De la variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication/Tome II/14

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De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication (The Variation of Animals and Plants under Domestication)
Traduction par Jean-Jacques Moulinié.
C. Reinwald (Tom. IIp. 66-90).

CHAPITRE XIV.

HÉRÉDITÉ (suite). — FIXITÉ DES CARACTÈRES. — PRÉPONDÉRANCE. — LIMITATION SEXUELLE. — CORRESPONDANCE DES ÂGES.


La fixité des caractères n’est pas due à l’ancienneté de l’hérédité. — Prépondérance de transmission dans des individus d’une même famille, dans les races croisées et les espèces ; souvent plus forte dans un sexe que dans l’autre ; quelquefois due à la présence d’un même caractère visible dans une race et latent dans l’autre. — L’hérédité limitée par le sexe. — Caractères nouvellement acquis chez nos races domestiques, souvent transmis, quelquefois perdus par un sexe seul. — Hérédité aux époques correspondantes de la vie. — Importance du principe au point de vue de l’embryologie ; démontrée par les animaux domestiques ; par l’apparition et la disparition de maladies héréditaires ; et leur apparition plus tôt chez l’enfant que chez le parent. — Sommaire des trois chapitres précédents.


Après avoir, dans les deux précédents chapitres, traité de la nature et de la puissance de l’hérédité, des circonstances qui peuvent intervenir et la modifier, et de la tendance au retour avec ses éventualités remarquables, je vais discuter actuellement quelques autres phénomènes qui se rattachent aussi au même sujet de l’hérédité.

FIXITÉ DES CARACTÈRES.

On trouve généralement répandue, chez les éleveurs, l’opinion que plus un caractère a été longtemps transmis par une race, plus il continuera fermement à l’être. Je ne veux point contester la véracité de la proposition que l’hérédité gagne de la force simplement par une continuité prolongée, mais je doute qu’on puisse la prouver. Dans un sens, la proposition est évidente par elle-même, car si un caractère est resté constant pendant un grand nombre de générations, il est manifeste qu’il y aura peu de probabilité que les conditions extérieures demeurant les mêmes, il varie dans la génération suivante. Encore, en améliorant une race, si, pendant un temps assez long, on écarte soigneusement tous les individus inférieurs, la race tendra évidemment à se fixer, n’ayant pas, pendant un grand nombre de générations, été croisée avec un animal inférieur. Nous avons vu, sans toutefois pouvoir en dire la cause, que lorsqu’un caractère surgit, il peut quelquefois ou se fixer très-fortement d’emblée, ou présenter beaucoup de fluctuations, ou ne pas être transmis du tout. Il en est de même de la réunion des légères différences qui caractérisent une nouvelle variété, car quelques-unes propagent, de prime abord, leur type beaucoup plus exactement que d’autres. Même chez les plantes qu’on multiplie par bulbes, marcottes, etc., qui sont en fait des parties du même individu, il est bien connu que quelques variétés conservent et transmettent leurs caractères nouvellement acquis, au travers d’une série de générations par bourgeons, beaucoup plus fidèlement que d’autres. Dans aucun de ces cas, pas plus que dans les suivants, il ne paraît y avoir de relation entre la puissance de transmission d’un caractère et le temps pendant lequel il a déjà été transmis. Quelques variétés, telles que les jacinthes jaunes et blanches, les pois de senteur blancs, transmettent leur couleur plus fidèlement que ne le font les variétés qui ont conservé la coloration naturelle. Dans la famille irlandaise dont il a été question dans le chapitre douzième, la coloration tricolore spéciale des yeux se transmettait plus constamment que les couleurs ordinaires. Les moutons Ancons et Mauchamps, le bétail Niata, qui sont toutes des races relativement modernes, manifestent une très-grande puissance d’hérédité ; et on pourrait citer encore bien des exemples analogues.

Comme tous les animaux domestiques et les plantes cultivées ont varié, et sont cependant les descendants de formes primitivement sauvages, qui avaient sans doute conservé les mêmes caractères dès une époque extrêmement reculée, nous voyons qu’aucun degré d’ancienneté ne peut assurer la transmission intégrale d’un caractère. On peut, dans ce cas, dire que les changements dans les conditions extérieures déterminent certaines modifications, mais non que la puissance d’hérédité fasse défaut ; cependant il faut bien que dans les cas où elle vient à manquer, il ait dû intervenir quelque cause interne ou externe. On trouvera que, généralement, les parties de nos produits domestiques qui ont varié, et continuent encore à le faire, — en ne conservant pas leur état antérieur, — sont précisément celles qui diffèrent dans les différentes espèces naturelles d’un même genre. D’après la théorie de la descendance avec modifications, les espèces d’un même genre s’étant modifiées depuis qu’elles ont divergé en se séparant d’un ancêtre commun, il s’ensuit que les caractères par lesquels elles diffèrent entre elles ont varié, tandis que les autres parties de l’organisme sont restées sans changement ; et on pourrait, s’appuyant là-dessus, dire que ces mêmes caractères varient actuellement sous l’influence de la domestication, ou manquent de puissance héréditaire, parce qu’ils sont moins anciens. Mais nous devons croire que des conformations qui ont déjà varié, doivent être plus aptes à continuer à le faire que celles qui, depuis un laps de temps considérable, sont restées inaltérées ; et cette variation est probablement le résultat de certaines relations entre l’organisation et les conditions extérieures, et tout à fait indépendante du plus ou moins d’ancienneté de chaque caractère particulier.

On a souvent cherché à apprécier la fixité des caractères ou de la force d’hérédité d’après les traits qui, dans les croisements de races distinctes, dominent chez le produit croisé ; mais ici intervient la prépondérance de transmission, qui, comme nous allons le voir, est toute autre chose que la force ou la faiblesse d’hérédité. On a souvent observé[1] que les races d’animaux habitant des régions montagneuses et sauvages ne peuvent pas être modifiées d’une manière permanente par nos races améliorées ; et comme celles-ci sont d’origine moderne, on a cru que la résistance qu’opposaient à leur amélioration par croisement les races plus sauvages, venait de leur plus grande ancienneté ; mais elle est bien plutôt due à ce que leur constitution et leur conformation sont mieux adaptées aux conditions ambiantes. Lorsqu’on assujettit les plantes à la culture, elles transmettent, dans les premières générations, assez fidèlement leurs caractères, c’est-à-dire ne varient pas, ce qu’on a attribué à la force d’hérédité d’anciens caractères ; mais on peut, avec tout autant ou même plus de probabilité, regarder le fait comme la conséquence de ce qu’il faut aux nouvelles conditions extérieures un certain temps pour accumuler leur action. Il serait, toutefois, peut-être téméraire de nier que les caractères deviennent plus fixes en se transmettant longtemps, et je croirais qu’on doit résumer ainsi les faits en disant — que tous les caractères, quels qu’ils soient, anciens ou nouveaux, tendent à être héréditaires, et que ceux qui ont déjà résisté à toutes les influences contraires et se sont transmis fidèlement, continueront en général à leur résister encore, et seront par conséquent toujours héréditaires.

PRÉPONDÉRANCE DANS LA TRANSMISSION DES CARACTÈRES.

Nous avons constaté, dans le chapitre précédent, que lorsqu’on apparie deux individus bien reconnaissables, ou qu’on croise deux races ou deux espèces bien marquées, il en résulte ordinairement que les produits sont, à la première génération, ou intermédiaires à leurs parents, ou ressemblent partiellement à l’un et à l’autre. Ce n’est cependant pas une règle invariable, car on a reconnu que, dans plusieurs cas, il y a des individus, des races ou des espèces qui exercent, quant à la transmission de leurs caractères, une influence prépondérante. Ce sujet a été fort bien discuté par P. Lucas[2] ; mais il se trouve fort compliqué par suite de ce que cette action prépondérante peut appartenir également aux deux sexes, ou être plus forte dans l’un que dans l’autre, et encore davantage par la présence de caractères sexuels secondaires qui rendent difficile la comparaison des produits métis avec leurs races parentes.

