De la sagesse/Livre I/Chapitre II

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Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 13-19).

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PREMIERE CONSIDERATION DE L’HOMME,
Qui est naturelle par toutes les pièces dont il est composé.
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CHAPITRE II [1].

De la formation de l’homme.


SOMMAIRE. — Dieu ne créa l’homme qu’après tous les autres objets de la création, parce qu’il voulait qu’il fût le plus parfait de ses ouvrages. C’est, en effet, un abrégé du monde. — Pourquoi il le fit nu, faible, mais droit et regardant le ciel. -— Ce ne fut qu’après avoir formé son corps qu’il lui donna une âme. — De même, dans cette autre création de l’homme (la génération), l’âme ne s’insinue dans le corps que lorsqu’il est entièrement organisé. Opinion de l’auteur sur la manière dont se forme et s’anime le fœtus.

Exemples ; Moïse. — Dauphin, Serpent ou Basilic, Lion, Aigle, le Roi des Abeilles. — Adam.

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ELLE est double et doublement considérable, première et originelle, une fois faite immédiatement de Dieu en sa création surnaturelle, seconde et ordinaire en sa génération naturelle.

Selon la peinture que nous donne Moyse [2] de l’ouvrage et création du monde (la plus hardie et riche piece que jamais homme a produit en lumière, j’entends l’histoire des neuf premiers chapitres de Genese, qui est du monde nay et renay) l’homme a esté fait de Dieu non seulement après tous les animaux, comme le plus parfait, le maistre et surintendant de tous, ut prœsit piscibus maris, volatilibus cœli, bestiis terræ [3] : Et en mesme jour que des quadrupèdes et terrestres, qui s’approchent plus de luy (bien que les deux qui luy ressemblent mieux sont pour le dedans le pourceau, pour le dehors le singe) mais encores après tout fait et achevé, comme la closture, le sceau et cachet de ses œuvres, aussi y a-t-il empreint ses armoiries et son pourtrait,

Exemplumque Dei quisque est in imagine parva.

Signatum est super nos lumen vultus tui [4]. Comme une récapitulation sommaire de toutes choses, et un abbregé du monde, qui est tout en l’homme, mais raccourci et en petit volume, dont il est appellé le petit monde, et l’univers peust estre appelle le grand homme. Comme le nœud, le moyen, et lien des anges et des animaux, des choses celestes et terrestres, spirituelles et corporelles. Et en un mot la derniere main, l’accomplissement, le chef-d’œuvre, l’honneur et le miracle de nature. C’est pourquoy Dieu l’ayant fait avec délibération et apparat, et dixit faciamus hominem ad imaginem et simililudinem nostram [5], s’est reposé. Et ce repos encores a esté fait pour l’homme, Sabbathum propter hominem, non contra. Et n’a depuis rien fait de nouveau, sinon se faire homme luy-mesme : et c’a esté encores pour l’amour de l’homme, propter nos homines, et propter nostram salutem [6]. Dont se voit qu’en toutes choses Dieu a visé à l’homme, pour finalement en luy et par luy, brevi manu [7], rapporter tout à soy, le commencement et la fin de tout.

Tout nud, affin qu’il fust plus beau, estant poli ; net, délicat, à cause de son humidité deliée, bien temperée et assaisonnée [8].

Droit, tenant et touchant fort peu en terre, la teste droicte en haut tendant au ciel, où il regarde, se voit et se cognoist comme en son miroir : tout à l’opposite de la plante qui a sa teste et racine dedans la terre, aussi est l’homme une plante divine, qui doit fleurir au ciel : La beste comme au milieu, est de travers, ayant ses deux extrémités vers les bords ou extrémités de l’horizon, plus ou moins. La cause de cette droicture, après la volonté de son maistre ouvrier, n’est proprement l’ame raisonnable, comme il se voit aux courbés , bossus, boiteux ; ny la ligne droicte de l’espine du dos, qui est aussi aux serpens ; ny la chaleur naturelle ou vitale, qui est pareille ou plus grande en certaines bestes, combien que tout cela y peut par avanture servir de quelque chose : mais ceste droicture est deue et convient à l’homme, et comme homme qui est le saint et divin animal :

Sanctius his animal mentisque capacius altæ ;[9]

et comme roy d’icy bas ; aux petites et particulières royautés y a certaine marque de majesté, comme il se voit au daulphin couronné, au serpent basilizé, au lyon avec son collier, sa couleur de poil et ses yeux, en l’aigle, au roy des abeilles. Ainsi l’homme, roy universel d’icy bas, marche la teste droicte, comme un maistre en sa maison, regente tout et en vient à bout par amour ou par force, domptant ou apprivoisant. Son corps fut basty le premier de terre vierge, rousse, dont il en eut son nom propre Adam [10], car l’appellalif estoit desja Is [11], et icelle mouillée non de pluye encores, mais d’eau de fontaine.

