, les faits la viennent infirmer, il faudra chercher ailleurs un médicament plus efficace. — Mais….. je vois déjà plus d’un censeur m’accuser de faire partie de l’école homœopathique ; eh ! bien, je répondrai à ces critiques : Non, je ne me range pas à l’opinion des disciples de Hahnemann, mais je suis tout à fait partisan de l’éclectisme ; aussi je n’hésite pas à emprunter à cette doctrine, à la méthode empirique même, les moyens de guérison qui offrent quelque chance de succès, alors surtout que les traitements rationnels ont échoué. J’ai pris, en effet, pour règle de conduite le principe suivant ; il est ma devise : « Prends le remède où il se trouve, le meilleur est celui qui guérit. » Nul ne me blâmera sans doute si je lui reste fidèle.

Je tairai ici les inflammations, éruptions, gangrènes, etc., qui surviennent à la suite de l’ingestion des arsenicaux, et qui choisissent pour lieu d’élection les parties génitales externes, car ces lésions cutanées, outre qu’elles n’ont guère été constatées que chez l’homme, appartiennent plutôt à l’intoxication qu’à la médication arsenicale.

Fonctions nutritives. — Comme on peut le prévoir, la nutrition ne reste pas étrangère à la présence de l’arsenic dans l’organisme ; mais, comme toujours, les effets varient avec l’intensité de la cause qui les a déterminés. En effet, administré à petites doses, ce médicament modifie avantageusement les phénomènes de la nutrition ; il donne plus d’activité à cette fonction et la rend plus complète, de sorte que, sous son influence, l’économie acquiert de la vigueur et de l’embonpoint ; la force et l’énergie reviennent ou augmentent ; la tonicité de la fibre s’accentue, les muqueuses apparentes se colorent ; tout enfin dénote chez le sujet soumis au régime arsenical une santé prospère. Parmi nos animaux domestiques, les herbivores, le cheval en particulier, sont les plus sensibles à l’action des préparations arsenicales ; il est avéré, en effet, que, mêlé à l’avoine, au son ou aux fourrages, en quantité convenable, l’arsenic donne aux solipèdes un poil lisse et brillant, des formes élégantes et arrondies, de l’ampleur dans les mouvements respiratoires et une plus grande force pour effectuer le tirage, alors surtout qu’il doit s’exercer dans les montées laborieuses ; car nous savons de MM. Boudin, de Tschudi, que c’est un usage consacré en Allemagne et en Autriche d’administrer de l’arsenic aux vieux chevaux pour leur donner du jarret. — La production de cette écume blanche et abondante que l’on aime à voir dans la bouche des chevaux de prix serait, paraît-il, facilement obtenue dans ces mêmes contrées à l’aide d’un petit morceau d’acide arsénieux enveloppé dans un linge que l’on fixe au mors de la bride ; l’animal le dissout ensuite peu à peu en l’imprégnant de salive. Les maquignons allemands ont également l’habitude d’associer l’acide arsénieux à une bonne nourriture pour refaire et mettre en bon état de vente les chevaux usés, malingres, qu’ils ont achetés à vil prix ; ils sont même, dit-on, rarement déçus dans leurs entreprises. Mais ce qui est digne de remarque, c’est que les sujets soumis à ce traitement pendant un certain temps maigrissent et perdent leur gaieté dès qu’il est suspendu, quelle que soit la nourriture qu’ils reçoivent. — Nous verrons tout-à-l’heure que les phénomènes qui se passent chez les toxicophages sont à peu près analogues. Ce médicament devient donc un moyen d’hygiène indispensable pour les individus qui ont coutume d’en faire usage.

Mais il n’y a pas que les chevaux qui soient soumis à l’action des arsenicaux ; les bœufs, les veaux reçoivent aussi parfois ladite substance, à titre de condiment ; toutefois, cette pratique est limitée chez eux aux animaux destinés à l’engraissement. L’acide arsénieux se donne aux ruminants avec du gruau mêlé de paille hachée, qui a infusé dans l’eau chaude ; sous son influence, les formes s’arrondissent, les animaux acquièrent bientôt une belle apparence, le corps augmente de volume d’une manière très sensible ; mais ce qu’il y a de surprenant, c’est que le poids du sujet ne varie guère et reste de beaucoup inférieur à celui que l’on pourrait présumer d’après les apparences. Aussi, les bouchers de ces contrées achètent-ils rarement à simple vue, soit des bœufs, soit des veaux qui ont été préparés de cette manière. La production de la graisse est donc très minime ; par conséquent, l’usage de l’acide arsénieux ne détermine chez eux qu’une sorte de bouffissure. Reste à savoir si la viande de ces animaux est de bonne qualité et sans danger pour la consommation ; certains auteurs prétendent qu’elle est recherchée des gourmets.

En Styrie comme en Autriche, on appelle hidribauer (paysan à l’arsenic), les propriétaires cultivateurs qui ont l’habitude de donner de cette substance à leurs bêtes.

L’arsenic est encore assez souvent donné aux cochons à petites doses, alors surtout que commence l’engraissement. On leur donne aussi parfois une dose de sulfure d’antimoine des droguistes, c’est-à-dire non purifié. L’effet qui en résulte provient sans doute de l’arsenic qu’il contient, car on a remarqué que le sulfure purifié, tel qu’on le prépare dans les pharmacies, est tout à fait sans action.