Il faut que, dans certaines familles, un ancêtre, et quelques autres après lui, aient eu une puissance très-grande de transmission sur la ligne descendante mâle, car autrement on ne comprendrait pas comment certains traits semblables auraient pu se transmettre après des mariages avec des femmes de provenances les plus diverses, comme cela a été le cas chez les empereurs d’Autriche, et, d’après Niebuhr, chez certaines familles romaines pour leurs qualités mentales[3]. Le fameux taureau Favourite[4] passe pour avoir exercé une influence prépondérante sur la race Courtes-cornes. On a également observé[5], dans les races de chevaux de course anglais, que certaines juments ont généralement transmis leurs caractères propres à leurs produits, tandis que dans ceux d’autres juments de sang également pur, c’étaient les caractères de l’étalon qui avaient prévalu.


L’influence de la prépondérance se fait surtout remarquer dans le croisement de certaines races. Les Courtes-cornes améliorés, quoique formant une race comparativement moderne, sont généralement reconnus comme possédant, au plus haut degré, le pouvoir d’imprimer leur cachet aux autres races, et c’est surtout à cause de cette faculté qu’ils sont si recherchés pour l’exportation[6]. Godron rapporte un cas curieux d’un bélier d’une race du cap de Bonne-Espérance, ressemblant à la chèvre, et qu’on croisa avec des brebis de douze races différentes, qui toutes donnèrent des produits identiques au père. Deux brebis provenant de ce croisement, livrées plus tard à un bélier mérinos, produisirent des agneaux très-semblables à la race mérinos. Girou de Buzareingues[7], a constaté que, sur deux races françaises, dont il avait, pendant plusieurs générations successives, croisé des brebis avec des béliers mérinos, les brebis d’une de ces races transmirent leurs caractères à leurs agneaux beaucoup plus longtemps que celles de l’autre. Sturm et Girou ont cité des cas analogues pour d’autres races de bétail et de moutons, mais où la prépondérance se trouvait du côté mâle. D’après des informations que j’ai recueillies dans l’Amérique du Sud, le bétail Niata, dans les croisements avec le bétail ordinaire, est toujours prépondérant, qu’on se serve des mâles ou des femelles, mais celles-ci ont une prépondérance encore plus forte que les mâles. Le chat Manx a les jambes postérieures longues et pas de queue, et d’après le Dr Wilson, sur vingt-trois petits chats, issus du croisement de chattes communes avec un chat Manx mâle, dix-sept n’eurent pas de queue ; dans le cas inverse du croisement d’une chatte Manx avec les chats ordinaires, tous les petits furent pourvus d’une queue, mais courte et imparfaite[8].

Dans les croisements entre les pigeons Grosse-gorge et les Paons, la race Grosse-gorge avait, par les deux sexes, la prépondérance sur l’autre ; mais je crois que ce résultat était plutôt dû à une faiblesse très-grande du pouvoir de transmission chez le pigeon Paon qu’à une augmentation extraordinaire de celui du Grosse-gorge, car j’ai observé que les Barbes ont aussi la prépondérance sur les pigeons Paons. Bien que la race des pigeons Paons soit ancienne, il paraît que cette faiblesse de son pouvoir de transmission est générale[9] : j’en ai cependant constaté une exception dans un croisement entre un pigeon Paon et un Rieur. Le cas le plus frappant dont j’aie eu connaissance comme faiblesse de transmission dans les deux sexes, était relatif au pigeon Tambour. Cette race, qui est connue depuis cent trente ans environ, se reproduit avec constance, ainsi que me l’ont assuré ceux qui l’ont élevée ; elle est caractérisée par une touffe particulière de plumes sur le bec, par une huppe sur la tête, par ses pattes emplumées, et par un roucoulement tout spécial, et ne ressemblant à celui d’aucune des autres races. J’ai croisé les deux sexes avec des Turbits de deux sous-races, avec des Culbutants Amandes, des Heurtés et des Runts, j’ai élevé plusieurs métis et les ai recroisés, et quoiqu’ils héritassent de la huppe et des pattes emplumées (ce qui arrive généralement dans la plupart des races), ils n’ont jamais présenté traces de la touffe du bec, ni du roucoulement du Tambour. Boitard et Corbié[10] assurent que c’est le résultat invariable de tous les croisements de Tambours avec d’autres races. Neumeister[11] dit cependant qu’en Allemagne on a, quoique rarement, obtenu des métis ayant la touffe et le cri spécial du Tambour, mais ce n’était pas le cas d’une paire de ces métis à huppe que j’ai importée. M. Brent[12] assure que des pigeons croisés d’un Tambour, recroisés pendant trois générations avec d’autres Tambours, donnèrent des produits qui, quoique contenant les 7/8 du sang de pigeon Tambour, n’avaient pas encore la touffe de plumes. Celle-ci apparut à la quatrième génération, mais le roucoulement faisait encore défaut, bien que les oiseaux eussent dans leurs veines les 15/16 de sang Tambour. Ce cas montre bien la différence énorme qu’il y a entre l’hérédité et la prépondérance, car nous avons là une race ancienne et bien établie, qui transmet fidèlement ses caractères, mais qui n’a presque point de puissance pour transmettre ses deux particularités caractéristiques, dès qu’on la croise avec une autre race.

Voici encore quelques exemples de la puissance et de la faiblesse de la transmission d’un même caractère, à une descendance croisée. La poule Soyeuse se reproduit exactement, et paraît être une race fort ancienne, et cependant, lorsque j’élevai un grand nombre de métis d’une poule Soyeuse, par un coq Espagnol, pas un ne présenta la moindre trace du plumage dit soyeux. M. Howitt assure de même que jamais cette race croisée avec une autre variété ne transmet ses plumes soyeuses. M. Orton signale cependant que, sur un assez grand nombre d’oiseaux, résultant d’un croisement d’une poule Bantam avec un coq Soyeux, trois eurent des plumes soyeuses[13]. Il paraît donc certain que cette race a rarement le pouvoir de transmettre à sa progéniture croisée son plumage spécial. Il y a, d’autre part, une sous-variété soyeuse de pigeon Paon, dont les plumes sont à peu près dans le même état que celles de la poule Soyeuse : or, nous venons de voir le peu d’énergie que possèdent les pigeons Paons en général, pour transmettre leurs qualités à leurs produits lorsqu’on les croise ; cependant la sous-variété soyeuse transmet invariablement ses plumes soyeuses, lorsqu’on la croise avec une autre race de petite taille[14].

La loi de la prépondérance se manifeste dans les croisements d’espèces aussi bien que dans ceux des races et des individus. C’est ce que Gärtner[15] a montré être incontestablement le cas chez les plantes. Pour en citer un exemple, lorsqu’on croise ensemble les Nicotiana paniculata et vincæflora, les caractères de la N. paniculata sont presque complètement perdus chez l’hybride ; mais si on croise la N. quadrivalvis avec la N. vincæflora, celle-ci, si prépondérante dans le cas précédent, cède à son tour, et disparaît sous l’influence de la N. quadrivalvis. Il est assez remarquable que, comme l’a montré Gärtner, la prépondérance de transmission d’une espèce sur une autre, soit tout à fait indépendante de la plus ou moins grande facilité avec laquelle l’une féconde l’autre.

Dans les animaux, le chacal a la prépondérance sur le chien, c’est ce que constate M. Flourens à la suite de plusieurs croisements opérés entre ces animaux ; j’ai observé le même fait sur un métis de chacal et de terrier. D’après les observations de Colin et d’autres, l’âne a incontestablement sur le cheval une prépondérance plus prononcée du côté du mâle que de la femelle ; ainsi le mulet ressemble plus à l’âne que le bardeau[16]. D’après les descriptions de M. Hewitt[17], et les hybrides que j’ai vus de mon côté, le faisan mâle a la prépondérance sur les races gallines domestiques, mais pour ce qui concerne la couleur, ces dernières ont une grande force de transmission, car des hybrides obtenus de cinq poules différemment colorées présentèrent de grandes différences dans le plumage. J’ai eu autrefois l’occasion de voir au Jardin zoologique des hybrides curieux, produits par le croisement du canard Pingouin avec l’oie Égyptienne (Anser Ægyptiacus), et auxquels cette variété domestique avait transmis ce port relevé si particulier qui la caractérise.

