De la métamorphose des fontaines (recueil)/Hymne pour la Gloire
HYMNE POUR LA GLOIRE
J’ai chanté les lauriers et les chênes, qui sont
Marque de la victoire et noblesse du front,
Le seul honneur vraiment à la raison humaine :
J’ai ta voix entendue au creux d’une fontaine,
Faune, et les célébrant j’ai respecté les dieux,
Visibles d’autant plus qu’ils frappent moins nos yeux.
Tel le héros Jason, la Lyre ayant pour guide,
Maintenant, dirigé vers une autre Colchide,
Sur le navire Argo par mes mains reconstruit,
Aux souffles de la mer sonnant le même bruit,
Il est temps qu’une part des choses soit montrée,
Passant l’ambition de la toison dorée.
Plus digne de ce but quel vaisseau porterait
Vers des sables lointains une antique forêt
En ses flancs et Dodone en sa haute mâture,
Et qui s’étonnerait, osant une aventure
Où seulement l’espoir n’a pas borné mes vœux,
Des enflammés Jumeaux si j’ai suivi les feux ?
Magicienne, j’ai bu le breuvage, Médée,
Qui garde de mourir et nourrit la pensée
Des Muses, car leur coupe est pleine du poison
Dont tu rajeunissais la vieillesse d’Éson.
Dès mon enfance aux flots désaltéré d’Ascrée,
Depuis lors j’ai pris part à l’onde Clitorée,
Au fleuve oblivieux j’ai rejeté le mal,
Mais recherchant surtout la fontaine au cheval.
Le vulgaire, orgueilleux d’ignorance et de vice,
S’il y puise, ressemble aux compagnons d’Ulysse,
Immondes prisonniers des charmes de Circé,
Tant un esprit stupide en leur forme est passé,
Tant le cœur d’un barbare est rempli de folie !
Il en est qui montrant une face embellie
Et de robes de pourpre ornant leur pauvreté,
Portent insolemment un temple dévasté ;
Mesurant à leur front l’éclatante couronne,
La honte n’a pour eux plus rien qui les étonne,
Et moquant entre soi la dépouille des dieux
Ils pensent qu’un triomphe a repeuplé les cieux.
Nous, des autels déserts renouvelant les roses
Et délivrant les voix aux cavernes encloses,
Bouches de la Pythie et du Trophonien,
Bruissantes encor du chœur Aonien,
Nous avons sur la mer vu Rhodes apparaître,
Désireuse d’avoir le soleil pour son maître ;
Et toi, qui de Latone as recueilli le fruit
Nuptial, les flambeaux du jour et de la nuit,
Douce à ses pieds errants et plus douce à sa crainte,
Délos, foyer brillant des îles, île sainte !
Un roi sur son vaisseau, près de sortir du port,
Lève vers le soleil sa large coupe d’or :
Le fils d’Hypérion descend dans cette coupe.
Alors, tournant sa face auguste vers la troupe
Des peuples généreux et les nobles cités,
Le prince honorera les dieux qu’il a quittés ;
D’elle à ses compagnons il fait ensuite hommage
Avant que de laisser de Phébus fuir l’image.
C’est ainsi qu’il nous plaît, nous des Muses élus,
De louer nos amis et ceux qui ne sont plus.
La mort n’a pas rendu notre louange vaine,
Encore que les morts soient affranchis de peine :
Aux Champs-Élysiens ne s’éteint pas le cours
D’un éclat dont vivants ils marquèrent leurs jours.
De nous tirant son vol l’agile Renommée
A d’Achille et d’Hector la vaillance nommée,
Et du prince troyen le voyage est par nous
Mené contre les bords où s’allaitent les loups.
Les illustres vainqueurs des pindariques odes
Ou vantés de Ronsard dans ses lyriques modes,
Ceux qui seraient obscurs de leur seule valeur,
Ceux dont la lyre veut éterniser l’honneur,
Furent-ils pas servis d’un vin, comme aux plus dignes,
Qui n’a jamais gonflé sur le thyrse des vignes
Sa grappe d’ambroisie et de miel oréen ?
Il est doux de serrer d’un immortel lien
Les fronts, et d’un laurier prenant en nous sa gloire ;
Car nous avons transmis aux hommes la mémoire
Des hommes, au delà des rives du Léthé.
Par notre volonté vous avez existé,
Pasteurs des nations, bergers de l’Arcadie,
Héros ! mais toi, l’amour, Gallus, garde ta vie :
Des lèvres de Mantoue, à Gallus, célébré,
Ombre chère, et des fleurs elles-mêmes pleuré.