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De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-30

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Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 222-224).

CHAPITRE XXX.
DES ÉPURATIONS EN GÉNÉRAL.

Ceci nous amène à traiter des épurations.

Avant l’ouverture de la session, les collèges électoraux avoient demandé l’épuration des autorités. À l’ouverture de la session, les deux chambres répétèrent la même demande dans leurs adresses. Le ministère répondit qu’il surveilleroit ses agents ; qu’il prenoit, d’ailleurs, les événements sous sa responsabilité.

Mais, d’abord, qu’est-ce que la responsabilité des ministres ? La loi qui doit la définir n’est point encore faite. Jusque ici cette terrible responsabilité, de loin vaisseau de haut bord, de près n’est que bâton flottant sur l’onde. Le premier ministre étoit sans doute dévoué à la cause de la royauté : cependant a-t-il pu prévenir l’infidélité des bureaux et des commis ? Dans une foule de cas le ministre ne peut voir que par les sous-ordres qui l’environnent ; sa foi peut être surprise. Si, par exemple, les administrations sont remplies d’hommes qui calomnient les amis du roi, le ministre n’agira-t-il pas dans le sens des rapports qu’on lui fera ? Ne sera-t-il pas trompé sur les véritables intérêts de la patrie ?

À ce mot d’épuration on s’écrie : Vous voulez des vengeances, vous demandez des réactions.

J’ai dit dans une autre occasion que la justice n’est point une vengeance, que l’oubli n’est point une réaction. Il ne faut persécuter personne ; mais il n’est pas nécessaire et il est tout à fait dangereux de confier les places aux ennemis du roi. Pourquoi s’élève-t-il une si grande rumeur parmi une certaine classe d’hommes lorsqu’on hasarde le mot de justice ? Parce que ces hommes sentent très-bien que toute la question est là ; que si une fois on en vient à la justice, tout est perdu pour ceux qui nourrissent encore de coupables espérances. Ne croyez pas qu’ils se soucient du tout de la Charte et de la liberté, dont ils invoquent sans cesse les noms : tout ce qu’ils veulent, c’est le pouvoir. Le salut ou la perte de la France leur paroît tenir à la perte ou à la conservation de leur place.

Lorsqu’on étoit trop pressé par l’opinion publique, on se retranchoit dans la nécessité d’une sage temporisation. On fera peu à peu, disoit-on, les épurations nécessaires ; mais on ne peut pas désorganiser à la fois tous les ministères et paralyser l’action du gouvernement.

Cette objection peut paroître invincible à un administrateur ; elle n’arrête pas un homme d’État. Ne vaut-il pas mieux, dans tous les cas, avoir des agents inexpérimentés que des agents infidèles ?

Mais, si vous exécutiez tous ces changements, vous feriez au gouvernement une multitude d’ennemis.

Ces ennemis sont-ils plus dangereux en dehors qu’en dedans des administrations ? L’influence d’un homme en place, quelque médiocre que soit cette place, n’est-elle pas mille fois plus grande que quand il est rendu à la vie privée ? D’ailleurs, je vous l’ai dit, vous ne gagnerez pas ces hommes que vous prétendez réconcilier à vos principes : vos caresses leur semblent une fausseté, car ils sentent bien que vous ne pouvez pas les aimer ; le système de fusion que vous suivez les fait rire, car ils savent que ce système vous mène à votre perte. Et, pour prouver que vous êtes incapables de gouverner, pour justifier leurs nouveaux complots, ils apporteront en témoignage contre vous votre indulgence et vos bienfaits.

Enfin, je veux que les autorités ne s’abandonnent pas à leurs inimitiés politiques ; mais comment les empêcherez-vous d’être fidèles à des penchants plus excusables sans doute, et toutefois aussi dangereux ? Dans le système des administrations actuelles, les vertus d’un homme sont aussi à craindre que ses vices. Il faut qu’il étouffe, pour vous servir, les plus doux sentiments de la nature ; il faut qu’il arrête son ennemi, qu’il poursuive peut-être son bienfaiteur ; vous le placez entre ses penchants et ses devoirs, et vous faites dépendre votre sûreté de son ingratitude.