Je sais que quelques auteurs ont considéré les cas analogues aux précédents, non pas comme dus à la prépondérance avec laquelle une espèce, race, ou individu, pouvait imprimer son cachet sur ses descendants, mais à de prétendues règles d’après lesquelles le père influencerait les caractères extérieurs, et la mère les organes internes ou vitaux. Mais la grande diversité qu’on remarque dans les règles données par différents auteurs prouve leur fausseté. Le Dr Lucas[18] a soigneusement discuté ce point, et a montré qu’aucune de ces règles, (et je pourrais en ajouter d’autres à celles qu’il a citées) n’est applicable à tous les animaux. Des règles analogues énoncées pour les plantes sont, d’après Gärtner[19], également erronées. Tant qu’on ne s’attache qu’à des races domestiques d’une seule espèce, ou peut-être aux espèces d’un même genre, quelques-unes de ces règles peuvent être vraies ; il semble, par exemple, que dans les croisements réciproques des diverses races gallines, le mâle donne en effet généralement la couleur[20], mais j’ai eu sous les yeux des exceptions très-frappantes. Il semble que chez les moutons, c’est le bélier qui donne aux produits croisés ses cornes, et sa toison spéciale ; et que dans le bétail, c’est du taureau que dépend la présence ou l’absence des cornes.

J’aurai, dans le chapitre prochain, où nous traiterons du croisement, l’occasion de montrer que certains caractères ne se mélangent que rarement ou jamais, dans le produit de croisement, mais sont transmis sans altération par l’un ou l’autre parent ; je mentionne ici ce fait, parce qu’étant quelquefois accompagné d’une prépondérance marquée de l’un des parents, celle-ci peut paraître avoir plus de force qu’elle n’en a réellement. Je montrerai, dans le même chapitre, que la rapidité avec laquelle une espèce ou race en efface ou absorbe une autre après des croisements réitérés, dépend principalement de la prépondérance de sa puissance de transmission.


En résumé, quelques-uns des cas précités, — celui du pigeon Tambour, par exemple, — prouvent qu’il y a une grande différence entre l’hérédité simple et la prépondérance, laquelle, dans l’ignorance où nous sommes, nous paraît agir le plus souvent tout à fait capricieusement. Un même caractère, même anormal ou monstrueux, tel que les plumes soyeuses, peut être transmis par différentes espèces, lorsqu’on les croise, ou très-fortement ou faiblement. Il est clair qu’une forme pure, à quelque sexe qu’elle appartienne, dans tous les cas où il n’y aura pas prépondérance plus forte dans un sexe que dans l’autre, l’emportera dans la transmission de ses caractères sur toute autre forme métis et déjà variable[21]. Plusieurs des cas que nous avons vus nous permettent de conclure que le seul fait de l’ancienneté d’un caractère ne le rend pas pour cela nécessairement prépondérant. Dans quelques cas la prépondérance paraît dépendre de ce qu’un même caractère est présent et visible dans une des deux races qu’on croise, et latent ou invisible dans l’autre ; il est naturel que, dans ce cas, le caractère étant potentiellement présent dans les deux ascendants, il soit prépondérant. Ainsi nous avons tout lieu de croire qu’il y a chez tous les chevaux, une tendance latente à être isabelles et rayés ; et que lorsqu’un cheval ainsi caractérisé est croisé avec un autre d’une couleur quelconque, il est presque certain que le produit sera rayé. Les moutons présentent aussi une tendance à prendre une couleur foncée, et nous avons vu avec quelle énergie un bélier, n’ayant que quelques taches noires, croisé avec des brebis blanches de diverses races, tendait à colorer sa descendance. Tous les pigeons ont une tendance latente à revêtir un plumage bleu ardoisé, avec des marques spéciales, et on sait que, lorsqu’on croise un oiseau de cette couleur avec un d’un autre plumage, il est ensuite très-difficile d’éliminer la nuance bleue. Les Bantams noirs, qui en devenant vieux tendent à reprendre des plumes rouges, offrent un cas analogue. Mais la règle souffre des exceptions ; car les races de bétail sans cornes, qui possèdent une tendance latente à pousser des cornes, peuvent cependant être croisées avec des races à cornes, sans que leurs produits en aient toujours.

Les plantes nous offrent des cas analogues. Les fleurs rayées, quoique pouvant se propager exactement par graine, ont une tendance latente à prendre une coloration uniforme ; mais une fois qu’on les a croisées avec une variété unicolore, elles ne reproduisent plus ensuite par semis de plantes rayées[22]. Le cas suivant est plus curieux ; certaines plantes péloriques portant des fleurs régulières ont une tendance latente si forte à reproduire leurs fleurs normales et irrégulières, que le changement a lieu par bourgeons, simplement en les transplantant dans un sol plus pauvre ou plus riche[23]. J’ai croisé le muflier (Antirrhinum majus) pélorique décrit dans le chapitre précédent, en le fécondant par du pollen de la forme ordinaire, et réciproquement ce dernier, par du pollen pélorique, et pas une des plantes levées des deux semis ne fut affectée de pélorie. Naudin[24] a obtenu le même résultat en croisant la Linaria pélorique avec la forme ordinaire. En examinant les fleurs de quatre-vingt-dix plantes d’Antirrhinum croisés, je ne trouvai leur conformation aucunement affectée par le croisement, sauf que dans quelques-unes le faible rudiment de la cinquième étamine qui est toujours présent, était plus ou moins développé. On ne peut pas attribuer cette disparition complète de la pélorie dans ces plantes croisées à un défaut dans la puissance de transmission ; car, ayant levé de semis une grande quantité de plantes de l’Antirrhinum pélorique, fécondé par son propre pollen, seize d’entre elles, qui seules passèrent l’hiver, furent complètement péloriques comme la plante mère. Nous avons là un bon exemple de la différence qu’il peut y avoir entre l’hérédité d’un caractère et le pouvoir de le transmettre à un produit croisé. Les plantes croisées, semblables au muflier ordinaire, se semèrent d’elles-mêmes, et sur cent dix-sept qui levèrent, quatre-vingt-huit donnèrent le muflier commun, deux se trouvèrent intermédiaires aux formes normales et péloriques ; et trente-sept, entièrement péloriques, avaient donc fait retour à la conformation d’un des grands-parents. Ce cas semble d’abord faire exception à la règle, qu’un caractère qui est présent dans un ascendant, et latent dans l’autre, est généralement prépondérant dans le produit du croisement. Dans toutes les Scrophulariacées et surtout dans les genres Antirrhinum et Linaria, il y a, comme nous l’avons vu précédemment, une tendance latente prononcée à la pélorie ; et il y a aussi, comme nous venons de le voir, une tendance encore plus forte chez les plantes péloriques à reprendre leur conformation normale irrégulière. Il y a donc chez les mêmes plantes deux tendances latentes opposées. Dans les Antirrhinums croisés, la tendance à produire des fleurs irrégulières, mais normales, a prévalu dans la première génération, tandis que la tendance à la pélorie, paraissant s’être fortifiée par l’interposition d’une génération, a largement prévalu dans les plantes du dernier semis. Nous examinerons dans le chapitre sur la pangenèse, comment un caractère peut se renforcer par l’interposition d’une génération.

