De la sagesse/Livre III/Chapitre XXIX

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contre la tristesse.

les remedes contre la tristesse (descrite cy-dessus pour la plus fascheuse, dommageable et injuste passion) sont doubles : les uns sont droicts, les autres sont obliques. J’appelle les droicts ceux que la philosophie enseigne, et qui consistent à regarder ferme et affronter les maux et les desdaigner, ne les estimant poinct maux, ou si petits et legers (encore qu’ils soyent grands et pressans), qu’ils ne sont dignes que nostre esprit s’en esmeuve et s’en altere, et que s’en plaindre et contrister c’est une chose injuste et messeante : ainsi parlent les stoïciens, peripateticiens et platoniciens. Ceste maniere de se preserver de tristesse et toute passion douloureuse est très belle et très excellente, mais aussi très rare, des esprits de la premiere classe. Il y en a une autre aussi philosophique, encore qu’elle ne soit de si bonne et saincte famille, qui est bien facile et bien plus en usage, et est oblique : c’est par diversion et destournement de son esprit et sa pensée à chose plaisante et douce, au moins autre que celle qui nous ameine la tristesse ; c’est gauchir, decliner et ruser au mal, c’est changer d’object. C’est un remede fort frequent, et qui s’usite presque en tous maux, si l’on y veust prendre garde, tant du corps que de l’esprit. Les medecins, qui ne peuvent purger le catarrhe, le destournent et devoyent en autre partie moins dangereuse, à qui il faut appliquer la lancette, le cautere, le fer ou le feu. Ceux qui passent les precipices ferment les yeux, destournent la veuë ailleurs. Les vaillans en guerre ne goustent et ne considerent aucunement la mort ; l’ardeur du combat les emporte. Tant qui ont souffert la mort doucement, voire qui se la sont procurée et donnée, ou pour la gloire future de leur nom, comme plusieurs grecs et romains, ou pour l’esperance d’une meilleure vie, comme les martyrs, les disciples d’Hegesias, et autres après la lecture de l’axioque de Platon, ou pour fuyr les maux de ceste vie, ou pour autres raisons : tout cela n’est-ce pas diversion ? Peu y en a qui considerent les maux en eux-mesmes, qui les goustent et accointent, comme fit Socrates la mort, et Flavius condamné par Neron à mourir par la main de Niger. Parquoy aux sinistres accidens et mesadventures, et à tous maux externes, il faut destourner son esprit à d’autres pensées. Le vulgaire sçait bien dire : n’y pensez poinct. Ceux qui ont en charge les affligez doibvent, pour leur consolation, prudemment et doucement fournir d’autres objects à l’esprit assailly. (…).