Nous venons de voir les effets des petites doses d’arsenic, examinons à son tour l’action de la même substance administrée à doses plus élevées et longtemps soutenues. D’abord, les sujets paraissent tristes ; ils perdent l’appétit ; les forces diminuent ; la nutrition s’arrête ; le pouls devient mou et lent ; le sang s’appauvrit ; les chairs deviennent molles et flasques ; la maigreur, qui a commencé depuis longtemps, se prononce toujours davantage ; et enfin l’étisie vient, avec tous les symptômes de l’intoxication, éteindre la vie peu à peu chez ce qui n’est guère plus qu’un squelette mouvant, revêtu d’une peau.

Mais nous empiétons sur un terrain qui n’est pas le nôtre ; hâtons-nous donc de rentrer dans les limites que nous nous sommes tracées, et occupons nous immédiatement des effets physiologiques qui s’accomplissent chez les personnes qui s’adonnent à l’arsenic.

Toxicophages ou arsenicophages.

Il y a vingt ans environ, un article de M. de Tschudi, de Vienne, publié dans le Journal de la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles, vint attirer l’attention du monde médical sur une question qui étonna plus d’un docteur. Jusqu’alors, en effet, on avait considéré l’arsenic, tant en France qu’en Angleterre et dans bien d’autres contrées, comme une substance éminemment toxique, dont l’ingestion déterminait la mort. Or, dans le mémoire de M. de Tschudi, il ne s’agissait de rien moins que de détruire cette opinion et de la remplacer par une autre tout opposée, à savoir que loin d’être toujours une substance nuisible, l’acide arsénieux était, au contraire, un véritable réparateur de la santé ; et à l’appui, l’auteur citait les habitants de certaines parties du Tyrol, de l’Autriche, etc., qui, disait-il, considéraient l’arsenic comme un véritable aliment et en faisaient depuis longtemps un grand usage. — À peu près de partout on mit en doute et on traita de fables les faits rapportés ; mais nos voisins d’outre-Manche protestèrent le plus vivement et s’élevèrent avec opiniâtreté contre les assertions de Tschudi. On s’informa auprès de médecins pratiquant dans ce pays, on reçut des communications directes, et enfin il résulta des recherches faites par les docteurs Heisch, de Middlesex, Vest, Craig Maclagan, etc., que les détails donnés par le docteur autrichien étaient tout à fait exacts. On dut alors, nécessairement, se rendre à l’évidence.

Voici, au résumé, ce dont il s’agit. Il est d’un usage assez répandu chez les paysans de la basse Autriche et de la Styrie, et notamment chez ceux des montagnes qui la séparent de la Hongrie, de manger de l’arsenic ; cette substance est connue chez eux sous le nom de hedri, hydrach. — Les arsenicophages, comme les appelle M. de Tschudi, ont un double but : en premier lieu, se donner un air sain et frais et un certain degré d’embonpoint. La coquetterie est donc le principal mobile de cette pratique dangereuse ; par conséquent, il est facile de deviner que ce sont surtout les jeunes paysans et paysannes qui ont recours à cet expédient. Il est remarquable comme les jeunes toxicophages atteignent merveilleusement leur but ; ils se distinguent, en effet, par la fraîcheur de leur teint, et ils jouissent de tous les attributs de la santé la plus florissante. Voici du reste, pris parmi le nombre, un cas cité par M. de Tschudi : « Une jeune vachère, bien portante d’ailleurs, mais maigre et pâle, et craignant pour cela d’être délaissée par son amant, eut recours au moyen connu, et prit de l’arsenic plusieurs fois par semaine. Le résultat désiré ne se fit point attendre : l’embonpoint, la fraîcheur, apparurent bientôt, et la jouvencelle devint potelée, joufflue, bref, tout au gré du jouvenceau, qui lui resta fidèle. Néanmoins, elle crut pouvoir encore ajouter à ses charmes, et elle força la dose ; mais la malheureuse imprudente était à bout, et elle mourut victime de sa coquetterie. »

De tels accidents ne sont pas rares, paraît-il, surtout parmi la jeunesse ; mais ordinairement le lit de mort déchire seul le voile du secret.

Le second avantage que les mangeurs d’arsenic se proposent de retirer de l’usage de cette substance, est de se donner du jarret, de se rendre plus volatils, comme ils le disent, c’est-à-dire de faciliter la respiration pendant la marche ascendante ; aussi, à chaque longue excursion qu’ils doivent faire dans la montagne, prennent-ils un petit morceau d’arsenic qu’ils avaient avec une bouchée de pain, un morceau de lard frais, ou qu’ils laissent fondre peu à peu dans la bouche. L’effet en est surprenant, dit M. de Tschudi ; ils montent alors aisément les hauteurs qu’ils ne sauraient gravir qu’avec la plus grande peine sans cette pratique. — Nous avons vu déjà que, souvent, dans des circonstances analogues, ils soumettent aussi leurs chevaux au même régime, dans la même intention et avec le même succès.