En somme, la question de la prépondérance est très-complexe, — par ses variations de puissance pour un même caractère dans des animaux différents ; — par les différences qu’elle présente suivant les sexes, tantôt se manifestant également dans les deux, tantôt, ce qui arrive le plus souvent chez les animaux, mais non chez les plantes, beaucoup plus fortement dans un sexe que dans l’autre ; — par l’existence de caractères sexuels secondaires ; — par la limitation par le sexe de la transmission de certains caractères, point que nous allons développer ; — par le défaut de fusion de quelques caractères ; — et peut-être encore par suite des effets d’une fécondation antérieure de la mère. Il n’est donc pas étonnant qu’on n’ait point encore jusqu’à présent pu arriver à formuler des règles générales sur la question de la prépondérance.

LIMITATION DE L’HÉRÉDITÉ PAR LE SEXE.

Il apparaît souvent chez un sexe des caractères nouveaux, qui se transmettent ensuite au même sexe, soit exclusivement, soit à un degré plus prononcé qu’à l’autre. Ce sujet n’est pas sans importance, car, chez beaucoup d’animaux à l’état de nature, il existe des caractères sexuels secondaires très-apparents, n’ayant aucune connexion directe avec les organes de la reproduction. Ces caractères secondaires peuvent aussi, chez nos animaux domestiques, se trouver fort différents de ce qu’ils sont dans l’espèce parente ; et la limitation de l’hérédité par le sexe peut montrer comment de tels caractères ont pu être primitivement acquis et ultérieurement modifiés.


Le Dr Lucas, qui a réuni beaucoup de faits sur ce sujet[25], montre que lorsqu’une particularité, n’ayant d’ailleurs aucune connexion avec les organes reproducteurs, apparaît dans un ascendant, elle est souvent transmise exclusivement aux produits du même sexe, ou à un plus grand nombre d’entre eux qu’à ceux du sexe opposé. Ainsi, dans la famille Lambert, les saillies cornées de la peau ne se transmirent du père qu’à ses fils et petits-fils seulement ; il en a été de même pour d’autres cas d’ichthyose, de doigts surnuméraires, de phalanges ou de doigts manquants, de quelques maladies, surtout l’incapacité de saisir les couleurs ou le daltonisme ; les diathèses hémorrhagiques. D’autre part, des mères ont, pendant plusieurs générations, transmis à leurs filles seules des doigts surnuméraires, ou faisant défaut, et d’autres particularités. De sorte qu’une même singularité peut s’attacher à un sexe, et être longtemps héréditaire chez ce sexe seul ; mais dans certains cas, cet attachement a lieu plus fréquemment sur un sexe que sur l’autre. Une même particularité peut aussi être transmise indistinctement aux deux sexes. Le Dr Lucas cite des faits qui prouvent que le mâle peut occasionnellement transmettre ses particularités à ses filles seules, et la mère à ses fils, mais même dans ces cas nous voyons que l’hérédité est encore, jusqu’à un certain point, quoique en sens inverse, réglée par le sexe. Après avoir pesé l’ensemble des preuves, le Dr Lucas conclut que toute particularité tend plus ou moins à être transmise au sexe chez lequel elle a apparu d’abord.

Voici quelques cas recueillis par M. Sedgwick[26]. Le daltonisme se manifeste plus souvent chez les hommes que chez les femmes ; sur plus de deux cents cas réunis par M. Sedgwick, les 9/10 se rapportaient à des hommes, mais il se transmet très-facilement par les femmes. Dans un cas signalé par le Dr Earle, des membres de huit familles alliées furent affectés pendant cinq générations ; ces familles comprenaient soixante et un individus, trente-deux du sexe masculin, dont les 9/16 étaient incapables de distinguer les couleurs, et vingt-neuf du sexe féminin, dont 1/15 seulement présentait la même affection. Quoique celle-ci semble généralement s’attacher au sexe mâle, elle a cependant une fois apparu en premier chez une femme, et fut, pendant cinq générations, transmise à treize personnes, toutes du sexe féminin. Une diathèse hémorrhagique, accompagnée de rhumatismes, a été observée pendant cinq générations chez les hommes seulement, quoique transmise par les femmes. Un cas de phalanges manquantes aux doigts, a été, pendant dix générations, héréditaire chez les femmes seulement. Dans un autre, un homme présentant la même anomalie aux mains et aux pieds, la transmit à ses deux fils et à une fille ; mais à la troisième génération, composée de dix-neuf petits enfants, les douze du sexe masculin héritèrent du défaut de famille, tandis que les sept filles n’en offrirent pas de traces. Dans les cas ordinaires de limitation sexuelle, les fils ou filles héritent de la particularité du père ou de la mère, quelle qu’elle soit, et la transmettent à leurs enfants du même sexe ; mais dans les cas de diathèse hémorrhagique, d’insensibilité pour les couleurs, et quelques autres, les fils n’héritent jamais de la particularité directement du père, mais la tendance latente en est transmise par les filles seules, de sorte qu’elle ne se manifeste que chez les enfants mâles de ces dernières. Ainsi, une particularité se trouvera chez le père, son petit-fils et le petit-fils de ce dernier, et aura été transmise à l’état latent par la grand’mère, la fille et l’arrière petite-fille. Nous avons là, comme le remarque M. Sedgwick, un double atavisme ; chaque petit-fils recevant en apparence sa particularité de son grand-père, et chaque fille tenant de sa grand’-mère la tendance latente à la transmettre.

Des faits que nous signalent le Dr Lucas, M. Sedgwick et d’autres, il semble résulter que des particularités apparaissant d’abord dans l’un ou l’autre sexe, quoique n’étant en aucune manière nécessairement en connexion avec lui, ont une forte tendance à reparaître dans la progéniture du même sexe, mais sont souvent transmises à un état latent par le sexe opposé.

Dans les animaux domestiques, nous voyons que certains caractères, qui ne sont pas spéciaux à l’espèce parente, sont souvent restreints à un seul sexe ou hérités par lui ; mais nous ignorons l’histoire de leur première apparition. Dans les moutons, nous avons vu que les mâles de certaines races diffèrent beaucoup de leurs femelles, par la forme de leurs cornes, qui manquent même quelquefois chez les brebis, par le développement de la graisse dans les races à grosse queue, et par le contour du front. À en juger par les caractères des espèces sauvages voisines, on ne peut pas attribuer ces différences à une provenance de formes primitives distinctes. Il y a aussi une notable divergence dans les cornes des deux sexes d’une race indienne de la chèvre. Le zébu mâle porte une bosse plus grande que la femelle. Dans le lévrier écossais, il y a entre les deux sexes une différence de taille beaucoup plus prononcée que dans toutes les autres races de chiens[27], et, d’après l’analogie, que dans l’espèce primitive. La particularité de coloration des chats dits tricolores est très-rare chez les mâles qui sont en général d’une teinte fauve. La tendance à la calvitie avant la vieillesse est héréditaire chez l’homme ; et chez l’Européen, ou du moins chez l’Anglais, est un attribut du sexe masculin, qu’on pourrait presque regarder comme un caractère sexuel secondaire naissant.

Dans diverses races gallines, les mâles et les femelles offrent souvent de grandes différences, qui sont loin d’être les mêmes que celles qui, dans l’espèce primitive, le Gallus bankiva, distinguent les deux sexes, et ont par conséquent, pris naissance pendant la domestication. Dans quelques sous-variétés de la race de Combat, nous voyons le cas peu ordinaire de poules différant entre elles plus que ne le font les coqs. Dans la race indienne blanche et enfumée, les poules ont toujours la peau noire, leurs os sont recouverts d’un périoste de même couleur, caractères qu’on ne rencontre jamais ou fort rarement chez les coqs. Dans la grande famille des pigeons, où les deux sexes ne diffèrent presque pas entre eux, et où notamment les mâles et femelles de l’espèce souche, C. livia, ne peuvent être distingués, nous avons vu que chez les Grosses-gorges, la faculté de distendre le jabot qui est caractéristique de la race, est beaucoup plus développée chez le mâle que chez la femelle ; dans d’autres sous-variétés[28], les mâles seuls sont tachetés ou rayés de noir. Dans les Messagers anglais, la différence qui existe entre les mâles et les femelles, quant au développement de la peau caronculeuse du bec et des yeux, est très-apparente. Nous avons donc là des cas d’apparition de caractères secondaires sexuels dans des races domestiques d’une espèce qui, naturellement, n’offre rien de semblable.


