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De la morale naturelle/XXXIX

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 187-191).


CHAPITRE XXXIX.

Patience dans les maux.



Je sais bien qu’à force de sagesse, de tempérance, de sacrifices et de privations de toute espèce, l’on s’épargne une infinité de maux.

Je sais que la plupart de nos maux nous semblent plus terribles lorsque nous les craignons, que lorsqu’ils nous ont une fois atteints.

Je sais que la nécessité donne à l’homme une sorte de courage ; qu’un certain degré de douleur, comme un certain degré de plaisir, l’élève en quelque manière au-dessus de lui-même.

Je sais encore que lorsque nos maux nous deviennent tout-à-fait insupportables, ils ne sont pas loin de leur terme.

Mais combien toutes ces ressources de la pensée sont faibles, tristes, insuffisantes !

Il est dans cette vie des peines cruelles qui portent le caractère d’une fatalité inévitable.

Il est encore une foule de maux qui ne sont nullement en proportion avec les fautes, les négligences ou les faiblesses qui nous les ont attirés.

Que dirai-je donc à l’homme qui souffre, qui souffre sans l’avoir mérité, et sans aucun espoir de soulagement ?

Que dirai-je au malheureux dont je ne puis adoucir les souffrances ni par mes soins ni par ma pitié ?

Philosophe, que mettrez-vous ici à la place de l’espoir consolateur qu’offre une religion qui ne regarde cette vie que comme un moment de patience et d’épreuve, qui, au-delà de ce terme, promet une éternité de repos et de bonheur ?

Philosophe, reprenez votre orgueilleuse sagesse, rendez-moi la plus douce espérance ; ne fût-elle qu’une illusion trompeuse, je la préférerai mille fois.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les preuves de l’immortalité ; mais qui pourrait se plaire à les détruire ? Je vois tant d’ordre dans l’économie de la nature ! est-il vraisemblable que notre être périsse au moment où il commence à se développer ? Je sens au fond de mon ame des facultés que je ne puis exercer dans mon état actuel. Je vois sans cesse un but au-delà de celui que je viens d’atteindre. Que de forces, que de moyens prodigués sans dessein, si l’homme meurt tout entier ! Rien ne périt parce qu’il n’est rien d’inutile, tout reste ou se métamorphose. L’homme qui n’existe qu’autant qu’il pense, l’homme périrait-il seul ? Ses ouvrages seraient immortels, et lui-même, plus sublime que tout ce qui l’entoure, n’aurait qu’une existence éphémère ! Loin de mon cœur une si sombre pensée ! Douce espérance, ne me refuse point ton dernier asyle ! Que la mort ne soit à mes yeux que l’aurore d’une nouvelle vie, le passage du néant à l’être !