De la sagesse/Livre I/Chapitre XXVI

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Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 174-175).
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CHAPITRE XXV [1].

Espoir, desespoir.


SOMMAIRE. — Les désirs redoublent par l'espérance. Mais quand nous désespérons d'obtenir l'objet de nos désirs, notre tourment s'accroît à tel point que nous renonçons même aux autres biens dont nous pourrions jouir.

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LES desirs et cupidités s’eschauffent et redoublent par l’esperance, laquelle allume de son doux vent nos fols desirs, embrase en nos esprits un feu d’une espaisse fumée, qui nous esblouist l’entendement, et, emportant avec soy nos pensées, les tient pendues entre les nues, nous faict songer en veillant. Tant que nos esperances durent, nous ne voulons point quitter nos desirs ; c'est un jouët avec lequel nature nous amuse. Au contraire, quand le desespoir s’est logé chez nous, il tourmente tellement nostre ame de l’opinion de ne pouvoir obtenir ce que nous desirons, qu’il faut que tout luy cede, et que, pour l’amour de ce que nous pensons ne pouvoir obtenir, nous perdions mesme le reste de ce que nous possedons. Ceste passion est semblable aux petits enfans, qui, par despit de ce que l’on leur oste un de leurs jouets, jettent les autres dedans le feu : elle se fasche contre soy-mesme, et exige de soy la peine de son malheur. Après les passions qui regardent le bien apparent, venons à celles qui regardent le mal.

  1. C'est le vingt-sixième chapitre la première édition.