Il arrive, par contre, que certains caractères sexuels secondaires, propres à l’espèce, diminuent beaucoup ou se perdent parfois entièrement sous l’influence de la domestication. C’est ce que nous voyons chez les races améliorées de nos porcs domestiques, dans la réduction considérable de leurs canines, comparées aux crocs du sanglier. Dans quelques sous-races gallines, les mâles perdent leurs belles rectrices ondoyantes et leurs plumes sétiformes ; dans d’autres, il n’y a aucune différence de coloration entre les deux sexes. Dans quelques cas, le plumage barré, qui, dans les gallinacés, est l’apanage de la poule, a été transféré au coq, comme dans les sous-races coucous. Dans d’autres, les caractères masculins ont été partiellement transmis à la femelle, comme le magnifique plumage de la poule de Hambourg pailletée dorée ; l’énorme crête de la poule Espagnole ; l’humeur belliqueuse de la poule de Combat ; enfin les ergots, qui quelquefois se développent chez les poules de diverses races. Dans la race Huppée, les deux sexes portent une huppe, formée, dans le mâle, par des plumes semblables aux plumes sétiformes, ce qui constitue un caractère masculin nouveau pour le genre Gallus. En somme, autant que je peux en juger, les caractères nouveaux semblent apparaître plus volontiers chez les mâles de nos animaux domestiques que chez les femelles, pour se transmettre ensuite exclusivement, ou tout au moins beaucoup plus fortement, à la descendance mâle. Finalement, d’après ce que nous avons vu de la limitation de l’hérédité par le sexe, l’apparition dans les espèces naturelles de caractères sexuels secondaires ne présente pas de difficulté particulière, et leur augmentation ou modification ultérieures, en tant qu’utiles à l’espèce, ont dû se faire par cette forme de la sélection que, dans mon Origine des Espèces, j’ai appelée sélection sexuelle.

HÉRÉDITÉ AUX PÉRIODES CORRESPONDANTES DE LA VIE.

Depuis la publication de l’Origine des Espèces, je n’ai eu aucune raison pour mettre en doute la vérité de l’explication que je donnai alors du fait biologique, de tous le plus remarquable peut-être, à savoir la différence qui existe entre l’embryon et l’animal adulte. L’explication est que les variations n’ont pas nécessairement ni généralement lieu à une époque très-antérieure du développement embryonnaire, et qu’elles sont héréditaires à l’âge correspondant. La conséquence de ceci est que, même lorsque la forme parente a subi de grandes modifications, l’embryon peut rester très-peu modifié, et les embryons d’animaux fort différents, descendant d’un ancêtre commun, doivent rester, sous bien des rapports importants, semblables entre eux et à leurs ancêtres primitifs. Ceci nous montre pourquoi l’embryologie jette un si grand jour sur le système naturel de la classification, qui devrait, autant que possible, être généalogique. Lorsque l’embryon peut vivre indépendant et devient larve, il faut que, par sa conformation et ses instincts, indépendamment de ce que peuvent être ces circonstances chez ses parents, il puisse s’adapter aux conditions extérieures dans lesquelles il se trouve, et c’est ce que rend possible l’hérédité aux périodes correspondantes de la vie.

Ce principe est, en un certain sens, tellement évident, qu’il échappe à notre attention. Nous possédons de nombreuses races d’animaux et de plantes qui, comparées les unes aux autres et à leurs formes primitives, présentent, tant à l’état parfait qu’imparfait, des différences considérables. Nous voyons les graines des différentes sortes de pois, fèves, maïs, qui se propagent avec constance et diffèrent beaucoup par leur forme, couleur et grosseur, pendant que les plantes adultes ne diffèrent que peu. Les choux, d’autre part, diffèrent considérablement par leur feuillage et leur mode de croissance, mais presque pas par leurs graines ; et on reconnaîtrait généralement que les différences qu’on peut remarquer entre les plantes cultivées à diverses périodes de leur croissance, n’ont aucune connexion réciproque nécessaire, car des plantes très-divergentes par leur graine peuvent se ressembler à l’état adulte, tandis qu’inversement des plantes très-différentes, une fois développées, peuvent fournir des graines semblables. Dans les diverses races gallines, provenues d’une seule espèce, les différences dans les œufs, les poulets, les plumages de la première mue et des suivantes, la crête et les caroncules, sont toutes héréditaires. Il en est de même, pour l’homme, des particularités des deux dentitions ; la longévité est aussi souvent transmissible. Dans nos races améliorées de bétail et de moutons, la précocité, comprenant un prompt développement des dents ; l’apparition précoce de caractères secondaires sexuels chez certaines races gallines, sont autant de faits qui se rattachent à l’hérédité aux périodes correspondantes.

Le ver à soie en offre un des meilleurs exemples ; car, dans les races qui transmettent le mieux leurs caractères, les œufs diffèrent de grosseur, de couleur et de forme, — les vers varient par la couleur, par le nombre des mues, qui peut être de trois ou de quatre, par une marque foncée ressemblant à un sourcil, par la perte de certains instincts ; — les cocons diffèrent par la forme, la grosseur, la couleur et la qualité de la soie ; et malgré toutes ces différences le papillon définitif est à peu près toujours le même.

On peut dire que si, dans les cas précités, une nouvelle particularité devient héréditaire, elle ne peut l’être qu’à la phase correspondante du développement ; car un œuf ou une graine ne peuvent ressembler qu’à un œuf ou une graine, et la corne d’un bœuf adulte ne peut ressembler qu’à une corne. Les cas qui suivent montrent plus clairement l’hérédité aux époques correspondantes, parce qu’ils ont trait à des particularités qui auraient pu surgir plus tôt ou plus tard, et qui cependant ont été héritées à la même période que celle où elles avaient paru pour la première fois.


Dans la famille Lambert, les excroissances de l’épiderme ont paru chez les fils et chez le père, au même âge, environ neuf semaines après la naissance[29]. Dans la famille velue si extraordinaire décrite par M. Crawfurd[30], trois générations d’enfants vinrent au monde avec les oreilles velues ; le poil avait commencé à pousser sur le corps du père à l’âge de six ans ; plus tôt chez sa fille, à un an ; dans les deux générations, les dents de lait avaient été tardives, et les dents définitives se montrèrent très-imparfaites. On a vu, chez quelques familles, la transmission de cheveux gris très-précoces. Ces cas touchent de près aux maladies qui se transmettent héréditairement à des époques correspondantes de la vie, dont nous aurons bientôt à nous occuper.

On sait que chez les pigeons Culbutants amande, les caractères particuliers et la beauté complète de leur plumage ne se manifestent qu’après la seconde ou la troisième mue. Neumeister a décrit et figuré une race de pigeons, chez lesquels le corps est blanc, à l’exception du cou, de la tête et de la gorge ; mais avant la première mue, toutes les plumes blanches ont leur bord coloré. Dans une autre race, le premier plumage est noir, les ailes portent des bandes rougeâtres, et la poitrine une marque en forme de croissant ; ces marques deviennent ensuite blanches, restent ainsi pendant trois ou quatre mues ; enfin le blanc s’étend sur tout le corps, et l’oiseau perd toute sa beauté[31]. Les canaris de prix ont les ailes et la queue noires ; mais cette coloration ne durant que jusqu’à la première mue, il faut les présenter aux concours avant que ce changement ait eu lieu. Il va sans dire que tous les oiseaux de cette souche ont les ailes et la queue noires pendant la première année[32]. On a donné un récit analogue et curieux d’une famille de freux sauvages pies[33] qui avaient été observés pour la première fois à Chalfont, en 1798, et depuis cette époque jusqu’à celle de la publication de la notice à leur sujet, en 1837, on avait remarqué dans chaque couvée annuelle quelques oiseaux partie blancs et partie noirs. Ce plumage panaché disparaît toutefois après la première mue ; il reste cependant toujours quelques individus pies dans les jeunes familles successives. Ces modifications de plumage qui surgissent et deviennent héréditaires aux mêmes périodes de la vie, chez le pigeon, le canari et le freux, sont remarquables, car les espèces parentes ne présentent aucun changement de ce genre.