.... Mixtam fluvialibus undis,
Finxit in effigiem[12].

Par raison le corps est l’aisné de l’ame, comme la matière de sa forme ; le domicile doit estre fait et dressé avant y demourer, l’attelier avant que l’ouvrier y puisse ouvrer. Puis l’esprit y fut par le souffle divin découlé et insinué, et ainsi ce corps animé et fait vivant, inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ, etc. [13].

En la génération et conformation ordinaire et naturelle, qui se fait de semence au ventre de la femme, le mesme ordre se garde. Le corps est formé le premier par la force tant élémentaire de l’energie et vertu formatrice qui est en la semence, aydant aucunement la chaleur de la matrice, que celeste, qui est l’influence et vertu du soleil, sol et homo generant hominem [14]. Et de tel ordre que les sept premiers jours les semences du pere et mere se prennent, s’unissent et caillent ensemble, comme cresme, et s’en fait un corps, c’est la conception, nonne sicut lac mulsisti me, et sicut caseum me coagulasti [15] ? Les sept d’après, cette semence se cuit, espessit, et change en masse de chair et de sang informe, rudiment et matière propre du corps humain : Les sept troisiesmes suivans, de cette masse est fait et formé le corps en gros, dont environ le vingtiesme jour sont produits les trois nobles et héroïques parties, le foye, le cœur, le cerveau, distantes en longueur ovale, ou, comme disent les Hébreux, se tenant par joinctures déliées, qui puis se remplissent de chair, à la façon d’un formy, où y a trois parties plus grosses joinctes par entre-deux déliés : Les sept quatriesmes, qui finissent près du 30e. jour, tout le corps s’achevé, se parfait, articule, organise, dont il commence n’estre plus embryon, mais capable, comme une matière préparée à sa forme, de recevoir l’ame : laquelle ne faut à s’insinuer dedans, et s’en investir vers le 37 ou 40e. jour, après les cinq sepmaines achevées. Doublant ce terme, c’est à dire au troisiesme mois, cet enfant animé se remue et se fait sentir, le poil et les ongles luy commencent à venir. Triplant ce terme qui est au neufviesme mois, il sort et se produit en lumière. Ces termes ne sont pas si justement prefix, qu'ils ne puissent un peu se haster et tarder, selon la force ou faiblesse de la chaleur, tant de la semence que de la matrice ; car estant forte elle haste, estant foible elle retarde, dont les semences moins chaudes et plus humides d’où sont conceues les femelles, ont leurs termes plus longs, et ne se remuent qu'au 4e. mois, qui est près d'un quart plus que les masles.

  1. Ce chapitre, qui ne se trouve point dans la première édition, a été ajouté par fauteur. — Dans la seconde édition de la Sagesse, non-seulement il y a de nombreuses additions et des suppressions que nous aurons soin d’indiquer ; mais l’ordre des matières est presque entièrement changé.
  2. Gen. 1, 2, etc.
  3. « Pour qu’il présidât aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, aux animaux terrestres ». Gen. I, v. 25.
  4. « Tout homme est en petit l’image de Dieu. — Tu as fait reluire sur nous l’éclat de ta face radieuse ». Psalm, IV. 7.
  5. Et il dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ». Johan.
  6. « Le sabbat a été fait pour l’homme et non contre lui ». Mat. XII.
  7. « A cause de nous et pour notre salut ».
  8. Voyez la Variante de la page 29. On y trouvera, en grande partie, ce paragraphe et le suivant ; mais avec de nombreuses différences dans le style.
  9. « Animal plus saint que les autres, et plus capable d’une haute intelligence ».
  10. Adam en hébreu signifie, en effet, homme roux, et adama terre rousse. Voyez Gen. C. II.
  11. Is ou plutôt ish, en hébreu, signifie esse, est, ens, essentia.
  12. « Il le forma à son image, en mêlant la terre avec de l’eau de fleuve ».
  13. « Il souffla sur sa face l’esprit de la vie ». Gen, II, 7.
  14. « Le soleil et l’homme engendrent l’homme ».
  15. « Ne m’as-tu pas trait comme du lait, et ne m’astu pas coagulé comme du fromage ? » Job. C. X, 10.