Au début, les toxicophages prennent à peine 2 centigr. d’arsenic, à peu près le volume d’une lentille ; ils se tiennent pendant quelques temps à cette dose, qu’ils prennent, le matin à jeun, plusieurs fois par semaine, et ils augmentent ensuite peu à peu, au fur et à mesure que la dose habituelle refuse ses effets, de façon à ingérer jusqu’à 20 et même 25 centigr. de hedri à la fois. Jamais, dit encore M. de Tschudi, les symptômes de l’empoisonnement chronique n’apparaissent sur les individus qui savent approprier la dose du toxique à leur constitution et à leur tolérance ; mais il faut le dire aussi, jamais la toxicophagie ne dégénère en passion comme, par exemple, l’opiophagie en Orient, l’usage du bétel aux Indes et en Polynésie, etc., etc. ; chose singulière, elle devient plutôt un besoin pour ceux qui s’y adonnent. En effet, la suppression volontaire ou forcée de l’arsenic provoque tous les symptômes, quoique à un moindre degré, de l’intoxication arsenicale : malaise, anxiété, troubles de la digestion, vomissements, difficulté de respirer, etc. ; et, contre tous ces phénomènes, un seul moyen est efficace, c’est le retour immédiat à l’usage de l’arsenic. — Les arsénicophages obéissent donc, à peu de chose près, aux mêmes lois que nos espèces domestiques, pour ce qui a trait à l’hydrach. Mais l’observation des effets de cette substance sur les animaux a-t-elle donné l’idée de l’utiliser aussi dans l’espèce humaine, ou vice versa ? — Cette question, à laquelle le médecin viennois n’a pas répondu, restera probablement longtemps encore, sinon toujours, dans le domaine des hypothèses ; car, en remontant dans la tradition, on trouve par intervalles des faits isolés qui dénotent que cette pratique est de date très ancienne.

Résumé de l’action physiologique de l’arsenic.

Les dissidences qui se sont produites maintes fois entre les divers observateurs, sur l’explication des phénomènes que peut susciter l’arsenic, ne doivent plus nous étonner maintenant, puisque nous connaissons les propriétés de cette substance. Nous avons vu, en effet, que chacun lui attribuait un mode d’action différent, suivant qu’il l’avait vu réussir dans telle ou telle maladie, aller influencer tel ou tel organe. Or, nous savons combien sont peu limitées les applications que ce médicament peut recevoir ; par conséquent, il nous est aisé de comprendre comment chaque plaidant pouvait parler pour une bonne cause. Mais ne pourrait-on pas admettre que les divers effets de l’acide arsénieux sont déterminés par une action directe de ce poison sur le système nerveux ? C’est là une opinion qui peut être acceptée, ce me semble ; à l’aide de cette théorie, d’ailleurs, on peut expliquer la plupart des phénomènes que nous avons vus se produire. Ainsi, l’arsenic a été considéré comme hyposthénisant par les Razoriens, tandis que Trousseau le recommande à titre de reconstituant ; de même, Harles, Biett, et surtout Hahnemann en ont fait un pyrogène, et cependant bien d’autres auteurs vantent ses propriétés fébrifuges. M. Biett et son école lui ont attribué, en outre, des propriétés échauffantes pour le derme cutané, tandis que Brettschneider, Schmitt, Lolliot, etc., ont constaté un abaissement de température à la suite de son administration. MM. Orfila, Millet, ont décrit l’arsenic comme irritant, mais ils l’ont reconnu susceptible de déterminer, à hautes doses, des phénomènes fébriles. Assurément, tous ces effets, et bien d’autres encore, sont directement sous l’empire des mouvements circulatoires ; mais le rhythme de ce dernier est aussi, à son tour, sous la dépendance du système nerveux ; par conséquent, l’appareil de l’innervation réagira différemment, suivant qu’il aura été plus ou moins excité, irrité ; tout est donc compris dans la question des doses. En effet, sous l’influence d’une petite quantité d’arsenic, les nerfs vaso-moteurs sont favorablement impressionnés et la circulation capillaire est rendue plus facile. Dès lors, le principe vivifiant peut aisément se mettre en contact avec tous les tissus de l’économie, et l’on devine sans peine comment ce libre cours du sang peut rendre plus complètes la digestion, la nutrition, l’hématose, etc. — Cette même particularité pourrait peut-être expliquer aussi la diminution ou la disparition des phénomènes fébriles. — Mais ces effets de la médication arsenicale ne se traduisent pas encore à l’extérieur d’une manière appréciable ; il en est tout autrement quand les doses administrées sont beaucoup plus fortes ; dans ce cas, les nerfs vaso-moteurs sont surexcités, paralysés même ; le cœur est irrité lui aussi, et, comme conséquence, on constate une chaleur anormale de la peau, des pulsations artérielles accélérées, et un certain trouble dans les fonctions. On se rappelle, d’ailleurs, que la suspension de l’influx nerveux du grand sympathique sur une partie du corps détermine une fièvre locale dans cette même région.

Enfin, quand la dose d’arsenic est excessive, l’ébranlement du système nerveux est poussé à son extrême limite ; les mouvements chimiques sont arrêtés dans le sang, et le résultat de ces altérations est une dépression du pouls, un abaissement de la température ; puis apparaissent les phénomènes de l’intoxication.

L’action de l’arsenic sur les organes génitaux peut encore déterminer l’aphrodisie ou l’anaphrodisie ; nous avons déjà essayé d’expliquer de quelle manière.

Mais, comment les arsenicaux amendent-ils ou font-ils disparaître tant de genèses pathologiques diverses, une diathèse, par exemple ? — On a constaté les faits, mais jusqu’à ce jour ce problème est resté sans solution. Je suis porté à croire cependant que l’arsenic modifie la plupart des altérations de l’organisme, en favorisant la circulation, l’hématose, la digestion, la nutrition et toutes les sécrétions ; de sorte qu’il en résulte une régénération plus rapide des parties constituantes de l’économie, et par suite, l’élimination de l’élément morbide. La nature, d’ailleurs, possède une puissance d’action qui lui est inhérente, et nous savons que souvent, quand elle est égarée, un ébranlement, une secousse quelconque suffisent pour la faire rentrer dans le droit chemin ; car souvent, « c’est la nature qui guérit ; les médicaments ne font que lui venir en aide : medicus naturæ minister, » a dit Hippocrate.

