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De la sagesse/Livre I/Chapitre XVI

La bibliothèque libre.
Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 136-137).
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CHAPITRE XVI [1].

De la memoire.


SOMMAIRE. — La mémoire n'est pas l'intelligence ; elle est utile aux grands parleurs et aux menteurs.

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LA memoire est souvent prinse par le vulgaire pour le sens et entendement : mais c’est à tort ; car, et par raison, comme a esté dict, et par experience, l’excellence de l’un est ordinairement avec la foiblesse de l’autre. C’est, à la verité, une faculté fort utile pour le monde ; mais elle est de beaucoup au-dessoubs de l’entendement, et est de toutes les parties de l’ame la plus delicate et plus fresle. Son excellence n’est pas fort requise, si ce n’est à trois sortes de gens, aux negociateurs [2], aux ambitieux de parler (car le magasin de la memoire est volontiers plus plein et fourny que celuy de l’invention ; or qui n’en a demoure court, et faut qu’il en forge et parle de soy), et aux men-menmenteurs, mendacem oportet esses memorem [3]. Le défaut de memoire est utile à ne mentir gueres, ne parler gueres, oublier les offenses. La mediocrité est suffisante pour tout.

  1. C'est le seizième de la première édition.
  2. L’édition de Bastien énonce aussi trois sortes de gens, mais qu'elle n'en énumère que deux : elle omet les négociateurs, qui sont cependant nommés dans la première comme dans la seconde édition. — On trouve, au reste, dans Montaigne, toutes les idées de Charron sur la mémoire et sur les menteurs, bien mieux developpés. V. Les Essais, L. I, C. 9.
  3. « Il faut qu'un menteur ait de la mémoire ».