De la manière de négocier avec les souverains/XXIV

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Chapitre XXIV
DES DEVOIRS
PARTICULIERS
D’UN NEGOCIATEUR



Chapitre XXIV.[modifier]



UN Miniſtre chargé des interêts d’un Prince ou d’un État dans un pays Etranger, eſt obligé de prendre garde qu’il ne s’y publie rien de contraire à l’honneur & à la reputation de ſon Souverain & de s’y oppoſer avec vigueur, juſqu’a inſulter ceux qui manquent au reſpect qui lui eſt dû, ſi le Prince auprès duquel il ſe trouve, ne lui en fait faire raiſon.

Il doit proteger tous les ſujets de ſon Maître, qui ſont dand le même Pays, leur procurer chez lui un libre exercice de la Religion que profeſſe le Prince qu’il ſert, leur donner ſa Maiſon pour retraitte lorſqu’ils ſont dans le malheur & infuſtement perſecutez, accomoder tous les differends & les démêlez qui naiſſent entre eux, les ſecourir dans leurs beſoins & vivre avec eux comme un bon pere de famille avec ſes enfans.

Si quelque ſujet qualifié de ſon Prince ſe trouve dans le même pays & neglige ou affecte de ne le point viſiter, il doit l’en faire avertir honnêtement & l’y attirer par toute ſorte de civilitez, & de bons traitemens, avant que d’écrire à ſon Maître, pour lui en faire donner l’ordre.

Lorſqu’il a des Audiances publiques, il doit en faire avertir les principaux de la Nation, & les inviter à l’y accompagner pour groſſir ſon Cortege, afin de faire honneur à ſon Prince. Il doit après ſa premiere Audiance les preſenter au Prince l’un après l’autre, lui dire leurs noms & leurs qualitez, & leur procurer un accès facile auprès du Prince & des principaux de ſa Cour.

Lorſqu’il y a quelques fêtes publiques où il eſt invité, il faut qu’il prenne le ſoin de leur en procurer l’entrée & des places commodes à chacun ſelon leur rang, & de ſe faire donner à lui-même la place qui appartient à ſon caractere, ſur tout lorſqu’il y a d’autres Miniſtres étrangers, qui prétendent entrer en concurrence avec lui. Comme il s’agit alors du rang & de la dignité de ſon Maître, il ne doit jamais y rien relâcher de ſes droits ; mais il doit être de plus facile convention avec les Courtiſans du pays où il ſe trouve qui n’ont point de concurrence avec lui, & leur rendre même plûtot plus de civilitez qu’ils n’ont droit d’en prétendre, que de leur retrancher de celles qui leur ſont dûës par un mauvais orgueil, qui ne peut produire que de méchans effets pour lui & pour ſon Prince, & aliener leurs inclinations ſans aucune utilité.

Il eſt bon auſſi qu’il faſſe des liaiſons particulieres avec les Miniſtres des Alliez de ſon Souverain qui ſont en la même Cour, qu’il leur donne avis des choſes qui peuvent être utiles à leurs interêts, afin d’en recevoir de leur part dans les occaſions, qu’il leur rende de bons offices auprès du Prince qu’il ſert, & que lorſqu’il contribuent au bien de ſes affaires, il leur procure quelque marque de ſon eſtime & de ſa reconnoiſſance, qu’il les appuye de ſon credit & de ſes Offices à la Cour où ils ſont, dans les affaires qu’ils y ont à negocier & dans les démelez qui leur peuvent ſurvenir ; que lorſqu’ils en ont entr’eux ou avec quelques Miniſtres du pays, il s’entremette pour les accomoder, qu’il évite lui-même ſoigneuſement d’en avoir aucun avec ceux qui y ſont en credit, & de cauſer de l’embarras aux affaires de ſon Maître par ſes reſſentimens particuliers, ou en excitant ceux des Miniſtres avec qui il traite & qu’il ait pour maxime ferme & inebranlable d’employer tout le credit que lui donne la puiſſance de ſon Maître & ſa propre induſtrie à faire tout le bien qui eſt en ſon pouvoir.

S’il obſerve exactement cette conduite, il ſe rendra utile aux interêts de ſon Prince & agreable aux Princes & aux États auprès deſquels il ſera employé, il s’acquerera leur eſtime, & il laiſſera de lui un oponion & une reputation par tous les lieux où il aura negocié, ce qu’il doit regarder comme la recompenſe la plus agreable & la plus flateuſe qu’il puiſſe recevoir de ſon habileté.

Il peut encore raiſonnablement eſperer que ſa capacité dont il aura donné des preuves dans les grandes affaires qu’il aura traitées, lui procurera à ſon retour des honneurs & des avantages proportionnez à l’importance de ſes ſervices, & que le Prince ou l’État qu’il aura bien ſervi profitera de ſes talens & de la ſageſſe de ſes conſeils dans la conduite des principales affaires ; mais quand il ſeroit privé de ces ſortes de récompenſes, il a de quoi s’en conſoler par la ſatisfaction d’avoir rempli utilement & en homme de bien ſes devoirs dans les emplois qui lui été confiez pour le ſervice de ſon Prince & de ſa Patrie.


FIN.

Fautes à corriger.
Pag. 14. La Note ſe raporte à la ligne 5 de la page 15.

Pag. 16 lig. penult particuliers liſ. particulieres.

Pag. 21 lig. penult. relevoit ſouvent liſ. reveloit ſouvent

Pag. 69 lig. 21. de liſ. des

Pag. 72. lig 6. Secretaires d’Etat,, ajoutez ou du Miniſtre.