De tout ce qui précède il résulte que l’arsenic peut être tour à tour hyposthénisant, hypersthénisant, débilitant, tonique, calmant, excitant, et même perturbateur. Assurément, en face de l’énumération de propriétés si diverses, les arsenicophobes ne manqueront pas de nous accuser de faire, de l’agent dont il s’agit, une véritable panacée universelle. — Nous répondrons à ceux-là : non, l’arsenic n’est pas un remède à tous maux ; non il ne doit pas être préféré à tout autre dans chaque maladie ; mais il n’en est pas moins vrai qu’il est susceptible de produire des effets très variés et de recevoir des applications thérapeutiques nombreuses ; c’est, en effet, un vrai protée pharmacodynamique capable de réaliser, entre des mains habiles, les effets les plus divers ; nous le croyons même un véritable spécifique contre certaines affections. — Néanmoins, toutes ces propriétés pourraient être comprises dans cette définition de l’arsenic : « Un modificateur spécial du système nerveux. »

Il est modificateur en bien ou en mal, excitant ou paralysant ; suivant la dose, en même temps qu’il possède, on s’en souvient, une électivité d’action sur les organes locomoteurs, génito-urinaires, respiratoires, et sur les nerfs vaso-moteurs ; elle s’exercerait même, d’après M. de Savignac (loc. cit.), sur la portion ganglionnaire du système nerveux.

Élimination de l’arsenic.

En règle générale, toute substance étrangère à la composition de l’organisme est inassimilable, et doit par conséquent être expulsée au-dehors. L’arsenic ne fait pas exception sans doute, quoiqu’il existe peut-être en petite quantité dans l’organisme à l’état normal. D’après M. Orfila, il existerait, en effet, dans les éléments naturels de nos tissus, et particulièrement dans les os ; mais il résulterait des recherches de MM.  Duflos et Hirsch (Breslau), que ce métalloïde ne se trouve pas dans le tissu osseux, à l’état physiologique. On est porté, cependant, à se ranger à l’opinion de M. Orfila, quand on sait, d’après les expériences de M. Walchner et d’autres encore, que l’arsenic est très répandu dans les couches de terrain tertiaire, que la terre arable en contient ordinairement ; on a constaté d’ailleurs la présence de ce poison dans quantité de plantes (choux, navets, tubercules de pommes de terre, etc.), et M. Steina reconnu son existence très sensible dans les cendres de bouse de vache. Quoi qu’il en soit, MM. Thomson, Filhol, Soubeiran, Chevallier, etc., croient à la possibilité d’un empoisonnement lent par les préparations arsenicales employées même à petites doses ; des hommes non moins recommandables, MM. Devergie, Flandin, Orfila, et beaucoup de médecins ont combattu cette opinion.

Il paraît démontré aujourd’hui que l’arsenic, au lieu de s’accumuler dans l’organisme, tend sans cesse à s’éliminer au dehors ; sa localisation dans les organes n’est, d’ailleurs, que temporaire ; d’après M. Orfila, elle ne se prolongerait pas chez l’homme au delà de trente à trente-cinq jours ; il est probable qu’il ne séjourne guère davantage chez nos animaux. Nous verrons en outre, tout à l’heure, que diverses voies sont ouvertes à la sortie de l’arsenic, et que son élimination est très active. Par conséquent, on peut établir que l’intoxication ne surviendra qu’au moment où la dose ingérée sera supérieure à la quantité éliminée, et encore faudra-t-il attendre que l’accumulation soit suffisante pour déterminer des phénomènes toxiques.

Les reins sont les organes qui entraînent au dehors la plus grande quantité d’arsenic ; aussi les toxicologistes ne manquent-ils jamais d’interroger l’urine, dans leurs recherches médico-légales. Ce produit de sécrétion est même plus abondant quand il provient de sujets soumis à l’action de l’arsenic qu’à l’état physiologique ; dans ce cas, en effet, la texture des glandes rénales est modifiée ; elles sont le siége d’une hypérémie dont l’intensité est en rapport avec la dose de médicament administrée ; et comme conséquence, il y a augmentation sensible de la quantité d’urine sécrétée. Il y a exception cependant pour les doses élevées, car elles produisent des hémorrhagies et diminuent toujours la sécrétion urinaire.

Après les reins, la peau est l’organe qui se prête le plus à l’expulsion de l’arsenic. MM. Bergeron et Lemattre ont constaté sa présence dans la sueur des malades soumis à un traitement arsenical ; M. Chatin a trouvé ce poison dans la sérosité d’un vésicatoire, chez un sujet qui en avait absorbé.

Le foie semble être le centre d’attraction de toutes les matières toxiques qui pénètrent dans l’économie ; l’arsenic lui-même a également une tendance marquée à se porter vers lui ; aussi les analyses de la bile et de la substance glandulaire ont-elles toujours démontré que cette voie d’élimination est une des plus actives. C’est encore là un critérium précieux dans le cas d’expertise médico-légale.