Les maladies héréditaires fournissent une démonstration de l’hérédité aux époques correspondantes, peut-être moins valable sous un certain point de vue que les cas précédents, parce que les maladies ne sont pas nécessairement liées à des modifications de conformation ; mais, d’un autre côté, elles ont de l’importance, parce qu’on a mieux observé et noté les époques de leur apparition. Quelques maladies peuvent être communiquées par une sorte d’inoculation aux enfants, qui en sont dès lors affectés dès la naissance ; ces cas sont étrangers à notre sujet, et nous pouvons les laisser de côté. Plusieurs catégories de maladies apparaissent ordinairement à un certain âge, telles que la danse de Saint-Guy dans la jeunesse, la phthisie dans l’âge moyen, la goutte plus tard ; elles sont naturellement héréditaires aux mêmes époques. Mais même pour des maladies de ce genre, on a, comme pour la danse de Saint-Guy, des exemples qui montrent que la tendance à contracter cette maladie plus tôt ou plus tard est héréditaire[34]. Dans la plupart des cas, l’apparition d’une maladie héréditaire est provoquée par certaines périodes critiques dans la vie de chaque personne, ainsi que par des conditions défavorables. Il y a beaucoup d’autres maladies qui, sans se rattacher à aucune période particulière, tendent à se montrer chez l’enfant au même âge que celui où elles ont éclaté chez le parent, et on pourrait citer à l’appui de cette assertion un bon nombre des plus hautes autorités anciennes et modernes. C’était l’opinion de l’illustre Hunter, et Piorry[35] recommande au médecin d’observer attentivement l’enfant, lorsqu’il arrive à l’âge où quelque maladie héréditaire grave s’est déclarée chez le parent. Le Dr Lucas[36], après avoir puisé des faits à toutes les sources, affirme que les affections de toute nature, même celles qui ne sont liées à aucune période particulière de la vie, tendent à reparaître chez les descendants à l’époque où elles ont premièrement apparu chez l’ascendant.

Vu l’importance du sujet, nous citerons encore quelques exemples choisis dans le but de montrer que, lorsqu’il y a une déviation à la règle, l’enfant peut être affecté plus tôt que ne l’a été son parent. Dans la famille Lecompte, la cécité fut héréditaire pendant trois générations, et trente-sept enfants et petits-enfants devinrent tous aveugles entre dix-sept et dix-huit ans[37]. Dans un autre cas, un père et ses quatre enfants furent atteints de cécité à l’âge de vingt et un ans ; dans un autre, une grand’-mère devint aveugle à trente-cinq ans, sa fille à dix-neuf et trois petits-enfants à treize et onze ans[38]. De même pour la surdité, deux frères, leur père et leur grand-père paternel devinrent tous sourds à l’âge de quarante ans[39].

Esquirol donne quelques exemples frappants d’aliénation mentale s’étant déclarée au même âge, entre autres celui d’un grand-père, père et fils, qui tous se suicidèrent aux environs de leur cinquantième année ; et celui d’une famille entière, dont tous les membres furent atteints d’aliénation mentale à l’âge de quarante ans[40]. D’autres affections cérébrales paraissent soumises à la même règle, comme l’apoplexie et l’épilepsie. Une femme mourut d’apoplexie dans sa soixante-troisième année ; une de ses filles dans sa quarante-troisième, et une autre dans sa soixante-septième ; cette dernière eut douze enfants, qui moururent tous de méningite tuberculeuse[41]. Je mentionne ce dernier cas comme exemple d’un fait assez fréquent, le changement dans la nature de la maladie héréditaire, affectant le même organe. On a vu l’asthme frapper divers membres d’une même famille à l’âge de quarante ans, et ceux d’autres familles pendant leur enfance. Les maladies les plus différentes, telles que l’angine pectorale, la pierre et des affections de la peau, peuvent se déclarer dans les générations successives à peu près au même âge. Le petit doigt ayant, par une cause inconnue, commencé à se recourber en dedans chez un homme, le même fait se présenta chez ses deux fils au même âge que chez le père. Des affections névralgiques étranges et inexplicables se déclarent souvent chez parents et enfants, à la même période de leur existence[42].

Voici encore deux cas qui sont intéressants comme exemples de la disparition aussi bien que de l’apparition de la maladie aux âges correspondants. Deux frères, leur père, leurs oncles paternels, sept cousins et le grand-père paternel, avaient tous été semblablement affectés d’une maladie de la peau nommée pityriasis versicolor ; cette affection, qui fut rigoureusement circonscrite aux mâles de la famille (bien que transmise par les femmes), parut à l’époque de la puberté et disparut entre quarante et quarante-cinq ans. Dans l’autre cas, quatre frères à l’âge de douze ans souffraient chaque semaine de violents maux de tête ; leur père, leurs oncles paternels, leur grand-père et leurs grands-oncles paternels avaient tous éprouvé ces mêmes maux de tête, qui avaient disparu à l’âge de cinquante cinq à cinquante-six ans, et dont aucune des femmes de la famille n’avait été affectée[43].


D’après les faits qui précédent, de maladies apparaissant au même âge chez plusieurs membres d’une même famille, et dans le cours de trois générations et davantage, surtout dans les cas d’affections rares dont la coïncidence ne peut être attribuée au hasard, il est impossible de mettre en doute qu’il n’y ait une tendance évidente à une transmission héréditaire des maladies aux époques correspondantes de la vie. Les exceptions, lorsqu’il s’en présente, ont lieu dans le sens d’une manifestation plus précoce de la maladie chez l’enfant que chez son parent, et très-rarement dans le sens inverse. Le Dr Lucas[44] donne plusieurs cas de maladies héréditaires qui se sont déclarées beaucoup plus tôt ; nous en avons cité un très-frappant à propos de cécité survenue pendant trois générations, et M. Bowman remarque que cela arrive souvent dans la cataracte. Il en est de même pour le cancer, et M. Paget, qui a tout spécialement étudié ce sujet, m’apprend que dans neuf cas sur dix, la dernière génération affectée est toujours atteinte du mal plus tôt que la précédente. Il ajoute que, dans les cas où le rapport est inverse, et où le cancer se déclare chez les membres des dernières générations plus tard que dans les précédentes, on trouvera que les parents non affectés de cancer ont dû atteindre un âge très-avancé. La longévité d’un parent non atteint du mal semblerait donc déterminer la période fatale chez son descendant, et apporterait encore un élément nouveau compliquant la question de l’hérédité.

Les faits qui tendent à établir que, pour certaines maladies héréditaires, l’époque à laquelle elle se déclarent chez les descendants peut être avancée, ont de l’importance quant à la théorie générale de la descendance, car ils rendent probable que la même chose doit avoir lieu pour les modifications ordinaires de conformation. Le résultat final d’une longue série d’avances de ce genre serait l’oblitération graduelle des caractères propres à l’embryon et à la larve, qui tendraient ainsi à devenir de plus en plus semblables à la forme parente adulte. Mais toute conformation utile à l’embryon ou à la larve serait conservée par la destruction, à cette phase de son développement, de tout individu qui manifesterait une tendance à perdre trop tôt ses caractères propres.

Enfin, d’après les races nombreuses de plantes cultivées et d’animaux domestiques, dont les graines ou œufs, les jeunes ou adultes, diffèrent entre eux et des espèces parentes ; — d’après les cas dans lesquels de nouveaux caractères ayant surgi à une période particulière, sont devenus héréditaires à la même période ; — et d’après ce que nous avons vu de la transmission des maladies, nous devons admettre le principe de l’hérédité aux époques correspondantes de la vie.

