De la sagesse/Livre I/Chapitre XXX

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Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 183-184).
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CHAPITRE XXIX [1].

Jalousie.


SOMMAIRE. — La jalousie est l'indice d'une ame faible et inepte. Elle corrompt toutes les douceurs de la vie. Presque toujours les remèdes qu'on veut y apporter aggravent le mal.

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JALOUSIE est passion presque toute semblable, et de nature et d’effect, à l’envie, sinon qu’il semble que, par l’envie, nous ne considerons le bien qu’en ce qu’il est arrivé à un autre, et que nous le desirons pour nous ; et la jalousie est de nostre bien propre, auquel nous craignons qu’un autre participe.

Jalousie est maladie d’ame foible, sotte et inepte, maladie terrible et tyrannique ; elle s’insinue soubs tiltre d’amitié : mais après estre en possession, sur les mesmes fondemens de bienveillance, elle bastit une hayne capitale ; la vertu, la santé, le merite, la reputation, sont les bouttefeus de ceste rage.

C’est aussi un fiel qui corrompt tout le miel de nostre vie : elle se mesle ordinairement ès plus doulces et plaisantes actions, lesquelles elle rend si aigres et si ameres que rien plus : elle change l’amour en hayne, le respect en desdain, l’asseurance en defiance. Elle engendre une curiosité pernicieuse de se vouloir esclaircir de son mal, auquel il n’y a poinct de remede qui ne l’empire et ne l’engrege [2] : car ce n’est que le publier, arracher de l’ombre et du doubte pour le mettre en lumiere, et le trompetter par-tout, et estendre son malheur jusques à ses enfans.

Advis et remedes particuliers contre ce mal sont liv. III, chapitre XXXV.

  1. C'est le trentième de la première édition.
  2. L'aggrave.