Viennent ensuite, la muqueuse intestinale ; le poumon, dont l’air expiré a parfois une odeur alliacée, comme nous l’avons dit plus haut ; le lait, dont la sécrétion abondante permet impunément, d’après le docteur Alphonse Dumas, l’ingestion d’une quantité d’arsenic bien supérieure à celle supportée à l’état normal ; et enfin, la salive et les divers autres liquides sécrétés qui, tous, paraissent pouvoir participer plus ou moins à l’élimination de l’arsenic.

CHAPITRE II

Pharmacothérapie.

D’après ce qui a été dit sur les propriétés physiologiques des arsenicaux, il est facile de prévoir combien doivent être nombreuses les applications qu’ils ont reçues ou qu’ils sont susceptibles de recevoir en thérapeutique. Néanmoins, nous glisserons assez rapidement sur les effets variés que produit l’usage interne de l’arsenic dans un organisme malade, car, en médecine vétérinaire, le cadre tracé à ce médicament est, aujourd’hui encore, trop restreint. Espérons toutefois que, au fur et à mesure que s’étendra la connaissance de ses propriétés pharmacodynamiques, les plus timorés prendront du courage, la médecine pratique pourra puiser avantageusement à une nouvelle source, et le cercle d’action de ce métalloïde s’étendra aussi d’autant. Nous laissons donc à d’autres le soin de décrire avec détails les effets thérapeutiques des préparations arsenicales, et nous allons nous contenter d’en faire connaître à gros traits les principaux.

Le plus grand emploi que les vétérinaires aient fait de l’arsenic a été pour combattre cette affection particulière des voies respiratoires, qui a reçu le nom de pousse, d’emphysème pulmonaire ; elle correspond à l’asthme de l’homme. Chez ce dernier, on connaissait déjà depuis le commencement de notre ère (Dioscoride) l’influence favorable que les arsenicaux exerçaient sur la muqueuse des bronches et sur le parenchyme pulmonaire ; mais l’acide arsénieux ne paraît avoir été essayé au même titre sur nos animaux qu’après les révélations de M. de Tschudi. C’est à M. Bouley que revient l’honneur d’avoir utilisé, le premier, ce puissant antidyspnéique contre l’emphysème du cheval ; les divers cas de guérison qu’il a publiés sont très nombreux et parfois vraiment surprenants ; je citerai seulement un exemple emprunté à son Nouveau dictionnaire.

« — Le cheval de cette observation était poussif à un point tel que tout son corps oscillait sous les battements de son flanc. L’auscultation et la percussion firent reconnaître chez lui les symptômes positifs de l’emphysème pulmonaire diffus. On le soumit à l’usage de l’arsenic, 1 gr. par jour, et tous ces symptômes s’amendèrent en moins de trois semaines de la manière la plus merveilleuse. On rendit cet animal à son propriétaire, mais sans lui prescrire de continuer le traitement arsenical, afin de savoir si le résultat obtenu serait durable. Eh bien, chose certainement très remarquable, l’amélioration a persisté pendant dix-huit mois, et ce n’est qu’au bout de ce long temps que quelques symptômes assez accusés de pousse ont reparu. »

Après M. Bouley, un grand nombre de praticiens ont aussi publié bien des faits qui témoignent de l’efficacité de l’arsenic contre la pousse, et qui montrent que, s’il ne produit pas toujours un effet curatif, du moins il est fidèle comme palliatif.

Dans le cours de nos études pratiques, nous avons vu nous-même administrer maintes fois, avec succès, l’acide arsénieux contre l’affection dont il s’agit ; à l’École de Toulouse, la solution est préférée à l’état solide.

Enfin, c’est un fait acquis aujourd’hui à la science, l’arsenic est un véritable spécifique contre l’emphysème pulmonaire et la bronchite chronique. Suivant M. Bouley, cette médication peut être suivie longtemps sans aucun inconvénient, à la dose de 1 gr. par jour ; car celle de 10 gr., laquelle on peut arriver graduellement, n’est même pas toxique. — MM. Duthreil et Négrier disent avoir triomphé d’une bronchite chronique avec jetage persistant et de mauvaise nature, par l’acide arsénieux administré à la dose de 6 gr. par jour, moitié le matin, moitié le soir. M. Niederberger emploie également l’acide arsénieux, à la dose de 2 gr., associé à la même quantité de résine oliban, pour combattre la bronchite chronique du cheval (Tabourin, Mal. méd., 2e éd., 2e vol.). M. Vidal, vétérinaire militaire, considère aussi l’acide arsénieux, uni à la noix vomique, comme très efficace dans les coryzas et les catarrhes passés à l’état chronique (J. des Vét. du midi, 1863).

L’arsenic peut être administré aux chevaux poussifs, soit en poudre, mélangé aux provendes alimentaires, soit en solution dans les boissons, soit en fumigations. Mais ce dernier mode, très employé en médecine humaine, est au contraire très restreint en vétérinaire ; il n’y a guère que Vitet qui ait fait l’éloge des fumigations arsenicales contre la pousse.

Parmi les pratiques frauduleuses employées pour cacher l’emphysème pulmonaire et demeurant trop souvent le secret du maquignonnage, je mentionnerai celle rapportée par M. de Tschudi ; elle s’effectue, dit-on, assez souvent en Autriche, elle consiste tout simplement à faire avaler à l’animal un quart à demi-livre de petits plombs avant de le conduire au marché. Les effets de cette manœuvre sont constants, paraît-il, et persistent quelques jours ; on les attribue uniquement à l’arsenic que contient le plomb.