Résumé des trois chapitres précédents. — Quelle que soit la puissance de l’hérédité, elle permet l’apparition incessante de caractères nouveaux. Ceux-ci, qu’ils soient avantageux ou nuisibles, insignifiants comme une nuance de couleur dans une fleur ou une mèche de cheveux, ou un simple geste ; ou de la plus haute importance, comme lorsqu’ils affectent le cerveau ou un organe aussi parfait et complexe que l’œil ; qu’ils soient assez sérieux pour mériter d’être qualifiés de monstruosités, ou assez exceptionnels pour ne pas se rencontrer normalement dans aucun membre du même groupe naturel ; sont tous fortement héréditaires chez l’homme, les animaux inférieurs et les plantes. Il suffit souvent, pour qu’une particularité soit héréditaire, qu’elle se trouve chez un seul ascendant. Les inégalités des deux côtés du corps sont transmissibles, bien que contraires à la loi de symétrie. Même des mutilations et des suites d’accidents sont souvent héréditaires, surtout lorsqu’elles sont accompagnées de maladie ; peut-être même ne le sont-elles que dans ce dernier cas. Les effets fâcheux résultant de conditions nuisibles, auxquelles l’ascendant a pu être exposé pendant longtemps, peuvent être transmis à ses produits ; il en est de même, comme nous le verrons par la suite, des effets de l’usage ou du défaut d’usage des organes et des dispositions mentales. Les habitudes périodiques sont également héréditaires, mais, à ce qu’il paraît, ne se transmettent qu’avec peu de force.

Nous sommes donc amenés à regarder l’hérédité comme la règle et le défaut d’hérédité comme l’exception. Elle nous paraît quelquefois très-capricieuse dans ses manifestations, car elle transmet les caractères tantôt avec une très-grande force, tantôt avec une faiblesse inexplicable. Une même particularité, telle que le facies pleureur d’un arbre, les plumes soyeuses d’un oiseau, etc., peut se transmettre fortement ou pas du tout à différents membres d’un même groupe, et même à divers individus d’une même espèce, quoique traités de la même manière. Ces cas nous montrent que la puissance de transmission est une qualité purement individuelle. Il en est des légères différences qui distinguent les races ou sous-variétés comme des caractères isolés, car certaines races peuvent être propagées aussi sûrement que des espèces, tandis que d’autres n’offrent rien de certain. La même règle peut s’appliquer aux plantes qu’on propage par boutures, bulbes, etc., qui, à un certain point de vue, constituent des portions d’un même individu, car quelques variétés conservent et transmettent, à travers plusieurs générations successives de bourgeons, leurs caractères d’une manière beaucoup plus constante que d’autres.

Quelques caractères qui ne sont pas spéciaux à l’espèce souche primitive ont été certainement héréditaires depuis une époque fort ancienne, et peuvent par conséquent être considérés comme fermement fixés ; il est cependant douteux que la longueur de l’hérédité puisse en elle-même donner de la fixité aux caractères, bien que toutes les chances soient évidemment pour qu’une particularité qui aurait été longtemps transmise sans altération, continue à l’être tant que les conditions extérieures restent les mêmes. Nous savons qu’un grand nombre d’espèces, après avoir conservé un même caractère pendant des siècles, tant qu’elles vivaient dans leurs conditions naturelles, ont, une fois domestiquées, varié de la manière la plus grande, c’est-à-dire ont cessé de transmettre leur forme première, de sorte qu’aucun caractère ne paraît devoir être regardé comme absolument fixe. Nous pouvons quelquefois expliquer le défaut d’hérédité par une opposition des circonstances extérieures au développement de certains caractères ; et plus souvent, comme dans les plantes propagées de bourgeons et de greffes, par de nouvelles et incessantes modifications provoquées par ces mêmes circonstances extérieures. Il n’y a donc, dans ces cas, pas précisément défaut d’hérédité, mais une addition continuelle de nouveaux caractères. Dans quelques cas peu nombreux, où les deux ascendants présentent les mêmes caractères, l’hérédité paraît, sous l’action combinée des deux parents, acquérir une puissance telle, qu’elle se contrarie elle-même et qu’il en résulte une nouvelle modification.

Il est des cas où les parents ne transmettent pas leur type à leurs descendants par suite d’un croisement opéré antérieurement dans la race, le produit tenant alors de son aïeul ou de son ancêtre plus reculé, de sang étranger. Dans d’autres, où il n’y a pas eu de croisement dans la race, mais où un ancien caractère a été perdu par variation, il peut parfois reparaître par retour, et, dans ces cas encore, les parents sont en apparence en défaut quant à la transmission de leur propre ressemblance. Nous pouvons admettre, toutefois, que dans tous les cas l’enfant tient bien la totalité de ses caractères de ses parents, chez lesquels il en est qui sont à l’état latent, comme les caractères secondaires d’un sexe le sont dans l’autre. Lorsque, après une longue suite de générations de bourgeons, une fleur ou un fruit se partage en plusieurs segments différents, ayant les caractères des deux formes parentes, nous ne pouvons pas douter que ces caractères ne fussent latents dans les bourgeons antérieurs, bien qu’on ne put pas les y déceler. Il en est de même des animaux dont les parents ont été croisés et chez lesquels on découvre, à mesure qu’ils avancent en âge, des caractères dérivés d’un de leurs parents et dont on n’apercevait d’abord aucune trace. Certaines monstruosités ressemblant à ce que les naturalistes appellent la forme typique du groupe auquel appartient l’animal qui les présente, sont également des faits de retour. Il est certainement étonnant que les éléments sexuels mâles et femelles, les bourgeons, et même les animaux adultes, puissent conserver certains caractères pendant plusieurs générations pour les races croisées, et pendant des milliers de générations pour les races pures, comme s’ils étaient tracés avec une encre invisible, prêts à tout instant à se révéler lorsque les conditions requises se trouvent réunies.

La plupart du temps nous ignorons quelles sont ces conditions. L’acte du croisement en lui-même, probablement par suite de perturbations qu’il occasionne dans l’organisation, détermine certainement une tendance prononcée à la réapparition de caractères perdus dès longtemps, indépendamment de ceux dérivés du croisement. Chez les espèces rendues à leurs conditions naturelles, comme les animaux et plantes redevenus sauvages, les effets de retour paraissent avoir lieu ; mais bien que cette tendance soit réelle, nous ne savons pas jusqu’à quel point elle peut prévaloir, car elle a d’ailleurs été fort exagérée. D’autre part, les produits croisés de plantes dont l’organisation a été troublée par la culture, sont plus sujets aux phénomènes du retour que ceux d’espèces qui ont toujours vécu dans leurs conditions naturelles.

Lorsqu’on croise des individus distincts d’une même famille, race ou espèce, on remarque souvent que l’un a sur l’autre une prépondérance marquée dans la transmission de ses propres caractères. Une race douée d’une puissance d’hérédité très-énergique peut cependant, quand on la croise, céder à la prépondérance de toute autre race ; c’est ce que nous avons vu pour les pigeons Tambours. Cette prépondérance de transmission peut être égale chez les deux sexes d’une même espèce, mais elle est souvent plus prononcée dans un des sexes que dans l’autre. Elle joue un rôle important en déterminant la rapidité avec laquelle une race peut être modifiée, ou entièrement absorbée, par des croisements répétés avec une autre. Il est rare que nous puissions savoir pourquoi une race ou une espèce a la prépondérance sur une autre, mais cela dépend quelquefois de ce qu’un même caractère, présent et visible chez l’un des ascendants, n’est que latent, ou potentiellement présent dans l’autre.

