De la morale naturelle/XI

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 88-92).


CHAPITRE XI.

Amour.



Beaucoup de gens d’esprit ont pensé, un grand philosophe même a dit qu’il n’y a que le physique de l’amour qui soit bon, et que le moral n’en vaut rien.

Autant vaut-il répéter encore après d’autres philosophes, que l’homme a cessé d’être heureux depuis qu’il ne marche plus à quatre pieds. Sans doute plus nos jouissances sont simples et bornées, moins nous éprouvons le tourment des besoins, plus il nous devient aisé de les satisfaire.

Mais comment proposer à l’homme sensible de renoncer par sagesse aux plus douces émotions du cœur et de l’imagination ? Pourquoi vouloir en dépouiller le seul de nos besoins physiques qui en soit susceptible ? C’est ce sentiment même qui les a fait naître : sans lui du moins, l’homme ne les eût-il pas ignorés toujours ? Et que lui servirait enfin d’avoir un cœur et de l’imagination, si ce n’est pour aimer mieux ?

Que des idées morales mêlées aux illusions de l’amour exaltent cette passion, lui donnent souvent trop de violence et trop de pouvoir, est-ce une raison d’oublier tous les sacrifices utiles que cette passion s’est imposés elle-même par respect pour ces idées morales qui lui prêtent tant de douceur et de charme ?

Il est bien rare de voir un homme moral par sentiment, qui ne croie plus à la religion, à l’amour, aux femmes.

Je ne conçois pas une manière d’exister plus heureuse que celle du mariage lorsque l’amour a présidé au choix, lorsque l’estime le justifie, lorsque la douce confiance en éloigne la contrainte et les soupçons, lorsque tous les goûts de l’esprit et toutes les affections du cœur viennent sans cesse en resserrer les liens et lui donnent chaque jour un nouvel intérêt, ou plus vif, ou plus tendre, ou plus doux.

Mais pourquoi charger notre cœur de plus de chaînes qu’il n’en saurait porter ? Pourquoi s’obstiner à vouloir prolonger encore la plus libre et la plus sainte de toutes les unions, lorsque la nature lui a prescrit elle-même un terme plus ou moins éloigné ? Comment empêcher les hommes de violer une institution qui, passant le but, a violé dès-lors elle-même une loi plus sacrée, celle du sentiment et de la nature ? Telle union pourra subsister jusqu’au dernier instant de la vie ; telle autre, qui dans son origine semblait tout aussi raisonnable, sera loin d’avoir la même durée : être juste et bon, ou bien mourir, voilà tout ce qu’il faut promettre, rien de plus.