De la morale naturelle/XLIV

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 204-207).


CHAPITRE XLIV.

Vieillesse.



Une des consolations les plus réelles de la vieillesse est l’espoir d’une mort soudaine et paisible.

Un des plus sûrs moyens de rendre la vieillesse supportable, est de conserver avec soin deux habitudes qu’il est assez en notre pouvoir de ne jamais perdre : celle de l’indulgence pour les autres, et celle d’une curiosité active, qui, nous faisant partager l’intérêt de tout ce qui nous entoure, ne nous laisse étrangers à rien.

J’ai vu des vieillards de quatre-vingts ans passés, s’occuper des événemens du jour, d’une découverte nouvelle, avec le même intérêt, la même vivacité que s’ils n’avaient eu que vingt ans.

L’esprit vieillit sans doute, mais la paresse et l’inaction le vieillissent encore plus que le travail et les années.

Moins on a d’existence intérieure, plus on est heureux de pouvoir en trouver au dehors ; lorqu’on n’a plus de chez soi, il faut bien aller vivre chez les autres ; l’avarice et l’ambition semblent offrir à la vieillesse d’assez belles retraites. Mais la classe des hommes que peut consoler l’ambition, sera toujours peu nombreuse ; il est plus de conditions dont l’avarice pourrait être la ressource, sans l’inconvénient trop funeste de nous isoler au moment où nous avons le plus grand besoin de nous attacher tout ce qui nous entoure. Peut-être n’est-ce que pour égayer le soir de la vie, qu’on est excusable d’avoir été avare ; devenu vieux, pourquoi le serait-on encore ? Il est tems alors de réaliser les fonds que l’on avait mis en réserve, et la seule manière de les réaliser qui convienne à ce dernier âge, est de les faire servir au bonheur de ceux qui méritent notre tendresse, de ceux dont le souvenir pourra se plaire encore à prolonger notre existence après nous.