L’arsenicophagie nous a déjà révélé les grandes vertus toniques de l’acide arsénieux ; aussi l’usage de ce médicament est-il assez répandu aujourd’hui pour combattre un grand nombre d’affections caractérisées par de l’atonie : telles les débilités générales, anémies, dyspepsies, constipations, affections gastro-intestinales chroniques, etc. Il est facile de se rendre compte des effets de l’arsenic dans ces circonstances, quand on sait que ce médicament est un puissant stimulant de l’appétit, qu’il augmente les sécrétions de la muqueuse digestive, qu’il a une action marquée sur la fibre musculaire, et que, partant, il doit exciter les contractions intestinales. C’est, en effet, aux désordres survenus dans les fonctions digestives que l’on doit attribuer le plus souvent la débilitation de l’organisme et ses conséquences. On administre l’arsenic, soit seul, soit uni à la gentiane ou au quinquina. Dans ces dernières années, M. Blaise a triomphé par l’acide arsénieux d’un cas d’anémie chez une mule qui avait résisté pendant plus de trois mois à tous les toniques ordinaires (Société de médecine vétérinaire militaire ; juin, 1872-73). M. Niederberger a publié aussi quelques cas de gastro-hépatite, d’anémie et d’autres affections caractérisées par un affaissement général, qui ont cédé promptement à l’emploi de l’acide arsénieux administré à la dose de 1 à 2 grammes par jour. Enfin l’iodure d’arsenic, l’arséniate de potasse, etc., ont été encore utilisés parfois avantageusement pour modifier les fonctions digestives. — C’est probablement aussi comme tonique puissant que plusieurs médecins emploient l’arsenic contre la scrofule ; il a produit de très heureux résultats chez l’homme, entre les mains de MM. Wahu, Bouchut, Critchett, notamment ; il est probable que notre médecine pourrait aussi en tirer des avantages pour combattre cette même affection qui, on le sait, est si commune chez le chien. L’arséniate de soude a été ici presque exclusivement employé.

Mais, dans les pages précédentes, nous avons démontré que si les arsenicaux jouissent de propriétés toniques, quand ils sont donnés à petites doses, ils sont susceptibles aussi d’agir à la manière des fondants les plus énergiques, quand ils sont employés avec persévérance ou administrés à des doses élevées. Cette dernière particularité a sans doute suggéré l’idée à quelques praticiens d’essayer l’acide arsénieux à titre d’altérant, pour combattre certaines diathèses et des affections rebelles.

La morve, ce terrible fléau des solipèdes, a été soumise elle aussi, on le comprend, au traitement arsenical. Un italien, Grimelli, communiqua en 1860, à l’Académie de médecine de Turin, la découverte d’un remède infaillible contre la morve, remède composé d’arsenic et de strychnine. Il paraît cependant que ce professeur n’est pas le premier qui a eu l’idée d’appliquer ce traitement à la morve ; M. Ch. Martin a revendiqué en effet cette découverte, pour avoir fait usage lui-même avec quelque succès, dès le 27 janvier 1853, de l’arsenic uni à la strychnine pour combattre cette maladie. Ce vétérinaire a publié plusieurs cas de guérison de morve résultant de l’emploi de l’arsenic associé à la noix vomique ou à la strychnine, mais il décline l’infaillibilité de ce remède ; il est d’avis, en effet, que cette médication est impuissante dans tous les cas où la maladie, aiguë ou chronique, a déjà fait de grands ravages ; il croit qu’elle ne réussit que dans la morve chronique au début, c’est-à-dire quand elle est à l’état d’ébauche. — Les assertions de MM. Grimelli, Ercolani et Bassi, tous trois professeurs à l’école vétérinaire de Turin ; celles de M. Ch. Martin, et, après eux, celles de M. Ledru et de M. Guyon fils, qui, eux aussi, prétendent avoir vu, chacun, l’arsenic réussir dans un cas de morve confirmée, provoquèrent, tant en France qu’à l’étranger, des expériences nombreuses pour juger de l’efficacité du traitement nouveau dans la maladie dont nous parlons.

Les observations faites à l’école d’Alfort et par quelques vétérinaires de Paris furent tout à fait négatives ; le résultat des expérimentations faites par une commission mixte, prise au sein de la Société centrale et dans le comité d’hygiène hippique attaché au ministère de la guerre, ne se montra pas davantage favorable ; M. Bey, de Lyon, M. Héring, etc., ne furent pas plus heureux. Mais tous ces faits sont-ils suffisants pour infirmer les observations de MM. Grimelli, Ledru, etc., et conclure de là que tous ces vétérinaires ont erré dans leur diagnostic ? Le doute est permis. — Néanmoins, il ne serait pas prudent, je crois, nonobstant tous les faits négatifs recueillis par divers observateurs, de porter un verdict trop sévère contre le traitement arsenical de la morve. En effet, nous avons vu tout-à-l’heure que bon nombre de praticiens considèrent l’arsenic comme un véritable spécifique à opposer aux bronchites chroniques. MM. Duthreil et Négrier l’ont vu réussir contre un jetage persistant et de mauvaise nature ; de son côté, M. Vidal l’a vu échouer contre la morve, mais il considère l’acide arsénieux uni à la noix vomique comme très efficace dans les coryzas chroniques et les catarrhes bronchiques ou pharyngiens passés à l’état chronique ; nous savons en outre que M. Ch. Martin a préconisé ce traitement contre la morve ébauchée. — Mais la morve au début est celle qui est incomplétement déclarée, celle qui fait dire le cheval suspect. Quels en sont les symptômes dominants ? — Ce sont le plus souvent, réunis ou distincts, ceux d’une rhinite ou d’un coryza plus ou moins intenses.

