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(commençant par les privées et domestiques), c’est-à-dire de chasque estat et profession des hommes, pour les cognoistre : c’est icy le livre de la cognoissance de l’homme ; car les debvoirs d’un chascun seront au troisiesme livre en la vertu de justice, où de mesme ordre tous ces estats et chapitres se reprendront. Or, avant y entrer, faut sommairement parler du commander et obeir, deux fondemens et causes principales de ces diversités d’estats et charges.
CHAPITRE XLVII [1].
SOMMAIRE. — de l'état populaire et de l'état monarchique. — Du droit divin.
CE sont, comme a esté dict, deux fondemens
de toute societé humaine, et de la diversité des
estats et professions. Ces deux sont relatifs, se
regardent, requierent, engendrent, et conservent
mutuellement l’un l’autre, et sont pareillement
requis en toute assemblée et communauté,
mais qui sont obligez à une naturelle
envie, contestation et mesdisance ou plaincte
perpetuelle. La populaire rend le souverain de
condition qu’un charretier ; la monarchique
le met au dessus de Dieu
[2]. Au commander
est la dignité, la difficulté (ces deux vont
ordinairement ensemble), la bonté, la suffisance,
toutes qualités de grandeur. Le commander,
c’est-à-dire la suffisance, le courage,
l’authorité, est du ciel et de Dieu : imperium non nisi divino fato datur : omnis potestas a Deo est
[3]) :
dont dict Platon que Dieu n’establist
poinct des hommes, c’est-à-dire de la commune
sorte et suffisance, et purement
humaine, par dessus les autres ; mais ceux qui,
d’une touche divine, et par quelque singuliere
vertu et don du ciel, surpassent les autres,
dont ils sont appellez heroes
[4].
En l’obeir est l’utilité, l’aisance, la necessité ; tellement que, pour la conservation du public, il est
encore plus requis que le bien commander ;
et est beaucoup plus dangereux le desny d’obeir,
ou le mal obeir, que le mal commander.
Tout ainsi qu’au mariage, bien que le
mary et la femme soyent egalement obligés à
la loyauté et fidelité, et l’ayent tous deux
promis par mesmes mots, mesmes ceremonies
et solemnités, si est-ce que les inconveniens
sortent, sans comparaison, plus grands de la
faute et adultere de la femme que du mary :
aussi bien que le commander et obeir soyent
pareillement requis en tout estat et compagnie,
si est-ce que les inconveniens sont bien
plus dangereux de la desobeyssance des subjects
que de la faute des commandans. Plusieurs
estats ont longuement roulé et assez
heureusement duré soubs de très meschans
princes et magistrats, les subjects s’y accommodans
et obeissans ; dont un sage interrogé
pourquoy la republique de Sparte estoit si
florissante, si c’estoit pource que les roys
commandoient bien ; mais plustost, dict-il, pource
que les citoyens obeyssent bien. Mais si les
subjects refusent d’obeyr et secouent le joug,
il faut que l’estat donne du nais à terre.
- ↑ C'est le quarante-unième de la première édition.
- ↑ Toute cette phrase est prise mot-à-mot dans Montaigne, L. III, ch. 5. Mais Charron me semble en avoir détourné ou obscurci le sens. « Je feulletais il n'y a pas un mois, dit Montaigne, deux livres écossais, se combattans su ce subject (sur la préférence que mérite, soit le gouvernement démocratique, soit le gouvernement monarchique). Le populaire (c'est-à-dire, l'auteur qui défend le gouvernement du peuple) rend le roi de pire condition qu'un charretier ; le monarchique (c'est-à-dire, celui qui préfère le gouvernement d'un seul), le loge quelques brasses au-dessus de Dieu en puissance et en souveraineté ». Ceci peut servir à expliquer l'idée de Charron. Par ces mots la populaire, il n'entend pas la puissance même du peuple, mais les opinions (la contestation, comme il dit), des partisans du système de la démocratie.
- ↑ « L'empire n'est donné que par la providence devine : toute puissance vient de Dieu ». C'est de cette maxime du droit divin, dont l'origine remonte au gouvernement théocratique, que vient la formule de Roi par la grâce de Dieu, avec toutes ses conséquences. Noodt a complètement démontré la fausseté de cette maxime, dans son traité sur le pouvoir des souverains, traduit et commenté par Babylone.
- ↑ Platon, dans son dialogue intitulé Cratylus, donne une autre raison de cette dénomination. Les héros, dit-il, s'appellent ainsi, parcequ'ils sont nés du commerce de quelques dieux avec les mortelles ; etc.