De la morale naturelle/II

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 4-6).


CHAPITRE II.

Des premiers sentimens.



Je n’ai besoin d’aucune réflexion pour sentir vivement qu’il est des modifications de mon être qui me blessent, m’inquiètent, me troublent, m’attristent ; d’autres qui me calment, me rassurent, me font éprouver une sorte de sérénité, de charme, qui rend tout à-la-fois le sentiment de mon existence et plus vif et plus pur.

La seule vue d’un être qui souffre nous tourmente et nous afflige. Sans le vouloir, nous partageons les peines qu’il éprouve. On se rappelle le Sybarite qui suait à grosses gouttes en voyant ramer un matelot.

Considérez l’homme sortant des mains de la nature, ce n’est qu’avec beaucoup de peine qu’il se distingue lui-même de cette foule d’objets qui l’environnent ; il pense, doit penser que tout est en lui. Lorsqu’un objet nous frappe ou nous intéresse fortement, nous nous retrouvons, relativement à cet objet, ce que fut l’homme au premier moment de son existence. C’est ainsi qu’on est toujours pour la maîtresse ou pour l’ami de son cœur : C’est encore moi, dit-on avec la Galathée de Pygmalion ; ses plaisirs sont mes plaisirs, ses peines sont mes peines : lui, c’est moi ; moi, c’est lui.

Ainsi la compassion, qui semble être la première des impressions morales, tient, pour ainsi dire, encore aux impressions purement physiques ; elle est quelquefois également puissante, également involontaire.