Quelle en est la véritable genèse ?….. Nul ne le sait. Or, nous savons que les jetages persistants, les coryzas chroniques ont une grande tendance à se terminer par la morve, surtout chez les sujets vieux, faibles et épuisés. Dans ces circonstances, si la maladie change de nature, il arrive donc un moment où l’animal se trouve dans cet état particulier, intermédiaire, qui fait dire qu’il a la morve ébauchée. Mais à cette période de suspicion, le virus morveux n’a pas encore acquis toutes ses propriétés, il est encore, si l’on peut ainsi dire, en voie de formation ; par conséquent, on est en droit de se demander si, administré en ce moment et à fortes doses (5 à 10 gr. par jour, p. ex.), l’arsenic n’est pas capable de déterminer dans l’organisme un ébranlement tel que la maladie soit arrêtée dans sa marche. Pour M. Ch. Martin, la réponse affirmative n’est pas douteuse ; je me range volontiers moi-même, au point de vue pratique, à l’opinion de cet honorable vétérinaire ; je me base en cela sur l’efficacité reconnue de cet agent dans le traitement des vieux jetages, des coryzas chroniques, et sur le caractère spécifique que ces affections sont parfois susceptibles de revêtir ; d’ailleurs, ici surtout, Tentare non nocet. — Les fumigations arsenicales pourraient aussi être essayées, mais avec beaucoup de circonspection, conjointement au traitement interne, dans le but de modifier les sécrétions, de faire avorter ou d’empêcher l’évolution fatale des nodosités morveuses, et de favoriser peut-être la résorption de celles qui seraient déjà formées ; on agirait ainsi directement sur toute l’étendue de la muqueuse des voies respiratoires, en même temps que sur l’organisme en général.

En médecine humaine, on se sert avantageusement de l’arsenic pour soulager les malades atteints de tuberculisation pulmonaire, pour enrayer la marche de cette affection, et même pour la faire disparaître complètement. MM. Trousseau, Sandras, Wahu, Millet, etc., ont relaté plusieurs observations de ce genre. Ce médicament pourrait également être essayé, en vétérinaire, sur les animaux phthisiques.

L’arsenic a encore été préconisé par divers auteurs contre le cancer et la diathèse cancéreuse, mais on n’accorde guère de confiance aujourd’hui aux préparations arsenicales prises à l’intérieur, dans les affections de cette nature. Il en est tout autrement de la diathèse polypeuse. Gohier a constaté, en effet, chez un chien, la guérison de polypes qu’il avait renoncé à extirper, à la suite de l’administration de fortes doses d’arsenic, dans le but de l’empoisonner. Il résulte encore des observations de notre affectionné maître M. Lafosse, que des polypes du vagin opérés d’abord, et puis en voie de récidive, ont cédé à des doses élevées de ce médicament données avec persistance.

Comme modificateur du système nerveux, l’acide arsénieux a été préconisé, par divers médecins, contre la chorée, l’épilepsie, les paralysies, etc. Ainsi, M. Aran considère ce médicament comme le spécifique de la danse de Saint-Guy ; mais le succès dépend, en grande partie, pour lui, de l’augmentation rapide de la dose ; il débute par 2 à 3 milligrammes, et il arrive, au bout de quatre ou cinq jours, à 1 ou 1 centig. 1/2. MM. Rice, Rayer, Pareira, le recommandent aussi contre cette névrose rebelle. Cette maladie étant très commune chez le chien, l’arsenic pourrait être utilisé avec avantage peut-être pour la combattre.

M. Hertwig a constaté l’efficacité de cette substance dans la paralysie du même carnivore, et M. Niederberger, dans celle du cheval et de la vache, à la dose de 2 grammes, avec autant de noix vomique.

Les propriétés stimulantes que nous connaissons aux arsenicaux pourraient probablement aussi être mises à profit pour exciter à la copulation, soit les femelles domestiques, soit les mâles quand ils ont des qualités, alors surtout qu’ils sont vieux, fatigués ou épuisés. — On se rappelle sans doute ce que nous avons dit de leurs vertus anaphrodisiaques à propos des effets physiologiques qu’ils déterminent sur les organes génitaux ; par conséquent, nous nous dispenserons d’aborder de nouveau cette question.

L’arsenic a été très employé chez l’homme comme fébrifuge, depuis surtout que le docteur Boudin a publié les merveilleux résultats qu’il en a obtenus dans le traitement des fièvres intermittentes et paludéennes. En vétérinaire, ces affections sont rares ; M. Dupont, vétérinaire militaire, a eu cependant l’occasion d’employer avec succès ce médicament contre la fièvre intermittente du cheval. Les infections miasmatiques sont plus fréquentes chez nos animaux, surtout dans les pays bas, humides et marécageux. Le même traitement que celui employé pour combattre les fièvres paludéennes de l’homme serait peut-être applicable à ces maladies ; il ne pourrait guère en être autrement si, comme on a essayé de le démontrer, ces affections étaient déterminées par la présence d’un cryptogame dans l’organisme. Dans ce cas, les préparations de quinquina et d’arsenic auraient donc pour effet principal la destruction de ces infiniments petits de l’échelle végétale.