Des caractères peuvent surgir dans l’un ou l’autre sexe, mais plus souvent chez le mâle, et être ensuite transmis aux descendants du même sexe. Nous pouvons dans ce cas admettre avec assez de probabilité que la particularité en question existe, quoiqu’à l’état latent, dans le sexe opposé, d’où le père peut transmettre par sa fille un caractère quelconque à son petit-fils, et, inversement, la mère à sa petite-fille. Ceci nous montre le fait important que la transmission et le développement sont deux choses distinctes. Ces deux pouvoirs semblent parfois être en lutte, ou incapables de se combiner sur un même individu, car on a signalé plusieurs cas où le fils n’ayant pas hérité directement de son père d’une particularité, ne l’a pas non plus immédiatement transmise à son propre fils, mais l’a transmise par sa fille non affectée, comme il l’avait reçue par transmission de sa mère également non affectée. L’hérédité étant limitée par le sexe, nous pouvons saisir comment les caractères sexuels secondaires ont pu apparaître dans la nature ; leur conservation et leur accumulation devant dépendre de l’utilité qu’ils pouvaient avoir pour chaque sexe.

À quelque époque de la vie qu’apparaisse un caractère nouveau, il demeure généralement à l’état latent dans les descendants, jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge correspondant, et alors il se développe ; si cette règle est en défaut, c’est que le caractère se manifeste chez l’enfant plus tôt qu’il ne l’avait fait chez le parent. Ce principe de l’hérédité aux époques correspondantes nous fait comprendre pourquoi la plupart des animaux déroulent, depuis le germe jusqu’à l’état adulte, une si remarquable succession de caractères.

Pour terminer, et quoiqu’il reste encore bien des points obscurs dans le vaste domaine de l’hérédité, nous pouvons considérer comme assez bien établies les lois suivantes : 1o tous les caractères, anciens ou nouveaux, offrent une tendance à être transmis par génération séminale ou par bourgeons, quoique souvent contrariés par diverses causes connues et inconnues ; 2o le retour ou atavisme, qui dépend de ce que la puissance de transmission et celle de développement sont distinctes, agit suivant divers modes et à différents degrés, tant dans la génération séminale que dans celle par bourgeons ; 3o la prépondérance de transmission, qui est souvent limitée à un seul sexe, peut se rencontrer dans les deux sexes de la forme prépondérante ; 4o la transmission, limitée par le sexe, a généralement lieu au sexe dans lequel le caractère héréditaire a paru pour la première fois ; 5o l’hérédité aux époques correspondantes de la vie, avec une tendance à un développement quelquefois plus précoce du caractère héréditaire. Nous pouvons entrevoir, dans ces lois de l’hérédité, telles qu’elles se manifestent sous l’influence de la domestication, d’amples ressources pour la production de nouvelles formes spécifiques par la variabilité et la sélection naturelle.



  1. Youatt, On Cattle, p. 69, 78, 88, 92, 163. — Id., On Sheep, p. 325. — Dr Lucas, O. C., t. II, p. 310.
  2. Hérédité naturelle, t. II, p. 112–120.
  3. Sir H. Holland, Chapters on Mental Physiology, 1852, p. 234.
  4. Gardener’s Chronicle, 1860, p. 270.
  5. N. H. Smith, Observations on Breeding ; Encyct. of rural Sports, p. 278.
  6. Bronn, Geschichte der Natur, vol. II, p. 170. — Sturm, Ueber Racen, 1825, p. 104–107. — Pour les niatas, voir mon Journal of Researches, 1845, p. 146.
  7. Lucas, O. C., t. II, p. 112.
  8. M. Orton, Physiology of Breeding, 1855, p. 9.
  9. Boitard et Corbié, Les Pigeons, 1824, p. 224.
  10. Id. Ibid., p. 168, 198.
  11. Das Ganze, etc., 1837, p. 39.
  12. The Pigeon Book, p. 46.
  13. O. C., p. 22. — M. Hewitt, Poultry Book, de M. Tegetmeier, 1866, p. 124.
  14. Boitard et Corbié, O. C., p. 226.
  15. Bastarderzeugung, p. 256, 290. — Naudin, O. C., t. I. p. 149, donne un cas frappant de prépondérance du Datura stramonium, croisé avec deux autres espèces.
  16. Flourens, Longévité humaine, p. 144, sur les chacals croisés. Pour ce qui concerne la différence du mulet et du bardeau, on l’a généralement attribuée à ce que le père et la mère transmettent différemment leurs caractères. Mais Colin, qui, dans son Traité de Physiologie comparée, t. II, p. 537–539, donne la description la plus complète que je connaisse de ces hybrides réciproques, penche fortement vers la prépondérance de l’âne dans les deux croisements, mais à un degré inégal. C’est aussi la conclusion de Flourens et celle de Bechstein, Naturgeschichte Deutschlands, vol. I, p. 294. La queue du bardeau ressemble plus à celle du cheval que ne le fait la queue du mulet, ce qu’on explique généralement en disant que les mâles des deux espèces transmettent plus fortement cette partie de leur conformation ; cependant j’ai vu au Jardin zoologique un métis complexe, provenant d’une jument croisée par un métis âne-zèbre, et dont la queue ressemblait tout à fait à celle de la mère.
  17. M. Hewitt, qui a élevé un grand nombre de ces hybrides, dit (Poultry Book de Tegetmeier, 1866, p. 165–167) que dans tous la tête était dépourvue de caroncules, crête et lobules auriculaires, et qu’ils ressemblaient, par la forme de la queue et le contour général du corps, au faisan. Ces hybrides ont été produits de plusieurs poules diverses par un faisan mâle ; mais un autre, obtenu d’une faisane par un coq Bantam galonné d’argent, portait une crête rudimentaire et des caroncules.
  18. O. C., t. II, liv. II, chap. I.
  19. Bastarderzeugung, p. 264–266. — Naudin, O. C., t. I, p. 148, est arrivé à une conclusion semblable.
  20. Cottage Gardener, 1856, p. 101, 137.
  21. Voir quelques remarques sur ce sujet à propos du mouton, par M. Wilson, Gardener’s Chronicle, 1863, p. 15.
  22. Verlot, O. C., 1865, p. 66.
  23. Moquin-Tandun, O. C., p. 191.
  24. O. C., t. I, p. 137.
  25. L’Héréd. Nat., t. II, p. 137–165. — Voir aussi les travaux de M. Sedgwick, cités dans la note suivante.
  26. Sur la limitation sexuelle dans les maladies héréditaires, British and Foreign Med. Chir . Review, avril 1861, p. 477 ; juillet, p. 198 ; avril 1863, p. 445 ; et juillet, p. 159.
  27. W. Scrope, Art of Deer Stalking, p. 354.
  28. Boitard et Corbié, Les Pigeons, etc., p. 173. — Dr F. Chapuis, Le Pigeon voyageur belge, 1865, p. 87.
  29. Prichard, Phys. Hist. of Mankind, 1851, vol. I, p. 349.
  30. Embassy to the Court of Ava, vol. I, p. 320. — La troisième génération a été décrite par le Cap. Yule dans Narrative of the Mission to the Court of Ava, 1855, p. 94.
  31. Das Ganze der Taubenzucht, 1837, p. 21, tab. I, fig. 4 ; p. 24, tab. IV, fig. 2.
  32. Kidd’s Treatise on the Canary, p. 18.
  33. Charlesworth, Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 167.
  34. Lucas, O. C., t. II, p. 713.
  35. L’Hérédité dans les maladies, 1840, p. 135. — Pour Hunter, voir Harlan’s Medical Researches, p. 530.
  36. O. C., t. II, p. 850.
  37. Sedgwick, O. C., 1861, p. 485.
  38. Lucas. O. C., t. I, p. 400.
  39. Sedgwick, O. C., p. 202.
  40. Piorry, O. C., p. 109. — Lucas, t. II, p. 759.
  41. Lucas, O. C., t. II, p. 748.
  42. Lucas, t. II, p. 678, 700, 702. — Sedgwick, 1863, p. 449 ; et juillet 1863, p. 162. — Dr J. Steinan, Essay on Hereditary Disease, 1843, p. 27, 34.
  43. Dr H. Stewart, Med. Chir. Review, avril 1863, p. 449, 477.
  44. O. C., t. II, p. 852.