L’acide arsénieux a été également essayé contre l’ophthalmie périodique du cheval ; Percival dit l’avoir employé sans succès, mais, entre les mains de M. Niederberger, il a produit d’excellents résultats dans deux cas bien avérés ; par conséquent, de nouvelles expériences peuvent seules fixer les opinions sur ce point.

Les dermatoses résistent rarement à l’action de l’arsenic ; aussi fait-on usage de ce médicament, dans les deux médecines, contre les affections de cette nature. Les vétérinaires l’emploient surtout avec avantage contre la gale, les dartres, l’éléphantiasis, les eaux aux jambes, le crapaud, les verrues, etc. — Un cheval amené à l’école de Bruxelles, pour un prurigo qui avait résisté aux applications antipsoriques, à l’usage même du nitrate d’argent à l’intérieur, fut débarrassé de cette affection par l’emploi interne d’un demi-gramme d’abord, puis d’un gramme d’acide arsénieux. — Un fait intéressant est aussi relaté dans le Recueil de 1825, p. 415 ; il est relatif à une jument vicieuse atteinte d’une gale ancienne des plus tenaces, chez laquelle 20 gr. d’acide arsénieux, donnés en 2 doses, à trois jours d’intervalle, dans le but de la faire mourir, amenèrent une complète guérison.

Enfin, en Allemagne, l’arsenic, à la dose de 2 gr. pour le cheval et de 4 gr. pour le bœuf, constitue un spécifique contre les verrues.

Les Italiens, fidèles à la doctrine de Razori, considèrent les arsenicaux comme doués de propriétés contro-stimulantes : mais en France on ne l’utilise guère à ce titre. — En 1843, M. Cambassido prétendit avoir administré sans inconvénient, à quelques moutons, une forte dose d’acide arsénieux (une once) avec du sel marin, et les avoir ainsi débarrassés d’une pleurésie chronique ; mais on n’a guère ajouté foi à de tels faits, car les expériences ont démontré que l’acide arsénieux est toxique pour le mouton à une bien plus faible dose. Les Anglais et les Allemands ont prôné cependant l’arsenic contre la péripneumonie contagieuse du gros bétail. M. Niederberger assure également avoir triomphé trois fois, par le même moyen, de cette terrible maladie. Il serait bon de déterminer, par des expérimentations nouvelles, le degré d’efficacité de ce remède contre une affection aussi grave et parfois si désastreuse. Dans quelques circonstances, l’acide arsénieux a été employé avec succès contre les congestions cérébrales.

On a encore préconisé l’arsenic comme anthelmintique, alors surtout que les parasites se trouvent dans le tube digestif. M. Niederberger l’a vu aussi provoquer l’expulsion des ascarides lombricoïdes et des tœnias ; en fumigations, il peut détruire les parasites des voies respiratoires et du poumon ; il agit comme vermicide puissant. Mais ne pourrait-on pas utiliser aussi les propriétés toxiques des arsenicaux pour débarrasser les solipèdes des larves d’œstres, quand elles se fixent sur la muqueuse du rectum ou sur la marge de l’anus ? On sait que ces parasites portent alors les animaux à se frotter le train postérieur contre les parois de leur stalle, à ruer même parfois avec opiniâtreté. Quelques lavements avec une solution d’acide arsénieux suffiraient peut-être dans ces circonstances pour empoisonner ces hôtes incommodes. C’est un moyen à essayer, car il n’a pas été encore, que je sache, mis en pratique.

Telles sont, rapportées d’une manière succincte, les principales applications qu’a reçues l’arsenic en médecine vétérinaire. Mais, outre qu’elles ne sont pas encore très répandues, beaucoup aussi ont besoin d’être contrôlées de nouveau pour que leur efficacité soit avérée. Cependant, si l’on considère l’ensemble de ce qui précède, on est, je crois, autorisé à conclure que les propriétés toxiques de l’acide arsénieux ne doivent pas le faire rejeter de la thérapeutique, mais que, au contraire, on doit s’évertuer à étendre les limites de ses usages ; car, manié comme il convient, il est un précieux médicament dont il importe de faire connaître les propriétés. Aussi, je ne désespère pas de voir bientôt les praticiens les plus hostiles, aujourd’hui encore, aux bons effets de l’arsenic, se rallier à l’opinion de leurs collègues et se laisser toucher enfin par les grandes vertus curatives de cette substance. Le public lui-même pour qui, hier encore, l’arsenic était un véritable épouvantail, commence déjà à s’habituer avec l’idée de s’en servir comme remède. Le jour semble donc vouloir se faire sur cette substance ; efforçons-nous par conséquent de déchirer, chacun, un lambeau du voile qui la couvre ; mettons à nu toutes ses propriétés, et nous aurons ainsi rendu un faible hommage à une science qui le mérite à tant de titres.

Eug. Tarride
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  1. D’après M. Tabourin, la fièvre arsénicale présenterait quelque analogie avec la fièvre typhoïde, la gastro-conjonctivite, etc. ; elle se caractériserait par l’accélération de la respiration, en même temps que le pouls reste petit, concentré, nerveux. En outre, il est porté à croire que ce mouvement fébrile à son point de départ, en partie, dans l’altération du tube digestif par l’acide arsénieux, et peut-être même dans des qualités spécifiques de ce médicament.